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Citations de Georges Picard (79)


Un événement ressemble essentiellement à la nature de l'homme qui le subit. (p. 104)
Aldous Huxley
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Quelle définition de la Folie pourrait-on oser sans se couvrir de ridicule ? Si j’en tenais une, je ne l’abandonnerais pas facilement. Je sais trop à quel naufrage s’expose un tenant de la méthode géométrique, plus de trois siècles après Spinoza. Du reste, notre monde intellectuel n’est plus qu’une fondrière comparativement à l’époque classique. Il n’y a pas lieu de s’en plaindre, même si la nostalgie peut nous faire regretter un artisanat conceptuel qui s’exerçait dans la douceur feutrée des cabinets et des bibliothèques. La réalité contemporaine se moque de la métaphysique en chambre. En quoi la plupart voient moins une perte qu’un gain. Mais si l’on me passe l’expression, cela fait de belles jambes à la Folie. Peu lui importe que l’on cherche à la cloîtrer dans un article de dictionnaire. Comme l’eau, elle finit toujours par trouver une faille. Ainsi, au moment où l’on pense avoir fixé son visage, elle a déjà opéré l’une de ses métamorphoses habituelles qui la font ressembler à tout autre chose qu’à elle-même. Plus d’une fois, on l’a vue prendre la forme d’une utopie rayonnante, placée sous le patronage de la Raison, du Bonheur et du Salut, afin d’entraîner les peuples dans sa danse démoniaque et les conduire à leur perte. Mais elle a su aussi revêtir le masque de l’efficacité et du bon sens capitalistes pour faire accepter plus aisément aux foules leur esclavage doré. C’est du grand art, et je crois que, sauf à être de mauvaise foi, on ne peut faire moins que saluer l’artiste
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Il ne m’est jamais arrivé de croire que l’ivresse soit un moyen de combattre l’ennui pour la raison que je ne m’ennuie guère, très peu souvent et jamais longtemps. Mais que l’ivresse soit plus un moyen qu’une fin n’est pas absolument prouvé. On peut avoir envie de s’enivrer sans véritable raison, ou pour la raison légère de se sentir léger. Boire procure une illusion éphémère qui n’est pas sans agrément. Mais peut-être y a-t-il quand même autre chose de plus dans ce désir d’étourdissement. Je ne suis pas du genre à rouler sous la table, ni même à picoler très souvent. Trop boire tue la soif et anesthésie les sensations fines.
Mauvais chemin. Il faut plutôt se mettre en disposition et s’arrêter très vite en évitant les alcools forts qui abrutissent*. Un verre de bon vin a ma préférence. J’affirme qu’il est d’une grande conséquence de ne s’enivrer qu’à un moment choisi, après s’être débarrassé de ses soucis car, à les prendre avec soi, on est à peu près sûr de les excéder jusqu’au pessimisme. Mieux vaut s’enivrer quand on est heureux ; la tristesse déteint partout et décolore tout. Le vin triste est une malédiction.
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La nature a beau être répétitive, il n'y a pas de banalité de la nature. Le vent et la pluie ne sont les voix de personne ; pourtant, nous les reconnaissons à chaque fois comme des voix intimes.
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« Je t'aurai fourni un os facile à ronger, car je ne m'accroche pas à ce que j'affirme. Certains prétendraient que c'est de la lâcheté, sans comprendre qu'il existe un courage d'accepter d'avancer prudemment sur des fétus de pensées toujours à deux doigts de se dérober. Je sais que ce point de vue révulse, on n'aime pas penser modestement. Même Isa s'inquiète de ce qu'elle appelle une démission. Elle estime qu'il est malsain de ne pas se faire confiance, quitte à se planter avec les honneurs du combat. J'essaie souvent cette méthode guerrière face à des contradicteurs. Je suis aussi capable qu'un autre d'être de mauvaise foi en ne cédant sur rien. Et alors ? On ne convainc pas l'adversaire et l'on se dégoûte de jouer un rôle. Deux dupes au lieu d'une, voilà tout. » (p. 80)
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Georges Picard
La bêtise, cette marche loupée de l'intelligence.
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Georges Picard
Le voyage minuscule a l'avantage d'être à la portée de tous les tempéraments contemplatifs.
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Le freudisme a eu une certaine importance pour moi, comme pour une partie notable de la jeunesse étudiante des années soixante et soixante-dix, surtout en tant que levier déstabilisateur d’une morale sexuelle trop simpliste. J’en aime encore l’audace conceptuelle, la gabegie de notions puissamment fumeuses, souvent en rapport avec certaines de nos intuitions intimes. C’est un enchevêtrement arbitraire d’idées de moins en moins expérimentales. Ce porte-à-faux persistant avec le quotidien l’a fait passer en un siècle d’une vocation thérapeutique à une destinée philosophique et esthétique. Ses dogmes et son vocabulaire ont déserté en partie les cabinets analytiques pour pulluler dans les revues et les catalogues d’art contemporain.
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L’importance que l’on accorde aux autres, à la pression de leurs sentiments, à l’influence de leurs idées, est proportionnée au désir d’engager sa liberté prioritairement au profit de soi-même. En étant libre pour soi, on peut le devenir pour les autres, alors qu’en s’imposant des charges et des devoirs sociaux factices, on perd son autonomie, on reproduit l’éternelle dépendance qui plombe toute possibilité de montrer à son entourage plus que le reflet conventionnel d’un rapport de surface. C’est le semblable qu’attend l’autre, mais c’est le dissemblable qui l’enrichit. J’ai mis longtemps à en tirer des leçons utiles. Une grande partie de ma jeunesse s’est passée à essayer de ressembler aux personnages que l’on supposait que j’étais – garçon sage et réservé, étudiant studieux, avide et rigoureux, militant politique virulent, journaliste efficace, esprit ponctuel, lucide et vaguement ironique –, alors que je m’accrochais à la vie avec une inquiétude qui aurait mérité des résolutions moins caricaturales. Mais il me semblait que ces apparences correspondaient aux aspirations que mon entourage nourrissait à mon égard. Je répondais à ce cahier des charges où la psychologie n’est plus qu’une fournisseuse de poncifs sociaux. Quand on croit trop bien savoir qui l’on est, c’est que l’on a bouclé l’habit. Le décor est en place, les rôles distribués, l’existence est balisée d’étapes identifiables, il n’y a plus qu’à aller. Peut-être ne saura-t-on jamais qui l’on aurait mérité d’être, et la vie que l’on croira s’être choisie n’aura été que la résultante de malentendus convergents sanctifiés sous le nom de nécessités – les fameuses nécessités de l’existence. On aura joué une bouffonnerie croyant à une simple comédie.
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C’est par un acte de volonté que j’ai décidé de trancher la question pour moi-même en profitant des dernières années qui me restent pour cultiver la faculté des plaisirs calmes et des bonheurs de circonstance. On ne peut pas finir une vie dans l’amertume : quoique les raisons de se révolter ne manquent pas, quel gâchis d’user ses forces à égratigner une réalité trop cuirassée pour s’émouvoir de ce chatouillement.

En fait, je ne suis pas si âgé, j’ai même en moi une grande jeunesse qui ne parvient pas à s’épuiser. J’ai atteint ce que l’on pourrait appeler un âge philosophique, qui dépend moins du nombre des années que d’un certain état intérieur où se réhabilite la volonté, si longtemps restée en jachère après une jeunesse qui l’idolâtrait. Il n’est jamais trop tard pour réaliser que l’on tient son sort entre ses mains, même si, par un dessaisissement de routine, on en est venu à croire que notre existence dépendait surtout d’autrui.
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L’ivresse permanente aussi, je le soutiens contre Baudelaire et son comminatoire : « Il faut être toujours ivre. Tout est là : c’est l’unique question ». Certes, il précise que l’on peut s’enivrer « de vin, de poésie ou de vertu, à votre guise » – mais l’ivresse permanente, même l’ivresse de poésie, est soûlante à la longue. Je prends le contre-pied de cette curieuse hygiène existentielle, d’un romantisme quelque peu exalté, qui conduirait, si on pouvait l’appliquer, à une espèce de folie monotone et vite retombante. L’idée serait plutôt de s’enivrer rarement pour conserver de la fraîcheur aux sensations aériennes et colorées que procure une ivresse maîtrisée. Ce n’est pas tout à fait un art, ni même une technique ; c’est presque déjà une esthétique. Peut-être suffirait-il de s’enivrer dix fois dans sa vie, à condition de préparer ces expériences et d’en exploiter ensuite intensément le souvenir. L’époque ne nous y prépare guère qui nous voue au quantitatif, à la répétition boulimique et morose de la consommation réplétive. S’enivrer : vous voulez dire se soûler, se beurrer, se torcher ? Qui croit que se cuiter étanchera jamais une certaine soif peut cuver sans moi. Non que je sois moi-même toujours capable d’une telle économie vitale : je ne peux qu’envier les vrais épicuriens, puristes du plaisir mesuré. Comme la majorité des gens, sans doute, je goûte mal à la vie, faute d’un clair parti pris. Quand on ne peut contraindre ses appétits, au moins devrait-on avoir la ressource de les déchaîner à la façon rabelaisienne, buvant « pour la soif advenir et éternellement ». Au lieu de quoi, nous buvons la plupart du temps sans authenticité ni conscience, rarement à la bonne mesure. Comment tirer philosophie de ce train médiocre ? Si les Dieux n’ont plus soif, c’est que nos libations ne les sollicitent plus. Les dieux antiques s’enivraient pour exalter le lyrisme surnaturel de leur état. En contrepartie, les hommes s’enivraient pour glorifier les dieux et participer à la griserie dionysiaque de la Création. C’était le temps héroïque des ivresses magiques. Dans un monde matérialiste, l’hydromel est un breuvage de dupe. Quant au sang du Seigneur, il y a belle lurette qu’il n’irrigue plus que les esprits complaisants envers un sacré de routine. Même la dive bouteille provoque des aigreurs aux derniers fidèles de Bacchus. Boire a été rabaissé à un acte social et économique, provoquant des injonctions hygiéniques dont le but déclaré est la préservation de l’équilibre budgétaire de la Sécu. Pour le dire clairement, je me fous de la santé publique. Cette santé-là n’est qu’une affaire de statistiques pour laquelle les corps ont la minceur d’unités arithmétiques. Je préfère boire au corps vivant, chaud, frissonnant, éphémère, singulier. Le sacré, c’est la réalité de ce corps qui passe - si présent et bientôt éternellement absent. Je n’en vois pas d’autre.

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Le voyage minuscule a l’avantage d’être à la portée de tous les tempéraments contemplatifs. Il est facile à programmer, se transporte partout, ne coûte rien, apporte mille surprises. Quant à ses inconvénients, je n’en vois qu’un : c’est un condensé d’illusions, une caractéristique qu’il partage d’ailleurs avec tous les voyages, Claude Lévi-Strauss l’a admirablement montré dans Tristes tropiques. Partir, rester n’est pas une telle affaire. Malgré des centaines de kilomètres parcourus, certaines personnes donneront toujours l’impression d’être fichées en terre, raides, lourdes, comme des bornes kilométriques vouées à la rêverie des autres. Les moines bouddhistes marchent beaucoup ; ils peuvent tout aussi bien trouver ce qu’ils cherchent sans sortir de leur fissure de rocher. Merveilles des merveilles, la lumière, seule image plausible de la divinité, ne cesse de parcourir l’univers à 300 000 kilomètres par seconde. Performance sans égale. Mais qui m’éblouit moins que la douceur rosée d’un soir ou la nacre d’un matin.
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Il s’acheta un morceau de Côte d’Azur qu’il transforma en zoo sociologique. Il y acclimata des personnalités internationales, dictateurs en fuite, managers ruinés de start-up, actrices camées, écrivains drogués de succès, que le public pouvait venir regarder vivre en vase clos, le dimanche. Les cacahuètes étaient interdites, mais on pouvait offrir à cette faune de luxe des gâteaux de soja génétiquement modifiés, à titre expérimental, afin de vérifier si les OGM font doubler les têtes de volume ou pousser une deuxième paire d’oreil-les. Les recettes étaient reversées au profit des enfants de députés battus aux élections… »
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Mon nom est Dutillon. Je suis propriétaire d’un auteur auquel je laisse croire que je suis la créature fictive. L’imbécile est persuadé qu’il m’a inventé. Le matin, quand il se met à sa table de travail, les jambes allongées et la bedaine calée contre son tiroir à manuscrits, il me convoque comme si j’étais à sa disposition. « À nous deux, Dutillon ! » s’exclame-t-il en se frottant les mains. Puis, il allume son ordinateur et relit ce qu’il a écrit la veille en poussant des « ah ! » et des « oh ! » de satisfaction. Le pauvre, s’il savait ! Son histoire est complètement stupide. Il m’a fichu dans les pattes toute une série d’accessoires inutiles, des compagnonnages falots, une maîtresse ridicule, un passé minable et une intrigue à dormir debout. Pas de chance d’être tombé sur un auteur aussi peu doué.
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Je faisais la queue devant un cinéma. Il était dix heures du soir. Le ciel était sombre, avec quelques colorations mauves au-dessus des immeubles. Je n’avais pas dormi depuis deux jours. Je pensais calmer le scintillement incessant qui me brouillait la vue par la confrontation forcée avec un défilement d’images dont l’effet hallucinatoire m’aurait mis dans un état de semi-somnolence qui valait peut-être le sommeil. Tout à coup, un vent chaud inhabituel en cette saison se mit à souffler. Il soulevait des nuages de poussière qui frappaient les visages en semblant les couvrir d’une sorte de voile hébété. Deux chats qui se disputaient une rognure s’arrêtèrent pour me regarder. La rue était silencieuse. Je consultai ma montre : vingt-deux heures sept. Les spectateurs de la séance précédente n’étaient pas encore sortis. Et nous, nous attendions, en formant une file bien rangée. Devant moi, un couple n’arrêtait pas de se quereller. À cause du vent qui soufflait de plus en plus fort, je ne comprenais pas ce que l’homme et la femme disaient, mais en observant leurs lèvres, je vis qu’ils parlaient en même temps. Cela n’aurait pas suffi à me mettre la puce à l’oreille si une bizarrerie d’atmosphère ne m’avait pas intrigué. Je fis deux pas latéraux : aussitôt, la file se referma sur le vide que j’avais laissé.
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On se trompe si l’on croit que le dérèglement insomniaque fait pénétrer l’esprit dans un monde plus beau et plus riche que celui, routinier, dans lequel les gens œuvrent après une bonne nuit de sommeil. Le monde de l’insomniaque serait plutôt plus pauvre, comme la charpente par rapport à la construction qu’elle soutient, comme le squelette sous le poids des muscles et de la chair. Il faut pouvoir comprendre ce que signifie voir quand le corps est à bout. J’en fis, il y a quelques années déjà, une première expérience, évidemment énigmatique car, si elle possède un sens, celui-ci semble perdu dans son apparente étrangeté.
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Je suis insomniaque. Cette disposition, née d’un désordre physiologique, m’a donné une sorte d’irritabilité, doublée d’une lucidité seconde grâce à laquelle je déchiffre rapidement des significations habituellement cachées aux gens qui dorment bien. Je marche au café et aux intuitions. Mon cœur tient par ces deux ressorts, et s’il lui arrive parfois de taper fort jusqu’à exacerber la conscience de ma fatigue, il me laisse le plus souvent tranquille. Il est vrai que ce sont les yeux qui paient le plus fort tribut à mes insomnies. De vraies pelotes d’aiguilles noyées dans un brouillard d’éternel petit matin. Au début, je les essuyais souvent ; j’y ai renoncé, car les frottements continuels rougissaient mes paupières. Les larmes, si elles évitent le dessèchement de la cornée, troublent la vision première des choses, la plus évidente et la plus stable, au profit d’une vision seconde que l’on peut qualifier d’artificielle, si l’on aime la facilité. Je ne l’aime pas, comme tous les insomniaques. C’est sans doute pour cette raison que nous traversons les nuits sur le qui-vive et les jours au jugé. Pour dormir, il ne faut pas compliquer l’existence. Tous ces corps qui dorment à trois heures du matin, enveloppés de silence… Les yeux ouverts, je les imagine, non sans agacement. Cette immense inconscience sur la ville, croirait-on que je la sens peser sur moi, parfois, comme une menace ? Le monde est un défi continuel pour l’insomniaque. Là où les hommes ordinaires se glissent comme naturellement, je ne vois qu’empêchements, énigmes et provocations.
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J’espère toujours vendre la librairie. Vous me direz que ce n’est pas une affaire d’avenir ; l’acquéreur pourra toujours y installer une boutique de fringues ou un Mac Do…
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On naît dans la contingence, on meurt dans la souffrance ou dans l'inconscience. Entre-temps, on vit comme on peut.
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Monsieur Cloque, le propriétaire, est un vieillard agité vêtu d'un costume trois pièces salon la tradition. Il est rasé de près, à l'exclusion de sa petite moustache rousse censée mettre en valeur son visage parcheminé. Il doit avoir entre soixante-dix ans et la mort.
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