Citations de Georges Perec (867)
Où étaient les dangers ? Où étaient les menaces ? Des millions d’hommes jadis, se sont battus et même se battent encore, pour du pain. Jérôme et Sylvie ne croyaient guère que l’on pût se battre pour des divans Chesterfield. Mais c’eût été pourtant le mot d’ordre qui les aurait le plus facilement mobilisés. Rien ne les concernait, leur semblait-il, dans les programmes, dans les plans : ils se moquaient des retraites avancées, des vacances allongées, des repas de midi gratuits, des semaines de trente heures. Ils voulaient la surabondance ; ils rêvaient de platines Clément, de plages désertes pour eux seuls, de tours du monde, de palaces.
L’ennemi était invisible, ou plutôt, il était en eux, il les avait pourris, gangrenés, ravagés. Ils étaient les dindons de la farce. De petits êtres dociles, les fidèles reflets du monde qui les narguait. Ils étaient enfoncés jusqu’au cou dans un gâteau dont ils n’auraient jamais que les miettes.
Comment faire fortune ? C'était un problème insoluble. Et pourtant, chaque jour, semblait-il, des individus isolés parvenaient, pour leur propre compte, à parfaitement le résoudre. Et ces exemples à suivre, éternels garants de la vigueur intellectuelle et morale, aux visages souriants et avisés, malins, volontaires, pleins de santé, de décision, de modestie, étaient autant d'images pieuses pour la patience et la gouverne des autres, ceux qui stagnent, piétinent, rongent leur frein, mordent la poussière. (…)
Ainsi rêvaient-ils, les imbéciles heureux : d'héritages, de gros lot, de tiercé. (…)
De grands élans les emportaient. Parfois, pendant des heures entières, pendant des journées, une envie frénétique d'être riches, tout de suite, immensément et à jamais, s'emparait d'eux, ne les lâchait plus. C'était un désir fou, maladif, oppressant, qui semblait gouverner le moindre de leurs gestes. La fortune devenait leur opium. Ils s'en grisaient. Ils se livraient sans retenue aux délires de l'imaginaire. Partout où ils allaient, ils n'étaient plus attentifs qu'à l'argent. Ils avaient des cauchemars de millions de joyaux.
Pour ce jeune couple, qui n'était pas riche, mais qui désirait l'être, simplement parce qu'il n'était pas pauvre, il n'existait pas de situation plus inconfortable. Ils n'avaient que ce qu'ils méritaient d'avoir. Ils étaient renvoyés, alors que déjà ils rêvaient d'espace, de lumière, de silence, à la réalité, même pas sinistre, mais simplement rétrécie – et c'était peut-être pire -, de leur logement exigu, de leurs repas quotidiens, de leurs vacances chétives. C'était ce qui correspondait à leur situation économique, à leur position sociale. C'était leur réalité, et ils n'en avaient pas d'autre. Mais il existait, à côté d'eux, tout autour d'eux, tout au long des rues où ils ne pouvaient pas ne pas marcher, les offres fallacieuses, et si chaleureuses pourtant, des antiquaires, des épiciers, des papetiers. (…) Paris entier était une perpétuelle tentation. Ils brûlaient d'y succomber, avec ivresse, tout de suite et à jamais. Mais l'horizon de leurs désirs était impitoyablement bouché ; leurs grandes rêveries impossibles n'appartenaient qu'à l'utopie.
Ne plus rien vouloir. Attendre, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien à attendre. Traîner, dormir. Te laisser porter par les foules, par les rues. Suivre les caniveaux, les grilles, l'eau le long des berges. Longer les quais, raser les murs. Perdre ton temps. Sortir de tout projet, de toute impatience. Être sans désir, sans dépit, sans révolte.
Ce sera devant toi, au fil du temps, une vie immobile, sans crise, sans désordre : nulle aspérité, nul déséquilibre. Minute après minute, heure après heure, jour après jour, saison après saison, quelque chose va commencer qu n'aura jamais de fin : ta vie végétale, ta vie annulée.
C'est à cette occasion que j'appris que les pins et les sapins étaient des arbres tout à fait différents...le sapin est un arbre beaucoup plus haut, beaucoup plus droit et beaucoup plus noir que le pin; il fallait aller dans les Vosges pour en voir.
Je ne sais où se sont brisés les fils qui me rattachent à mon enfance. Comme tout le monde, ou presque, j'ai eu un père et une mère, un pot, un lit-cage, un hochet, et plus tard une bicyclette que, paraît-il, je n'enfourchais jamais sans pousser des hurlements de terreur à la seule idée qu'on allait vouloir relever ou même enlever les deux petites roues adjacentes qui m'assuraient ma stabilité. Comme tout le monde, j'ai tout oublié de mes premières années d'existence.
Mais l'enfance n'est ni nostalgie, ni terreur, ni paradis perdu, ni Toison d'Or, mais peut-être horizon, point de départ, coordonnées à partir desquelles les axes de ma vie pourront trouver leur sens.
Ils voulaient rester disponibles, et presque innocents, mais les années s'écoulaient quand même , et ne leur apportaient rien. Les autres avançaient chargés de chaînes peut-être, mais eux n'avançaient pas du tout.
[G.S.] A propos de la lecture, du livre, que pensez-vous du prix imposé?
(G.P.] Je pense que ça va donner en tout cas une espèce de bol d'air aux petits libraires. Après, ce qu'il faut, c'est développer l'aide à la lecture publique. C'est ce genre de choses qu'il faut faire. Il faut que le livre soit davantage lu. Les bibliothèques n'ont pas assez de crédits. Sur cent livres qui paraissent, une bibliothèque peut en acheter dix ou quinze. Si elles pouvaient en acheter trente, il y aurait deux mille bibliothèques en France!
"Les Choses" a été tiré à mille exemplaires, tellement l'éditeur avait peur. Mais j'ai eu un prix! En fait, les milles exemplaires se sont vendus tout de suite. Ils ont retiré. Ils étaient arrivés à sept mille avant le prix, ce qui était déjà extraordinairement bien pour un premier bouquin. Et puis avec le prix, c'est arrivé à cent mille ou cent vingt mille. Depuis c'est passé en Poche, il y a des années. C'est un livre de classe maintenant, "les Chose"! Pour faire chier les gosses!
Je sais en gros comment je suis devenu écrivain. Je ne sais pas précisément pourquoi. Avais-je vraiment besoin, pour exister, d’aligner des mots et des phrases ? Me suffisait-il, pour être, d’être l’auteur de quelques livres ? Avais-je donc quelque chose de tellement particulier à dire ? Mais qu’ai je dis ? Que s’agit-il de dire ? Dire que l’on est ? Dire que l’on écrit ? Dire que l’on est écrivain ? Besoin de communiquer quoi ? Besoin de communiquer que l’on a besoin de communiquer ? Que l’on est en train de communiquer ? L’écriture dit qu’elle est là, et rien d’autre, et nous revoilà dans ce palais de glaces où les mots se renvoient les uns les autres, se répercutent à l’infini sans jamais rencontrer autre chose que leur ombre.
Il m’arrive de penser que mon père n’était pas un imbécile
Il y a deux mondes, celui des maîtres et celui des esclaves. Les maîtres sont inaccessibles et les esclaves s’entredéchirent… mais même cela l’athlète W ne le sait pas. Il préfère croire à son "Etoile