Mon interview de Guillaume Nail pour son roman On ne se baigne pas dans la Loire paru aux Editions Denoël.
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Que la nuit soit d’été ou l’automne hâtif, les vignes vêtues de rouge et inquiètes des gels, que les saules se languissent, pieds secs, ou grenouilles à cœur joie, nos sœurs le savent, et nos frères le martèlent. Tu dois craindre le courant qui te happe.
Puis, furtif, t’engloutit.
On le sait, pourtant.
Héritée de nos mères, de nos pères, c'est la rumeur qui coule dans nos gènes et infuse, sur les pentes des coteaux comme aux plaines du Maine, des berges de l'Authion en corniche angevine, alluvions et roseaux, bras morts et plein lit, c'est cette rengaine avide, bruit lancinant qui attend, au crépuscule là-bas, vers l'estuaire, un monde.
Que la nuit soit d'été ou l'automne hâtif, les vignes vêtues de rouge et inquiète des gels, que les saules se languissent, pieds secs, ou grenouilles à coeur joie, nos soeurs le savent, et nos frères le martèlent. Tu dois craindre le courant qui te happe.
Puis, furtif, t'engloutit.
Et la Loire suit son cours. Dormante et râpeuse, charriant les poissons et les corps. Elle arrive à la mer, un garçon dans ses bras.
5.4.3.2.1. Ignition... Ça y est, on allait toucher la lune.
Tu parles.
On est partis depuis au moins vingt minutes et les vaches et les collines dé lent toujours dou-ce-ment... Tellement doucement qu’il faut coller le nez à la vitre et loucher sur les voies pour comprendre qu’on avance vite. Moi qui espérais un bolide...
Comme un goût de moisi dans la bouche.
Emjie frotte chaque dent, brosse à poils durs et crache. Le mince filet de bave s’écoule lentement. Puis plonge vers le néant. Elle imbibe d’alcool un coton, tapote. L’effluve mentholé pique le palais, agace ses gencives, au tour de la langue maintenant. Emjie râpe, astique, s’arrache la peau pour faire partir ce PUTAIN DE GOÛT FAISANDÉ qui envahit ses narines, inonde son corps fatigué. Elle déglutit. Ça brûle dans sa bouche.
Emjie lève la tête, son reflet dans le miroir. Ses cernes ont viré jaune cadavre. Non, pas cadavre : vaseline périmée, plutôt. Elle approche sa main, souffle, puis inspire par le nez. Toujours ce même goût de moisi. La saveur du sang dans sa bouche, métallique. Elle a frotté trop fort.
Alors Emjie attend, le regard fixe.
Aller au bout de cette tristesse qui perce ses pupilles.
Ça vient…
En surface tout est plan. Août, le liquide dormant, en apparence seulement, est devenu sable par endroits, blanc laiteux à variante terre de Sienne, falun piqueté, et partout l’eau tarie. Un leurre, oui, car en réalité ça vit, là-dedans, là-dessous. Là-côté. Sous la lumière crue, yeux plissés, observer suffit pour comprendre que le flot vibre et s’agite. L’eau coule, plus loin, les ridules contorsionnent, jouent de la lumière et dansent avec les graves, ce tronc échoué et l’aigrette qui s’envole. Ça sourd, flux contraires sans qu’on l’explique vraiment. Partent en biais, souterrains, stagnent en flaque mais surgissent ailleurs, inopinés. La Loire, aimable et sauvage, indomptée.
L'eau sourd, patiemment. Le sable se détache et vient lécher les bords, un tourbillon se forme ; s'effondre sous le poids, emporte le sable, l'eau se brume, rien n'est clair.
Et la Loire suit son lit. Dormante et râpeuse, charriant les poissons et les corps. Elle arrive à la mer, un garçon dans ses bras.
Un poisson a sauté, happant un moustique au passage. Il replonge aussitôt. Un léger plouf.
Le moustique englouti. Puis plus rien que la surface plane de l'eau. Et le calme...Le ciel se fond au fleuve, masse noire immense qui enveloppe jusqu'aux berges.
Que la mer avale.
- Tu boudes ?
Surtout ne pas répondre... Regard noir, sourcils froncés et mâchoire serrée. Juste ma canine qui dépasse. Parfaite panoplie de la fistonne qui a toutes les raisons d'en vouloir à ses parents.
Ils cul-sèchent leurs bières et avalent le repas en un rien de temps. Puis, repus, l'heure vient de siester un peu. Les minutes s'égrènent. Tof observe, discrètement. Benoît ronflote dans les herbes couchées, arrimé à son sac. Pauline bouquine, Le Lys dans la vallée. Gus fume en se caressant le nombril, un peu de poussière s'est accumulée au creux. Alanguis dans un coin, Kevin et Timothée tripotent leur téléphone. Farid, comme d'hab, joue à la crapette avec Pierre -toujours collés à leur jeu de cartes, ces deux-là. A l'ombre, les autres somnolent.
Oui (...), Pierre se garde tout seul ; pas le choix. Vous bossez jusqu'à pas d'heure, chacun dans votre coin, pour vous retrouver le moins possible face à face, dans la même pièce que votre mariage naufragé. Vous croyez sincèrement qu'un enfant de sept ans et demi, presque trois quarts, est heureux de prendre son car seul, faire chauffer son lait, préparer son goûter - seul, seul, seul - en attendant que vous daigniez rentrer ?