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Citations de Gwenael Le Guellec (67)


— Je dois vous prévenir. C’est une formalité pour nous, mais vous pourriez ne pas apprécier.
Le policier devait bien connaître les lieux, car il savait exactement où il allait.
La température était considérablement plus basse dans cette partie de l’hôpital. Yoran s’était préparé tout l’après-midi à vivre un moment difficile, mais cela n’empêcha pas son cœur de redoubler de battements à l’approche de la pièce où étaient conservés les cadavres. Des oubliés, pour la plupart. Dans le cas présent, pas de famille. Ce qui signifiait que l’hôpital allait se charger des derniers soins à apporter à la dépouille de Claude.
Mais avant cela, il y avait cette épreuve. Car c’en était bien une.
Ils entrèrent dans une grande salle blanche qui ne dépareillait en rien de ce que Yoran avait pu voir dans les séries policières les plus sombres.
La puissance des néons le força à sortir ses lunettes de soleil et à protéger ses yeux. Il les ferma quelques instants, levant la tête vers le plafond, comme pour chercher un soutien qui ne viendrait pas. Seul l’écoulement de l’eau sur leurs vêtements venait troubler le silence des morts.
— C’est celui-là, affirma le policier au bout d’un moment.
Quand Yoran se retourna, le lieutenant Le Bris avait la main sur l’un des casiers, prêt à tirer sur la poignée métallique qui l’ouvrirait. Oui, définitivement, le policier était chez lui ici.
— Allez-y, se surprit-il à dire.
Gilbert Le Bris ne répondit pas. Il se contenta de tirer.
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Ils se dirigèrent tous deux vers l’entrée principale de l’hôpital, gigantesque cathédrale de béton indissociable du paysage brestois depuis son ouverture aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Le ciel noir déversait désormais une pluie torrentielle sur les deux hommes, qui pressèrent le pas. La cigarette du lieutenant ne survécut pas au trajet, aussi court fût-il. Il semblait d’ailleurs devoir en être de même de son parapluie.
Une fois à l’intérieur, le policier ne prit pas le temps de montrer sa carte aux personnes de l’accueil, qui firent tout juste attention à eux. Peut-être le lieutenant avait-il pris les devants avant l’arrivée de Yoran.
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À son arrivée à l’hôpital Morvan, en début de soirée, le lieutenant Le Bris l’attendait sur le parking, adossé à sa voiture, une cigarette plus ou moins allumée dans une main, un parapluie qui n’aspirait qu’à s’échapper à la première bourrasque venue dans l’autre.
— C’est votre première fois ? lança le policier, comme s’il demandait à Yoran s’il avait déjà fait du ski.
— Je vous suis, murmura-t-il aussi distinctement que possible à l’attention du lieutenant.
Yoran venait de remonter le centre-ville à pied depuis le port dans le sens opposé du vent. Il était trempé.
Ils s’étaient mis d’accord pour se retrouver là en début de soirée, ce qui permettait à Yoran de sortir une fois la nuit tombée, et aussi de se préparer mentalement.
».
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— Et il semblerait que M. Garrec n’était pas du genre à avoir beaucoup d’amis. On n’a rien sur d’éventuels proches, famille ou amis. On dirait qu’il n’y a que vous. C’est pourquoi, comme je vous le disais, je viens vers vous. J’ai été chargé d’enquêter sur ce… sur la mort de Garrec. Mais on a besoin que quelqu’un nous aide à confirmer son identité.
Yoran suivait très difficilement. Ses lunettes de soleil et sa robe de chambre lui parurent soudain ne plus cadrer du tout avec la discussion.
— Le dossier est entre les mains de la police, monsieur Rosko, mais j’ai… nous avons besoin de vous pour l’identifier avec certitude. Voici mon numéro.
Le policier tendit un bout de papier griffonné et à peine lisible à Yoran. Après que les deux hommes se furent mis d’accord sur un horaire de rendez-vous en fin de journée, le lieutenant Le Bris posa sa main sur l’épaule de Yoran, prenant une voix qu’il voulait rassurante.
— Vous verrez, dans ce genre d’enquête, c’est une formalité.
Quelques instants après, le policier courait sur le port en direction de sa voiture. Yoran, lui, était toujours assis, un plan d’accès au service funéraire de l’hôpital Morvan posé sur la table, juste sous ses yeux.
Dehors, la pluie avait recommencé à tomber.
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— Il…
Silence de mort.
— Comment est-ce arrivé ? reprit Yoran, effondré.
— C’est assez compliqué en fait, monsieur Rosko. Il était dans un sale état.
Yoran avait du mal à réaliser. Le policier poursuivit.
— C’est pourquoi je viens vers vous. Nous avons trouvé chez lui quelques articles de journaux, dont l’un avec votre photo et votre nom. Ça concernait un vernissage, je crois…
Il posa sur la table basse la coupure de journal, sur laquelle Claude posait en compagnie de Yoran, avec en légende « Claude Garrec a profité de la soirée pour présenter Yoran Rosko, autre passionné de photo ayant fait ses gammes dans le milieu underground brestois
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Une fois les présentations accomplies, il montra sa carte de police à Yoran, qui ne doutait pas qu’il avait bien un policier en face de lui.
— Je vous fais entrer, précisa Yoran, en espérant que le policier refuserait sa proposition.
— Merci, répliqua l’invité indésirable. Vous vous préparez pour vos prochaines vacances ? continua-t-il avec ironie, tout en suivant son hôte vers le séjour. Une odeur de tabac l’accompagnait.
Yoran força un sourire. Il ne connaissait que trop bien la réaction des gens quand ils découvraient son mode de vie, initialement lié à sa maladie, et il avait l’habitude d’anticiper.
— C’est une pathologie. Je ne supporte pas la lumière du jour. En quoi puis-je vous être utile ?
Tous deux étaient à présent assis dans le séjour, Yoran dans son fauteuil et le lieutenant sur un tabouret généreusement confié par son hôte.
— Vous êtes bien Yoran Rosko, le photographe ?
— Oui, à mes heures perdues.
— OK. Je suis ici pour vous poser quelques questions, une essentiellement. Vous connaissez M. Claude Garrec ?
— Claude ? Oui. Oui, bien sûr.
Yoran le connaissait plutôt bien même. Claude Garrec était l’homme qui lui avait communiqué sa passion de la photographie, lors d’un camp de vacances dans le pays des Abers, alors qu’il était encore enfant. Il était l’un des moniteurs.
— Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ?
— Il y a deux mois, deux mois et demi, je crois. Il m’avait invité au vernissage d’une exposition photo à la Maison de la Fontaine. Une expo qu’il présentait, dans le cadre de son projet « Brest, miroir de nos réflexions ».
Après un court silence, le policier reprit :
— Il a été retrouvé chez lui ce matin. Mort.
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Il activa l’ouverture automatique des volets du séjour, pour éviter de recevoir dans le noir, et mit ses lunettes de soleil, pour s’acclimater au changement brutal de luminosité. Il savait que le policier serait quelque peu intrigué quand il lui ouvrirait.
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Alors que treize heures venaient de passer, on sonna à son interphone. Yoran n’aimait pas être dérangé. Il hésita à répondre, avant de décrocher finalement le combiné.
— Oui ?
Sa voix était légèrement rauque, ces paroles étant ses premières de la journée. Une voix déterminée lui répondit.
— Monsieur Rosko ?
— Oui…
— Je suis de la police. Lieutenant Le Bris. Vous pouvez descendre ?
Yoran hésita de nouveau. Il était toujours en pyjama. Et il n’aimait pas l’imprévu.
— Vous pouvez monter, plutôt ?
— Bon… OK, je monte. Quel étage ?
— Dernier.
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Yoran était venu au monde avec une pathologie visuelle, qui répondait au doux nom d’achromatopsie. Cette anomalie de la vision le contraignait à voir le monde en noir et blanc et en nuances de gris, et il craignait la lumière du jour plus que tout, au point d’en faire une obsession. Il vivait presque exclusivement dans le noir. Son acuité visuelle diminuait en effet très fortement en cas de luminosité vive. À l’inverse, ses yeux s’adaptaient plus rapidement que la moyenne à l’obscurité. Il y avait bien cet appartement du dernier étage de la rue Alderic-Lecomte, fortement exposé au soleil certains jours. Mais il avait eu la bénédiction de son médecin avant de s’y installer. Sans jamais vraiment y croire, d’ailleurs.
« Il faut habituer vos yeux à la lumière naturelle, Yoran, ou vous vous condamnerez à vivre éternellement la nuit, comme les vampires. »
Ou comme les korrigans. Lui avait plutôt l’impression de combattre le mal par le mal.
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Yoran n’avait jamais vraiment quitté la Bretagne. Après des études à Nantes et un retour dans sa ville natale, il avait délaissé quelques semaines plus tôt son travail de consignataire de navires. Il l’avait exercé durant douze années, supervisant les escales de nombreux navires sur le port de Brest, au service du même armateur. Si sa préférence avait toujours été de travailler dans sa ville, son véritable impératif était aussi de pouvoir exercer la nuit.
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Une fois de retour chez lui, Yoran savait que la seule chose qu’il avait à faire était d’aller dormir. Il aimait son lit. Il s’empressa donc de prendre une vraie douche, et après avoir jeté un regard rapide à ses clichés, plongea pour de bon dans l’obscurité.
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Une fois qu’il se sentit faire partie intégrante du lieu et de son environnement, il sortit son appareil photo reflex Hasselblad du sac, choisit les objectifs appropriés, et réalisa sa série, qu’il avait déjà prévu d’intituler « Prison outbreak ». Il passa ainsi près de deux heures à arpenter les couloirs de l’ancienne prison et à pénétrer dans certaines de ses cellules. Il se demanda à plusieurs reprises comment un tel bâtiment avait pu demeurer en activité jusqu’en 1990.
Alors que la nuit était déjà bien entamée, il s’estima assez satisfait de sa sortie.
Pendant qu’il rangeait son matériel, s’apprêtant à affronter une nouvelle fois la pluie battante qui l’attendait, il entendit un grattement répété derrière lui. Parcouru par un frisson, il se retourna, les sens en alerte, puis finit par lâcher un demi-sourire. C’était un chat noir. Et blanc.
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Après quelques minutes dans un silence total, il alluma sa lampe de poche, en prenant soin de ne pas poser les yeux sur le faisceau. Les murs avaient tant d’histoires à raconter.
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Il n’avait pas cherché à s’attarder dehors, les conditions climatiques ne s’y prêtant guère. Arrivé à l’intérieur de l’ancienne prison – il n’avait eu qu’à enjamber quelques gravats et entrer par la porte principale –, il commença par se laisser imprégner par l’endroit, seulement éclairé par les reflets des lumières de la ville. Il posa son matériel au sol. Il dégoulinait d’eau. Lui aussi.
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Il fit le trajet depuis chez lui à pied, sous une pluie torrentielle qui aurait suffi à transformer un désert en champ de primevères en une nuit.
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Yoran Rosko adorait photographier en conditions hostiles, spécialement de nuit. Spécialement par temps de pluie. Il affectionnait particulièrement les territoires inexplorés et à l’abandon. Six ans auparavant, alors que l’hiver s’achevait lentement, il s’était offert une excursion nocturne sur le plateau des Capucins, alors en pleine réhabilitation. Il y avait réalisé l’une de ses meilleures séries. Quelques années plus tard, il avait poussé l’expérience un peu plus loin, en réalisant une visite non autorisée sur le site du cimetière de bateaux de Landévennec, profitant d’une rare nuit de neige pour immortaliser les lieux.
Ce soir-là, il avait décidé d’investir la prison maritime désaffectée de Pontaniou. Construite aux prémices du XIXe siècle sur les ruines d’un refuge pénitentiaire pour prostituées, elle avait été définitivement abandonnée en 1990, après avoir connu plusieurs vies. Cette expédition, il l’avait en tête de longue date. Renouer avec le passé carcéral de sa ville, c’était un peu comme voyager dans le temps.
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regarda de nouveau devant lui, croisant son propre reflet. La trentaine bien frappée, il était grand et mince, le teint plus clair que la normale. Sur l’un des pontons de la marina, il distingua deux silhouettes, l’une d’elles tentant désespérément d’amarrer un petit bateau à quai, pendant que l’autre, sans doute un enfant, attendait tant bien que mal, debout sous la pluie. Peut-être un père et son fils, qui avaient décidé de prendre la mer malgré le contexte excessivement défavorable, et qui avaient très vite dû rebrousser chemin. Sage décision.
Il s’éloigna de la fenêtre et se rapprocha de la table basse. Il termina son verre de vodka glacée, remonta sa capuche, enfila sa veste kaki – sa préférée – ainsi qu’une paire de chaussures étanches noires et empoigna son sac à dos bandoulière. Il n’oublia pas d’attraper ses lunettes de soleil. Au cas où.
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Onze jours. Onze jours déjà que la tempête du siècle s’était abattue sur Brest et ses environs, morcelant un peu plus ses côtes déjà maintes fois déchirées par les immuables caprices de l’océan. Dehors il faisait nuit. Une nuit grise et humide, qui semblait s’être emparée de l’extrémité de la pointe bretonne en amorce de l’hiver.
Contemplant un horizon noir comme l’abîme, perché au-dessus du port, un homme ressentait l’impact des trombes d’eau mêlées de sel venues heurter la baie vitrée de sa salle de séjour. Au-dehors, les mâts s’entrechoquaient toujours plus fort. Il ferma les yeux. L’espace d’un instant, il perdit le contact avec la réalité.
La violence des éléments déchaînés et rien d’autre.
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Rien ne justifiait la fin qui leur avait été destinée ni la souffrance que ces familles avaient endurée pendant tant d’années.
Il savait que le temps de la rédemption était venu, et que les innocents deviendraient bientôt les coupables. Alors, elles seraient enfin délivrées, et peu importerait le prix à payer.
La vérité allait être mise au jour, et ne pourrait plus – non, plus jamais – être oubliée.
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Les chrysanthèmes fraîchement coupés, d’un violet vif, juraient presque avec l’ornementation désespérément pauvre du carré, en cette veille de Toussaint.
Chaque année, alors que l’automne glissait doucement vers l’hiver, il venait ici, dans le cimetière de Saint-Martin, que d’aucuns appelaient encore le cimetière de Brest, accomplissant ainsi son pèlerinage annuel. À sa façon, il honorait leur mémoire, ou du moins, ce qu’il en restait. C’était une manière aussi de se faire pardonner pour tous ses crimes.
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