Citations de Germaine Tillion (40)
La majorité d'entre nous est composée de gens ordinaires, inoffensifs en temps de paix, et dangereux à la moindre crise.
Les Aurésiens comptaient leurs peines (et les comptent encore) à l’aide de quatre calendriers.
Le premier, celui de la religion, est dû aux Arabes et à la Lune ; le deuxième, hérité des Romains, marque les fêtes avec l’aide du soleil ; le troisième règle les travaux des champs grâce à la pluie (quand elle tombe) ; le quatrième, on le doit au pape Grégoire, et il est international.
Ce dernier calendrier n’a que quatre siècles d’âge puisqu’il est né à Rome le 15 octobre 1582. Il est issu directement de celui de l’Empereur Jules, et réglé sur le soleil. Je n’ai pas grand-chose à en dire, car, à partir de ma deuxième année de mission, j’ai à peu près rompu mes relations avec lui.
Je persistais toutefois à me soucier des jours de la semaine... (p.144/145)
Dans l'Aurès, c'était le père qui calculait les rations et qui les distribuait, mais il faut savoir que la transhumance et la dispersion des champs le contraignaient à stocker sa récolte dans le grenier collectif, lieu public auquel les femmes n'avaient pas accès.
Dans les deux Kabylies (où les provisions étaient conservées sous le toit familial, dans d'immenses jarres en argile crue pouvant contenir jusqu'à 900 litres de céréales), c'était à la maîtresse de maison qu'incombait la charge de calculer la ration de chaque jour. Sur un côté, ces grandes jarres étaient percées, à différentes hauteurs, d'ouvertures permettant de passer la main. "Lorsqu'elle débouchait l'ouverture du dernier niveau, ma mère pleurait", m'a dit un vieux Kabyle.
Retenons ce mot, et n'oublions pas que, pendant des millénaires, les paysans ont appris qu'il faudra vivre une année avec la récolte d'un seul mois, ce qui implique des calculs, une science véritable. Cette science, on peut se permettre de la détruire, mais à la condition de la remplacer par un autre système de ressources et un autre type d'expérience comptable. Lorsqu'on la bouscule sans rien remplacer, on fabrique ces impasses qu'on a l'indécence d'appeler "pays en voie de développement" - alors que le développement leur est devenu quasi impossible.
Avant 1940, l'expérience millénaire des paysans méditerranéens était encore intacte dans l'Aurès que j'ai connu, et les années normales on y vivait, pauvrement, un an, sur la récolte d'un seul mois. (p.116/117)
On peut libérer les bons côtés de notre espèce mais seulement par l'information et l'instruction, et cela ne signifie pas uniquement lutter contre l'analphabétisme d'une classe d'âge - car ce sont les parents (père et mère) qui doivent élever les enfants , et non l'inverse...Les informations et repères doivent être offerts à la société globale, et la société globale commence par les femmes, car elles en sont la base stable.C'est pourquoi les sociétés qui écrasent les femmes, qui gênent leurs informations, qui bloquent leur avenir se condamnent elles-mêmes à la clochardisation.
Ils avaient des cravaches à la main...
Malgré la différence des vocabulaires,
J'compris d'suite ce qu'ils en voulaient faire !
« L’asservissement ne dégrade pas seulement l’être qui en est victime, mais celui qui en bénéficie. »
Choeur des Verfügbar
Au premier acte, costumes "Schmuckstück"
Schmuckstück (prononcer chmouk-chtuk)
Femme efflanquée, affamée, en haillons très sales, jambes bleuies et rongées de larges plaies, rares cheveux collés par la crasse, yeux immenses sans expression appelée par dérision par e SS Schmuckstück c'est-à-dire "bijou". Dans les camps d'hommes les Schmuckstück étaient appelés "musulmans".
"Comme l'a dit, il y a trois siècles, Jean de la Bruyère : "un innocent condamné injustement est l'affaire de tous les honnêtes gens." Nous sommes solidaires et co-responsables de tous les crimes commis par toute l'humanité dans la mesure même où nous nous en sommes désintéressés. L'ignorance et la lâcheté ne sont pas des excuses."
La majorité d'entre nous est composée de gens ordinaires, inoffensifs en temps de paix, et dangereux à la moindre crise.
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cité par France Culture
Dans toute la Méditerranée nord et sud, la virginité des filles est une affaire qui - fort étrangement - concerne d'abord leur frère, et plus que les autres frères leur frère aîné. Un petit mâle de sept ans est ainsi déjà dressé à servir de chaperon à une ravissante adolescente dont il sait très exactement à quel genre de péril elle est exposée. Or, ce risque est présenté à l'enfant comme une cause de honte effroyable, qui doit précipiter dans l'abjection la totalité d'une famille pleine d'orgueil, éclaboussant même les glorieux ancêtres dans leurs tombeaux, et il est lui, moutard mal mouché, personnellement comptable vis-à-vis des siens du petit capital fort intime de la belle jeune file qui est un peu sa servante, un peu sa mère, l'objet de son amour, de sa tyrannie, de sa jalousie .... Bref: sa soeur.
L’asservissement ne dégrade pas seulement l’être qui en est victime, mais celui qui en bénéficie.
Il y a eu quelque temps une école coranique dans laquelle allaient cinq ou six petits garçons.Pas les filles.D'ailleurs les femmes ne recevaient aucun enseignement religieux.Et je pense que c'était délibéré, car le Coran leur accorde des droits que la coutume leur refuse.
Chœur des vieux: - On t'a pris tes cheveux / Pour serrer des moyeux, / Mais ça ne suffit pas!/ Tu travailleras / Tu ne mangeras pas.../ Quand tu succomberas / On t'achèvera / On te brûlera / Et ta graisse encore servira...
Nenette: - À quoi?
Chœur des vieux: - À faire du savon, à graisser les locomotives.
(...)
Le naturaliste: - En tout cas, si c'est la graisse qu'on récupère, vous remarquerez, mes chers auditeurs, que même post mortem notre animal trouve le moyen de saboter, le sabotage étant d'ailleurs le trait le plus remarquable de son activité...
Le chœur: - Ça suffit! Vous y avez droit à la carte rose, et au transport, et tout, et tout... Comme débile mentale... On s'en doutait.
Nénette: - Ça m'est égal... J'irai dans un camp modèle, avec tout confort, eau, gaz, électricité...
Le chœur: - Gaz surtout... (Petit froid.)
L'humanité se compose de deux minuscules minorités : celle des brutes féroces, des traîtres, des sadiques systématiques d'une part, et de l'autre celle des hommes de grand courage et de grand désintéressement qui mettent leur pouvoir, s'ils en ont, au service du bien. Entre ces deux extrêmes, l'immense majorité d'entre nous est composée de gens ordinaires, inoffensifs en temps de paix et de prospérité, se révélant dangereux à la moindre crise.
https://www.franceculture.fr/conferences/bibliotheque-nationale-de-france/germaine-tillion-lasservissement-ne-degrade-pas-seulement-letre-qui-en-est-victime
La guerre actuelle, à l’inverse des autres guerres, ne peut pas comporter un gagnant et un perdant, mais seulement deux perdants ou deux gagnants. Jusqu’à présent, de part et d’autre, nous avons déployé de grands efforts pour tout perdre ensemble ; il en faudrait de moins grands pour tout gagner – à la condition d’assaisonner l’énergie déployée avec un peu de bon sens et de bonne foi.
Une société qui écrase les femmes, empêche leur information, leur formation, leur contact avec le monde extérieur, se condamne elle-même à la mort.
Je suis convaincue (…) qu’il n’existe pas un peuple qui soit à l’abri du désastre moral de l’Allemagne nazie.
Pour défendre le Juste et le Vrai, il faut parfois affronter de grandes souffrances pouvant aller jusqu’à la mort (…). Un autre courage est exigé quand Vérité et Justice exigent que nous affrontions aussi nos proches, nos camarades, nos amis…
J'apprends, le 17 juin, la demande d'armistice et c'est pour moi un choc si violent que j'ai dû sortir de la pièce pour vomir...Demander l'armistice, c'était ouvrir soi-même sa porte à l'ennemi, c'était se soumettre à un ennemi totalement inacceptable...