Citations de Gérard Genette (27)
Tout notre langage est tissé d’espace.
Pour pratiquer la langue de bois, il n'est pas nécessaire d'avoir la gueule du même nom, mais cela peut aider, et réciproquement ; dans les deux cas, au physique et au moral, la langue est pâteuse. Je me suis pourtant réveillé un jour avec une gueule de bois de langue de bois, l'une m'incitant enfin à me défaire de l'autre.
L'hypertextualité, à sa manière, relève du bricolage. C'est un terme dont la connotation est généralement péjorative, mais auquel certaines analyses de Lévi-Strauss ont donné quelques lettres de noblesses. Je n'y reviens pas. Disons seulement que l'art de "faire du neuf avec du vieux" a l'avantage de produire des objets plus complexes et plus savoureux que les produits "faits exprès": une fonction nouvelle se superpose et s'enchevêtre à une structure ancienne, et la dissonance entre ces deux éléments coprésents donne sa saveur à l'ensemble.
Arrogance.
Défaut exaspérant qui consiste à mal supporter celle des autres.
La vérité [dans l’œuvre de Proust] ne peut être manifestée que lorsqu’elle n’est pas dite. A la maxime bien connue, selon laquelle le langage a été donné à l’homme pour dissimuler sa pensée, il faudra donc ajouter : mais c’est en la dissimulant qu’il la révèle.
La figure, c'est à la fois la forme que prend l'espace et celle que se donne le langage, et c'est le symbole même de la spatialité du langage littéraire dans son rapport au sens.
L'idéal du style dissertatif est vraiment un "degré zéro de l'écriture"; la seule valeur proprement esthétique que l'on puisse encore y rencontrer, c'est le brillant, c'est-à-dire l'art de la "formule".
La marche est servitude, le vol et la nage sont tous deux liberté et possession.
Antisèches
En ce temps là, les jeunes filles comme il faut ne portaient pas des jeans délavés, mais, au printemps, des robes ou des jupes légères et de longueur raisonnable: ni trop, ni trop peu. Le jour du baccalauréat l'une d'elle avait griffonné sur ses cuisses une antisèche en vue de je ne sais quelle épreuve-épreuve écrite, j'entends, car à l'oral, devant un examinateur éventuellement soupçonneux par principe ou abuseur par position, la manoeuvre aurait pu mal tourner- , antisèche qu'elle nous montrait, en rougissant un peu, après usage et à la sortie. La lecture à l'envers du grimoire en voie d'effacement nous prenait quelque temps, mais l'audace du procédé forçait le respect.
Chacun sait que la naissance du cinéma a modifié le statut de la littérature : en lui volant certaines de ses fonctions, mais aussi en lui prêtant certains de ses propres moyens. Et cette transformation n’est évidemment qu’un début. Comment la littérature survivra-t-elle au développement des autres moyens de communication ? […] Le jour où le Livre aura cessé d’être le principal véhicule du Savoir, la littérature n’aura-t-elle pas encore changé de sens ? Peut-être aussi vivons-nous simplement les derniers jours du Livre. Cette aventure en cours devrait nous rendre plus attentifs aux épisodes passés : nous ne pouvons pas indéfiniment parler de la littérature comme si son existence allait de soi, comme si son rapport au monde et aux hommes n’avait jamais varié. [publié en 1966 !°]
A Launay, sauf extrême canicule, elle portait volontiers, sur une robe légère à bretelles indécises, un cardigan gris passé qu'elle oubliait d'attacher, puis dont elle retournait les manches, comme un gant, pour l'ôter, en sorte qu'il se retrouvait à l'envers une fois sur deux, côté sans griffe jours pile, côté griffé jours fastes, ou l'inverse, sans grand dommage pour une tenue des plus flasques. Abandonné sur une table, on pouvait le prendre pour un chaton, ou un chiffon à meubles, si ce n'est qu'au lieu d'une odeur de cire, il dégageait par capillarité un parfum identifié comme "Mitsouko", source pour moi d'une valeur mi-érotique mi-affective que son souvenir à conservée.
Le critique ne peut se dire pleinement critique s'il n''est pas entré lui aussi dans ce ce qu'il faut bien appeler le vertige, ou si l'on préfère, le jeu, captivant et mortel, de l'écriture.
Le critique ne peut se dire pleinement critique s'il n'est pas entré lui aussi dans ce qu'il faut bien appeler le vertige, ou si l'on préfère, le jeu, captivant et mortel, de l'écriture.
A la Belle Epoque , on tenait l'eau pour un liquide dangereux, parce qu'une goutte suffit à troubler une bouteille d'absinthe. Mon père, dans son enfance, l'apprit un jour à ses dépens, pour avoir soutiré, d'un flacon dont il avait repéré la cachette dans quelque buffet, la contenance d'un bon dé à coudre, qu'il remplaça par une quantité égale d'aqua simplex.Le mauvais goût du breuvage absorbé sec, puis le mauvais souvenir de sa punition, et finalement le rejet d'une ascendance un peu marquée par l'abus de la "fée verte", le conduisirent un peu plus tard à militer dans une association de tempérance nommée, sans doute par succession chromatique, "La Croix Bleue".
Un stand de « littérature » (lisez : de propagande imprimée) à la Fête de L’Huma, sous le double règne de Maurice et Jeannette. Un militant fait l’article : « Achetez le Manifeste communiste, de Karl Marx, et Angèle, sa femme ! » Un autre le pousse du coude, pour lui signaler sa bourde. Croyant avoir compris, il se corrige précipitamment : « … de Karl Marx, et Angèle, sa compagne ! » Un autre camarade — ou peut-être le même — croyait savoir que notre emblème était (ce qu’il aurait bien dû être) « l’enclume et le marteau », et apprenait le russe pour lire Marx dans le texte. Un autre, charitable, voulut le tirer de cette méprise. Mais lui, à qui on ne la faisait pas : « Le Capital, de l’allemand, sans blague ? Et Mein Kampf, c’est du yiddish, peut-être ? »
S’il existe une histoire du Roman, non pas seulement comme "genre littéraire", mais comme sentiment et forme de l’existence, "L’Astrée" est dans cette histoire l’œuvre-clef.
L’économie des moyens et la recherche du maximum de cohérence sont les facteurs déterminant dans la manière proustienne de regrouper les événements. John Porter Houston
Á la recherche du temps perdu est certainement un roman sur l’art, mais ce n’est pas comme Madame Bovary, un roman sur la distance infranchissable entre l’art et la vie, c’est plutôt un inventaire de techniques qui mènent à une vie pleine d’art. Léo Bersani.
Le baroque, s’il existe, n’est pas une île (et encore moins une chasse gardée), mais un carrefour, une "étoile" et, comme on le voit bien à Rome, une place publique. Son génie est syncrétisme, son ordre est ouverture, son propre est de n’avoir rien en propre et de pousser à leur extrême des caractères qui sont erratiquement, de tous les lieux et de tous les temps. Ce qui nous importe en lui n’est pas ce qu’il a d’exclusif, mais ce qu’il a, justement, de "typique" – c’est-à-dire d’exemplaire.
Le parapente se compose donc empiriquement d'un ensemble hétéroclite de pratiques et de discours de toutes sortes et de tous âges que je fédère sous ce terme au nom d'une communauté d'intérêt, ou convergence d'effets, qui me parait plus important que leur diversité d'aspect.