Citations de Georges Bernanos (989)
La seule différence entre un optimiste et un pessimiste, c'est que le premier est un imbécile heureux et que le second est un imbécile triste.
Dans ma famille catholique et royaliste, j’ai toujours entendu parler très librement et souvent très sévèrement des royalistes et des catholiques. Je crois toujours qu’on ne saurait réellement "servir" - au sens traditionnel de ce mot magnifique - qu’en gardant vis-à-vis de ce qu’on sert une indépendance de jugement absolue. C’est la règle des fidélités sans conformisme, c’est-à-dire des fidélités vivantes.
Lorsqu’on pense aux moyens chaque fois plus puissants dont dispose le système, un esprit ne peut évidemment rester libre qu’au prix d’un effort continuel.
L'enfer, Madame, c'est de ne plus aimer.
« Qu’ai-je fait ? répète-t-elle tristement. Quelle faute ai-je commise ? »
L’idée ne lui vint pas qu’elle souffrait peut-être sans raison, sans but, que la question posée n’a pas de réponse possible, que son angoisse est faite pour se perdre, avec tant d’autres, dans la sérénité universelle, ainsi qu’un cri ne dépasse pas un certain cercle de l’espace, et, hors de ce cercle, n’est rien. […] Mais le jour vient où la vie brise pour jamais la céleste insouciance des petits, impose tout à coup le choix décisif, substitue instantanément la résignation à la joie.
« Je ne suis pas résignée ! disait-elle jadis à son vieil ami. La résignation est triste. Comment se résigner à la volonté de Dieu ? Est-ce qu’on se résigne à être aimée ? » Cela lui paraissait clair, trop clair. Seulement, il y a sans doute dans la volonté de Dieu une part que le triste amour humain ne saurait réduire tout entière, incorporer parfaitement à sa propre substance. La grande soif, la Soif éternelle s’est détournée des sources vives, n’a voulu que le fiel et le vinaigre, n’a désiré que l’amertume.
L’œuvre de Cécile Sauvage est pure. Mais d’une pureté vivante, pure comme une vie pure, avec on ne sait quelle douce malice agreste, et parfois, tout à coup, le brusque écart d’une ombrageuse fierté… Si la pureté sait nous faire partager inexplicablement son allégresse, c’est qu’elle n’est justement pas, ainsi qu’on voudrait le prétendre, l’ignorance éblouie, sans art, mais au contraire une certaine expérience profonde de la vie, dont les plus vils sentent obscurément la force essentielle…
Vous n’êtes point né pour plaire, car vous savez ce que le monde hait le mieux d’une haine perspicace, savante : le sens et le goût de la force.
Nous autres, dans nos campagnes, nous sommes tous, plus ou moins, fils d’alcooliques. […] Tôt ou tard, tu l’aurais sentie, cette soif, une soif qui n’est pas tienne, après tout, et ça dure, va, ça peut durer des siècles, une soif de pauvres, c’est héritage solide ! Cinq générations de millionnaires n’arrivent pas toujours à l’étancher, elle est dans les os, dans la moelle. […] Et quand tu ne boirais par jour que la ration d’une demoiselle, n’importe. Tu es né saturé, mon pauvre bonhomme.
Le contraire d’un peuple chrétien, c’est un peuple triste, un peuple de vieux. Tu me diras que la définition n’est pas trop théologique. D’accord. Mais elle a de quoi faire réfléchir les messieurs qui bâillent à la messe du dimanche. Bien sûr qu’ils bâillent ! Tu ne voudrais pas qu’en une malheureuse demi-heure par semaine, l’Eglise puisse leur apprendre la joie ! Et même s’ils savaient par cœur le catéchisme du Concile de Trente, ils n’en seraient probablement pas plus gais.
Qui ne défend la liberté de penser que pour soi-même, en effet, est déjà disposé à la trahir.
J'habitais, au temps, de ma jeunesse, une vieille chère maison dans les arbres, un minuscule hameau du pays d'Artois, plein d'un murmure de feuillage et d'eau vive.
Le crime est rare ; je veux dire le crime qualifié, authentique, tombant sous le coup de la loi. Les hommes se détruisent par des moyens qui leur ressemblent, médiocres comme eux. Ils s’usent sournoisement. Et les crimes d’usure, monsieur, ça ne regarde pas les juges !...
Qui cherche la vérité de l'homme doit s'emparer de sa douleur.
Ils trouvent la liberté belle, ils l'aiment, mais ils sont toujours prêts à lui préférer la servitude qu'ils méprisent, exactement comme ils trompent leur femme avec des gourgandines. Le vice de la servitude va aussi profond dans l'homme que celui de la luxure, et peut-être que les deux ne font qu'un.
La civilisation des machines ne saurait se concevoir sans un matériel humain toujours disponible. Le problème de la justice sociale est intimement lié à celui de la constitution d'un matériel humain ; c'est pourquoi les démocraties, comme les dictateurs, s'y intéressent tant. Un matériel humain doit être convenablement entretenu ainsi que n'importe quel matériel, mais la liberté, loin de favoriser son rendement, ne ferait que le diminuer en quantité comme en qualité.
Il est plus facile que l’on croit de se haïr. La grâce est de s’oublier. Mais si tout orgueil était mort en nous, la grâce des grâces serait de s’aimer humblement soi-même (...). (p252)
L’homme hait sa souffrance dans celle d’autrui.
On ne meurt pas chacun pour soit, mais les uns pour les autres ou même les uns à la place des autres.
L'héritière avançait à petits pas, visiblement intimidée par l'hypocrite solitude de la petite place vers laquelle convergent de toutes parts les rayons flamboyants des vitres.
Loin de penser, comme nous, à faire de l'État son nourricier, son tuteur, son assureur, l'homme d'autrefois n'était pas loin de le considérer comme un adversaire contre lequel n'importe quel moyen de défense est bon, parce qu'il triche toujours. C'est pourquoi les privilèges ne froissaient nullement son sens de la justice ; il les considérait comme autant d'obstacles à la tyrannie, et, si humble que fût le sien, il le tenait – non sans raison d'ailleurs – pour solidaire des plus grands, des plus illustres. Je sais parfaitement que ce point de vue nous est devenu étranger, parce qu'on nous a perfidement dressés à confondre la justice et l'égalité. Ce préjugé est même poussé si loin que nous supporterions volontiers d'être esclaves pourvu que personne ne puisse se vanter de l'être moins que nous.