Mon nom est Dutillon. Je suis propriétaire d’un auteur auquel je laisse croire que je suis la créature fictive. L’imbécile est persuadé qu’il m’a inventé. Le matin, quand il se met à sa table de travail, les jambes allongées et la bedaine calée contre son tiroir à manuscrits, il me convoque comme si j’étais à sa disposition. « À nous deux, Dutillon ! » s’exclame-t-il en se frottant les mains. Puis, il allume son ordinateur et relit ce qu’il a écrit la veille en poussant des « ah ! » et des « oh ! » de satisfaction. Le pauvre, s’il savait ! Son histoire est complètement stupide. Il m’a fichu dans les pattes toute une série d’accessoires inutiles, des compagnonnages falots, une maîtresse ridicule, un passé minable et une intrigue à dormir debout. Pas de chance d’être tombé sur un auteur aussi peu doué.
Il s’acheta un morceau de Côte d’Azur qu’il transforma en zoo sociologique. Il y acclimata des personnalités internationales, dictateurs en fuite, managers ruinés de start-up, actrices camées, écrivains drogués de succès, que le public pouvait venir regarder vivre en vase clos, le dimanche. Les cacahuètes étaient interdites, mais on pouvait offrir à cette faune de luxe des gâteaux de soja génétiquement modifiés, à titre expérimental, afin de vérifier si les OGM font doubler les têtes de volume ou pousser une deuxième paire d’oreil-les. Les recettes étaient reversées au profit des enfants de députés battus aux élections… »
Georges Picard - Le livre qui a changé ma vie