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EAN : 9791032927823
L'Observatoire (23/08/2023)
3.89/5   385 notes
Résumé :
Deux étudiants en agronomie, angoissés comme toute leur génération par la crise écologique, refusent le défaitisme et se mettent en tête de changer le monde. Kevin, fils d'ouvriers agricoles, lance une start-up de vermicompostage et endosse l'uniforme du parfait transfuge sur la scène du capitalisme vert. Arthur, enfant de la bourgeoisie, tente de régénérer le champ familial ruiné par les pesticides mais se heurte à la réalité de la vie rurale. Au fil de leur appren... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (103) Voir plus Ajouter une critique
3,89

sur 385 notes
°°° Rentrée littéraire 2023 # 46 °°°

Cela fait longtemps que je n'avais pas eu une lecture aussi effervescente, paradoxale et contrastée, avec des qualités qui m'ont emportée et des bémols qui ont freiné mon enthousiasme. J'ai du laisser passer du temps avant de chroniquer, car j'ai souvent changé d'avis sur les petites étoiles à attribuer à ce roman dense et ambitieux.

La conduite narrative de ce roman d'apprentissage est admirablement balzacienne, suivant le parcours de Kevin et Arthur, étudiants d'AgroParisTech que tout oppose mais qui vont devenir inséparables ( ils veulent sauver le monde en utilisant les énormes potentialités du lombric ) avant de prendre des chemins différents. Deux parcours remplis de rebondissements liés à la mise à l'épreuve de leurs idéaux confrontés à la force de frappe du néo-libéralisme.

Des illusions perdues très houellecquiennes, sur un schéma classique. Dilemmes moraux, ascension, gloire, chute, sexe, mensonges, trahisons, fric, reniement, colère, radicalisation … tout y est et intensément vécu jusqu'à de situations outrées mais qui fonctionnent dans le tourbillon romanesque proposé par Gaspard Koenig et son écriture vive et acérée. D'autant que l'auteur excelle à la satire. La critique acerbe des grandes écoles et de leurs élites déconnectées, de l'hypocrisie du capitalisme vert et son greenwashing, de l'absurdité du système agricole productiviste, font mouche lors de scènes férocement savoureuses ( et drôles ).

Incontestablement, ce roman total résonne très intelligemment avec les questionnements contemporains portant sur la tension économie / écologie et sur l'action à envisager pour changer les choses ( ou pas ). Humus est un livre qui pense et fait penser. Parfois, le lecteur est d'accord avec Kevin, fils de paysan du Limousin devenu start-uppeur spécialisé dans le lombricompostage industriel ; d'autres fois avec Arthur, fils d'un avocat parisien et son retour à la terre cherchant à faire revivre un sol qui semble irréversiblement tué par l'agrochimie.

Les personnages de Kevin et Arthur sont nettement campés dans leurs contradictions pensée / terrain. Aucun n'est réellement attachant, peut-être un peu plus Kevin, enfin touchant dans les cinquante dernières pages car en réelle évolution ; la destinée d'Arthur le bifurqueur m'a semblé trop artificielle, comme pour cocher des cases et proposer un tableau complet de l'époque. Cela ne me dérange pas de ne pas m'attacher à des personnages étudiés en surplomb par un narrateur omniscient qui semble peu les aimer, mais j'ai vraiment été gênée - même en tenant compte que le roman est satirique - par les trois personnages féminins, tous caricaturaux et insupportables par leur perfidie ou leur naïveté exaspérante.

Tous sont raillés et risibles sans être non plus totalement excommuniés par l'auteur qui ne fait jamais montre de cynisme. Il n'empêche que les seuls personnages vraiment attachants et pour lequel l'auteur manifeste une réelle empathie, ce sont les lombrics, première biomasse animale terrestre, entre 1 et 3 tonnes à l'hectare. C'était audacieux de proposer de longs passages très érudits sur la vie des vers de terre, et j'ai adoré ces lombrics et la façon dont Gaspard Koenig a de les mettre en lumière brillamment, comme ici lorsqu'Arthur observe la sexualité des lombrics une nuit d'automne :

« Ni les vibrations des pas d'Arthur ni la lumière de sa lampe ne les dérangeaient. Arthur en toucha quelques-uns du doigt, en s'excusant à voix basse de ce geste déplacé : pas de réaction. Seul un couple se détacha avec un bruit de ventouse, comme deux amants surpris et honteux. Les autres devient considérer que leur désir primait sur toute autre considération. Arthur s'allongea sur le ventre au milieu d'un rang d'oignons verts, non pas en observateur mais en voyeur, curieux de découvrir in vivo les subtilités de l'érotisme lombricien, dont il n'avait qu'une connaissance théorique et assez confuse.
Ce qui le frappa d'abord, ce fut l'immobilité. Il y avait là deux beaux anéciques au corps brun, tête-bêche, accroché l'un à l'autre par leur clitellum respectif qui sécrétait un mucus gluant. Leurs quinze premiers anneaux étaient collés ensemble, à l'exception de la tête qui se tournait pudiquement sur le côté. Ces bêtes qui rampaient sans répit à la recherche de nourriture s'étaient soudain immobilisées. A la différence des humains qui se tortillent en tous sens, les anneaux avaient cessé de se contracter et noircissaient calmement de plaisir. Pas de caresses, pas de coups de reins. Arthur trouva cette manière de faire beaucoup plus judicieuse. Pourquoi l'amour devrait-il être une lutte essoufflée et grimaçante ? N'est-il pas mieux servi par cette union placide et langoureuse ? »

Oui définitivement, ma sympathie va aux lombrics !
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Rentrée littéraire 2023

Pas banal et plutôt audacieux de choisir les vers de terre, ces animaux mal-aimés, comme héros de roman. C'est le défi que s'est lancé Gaspard Koenig dans son dernier roman Humus.
Deux étudiants d'AgroParisTech, un peu désabusés et que tout semble opposer, se lient d'amitié après avoir assisté à une conférence intitulée Avancées et défis de la géodrilologie, la géodrilologie étant la science des vers de terre.
Angoissés comme toute leur génération par la crise écologique, ils se cherchent un destin et découvrent lors de cet exposé un domaine de recherche quasi vierge. En effet, si l'humanité s'est ruée pour comprendre l'infiniment grand des cieux, elle ne s'est guère penchée sur l'infiniment petit des sols.
Se forge vite entre eux une complicité d'explorateurs. Ils se jurent solennellement de ne jamais abandonner les vers de terre et de leur consacrer, d'une manière ou d'une autre, leur carrière et leur vie.
Kevin, fils de simples travailleurs agricoles installés dans le Limousin, dont l'intention première est de lancer sa petite entreprise de vermicompostage pour particuliers, essuie refus sur refus des banques. Il rencontre Philippine, une jeune femme aux ambitions démesurées, mais pas de son milieu, qui le propulse dans le monde de la finance et du capitalisme et le fait passer à l'échelle industrielle. Associés, ils créent en un temps record leur entreprise Veritas. Son but étant de construire des usines partout pour y installer des milliards de milliards de vers de terre qui digéreront les poubelles, produiront du terreau et sauveront ainsi la terre de l'humanité.
Arthur, enfant de la bourgeoisie parisienne, lui, reprend la propriété familiale au fin fond de la Normandie avec sa compagne Anne, pour régénérer les terres ruinées par les pesticides, en y réintroduisant des vers de terre.
Le chemin sera parsemé d'embûches pour ces deux idéalistes, tous deux transfuges de classe.
Dans Humus, Gaspard Koenig explore les vices et les vertus d'une génération qui veut changer le monde et dans ce cas-ci sauver l'humus. « Les Romains le savaient bien : Homo vient d'humus. Homo vit d'humus. Puis Homo a détruit humus. Et sans humus, pas d'Homo. Simple. »
Arthur, le néo-rural, dont le héros est Henry David Thoreau, malgré toute sa bonne volonté va devoir constater les effets néfastes et apparemment irrémédiables des pesticides et va se trouver, de plus, face aux absurdités de l'administration.
Kevin va se trouver lui, confronté à toutes les combines du capitalisme et au cynisme des greenwashers, ces éco-blanchisseurs qui utilisent l'argument écologique de manière trompeuse pour améliorer leur image et s'enrichir.
Gaspard Koenig nous offre d'ailleurs des passages savoureux avec tout ce langage anglo-saxon inspiré de la Tech et quasi incompréhensible pour qui n'est pas de ce milieu.
Humus est un roman particulièrement dense sur la crise écologique dans lequel l'auteur n'oppose pas les ruraux et les urbains et ne prend pas parti pour l‘un ou l'autre des agronomes.
Tout en rappelant le rôle fondamental des vers de terre, indispensables à la vie des sols, et pourtant souvent méprisés, Gaspard Koenig nous livre une satire de nos moeurs tant écologiques que financières absolument décapante.
Les rebondissements multiples rendent la lecture très addictive.
Une fin presque apocalyptique m'a un peu surprise, mais n'était-ce pas le chemin logique et cette violence n'était-elle pas prévisible ? En effet, quand les mouvements pacifistes et la désobéissance civile ne sont pas entendus, existe-t-il une autre alternative ?
Cette insurrection permet dans le roman à nos deux amis de se réconcilier, pour notre plus grand plaisir. L'amitié, la fraternité et la solidarité restent des valeurs sûres…
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Philosophe et essayiste aux convictions libérales, fondateur du mouvement Simple contre la complexité administrative et bref candidat à la dernière élection présidentielle, Gaspard Koenig a abandonné la politique pour une autre façon d'influencer le monde : la création littéraire. Il revient à la fiction avec un roman d'apprentissage sur fond d'engagement écologique, une satire apocalyptique où l'avenir du monde repose sur le sauvetage… des vers de terre…


Ingénieurs agronomes fraîchement diplômés, Arthur et Kevin ont noué leur amitié autour d'une idée commune : le plus grand - mais pourtant le plus ignoré, tant la science du sol et la géodrilogie restent balbutiantes - des désastres écologiques est la disparition des lombrics, première biomasse au monde indispensable à la vie des sols et donc à la production agricole. « Sans vers de terre, plus de terre ». En quelques décennies de productivisme agro-industriel, la fragile couche d'humus constituée au cours de millions d'années d'évolution biologique s'est transformée en poussière infertile que l'on continue d'épuiser à grands coups de chimie. Alors, eux qui n'ont jamais rejoint les rangs des bifurqueurs, ces étudiants de grandes écoles dont les velléités écolo-contestataires produisent à leurs yeux plus de bruit que d'effets, se lancent chacun dans un projet censé exorciser leur éco-anxiété.


Pendant qu'Arthur, Le Parisien issu d'un milieu aisé, se met en tête de faire revivre, par l'inoculation de vers de terre, la terre tuée en Normandie par son grand-père agriculteur, Kevin le fils de paysan pauvre crée une petite entreprise de vermicompostage. Dès lors, les rebondissements se bousculent dans un crescendo confrontant leurs idéaux et leurs principes à la réalité. Entre tempêtes amoureuses et financières, les erreurs et les échecs répétés de l'un, l'engrenage du succès en mode start-up pour l'autre, déboucheront sur une troisième voie beaucoup plus violente et désespérée, dans une explosion finale bouclant le tour des comportements, finalement tous voués au fiasco, adoptés par les uns ou les autres face à l'urgence écologique.


Si, soutenu par une documentation qui rend le propos fascinant, le récit fait la part belle à ses petits personnages rampants et méconnus, les « intestins du sol », que l'on ne verra plus désormais du même oeil, l'autre grande force du roman est le regard moqueur, qu'avec autant de cruelle lucidité que de vraie tendresse, il porte, sans jamais les juger, sur les différents acteurs de la société. Il faut dire que, créateur d'un think tank et un temps membre d'un cabinet ministériel, l'auteur a fréquenté l'élite et les dîners parisiens comme il a sillonné la France et l'Europe au plus près de ses habitants lors de plusieurs mois d'un périple à cheval. de ce matériau, il tire une satire percutante, n'épargnant ni zadiste, investisseur ou ministre, ni écologie libertaire, éco-frugalité ou greenwashing. Et, tandis que ses observations soulignent sans prendre parti le grand désordre de tous ces tâtonnements qui s'étagent des plus idéalistes aux plus opportunistes et hypocrites, des plus cosmétiques aux plus radicaux et violents, il recentre le débat sur une vision prophétique et, selon sa démonstration, encore très inédite : l'avenir passera par les sciences de la terre ou ne sera pas, n'en déplaise aux uns et aux autres et à leurs différentes manières de réagir face à l'urgence environnementale.


Malgré un final, à y réfléchir pas si invraisemblable, mais quand même très (trop?) spectaculaire, un livre intéressant et original, dont on retiendra les vérités satiriques d'une humanité écartelée, dans sa course folle, entre son confort immédiat et ses craintes d'un avenir menaçant, autant que son exploit inattendu de passionner son lecteur pour les vers de terre.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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« En vers et contre tous »
Voici en peu de mots la maxime de ce livre original et marquant.
Le titre Humus tout d'abord n'incite pas vraiment à la rigolade ni à l'envie irrésistible de se plonger dans ce bouquin ; la première chose qui vient à l'esprit, c'est une substance noire, à l'odeur d'humidité et de moisi, issue de la décomposition de matières organiques … On a connu plus appétissant et glamour…
Oui MAIS … appétissant et glamour ce n'est pas vraiment le sujet, quand c'est la survie de l'humanité que Gaspard Koenig interroge : « Les Romains le savaient bien : Homo vient d'humus. Homo vit d'humus. Puis Homo a détruit humus. Et sans humus, pas d'Homo. Simple. » (p.249)
Tout est dit. Simple. Basique.
La planète brule et que faisons-nous ? Nous regardons le doigt ou nos pieds, fonçant tête baissée vers notre prochaine extinction. Il ne fait plus aucun doute que l'Homme devra faire face à des catastrophes climatiques majeures qui entraineront maladies, famines, guerres, exodes massifs, …
La question n'étant plus de savoir « Si » mais « Quand »et « Qui ». Qui cela touchera-t-il de plein fouet ; notre génération, celle de nos enfants ou de nos petits-enfants ?
Le désastre est annoncé et ceux qui ont participé à une fresque de climat savent qu'il n'y a là aucun alarmisme démesuré, la conjonction de multiples facteurs montre que l'humanité a mangé son pain blanc (sachant de surcroît que nous sommes les grands privilégiés quand d'autres sont abonnés aux miettes depuis longtemps), le pire est à venir.
« Petits, petits, petits » Arthur tapote la terre doucement, il est à la recherche des lombrics, ces précieux vers de terre, les petits héros non masqués de ce livre puisqu'ils sont aveugles. Ne faites pas cette mine dégoutée, car c'est peut-être grâce à eux que nous pourrons enfin réduire nos déchets et régénérer nos sols épuisés.
Humus, c'est avant tout l'histoire d'Arthur et Kevin, deux étudiants en agronomie qui se rencontrent sur les bancs de l'école AgroParisTech. A la faveur d'une conférence donnée dans leur école par un vieux briscard, Marcel Combe, les deux étudiants découvrent la géodrilologie (étude des vers de terre) et un vaste univers peu couvert par la science s'ouvre à eux avec un champ infini de possibles.
Gaspard Koenig réussit le tour de force de réunir en un même livre partage de connaissances, humour grinçant savoureux sur les élites qui gouvernent la France, l'hypocrisie sans bornes des politiques RSE des entreprises qui tentent de ripoliner à grands coups de greenwashing leurs façades bien peu vertueuses, et de mettre en perspective les solutions existantes. Il se paye également le luxe de se mettre en scène dans son roman lors d'une brève apparition sous les traits d'un « certain Gaspard, essayiste qui se piquait d'être médiatique mais dont Kevin n'avait jamais entendu parler » (p.235)
Ne sont-elles finalement bien limitées ces solutions, et surtout avons-nous encore le temps de nous y essayer ? N'est-il pas déjà trop tard ? Ne produisons-nous pas plus de déchets qu'aucune solution ne pourra jamais absorber ? Les happenings de jeunes militants écologistes qui se collent à des tableaux dans des musées font parler les médias, mais parle-t-on pour autant des vrais problèmes ?
Ne remettons-nous pas sans cesse à plus tard les mesures de bons sens les plus élémentaires, les accords de Paris en sont le premier exemple …
Alors, quelles seront les solutions pour les jeunes générations : un retour à la vie des hommes des cavernes ou une révolution pour un changement radical de paradigme ?
Arthur et Kevin représentent ces deux attitudes. Arthur celle d'un attentisme désespéré et méprisant (en mode je vous l'avais bien dit) qui se prépare au grand effondrement en cultivant son potager et en élevant ses poules. Kevin est celui qui ose agir, avec l'espoir fou de changer les choses en montant une entreprise en mesure de traiter les déchets par vermicompostage à grande échelle.
Sous couvert d'une histoire entre deux jeunes hommes bien décidés à prendre leur avenir en main, l'auteur nous embarque dans un roman dans un roman trépidant, rondement mené dans lequel je ne me suis pas ennuyée une seconde. le lecteur suit avec curiosité les pérégrinations des deux comparses, quel sera celui qui réussira à atteindre ses objectifs ? entre d'une part, Arthur le doux rêveur parisien bobo néo-rural qui se met en tête de refertiliser la terre de la ferme normande léguée par son grand-père après des décennies d'épandage de pesticides sur les sols, et le beau mais assez terne Kevin, dont les parents ont travaillé toute leur vie dans les exploitations agricoles, en passant d'un contrat précaire à un autre.

Je n'irai pas cependant au-delà des 4 étoiles, car j'apporterai deux bémols : le premier est la vision des femmes donnée par Koenig : Anne (compagne d'Arthur) et Philippine (associée de Kevin) sont intéressées, vénales, manipulatrices, caractérielles, … et complètement caricaturales.
Gaspard Koenig fait de Philippine le cerveau de l'entreprise qu'elle va diriger avec Kevin pour mieux nous la faire détester ensuite en la ridiculisant en personne cynique, pistonnée à outrance par sa famille (comme pour lui enlever tout le mérite de ses succès), frustrée sexuellement, prête à tout pour briller (complot, fausse accusation d'agression sexuelle), et j'ai trouvé regrettable que l'auteur en fasse des tonnes pour nous la rendre à ce point insupportable et antipathique.
Anne va vite jeter l'éponge du rêve d'un retour aux sources à la campagne avec Arthur pour retourner bien à l'abri dans le confort urbain, sous les dorures d'un cabinet ministériel, toute de paraître et de superficialité vêtue, j'imagine juchée sur des talons de 12 et arborant un décolleté pigeonnant … et qui en plus se paiera le luxe d'une ultime trahison à la fin du livre (que je ne révèlerai pas ici).
Le second bémol est lié à la fin du livre qui part dans une éco-révolution guerrière. Autant j'ai trouvé le roman très perspicace et crédible dans sa dénonciation des rouages hypocrites du greenwashing, de notre incapacité individuelle et collective à réduire nos déchets (le meilleur déchet est celui que l'on ne produit pas), du capitalisme uniquement avide de profit et des fonds d'investissement cyniques, autant la fin part totalement en vrille. Pourtant, comme je le disais plus haut, il serait naïf de croire que la catastrophe climatique à venir n'engendrera pas un nouvel ordre mondial, rebattant les cartes géopolitiques avec violence (guerres de l'eau, guerre des sols fertiles, famines, montée des eaux, inondations, ouragans, maladies infectieuses, et j'ai gardé le meilleur pour la fin, celle qui pour moi accélèrera peut-être l'extinction de la race humaine, le dégel du permafrost…). Mais là encore Gaspard Koenig a poussé le curseur du délire un peu loin dans la révolution ultraviolente qu'il propose. Dommage, celle-ci n'est pas très finement amenée et, de mon point de vue, tombe comme un cheveu sur la soupe, alors qu'elle se rêvait probablement en feu d'artifice final …
Malgré mes deux bémols, je ne boude pas mon plaisir d'avoir lu ce livre que j'ai trouvé à la fois instructif, réjouissant, décapant, en un mot savoureux. S'il ne propose pas de solution, et au contraire, démontre que la solution miracle n'existe pas, il a l'immense mérite de relancer le débat et ce n'est déjà pas si mal.
Après avoir lu ce livre, vous y réfléchirez à deux fois avant d'écraser un lombric… Au passage, Gaspard Koenig fait tomber le mythe de cour de récré de CP, si vous coupez un lombric en deux, cela ne donne pas deux lombrics, juste un lombric mort … Allez, tous en choeur « Petits, petits, petits ! » …
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Kevin et Arthur, deux étudiants en agronomie, se rencontrent lors d'une conférence sur ces petites bêtes méconnues : les vers de terre.
"Famille : lombricidae. Espèce : lombricus terrestris. Et ces lombrics représentent la première biomasse animale terrestre. Autrement dit, si on les met tous sur une balance, ils pèseront plus lourds, et de loin, que les Homo Sapiens, les éléphants et les fourmis réunis… »
C'est ainsi que Marcel Combe, spécialiste émiant des lombrics, commence sa présentation. Voilà qui va changer le destin de nos deux apprentis agronomes qui vont se prendre de passion pour la géodrilologie (étude des vers de terre) et vont se lancer à l'assaut de la régénération des sols grâce aux facultés incroyables du vermisseau.
On se croirait dans une fable De La Fontaine car, derrière l'enjeu écologique se profile une satire sociale cruelle dont la morale n'a plus rien d'une fable.
Les deux amis, issus de milieux que tout oppose, vont suivre des chemins parallèles mais différents.
Arthur, issu de la bourgeoisie parisienne, et qui s'est nourri des lectures d'Henry David Thoreau et de Hubert Reeves, tente un retour aux sources en investissant ce qui reste de la ferme du grand-père. Cette aventure de néo ruraux dans un village perdu de Normandie, il va la tenter avec Anne, sa compagne bourgeoise en rupture avec son milieu.

« …les derniers terrains conservés par le Papi, en passe de devenir une friche, déjà assombris par les buissons de ronces, d'ajoncs et de fougères. Ils étaient attenants la ferme : on devait pouvoir se rendre directement de la cuisine aux champs. Sauf qu'à présent, il fallait franchir des barrières d'épines.
C'était là qu'Arthur voulait faire son Walden »

Kevin, dont les parents distants sont des prolétaires sans ambition, vient de Limoges. Paris, avec sa vie captivante et animée, l'attire comme un aimant. Lui, les lombrics, il les imagine dans chaque foyer grâce à son lombricomposteur. le voilà qui s'improvise entrepreneur mais les portes restent closes…jusqu'à ce qu'il rencontre Philippine aux ambitions démesurées. Et son destin va prendre un tournant en le propulsant dans le monde de la finance et du capitalisme et lui permettre de monter sa start-up.
Ses origines modestes et provinciales ne lui ont pas donné les codes de la capitale et de sa bourgeoisie friquée. Il va apprendre. Mais sa sexualité, qui échappe aux catégories, surprend.
« Kevin se voyait souvent rangé parmi les « bisexuels ». Il trouvait le mot assez ridicule. Il aimait les corps, voilà tout, quel que soit l'organe se trouvant entre leurs cuisses. »

De roman initiatique avec la progression des deux amis dans la vie adulte, on glisse vers la satire sociétale et la critique du capitalisme vert et des néo ruraux.
C'est cruel, saignant et on sourit ou on grince des dents, c'est selon. En tout cas, ce roman ne peut laisser indifférent tant le désastre environnemental et l'hypocrisie de l'écologie capitaliste sont magistralement mis en scène.
Tout, vous saurez tout sur le ver de terre, qu'il soit épigé, endogé, anécide ou autre. Bien documenté, ce roman explique sans ennuyer l'enjeu environnemental.
J'ai suivi avec intérêt et curiosité le parcours de nos deux apprentis agronomes dans leur souhait de changer le monde en le rendant plus vertueux. J'ai aussi suivi leurs errements amoureux et l'échec de leur amitié avec empathie. Mais l'insurrection écologique qui va permettre aux anciens amis de se retrouver mais qui joue sur le spectaculaire, ne m'a absolument pas convaincue. J'ai également regretté certains personnages secondaires trop dans la caricature.
Malgré ces travers, j'ai apprécié ce roman qui se lit d'une traite.



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critiques presse (9)
Culturebox
08 novembre 2023
Lancée comme une satire grinçante, parfois pétillante, de notre société, l'histoire prend une tournure vertigineuse, tragique. […] Au-delà de cette allégorie de l'humain broyé par le système, "Humus" questionne le retour à la nature, notre irrémédiable sort.
Lire la critique sur le site : Culturebox
RevueTransfuge
08 novembre 2023
Ce roman est un monstre froid. Il avance sûrement, avec lenteur, les yeux grands ouverts, sur ses deux pattes, dans un parfait équilibre, moderato cantabile. [...] Quel roman que cet Humus, signé Gaspard Koenig, dont on ne lui connaissait pas ce talent.
Lire la critique sur le site : RevueTransfuge
LeMonde
06 novembre 2023
Le sixième roman de Gaspard Kœnig est un livre des profondeurs, en vert et noir. Vert – il creuse un sillon peu labouré en littérature : dans la terre même [...]. Noir – il n’a rien d’une promenade de courtoisie.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LaLibreBelgique
30 octobre 2023
Un vrai grand roman passionnant qui suit un peu les traces de Houellebecq.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LaLibreBelgique
26 octobre 2023
Les vers de terre font vivre la terre. "Humus", roman percutant et pessimiste sur l’écologie.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
OuestFrance
26 octobre 2023
Avec une plume méchamment drôle, Gaspard Koenig s’empare du désastre écologique pour bâtir un récit satirique jubilatoire.
Lire la critique sur le site : OuestFrance
LaCroix
16 octobre 2023
Gaspard Koenig signe un roman prophétique sur les impasses actuelles de notre société, sur fond de cynisme et d’urgences écologiques.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Bibliobs
06 octobre 2023
Dans ce roman très documenté, le philosophe libéral raconte l’engagement écologique de deux jeunes ingénieurs pour les lombrics.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Lexpress
01 septembre 2023
Le philosophe libéral a traversé l’humus de ses talents (humour et érudition) pour atteindre la pierre philosophale : une histoire, des personnages, l’art du roman.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Citations et extraits (99) Voir plus Ajouter une citation
Kevin n'avait pas d'avis tranché sur la grève. Ses parents n'avaient jamais participé au moindre mouvement social. Sans emploi stable, ils ne se sentaient nullement concernés par la hausse des salaires ou l'âge légal de départ à la retraite. Ils savaient qu'ils étaient pauvres et qu'ils le resteraient. Pour eux, faire grève représentait un luxe définitivement hors de portée, réservé à ceux qui avaient un contrat en CDI, possédaient leur propre maison et partaient en vacances en Espagne au mois d'août.
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Arrivé à la Souterraine, Kevin avait pris sa résolution. Il partirait vers le sud, en suivant le GR 654 qui le conduirait dans les forêts profondes et montueuses, sur les anciennes voies romaines bordées par les chênes et les charmes. Il passerait à travers les clairières où émergent des ruines de fours à pain et des chapelles couvertes de lierre. Il verrait des salamandres glisser dans un éclair jaune. Il croiserait peut-être des castors, de retour dans les rivières. En passant par la plaine, il s'arrêterait devant des vaches brunes qui le dévisageraient en ruminant. Dans les bourgs, il se glisserait entre les maisons en pierre aux volets fermés. Il irait où ses pas le mèneraient, comme il faisait ado.
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«Ver de terre, d’abord, ce n’est pas très gentil comme nom, c’est fait pour blesser. Il vaut mieux parler de lombrics pour leur redonner un peu de dignité scientifique. Famille : lombricidae. Espèce : lombricus terrestris. Et ces lombrics représentent la première biomasse animale terrestre. Autrement dit, si on les met tous sur une balance, ils pèseront plus lourd, et de loin, que les Homo sapiens, les éléphants et les fourmis réunis. Pour donner un ordre de grandeur, il y en a entre une et trois tonnes à l’hectare, en tout cas dans les sols où l’homme n’a pas posé ses sales pattes.»
Cette courte vidéo du professeur Marcel Combe qui circulait sur Youtube avait donné envie à Arthur de venir assister à sa conférence.
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Arthur avait une prédilection pour Henry David Thoreau, qui était parti vivre quelques années en semi-ermite sur les berges de l'étang de Walden, au fin fond du Massachusetts. En voilà un qui avait poussé le dépouillement jusqu'à ses ultimes conséquences. Il passait son temps à éliminer plutôt qu'à accumuler, vivant dans une seule pièce avec trois chaises ("une pour la solitude, deux pour l'amitié, trois pour la société"), abandonnant tout excitant (y compris le café qui lui gâchait la lumière du matin), refusant même l'offrande d'un paillasson (pour quoi faire ? la terre n'est pas sale).
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Les vers de terre avaient leur Jean Gabin.
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