Aux premières pages, le roman déstabilise le lecteur. Prose poétique, les trois pages d’ouverture nous parlent d’un monde qui approche de l’apocalypse et nous interrogent sur des problématiques que le livre semble vouloir résoudre avec nous plus tard…
« si ce n’est pas la fin du monde,
ces temps de désespoir total
que nous vivons,
travestis en joie d’être au moins là,
plutôt que nulle part,
alors qu’est-ce que c’est ? »
La suite de la lecture ne nous proposera pas une forme de roman plus conventionnelle. Alternant entre les passages dédiés à l’actualité personnalisée de chaque travaillant, leurs discussions virtuelles menées par l’intermédiaire de leurs écrans d’ordinateur, et les passages dramatiques qui nous distillent peu à peu des indices nous permettant de deviner le monde qui est celui des travaillants, le lecteur rebondit entre différents supports qui lui permettent de prendre conscience d’une réalité morcelée dont les seules informations externes proviennent d’un réseau informatique impénétrable.
« Ce matin, votre humeur est bonne.
Vous vous êtes levé tôt et votre horoscope indique que le mouvement des astres favorise hautement des performances professionnelles inattendues. »
Au cours des premiers chapitres, les contours de la société des travaillants se dessine peu à peu. Vivants dans une tour au sein de laquelle ils n’ont aucun autre objectif que celui de travailler, leur journée rythmée par de très nombreuses heures de travail coupées par quelques rares quarts d’heures de pause n’est qu’un labeur interminable qui ne prendra fin qu’avec la destitution, transformant le travaillant en « chat ». La mort, autre solution pour échapper à cette société du labeur, est peut-être une meilleure solution…
Aucune explication n’est donnée pour justifier l’apparition de ce monde dystopique. Même si le lecteur éprouvera peut-être du regret à ne rien savoir de la genèse de cette société, Grégoire Courtois est pardonné : la société des travaillants n’est pas si éloignée que ça de la nôtre. Ses traits sont amplement accentués, mais dans les comportements et les mécaniques qui règlent la façon de penser des travaillants, le lecteur pourra trouver de nombreuses similitudes avec ses propres schémas de pensées, ou ceux de ses contemporains.
En revanche, le lecteur s’avèrera certainement plus déçu de lire la description d’une société qui ressemble en de trop nombreux points au Meilleur des mondes d’Aldous Huxley. On retrouve ici la description d’une population qui n’a plus aucun lien avec les actes naturels qui sont ceux de l’alimentation ou de la reproduction. Les travaillants se nourrissent de mets recomposés et la reproduction sexuée n’a plus lie. La fabrication de chaque nouvel individu est le fruit d’une sélection pointue visant à l’eugénisme :
« C’était ensuite dans le secret des machines, derrière les épaisses parois du bureau, que les gènes étaient étudiés, mélangés et épurés, avant d’être intégrés à des œufs conçus dans la pureté de laboratoires qu’aucun être humain ne pouvait pénétrer. De longues pages d’analyses racontaient sur le réseau global la manière dont les gènes étaient maniés, mais les références à la reproduction des chats n’étaient que lapidaires et vagues. »
L’histoire se perd ensuite dans un surplus d’action qui coupe malheureusement court à toute la réflexion entamée par l’auteur dans le début du livre. Dans une suite de rebondissements parfois difficiles à suivre, les personnages perdent peu à peu toute leur singularité, au moment même où, se rapprochant de ce qu’ils espèrent être la liberté, ils croient de toutes leurs forces à la possibilité d’une société différente de celle qu’ils ont connue, et qui leur permettrait enfin d’être « eux-mêmes ».
« - Didier, dit Théodore. Qu’est-ce qui se passe au juste ? Ca n’est pas seulement nous. C’est tout le bureau qui s’entretue ? Pourquoi ?
- J’en sais rien, répond Didier. A tout à l’heure. »
Mais au moment où la déception se fait de plus en plus grande chez le lecteur, la fin surgit enfin et annihile en deux pages toutes les prévisions les plus formelles quant à la conclusion qui aurait pu clore ce roman dystopique. La force et la virulence des derniers paragraphes est d’autant plus puissante que la dernière partie du roman semblait s’être engoncée dans une série de course-poursuites mollassonnes.
En refermant le livre, difficile d’émettre le moindre jugement : la dernière partie a-t-elle été intentionnellement rédigée de la sorte de manière à augmenter le contraste avec la conclusion ? Mais alors c’est un grand risque pris par l’auteur… Ou la conclusion n’est-elle qu’un miracle, sauvant Les Travaillants d’un jugement qui aurait peut-être été trop sévère ?...
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