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Critiques de Hemley Boum (87)
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Le Rêve du pêcheur

Je ne lis pas beaucoup de livres d'écrivains africains, C'est un continent, surtout l'Afrique noire, que je connais très peu. Alors qui rêver de mieux pour m'accompagner dans cette lecture que notre spécialiste, Francine connue comme afriqueah, et dont la critique publiée il y a peu d'un livre précédent de l'autrice Les maquisards m'avait alléchée.



C'est un livre qui m'a emportée, envoutée. Un livre très riche où l'autrice à travers les différentes générations d'une même famille aborde beaucoup de thèmes, tous passionnants.



Le livre débute sur une plage, à l'endroit où le fleuve se jette dans la mer, un endroit privilégié, où la vie même si elle n'est pas facile semble heureuse. Les hommes sont pêcheurs, les femmes cultivent la terre, les enfants jouent. Mais ce bel équilibre est rompu un jour par l'arrivée d'une coopérative qui va gérer le marché du poisson et insidieusement en les poussant à s'endetter pour des biens dont ils s'étaient toujours passés, introduisant des chalutiers modernes, va ruiner les pêcheurs juste armés de leurs pirogues traditionnelles. Pour Zacharias, cette possibilité d'acheter cette moto, ce four, ces chaussures pour sa femme, ces bonbons et jouets pour ses filles, était une revanche sur l'échec de ces études, Il est pêcheur par défaut. Ce n'est pas ce dont il avait rêvé. Il ne voit pas le piège qui se referme sur lui. Yalana sa femme en est plus consciente que lui :

« — Tu me dis que tu achètes toutes ces choses en vendant du poisson que tu n'as pas encore pêché ? Elle exprima spontanément son incrédulité, mais ne poursuivit pas la conversation. Zacharias se raidit, son visage se ferma. »



En parallèle on suit la vie de Zach. Il est le petit fils de Zacharias, mais ne le sait pas. Sa mère ne lui a jamais parlé de sa famille. Il ne sait pas d'où il vient. Il ne connaît pas le dialecte de sa famille. Il est seul avec sa mère qui vend son corps pour vivre et boit la plus grande partie de ce qu'elle gagne. Alors un jour, après une histoire qui se termine mal, Zach s'envole pour la France et tourne le dos à son passé :

« À cette étape de ma vie, j'étais persuadé que l'on pouvait se soustraire à ses souvenirs, s'absoudre de ses fautes simplement en se dissociant de celui que l'on était au moment de les commettre. Je pensais qu'il suffisait de décider d'être heureux et d'aller de l'avant pour que le passé disparaisse comme par magie et que la vie redevienne une page vierge. Je suppose que quelque part en enfer, le diable rit encore de ma naïveté. »

Il faudra quelques évènements pour le ramener en Afrique, et se retrouver, comprendre qui il est et sauver son présent.



L'autrice entremêle les deux histoires, racontant à la fois pour chacune d'entre elles les enfances et la vie adulte des membres de la famille. Cette famille qui va connaitre bien des déchirures, où les non-dits tuent peu à peu la communication, où les mots ne sont pas là pour essayer de se comprendre :

« de même n'étaient-ils pas coutumiers de longues conversations intimes. Leur histoire n'était pas faite de paroles mais de disponibilité l'un envers l'autre, elle se traduisait dans la routine concrète d'un quotidien heureux. Pour mettre les mots sur leur malaise, il leur aurait fallu une expérience qu'ils n'avaient pas. »

Les hommes sombrent souvent, les femmes sont fortes, elles n'ont souvent pas le choix, ce sont elles qui maintiennent tant bien que mal la famille en vie, même si elles aussi commettent des erreurs.



J'ai aussi aimé la partie qui se passe en France, où l'autrice décrit avec beaucoup de justesse le comportement de Zach, qui évite de faire des vagues, qui fait tout pour se fondre dans la masse, qui préfère ignorer quelquefois le racisme, souvent au moins une certaine condescendance dont il est victime. Zach qui deviendra psychologue clinicien auprès d'enfants pour les sauver, à défaut de se sauver lui-même, jusqu'au jour où sa propre histoire viendra s'immiscer dans le cas d'un de ses patients, pour hélas lui faire prendre de mauvaises décisions.



Tout dans ce livre est d'une incroyable justesse, la description de la vie en France de Zach, les cicatrices laissées par la vie qui passe, le sentiment d'échec qui peut ronger un homme et l'amener aux pires erreurs, la difficulté des relations entre mari et femme, entre mère et fille, ou mère et fils quand la vision de la vie devient différente, mais aussi la force de ces relations qui au-delà des erreurs, au-delà des errances permettront aux personnages de se réconcilier. L'autrice mêle adroitement passé et présent, croyances locales et modernité, France et Afrique. Elle dresse de beaux portraits, des personnages qui m'ont tous touchée et auxquels elle porte une tendresse que l'on sent dans chacune de ses pages.



Et le tout raconté dans une écriture splendide, poétique, aux mots qui sonnent juste, qui savent exprimer par des tournures magnifiques les sentiments et les expériences complexes que vivent les personnages. Une lecture bouleversante.

Merci à Francine dont les mots ont enrichi encore cette lecture

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Le Rêve du pêcheur

Plus que la différence entre terre et mer, ce que met en lumière Hemley Boum dans «  le Rêve du pêcheur », ce sont les épousailles tumultueuses entre le fleuve femelle et l'océan mâle dans lequel il se jette.

Des présences invisibles captent les désirs de certains hommes d'appartenir à l'océan, ce fut le cas du père du Pêcheur quand il avait cinq ans. Les mythes originels de cette partie du Cameroun entre la forêt équatoriale, le fleuve et l'océan parlent de la séparation brutale entre les trois éléments, sauf à l'embouchure, où les poissons pullulent.

Le Pécheur ne peut cependant s'empêcher de se faire du souci pour sa femme Yalana, et ses deux filles : et si elles rêvaient de plus, alors que lui pense avoir tout ?

Changement de décor avec l'apparition de Petit Pa', à Paris, qui rencontre Julienne. Il est le fils de Dorothée, alcoolique et prostituée, et excellente mère « « ma mère, magicienne, omnisciente malgré ses fêlures ». Et fragile.

Nous, nous savons donc qu'elle est la fille du Pêcheur, mais lui ne le sait pas, il n'a pas de famille, pense-t-il et surtout, il n'ose pas demander à sa mère, dans ce village où tout le monde a« une famille », sauf lui.

« Mais je ne dis rien. Je laissai le silence et l'obscurité recouvrir mon angoisse avec la pensée magique que ce qu'on refuse de nommer finit par disparaître. »

Avec une écriture plongeant dans l'intimité psychologique d'un petit garçon vivant dans un taudis, de son grand père Zacharias le Pêcheur qui veut gagner plus d'argent, Hemley Boum expose l'arrivée du capitalisme dans cette région côtière de Kribi : la société d'exploitation de bois crée une coopérative de pêcheurs, tout en leur proposant de s'endetter en leur faisant convoiter des biens qui leur sont inutiles, puis elle instaure une pêche industrielle.

Les pêcheurs, après avoir connu l'opulence, puis le progrès technique (les routes, l'électricité, l'eau courante) sont ruinés, car le poisson a disparu pour eux, ils sont, de plus, endettés.

Plus grave encore, symbole de la dégringolade, Yalana résiste à ce courant inutile d'achats comme la moto, le four, et le couple se sépare dans l'intimité «  Zacharias avait déserté le lieu de leur union. le chemin qui menait à lui était obstrué par une brume épaisse ».

Pourtant, comme dans les Maquisards, Hemley Boum revient sur leur enfance heureuse, leurs jeux dans la nature, leur mariage heureux à Campo, avant de décrire, avec des mots touchants et une immense sensibilité le déclin tragique de cette famille réduite à rien à cause d'un impossible rêve.

A ces amours adolescentes, correspondent les émois entre Petit Pa' alias Zack, avec Nella.

Amours contrariés, désir d'ascension contrarié, lecture : « Deux romans cependant m'avaient touché plus que les autres : Germinal de Zola et Ville cruelle d'Eza Boto », (connu par la suite comme Mongo Beti), et petits larcins.

Comme Nizan, niant qu'avoir vingt ans était le plus âge de la vie, Zack dit « «  La vie est exactement aussi terrible qu'on le pressent à dix-huit ans »

Le Rêve du Pêcheur nous balade entre générations, analysant finement les relations entre soeurs, inimitiés qui se transmettent inexplicablement, fissures à l'intérieur du couple, entre parents et enfants, et puis les dénis des uns et des autres : « Des années d'évitements, de faux-semblants, de manques et de doutes ont soudain déferlé. Toutes les années, tous les instants, un à un, sans répit, sans pitié », le tout avec une langue si sensible concernant les côtes camerounaises, les pluies, le bonheur des enfants qui jouent dans la boue, enfin les croyances dont celle de Zack, qui sait qu'après toutes ses errances et ses pertes, quelqu'un le protège sans savoir qui, réflexion sur le chemin parfois cahoteux de la vie.

Enfin, comme dans les Maquisards, et puisque les pères officiels ne sont pas toujours les géniteurs, la parenté est plus sociale que biologique.

Rarement un livre nous présente à la fois la vie pauvre d'un peuple de pêcheurs, les dissensions dans les couples vivant des croyances différentes, la généalogie, même si les intéressés l'ignorent, puis un renversement de fin : livre complet, écriture sublime, personnages bien typés. Et puis, la forêt, la force de résistance de ces femmes irrésistibles, et la tendresse d'Hemley Boum vis-à-vis de ses personnages.

Tout il y a tout dans ce livre.

L'émotion que j'ai éprouvée s'est amplifiée grâce à la lecture commune avec Anne-so(@dannso)

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Les maquisards

J’avoue avoir eu peur de la généalogie sur plusieurs générations, en ouverture du roman « Les maquisards » d’Hemley Boum, avec des mentions « géniteur » et « père », peur qui s’est vite évanouie à la lecture.

Parce qu’en fait, ce qui est présenté avec subtilité et intelligence, ce sont les distances prises par les jeunes femmes envers les traditions et les coutumes familiales et/ou sociétales. Officiellement, elles doivent se marier avec l’homme choisi, mais, ou bien leur cœur les a conduites auparavant vers l’amour né de l’amitié, ou bien un viol doit être déguisé en naissance reconnue par le père et non le géniteur ou bien la mère écœurée par la polygamie, revient ensuite auprès de son mari, avec le bébé d’un autre.

Les amours enfantines d’Esta et d’Amos, les amours adolescentes de Muulé et de Likak, fondent le roman, en nous présentant des femmes fortes, choisissant leur destin, et prêtes à tout pour se défendre. Maitresses femmes bravant les croyances obsolètes, et pourtant toujours en décalage dans leur maternité, comme si même les enfants de l’amour ne les intéressaient absolument pas, et que les problèmes étaient résolus par les grand mères ou qu’elles ne pouvaient se permettre le luxe d’aimer avec emportement l’enfant d’un autre que le mari.

L’enfance africaine déguisée de Gérard Le Gall, fils d’un gros porc appelé le porc,si imbu de sa puissance de blanc qu’il ne pense pas nécessaire d’apprendre la langue et n’imagine pas un instant que les phrases tendres dites à son sujet devant lui sont en fait des insultes, fait le contrepoint dans ce Cameroun des années précédant l’Indépendance.

Le père trousse sans vergogne toutes les petites.

Et ne voit pas le bonheur de son fils à jouer en haillons dans la boue, aidé à se rhabiller par tout le village lors de son retour. Là encore la filiation n’est pas synonyme d’accord et de points de vue similaires.

Père et fils seront toujours ennemis.

Le Cameroun n’est pas véritablement une colonie, mais un codominium entre la Grande Bretagne et la France après la défaite de l’Allemagne en 1919, dont le sort est confié à la SDN puis aux Nations Unies.

La France veut justement non seulement en faire sa colonie, mais aussi garder le pouvoir, même après l’Indépendance.

Arrivent alors les maquisards, dans le pays bassa, au Sud du Cameroun proche du littoral, en premier Mpodol, Ruben Um Nyobé, une figure connue, et sans doute le seul historiquement reconnaissable, non violent ; il visite pour exposer la cause les divers endroits du pays, dont lui, à la différence de Le Gall, maitrise toutes les langues.

Il rencontre dans le maquis Amos, son meilleur ami, Likak, fille d’Esta et d’un père inexistant, puisque Esta a dû se marier et avoir un enfant … pour être reconnue comme guérisseuse initiée du Ko’ô. Et enfin Muulé, parti en France pour la défendre durant la seconde guerre.

Mpodol, le porte-parole, Amos, Likak paraissent très déterminés dans leur volonté d’obtenir l’Indépendance, en fondant l’UPC, l’Union des populations du Cameroun.

« La lutte armée est sans espoir, nos partisans sont des commerçants, des paysans, des gens ordinaires, pas des guerriers. Quel choix avons-nous ? »

Muulé le dragueur ne semble pas aussi résolu, ses études en ont fait un intellectuel à qui la France promet le pouvoir, dans le but de le transformer et le faire finalement s’allier au pouvoir colonial. Ce sera pourtant lui le martyr des forces militaires françaises.

Parallèlement à cette présentation du pays bassa au moment de l’Indépendance, Hemley Boum tisse la généalogie d’un village dont l’auteur nous livre très attentivement les pensées et le destin, avec un souci du détail, de la psychologie et de la nuance.

La fable de La Fontaine «  le chêne et le roseau » si on la rapporte à la condition des paysans forestiers camerounais des années 50, habitués à la splendeur vitale des arbres, -bien que critiquée par Esta la rebelle- illustre la « force des femmes d’Afrique qui portent le monde sur leur dos » : Nous sommes des chênes, et nous ne ploierons pas.

Ce qui me semble le plus remarquable dans «  les Maquisards », réside dans la nuance des sentiments, des croyances, la tiédeur de l’instinct maternel, et, aussi, puisqu’il est question de révolution, des trahisons toujours possibles.

Rien n’est blanc, rien n’est noir.



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Le Rêve du pêcheur

Boum ! Mon cœur fait boum !

Il a fait boum boum même dans ma poitrine, il a palpité impatient, parfois joyeux, souvent triste ou en colère.

Il a vogué dans la pirogue du pêcheur qui regarde l’horizon, aimanté par les flots. Pieds dans l’eau à Campo, le pêcheur rêve d’ailleurs, d’une vie meilleure pour lui, sa femme Yalana et leurs deux filles.

Alors Zacharias travaille avec acharnement, lui qui n’était pas suffisamment bon à l’école pour espérer pouvoir faire des études. Quand une société forestière vient s’installer dans la région, riche de belles promesses pour les habitants, il y voit la possibilité de changer de vie. Il achète à crédit le confort, de beaux vêtements pour ses filles. Mais la poudre aux yeux va vite s’estomper et ses rêves s’effriter.

Subitement nous voici à Paris bien des années plus tard avec Zack le petit-fils du pêcheur qui n’a pas pris une pirogue mais l’avion pour partir en exil, loin du Cameroun, de sa mère et de ses amis dans une fuite éperdue.

Grace à une construction savamment orchestrée, Hemley Boum m’a tenue dans ses filets.

J’ai beaucoup aimé découvrir une partie de ce Cameroun complètement inconnu pour moi, avec son histoire, ses traditions, ses croyances. D’un côté la vie de ceux qui restent au pays, de l’autre ceux qui le quittent et construisent leur vie ailleurs, jusqu’au jour où il faut rentrer et se confronter à ceux qu’on a laissés derrière soi, avec quelques fantômes en prime.

L’autrice dépeint avec justesse les difficultés économiques du Cameroun, avec en toile de fond des sociétés étrangères qui viennent puiser sans vergogne dans les ressources du pays, ne laissant que quelques miettes de leurs bénéfices colossaux aux habitants et un pays dévasté.

Je me suis laissé porter, j’ai dérivé dans les méandres de la vie avec les deux Zack, leurs doutes et leurs secrets.

Un voyage riche, foisonnant de sujets (parfois un peu trop, surtout sur la fin) au pays des âmes solitaires, des prisons mentales, des femmes fortes et des transmissions entre les générations. Transmissions parfois fortuites, parfois cycliques comme des gouttes de pluie à la surface de l’eau qui vont jouer à se retrouver en un enchevêtrement de cercles concentriques.

Je n’ai pas envie d’en dire plus pour vous laisser le plaisir de la découverte du chant de la sirène Hemley Boum, dont je lirai avec plaisir d’autres ouvrages.

N.B : Attention, cette dernière phrase reste tout de même sous réserve que la susdite sirène révise un peu ses classiques, car ce n’est pas possible de dire (cf.p.224) que Crying in the rain est une chanson idiote ! alors que c’est une superbe chanson de mon groupe fétiche des années 80 ! non mais !

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Le Rêve du pêcheur

Coup de coeur tant pour l’écriture et le style, que pour l’histoire sur l’exil joyeux.



Cinquième roman pour cette camerounaise habitant Paris et diplômée en anthropologie mais aussi en marketing. Même si son premier prix littéraire n’était que discret, il se pourrait bien qu’elle s’avance vers du plus lourd. Ce livre sera un tremplin, je n’en doute guère. La maturité de l’écriture et la maitrise du récit sont en place.



Les thèmes du livre sont essentiels dans une vie : la liberté, l’amour, l’émerveillement, l’identité, la perte, la transmission et finalement la vie.

Comme disait Musset « d’abord il y a la liberté, après l’amour, après la vie et en dernier la fortune.



A l’extrême sud du Cameroun, nous allons suivre la vie d’une famille sur trois générations. Le début du roman nous plonge dans la première génération. Elle est incarnée par Zacharias le pécheur qui est marié à Yalana. Ils ont deux filles, Dorothée - prénom de la mère de Zack et à laquelle il voue un amour immodéré - et Myriam. « En état de veille ou de sommeil, les siens l’habitaient ».

Ayant été orphelin de père à l’âge de cinq ans, et ensuite (dé)laissé par sa mère. Il sera élevé dans la famille d’un oncle et ne n’aura connu qu’une vie très simple voire affectivement rugueuse. La rudesse, il l’a donc bien connue et s’en contenterait.

Lorsque qu’une société forestière s’installe dans sa région, il va profiter de l’occasion pour essayer d’avoir une vie plus facile, donner une meilleure vie à ses trois femmes. "J'essayais de devenir quelqu'un d'autre, mais je ne savais pas qui, ni comment faire. »

Dès le début du livre on est plongé dans une luxurieuse nature entre torrents, cascades, mangrove, forêts, palétuviers, sable et Océan Atlantique.

Cette génération est celle qui m’a le plus touchée.



Puis l’autrice laisse tout cela en plan et nous embarque aux pieds des Champs Elysées. Nous nous retrouvons aux côtés de Zach, le petit-fils qui a voulu sentir ce qu’est une authentique liberté, celle où personne ne vous connait, où vous pouvez laisser couler vos émotions dans vos veines. Là encore on a un enfant qui adule sa mère, une mère qui était pourtant alcoolique et prostituée. Cette mère c’est Dorothée la fille du pêcheur. Elle n’a pas eu une vie facile après son immigration en ville mais cela n’empêche pas Zach / Zacharias de l’aimer par-dessus tout. Elle est son monde.



Les vies sont enchevêtrées par une formidable maîtrise de la construction. On vit avec eux des impressions ambivalentes ; à la fois celle de se sentir au bord d’un abime par la perte de l’ancrage mais aussi celle de l’émerveillement de la liberté.

J’ai trouvé une force dans chacun des personnages dépeints par Hemley Boum.

On éprouve leurs émotions un peu comme un effet miroir ; effet de l’autrice a certainement recherché. Malgré l’âpreté de leur quotidien, ils ont cette intime conviction que la liberté et l’amour sont au bout du tunnel. En perdront-ils leur ancrage ? Que transmettons-nous aux générations suivantes ? L’autrice y répondra à sa manière, et quelle belle manière !



Citations :

« J’avais appris à reconnaitre la vague de nausée, le tremblement intérieur qui annonçaient les assauts de ma mémoire, quelque chose en moi se recroquevillait d’avance. »

Concernant de Dorothée sa mère « Un jour, en rentrant de l’école, je l’aperçus marchant dans la rue. Le contraste entre sa silhouette évanescente, l’indolence de son pas et la foule excitée me sauta aux yeux. Elle rentrait chez nous bien sûr, elle était sur le chemin de la maison, pourtant on aurait dit quelqu’un qui va à reculons vers nulle part. Je m’approchai et la hélai doucement :

Ma’a

Elle se t’orna vers moi, une lumière s’alluma dans son regard, une onde d’énergie. Par le miracle unique de ma présence, ma mère s’éveilla au temps, à l’espace, à l’instant. 

Rien en Dorothée n’était solide, pérenne. ..Elle marchait, parlait lentement, toujours un peu ailleurs. Elle veillait sur moi, elle m’aimait, je n’avais aucun doute là-dessus, mais je pris conscience qu’elle pouvait m’égarer moi aussi : je devais veiller à ce que cela ne se produise pas. »

« Le jour qui suivit le trajet de l’école avec un Achille inquisitorial, après la crise de larmes de Dorothée la veille au soir, je me convainquis que cela ne faisait rien si ma mère était tout ce que mon ami disait et que je ne comprenais pas bien. Puisqu’elle traversait la vie telle une ombre, je serais là pour rallumer la flamme en soufflant tant qu’il fallait sur les cendres. Cela ne faisait rien si elle avait perdu tous ceux qu’elle aimait, elle m’avait gardé moi, c’était tout ce qui comptait.»
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Le Rêve du pêcheur

Très touchée par Le Rêve du pêcheur de Hemley Boum. J’ai été très émue par Zacharias et Yalana, c’est la partie de l’histoire qui m’a ramené loin dans mes souvenirs.



Tout comme ce couple qui vivait simplement mais heureux, lui, pêcheur comme son père et ses ancêtres, elle, elle travaillait aux champs et s’occupait des enfants. Le surplus vendu au marché ou dans des petites boutiques. Du jour au lendemain, leur vie change complètement avec l’arrivée d’une compagnie forestière. Une coopérative se met en place, les pousse à s’endetter de choses inutiles dans leur vie traditionnelle, tout en leur achetant leur pêche pour une somme modique, les poissons étaient revendus à des prix qu’ils n’imaginaient même pas, aux villages alentours, restaurants, hôtels. Petit à petit ils se sont faits manger par des chalutiers beaucoup plus modernes, avec leur pirogue, impossible de rivaliser. « Les chalutiers ratissaient littéralement les bancs de poissons et de crustacés. Un seul d’entre eux produisait dans des proportions auxquelles une dizaine de piroguiers aguerris ne pouvaient prétendre. » Les dettes, les disputes, les incompréhensions minèrent à jamais ce village idyllique.



De mon côté, pas de forêt, mais pas mal de petits commerces, des pêcheurs, une mer frétillante de poissons et de crustacés, le bonheur, les pieds dans l’eau. Puis sont arrivés des grosses boîtes, des commerçants avec des moyens très importants. Tous les petits négoces ont fermé et les pêcheurs ont dû se trouver un autre travail. Je referme la parenthèse.



« Les pêcheurs n’avaient aucun moyen de résister, les autorités fermaient les yeux à condition de recevoir leurs enveloppes. A terme, les villageois seraient expulsés à moindre coût de cet endroit paradisiaque dont ils avaient hérité par les caprices du destin, parce qu’ils n’auraient tout simplement plus les moyens d’y vivre. »



J’ai été moins touchée par Zach, le petit-fils de Zacharias, lors du départ et dans l’avion. Personnellement, j’ai ressenti tout le contraire, mais c’est une autre histoire…Par contre j’ai été bouleversée par Sunday, ceux qui l’on lut comprendront.



« L’exploitation anarchique de la forêt, la coopérative, tout cela était une question d’argent, de beaucoup d’argent. »



Je ne suis pas contre le changement, malheureusement, tout se fait toujours au détriment des plus malheureux et non pour les aider à avoir une vie meilleure ou pour mettre leur pays ou île en valeur. Tout ce qui compte c’est de se remplir les poches et tant pis pour les autres. Ce qui me répugne le plus, c’est leur suffisance et la façon dont ils traitent ces pauvres pêcheurs. C’est eux les rois, tout leur est dû, du moment qu’ils paient.



On n’oublie jamais, même si on ne laisse pas derrière soi Dorothée, Nella, Achille….



Une très belle lecture, de beaux personnages, une écriture magnifique. Les très belles critiques de mes amies, amis, m'ont poussé vers ce livre et je les en remercie.









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Le Rêve du pêcheur

Au Cameroun, Zacharias est pêcheur comme son père et tous les hommes de sa famille. Dorothée sa fille, s’est perdue, elle s’est enfuie, elle est devenue alcoolique et se prostitue, son corps est sa seule monnaie d’échange pour survivre et élever son fils.



Hemley Boum nous raconte les destinées d’une famille camerounaise sur trois générations. Récit d’un déracinement, de la perte des cultures ancestrales, de la recherche de son identité sur fond de colonialisme et de racisme latent. Ce récit décrit la fragilité des hommes face à la force des femmes. D’une génération à l’autre, d’un continent à l’autre un roman d’amitié et d’amour. Lorsque le récit quitte les rives où le fleuve épouse l’océan, il perd de son intensité et de sa poésie. Heureusement Zack revient sur la terre de ses ancêtres pour un final éblouissant, où s’expriment Mbombo Yala, Mama Do’ et Nelly, les voix de toutes ces femmes et de leur amour inconditionnel pour leurs enfants. Une fois de plus, je suis tombé sous le charme de la plume d’un auteur africain.





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Le Rêve du pêcheur

Il arrive qu’un livre comble toutes vos envies de lecture, « Le rêve du pêcheur « est de ceux-là.

A cinquante ans de distance , un grand-père et son petit-fils camerounais vont faire l’expérience d’un exil intérieur et d’un exil géographique.

Le texte explore avec beaucoup de finesse le mécanisme de la transmission, le vertige de la dépossession, le retour aux sources, illusion, désillusion.. 

Il y a Zack et Zacharias, deux Dorothée ; les histoires de familles sont faites de chagrin, d’amour, de pertes, de retours.

Le souffle romanesque est très fort et nous fait voyager entre les époques et les pays.

Un bien beau roman.
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Le Rêve du pêcheur

L’histoire commence à Campo, petit village camerounais en bord de fleuve. Zacharias est un pêcheur, comme son père et son grand-père avant lui. Il vit simplement, aux côtés de sa femme, Yalana, et de ses filles. Quand la Compagnie vient s’installer, elle apporte une certaine modernité. Mais elle désorganise le quotidien, les gestes et les valeurs des anciens, cet avenir que tous s’étaient construit avec patience et sagesse. Zacharias n’est plus le même, Yalana ne le reconnaît plus… Jusqu’au jour où il commet l’irréparable…



Je découvre Hemley Boum avec ce magnifique roman, Le rêve du pêcheur. C’est pour moi un véritable coup de cœur, tant pour l’écriture que pour l’histoire qu’elle nous raconte.



Le rêve du pêcheur est un roman qui joue avec les silences. Tout passe par les regards, les attentes, les rêves et les non-dits. C’est l’histoire d’une famille au cœur de laquelle chaque âme blessée s’isole et souffre en silence.



On comprend très vite les liens qui existent entre les deux époques. On s’attache à la vie au village, cette sérénité, cette solidarité.

Puis on passe à la vie en France, celle de Zack, exilé au pays des Blancs, seul, perdu…



Zachary Mecobé s’enfuit de New-Bell, quitte sans se retourner sa mère et cette enfance à l’équilibre fragile. Il devient Zack quand il arrive à Nanterre, en fac de psychologie. Il a la naïveté de croire qu’en décidant d’aller de l’avant, son passé s’effacerait. Quand il rencontre Julienne, et son amour, il pense pouvoir enterrer ses fantômes et vivre sur les décombres de sa vie passée.



Mais cette vie n’a rien de solide, la base est bien trop fragile pour qu’il puisse s’y reposer. Ses souvenirs le rattrapent. Il comprend alors qu’en voulant les effacer, il s’est oublié lui-même. Et que rien de vrai ne pourra sortir de tout ça.

Il retourne à Douala, pensant régler ses comptes avec le passé.



Le rêve du pêcheur est un roman lumineux et sensible. Il parle de liens du sang, d’amitié et de racines. Celles qui, même tues, même silencieuses, font de nous ce que nous sommes…
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Les jours viennent et passent

COUP DE CŒUR



Alors que je lis peu de littérature africaine et peu de livres de la collection blanche, je ne peux que recommander Les jours viennent et passent qui raconte tout simplement la vie d’une mère en fin de vie, Anna, et de sa fille adulte Abi.



Leur enfance, la communauté africaine et ses codes, la religion, la politique, la misère, la relation vis-à-vis des blancs, des hommes et de la polygamie, la gestion des enfants... J’ai eu un peu l’impression de lire un témoignage. Peut-être parce que le récit est très souvent à la première personne...

Ce sont de belles histoires, teintées de moments très moches à cause de la misère quotidienne et du profond sentiment d’abandon face à la corruption qui règne dans les hautes sphères...



Dans ce contexte, les gens recherchent le bonheur immédiat et peuvent vite basculer ; c’est ce qui arrivera à la jeune Tina, amie de Max, lui-même fils d’Abi. Son témoignage en fin de roman est vraiment poignant. La plupart des personnages du livre sont d’ailleurs bouleversants. Je ne pourrai jamais aussi bien décrire la Cameroun qu’Hemley Boum qui signe ici un super roman (que je suis la première à critiquer d’ailleurs :-) )

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Les jours viennent et passent

« Tout cela était sans importance, les minutes et les heures étaient suspendues à la main de sa mère qui lui tenait le coude, à son pas erratique de vieille dame malade, à ses traits amaigris, à son souffle court : "Maman se meurt, oh maman…" »



Anna, la mère d'Abi, est mourante. Dans ses rares instants de lucidité, elle se confie sur sa vie : Sa naissance dans un village pauvre du Cameroun, son enfance sous le regard bienveillant de Samgali, ses espoirs d'émancipation par la lecture et la réussite à l'école catholique tenue par des bonnes soeurs, son mariage avec Louis issu d'une famille aisée et influente Bamiléké. C'est toute l'histoire récente du Cameroun qui est vue à travers le regard souvent sans concessions d'Anna : le colonialisme, les guerres fratricides au sein du peuple camerounais, la corruption qui gangrène les classes dirigeantes.



La voix d'Abi se mêle à celle de sa mère, chacune témoignant successivement d'évènements importants de leur vie. le récit d'Abi est plus centré sur son mariage avec Julien, la naissance de son fils Max, et sa liaison récente qui a déclenché un vrai séisme dans sa famille.



Cette première partie du roman est sensible et émouvante, la relation qui unie Anna et sa fille étant décrite avec beaucoup de pudeur. On sent toute la douleur d'Abi qui sait mais n'accepte pas encore la mort prochaine de sa mère.



« Au fond d'elle une voix plus âpre, plus urgente : je ne suis pas prête, je ne veux pas te perdre maintenant, je ne suis pas prête…

Au fond d'elle, la conscience de la fin imminente et de l'inutilité de ses prières. »



Par la suite, une troisième voix vient s'ajouter à celles d'Anna et Abi. Tina est une amie d'enfance de Max, qu'il voit l'été lorsqu'il vient passer ses vacances au Cameroun. Avec Jenny et Ismaël, ils formaient une bande inséparable jusqu'à ce que l'horreur les rattrape.



« Mais nous n'avions aucune idée de la férocité des monstres qui peuplent la terre, comment aurions-nous pu savoir ? »



Cette partie presque entièrement consacrée au témoignage de Tina est beaucoup plus éprouvante et déchirante puisqu'elle décrit les atrocités de la secte Boko Haram. Mécanismes d'endoctrinement, emprise, enlèvements, viols, tortures, attentats, le récit devient saisissant, glaçant. Sa dimension tragique étouffe en partie le début du récit et aurait sans doute méritée un roman à part entière.



Un roman sensible et douloureux, dont la lecture ne laisse pas indemne.



Livre reçu dans le cadre de la Masse Critique de janvier, je remercie Folio et Babelio pour cet envoi.
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Le Rêve du pêcheur

J'ai connu Hemley Boum, il y a des années à Lille lors d'un salon, elle publiait à La Cheminante. Je la retrouve avec plaisir avec ce livre qui me parle car l'appauvrissement des pêcheurs est le même et pour les mêmes raisons qu'au Sénégal que je connais mieux. Au début, on salue le progrès puis on déchante.

La pêche n'est plus artisanale qui se faisait en fonction des besoins: avec les gros bateaux et la congélation, il n'y a plus de limite.

Au niveau des personnages et de leur filiation, je me suis un peu perdue: il y a deux Dorothée et deux Zacharias?

J'ai aimé le livre comme j'aime la plupart de ceux qui parlent bien de l'Afrique.
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Les maquisards

Ce roman évoque, à travers la lutte pour l’indépendance du Cameroun, une famille et sa vie quotidienne faite de secrets mais aussi d’amour entre les mères et leurs filles, entre les hommes et les femmes. Nous sommes à la fin des années 40.

Si le début du roman m’a paru confus, cela m’a finalement fait sens. N’hésitez pas à faire quelques recherches préalables sur l’Histoire du Cameroun et à vous référer à l’arbre généalogique en début d’ouvrage.

Tout d’abord, les femmes.

L’auteur dresse un portait extrêmement vivant des traditions camerounaises et de ceux, mais surtout de celles, qui leur donnent corps et les transmettent. Les femmes sont au premier plan. Si elles n’ont pas le pouvoir, elles sont celles qui donnent la vie et à ce titre elles sont choyées et respectées.

« Un seule chose est sûre : tu es le fils de ta mère ».

Qu’on ne s’y trompe pas pour autant : les familles sont polygames et on marie les filles par raison.

Ensuite, les colons.

Justement, il ne s’agit pas de colonialisme au sens propre. Le Cameroun a été partagé entre la Grande-Bretagne et la France au lendemain de la 1ère guerre mondiale car le pays appartenait à l’Allemagne. Les 2 vainqueurs avaient pour mission par la SDN puis par l’ONU de lui donner les moyens d’accéder à son autonomie. Bien sûr, cela ne s’est pas fait dans l’égalité des peuples et les Blancs se sont arrogés un pouvoir d’esclavagistes sous prétexte de construire des routes et des écoles.

Arrivent bien évidemment les maquisards.

C’est la dimension politique du roman, son but avoué (confer le titre). L’auteur met en scène les personnalités qui ont mené cette lutte contre l’occupant (autre pays, même histoire). Le travail de documentation est colossal et la force du récit réside dans sa fluidité.

En conclusions

Ce roman est plein de richesses : la vie dans les villages, les personnages bien campés, l’entrelacs entre la romance (jamais bleuette) et le dur combat de ceux qui veulent redonner son unité et son indépendance au Cameroun, la force des descriptions des sentiments, l’intensité du récit, les intrigues.

C’est une belle découverte.

Les rencontres parisiennes – Décembre 2016

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Le Rêve du pêcheur

- ELEGANT ET POETIQUE -



"Que deviennent les vies que nous n'avons pas vécues? Où vont les aurores qui nous trouvent endormis? Tu le sais, toi?".



Quelle poésie! Quelle beauté! Quel puissance de récit! Quelle élégance dans le tissage des mots! Je manque d'adjectifs pour dire combien ce livre m'a transportée et émue.

Longtemps que je n'avais pas été aussi touchée par une écriture, mais quelle délicatesse! Digne d'un Mohamed Mbougat Sarr ou d'un Eric Chacour, ce roman est délicieux, je l'ai savouré page après page, suivant le destin tragique de cette famille camerounaise à travers les générations.



Si vous aimez les récits authentiques et émouvants mais surtout pas "neuneus" ou clichés, les personnages à la psychologie aussi fine que de la dentelle de calais et la sagesse de pensées philosophiques venues du fond des âges de l'Afrique noire, alors foncez, mais foncez!: vous ne serez pas déçus!
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Le Rêve du pêcheur

Le rêve du pêcheur s'étire sur trois générations, au gré d'un récit qui entremêle savamment les fils de différentes destinées, avant un dénouement qui rétablit la chronologie et va vers l'apaisement. Il y a des points communs entre les différents personnages : la souffrance en premier lieu, pour le pêcheur d'un petit village côtier du Cameroun, la prostituée de Douala et l'exilé à Paris. Les parcours sont erratiques et marqués par la fuite, à un moment ou à un autre, censée amener la délivrance, qui ne vient pas, bien au contraire, et alourdit le bagage de celui ou de celle qui a tout quitté, sans un regard à l'arrière. Le livre de Hemley Boum est splendide, écrit dans une langue déliée, douloureusement romanesque, avec des personnages forts, qui commettent des erreurs monumentales et cherchent maladroitement à raccommoder les morceaux épars de leurs fautes. Peut-être que la fin du roman, en revanche, est un peu trop naïf dans son optimisme mais il fallait bien ce baume pour cicatriser tous les traumatismes et la beauté du livre ne s'en trouve pas affectée. Le colonialisme moderne, le racisme, l'exploitation de l'homme par l'homme, l'exil et les remords sont autant de défis à surmonter pour parvenir , sinon au bonheur, tout du moins à une forme de sérénité et de réconfort qui passe par l'amour, l'amitié, la famille et le lien parfois invisible de la transmission.
Lien : https://cinephile-m-etait-co..
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Les maquisards

Les maquisards, d’Hemley Boum publié aux éditions de La Cheminante en 2015 est un roman historique. L’écrivaine camerounaise maîtrise parfaitement les modalités du roman.

Si ses 385 pages racontent en effet plusieurs histoires d’amour : celle de Likak et de Muulé, celle d’Amos et de Esta…et pourraient répondre aux attentes des amateurs d’intrigues à rebondissements, de secrets douloureux, de sentiments intenses, si la saga familiale se déroule sur plusieurs générations et se nourrit de mère en fille, de père en fils des obstacles toujours là pour empêcher le bonheur de s’installer dans leur vie, si, pour parfaire un modèle littéraire bien connu du grand public, le décor est exotique ( nous sommes en Afrique, dans le pays Bassa, la forêt enveloppe les villages, la vie rurale ponctue les journées) ce très beau roman est tout autre chose.

Les maquisards sont ces hommes et ces femmes qui depuis la fin de la deuxième guerre mondiale se sont battus pour obtenir le droit à disposer d’eux-mêmes. Toute la puissance de ce texte réside dans la capacité de cette auteure à brosser les portraits de ces êtres courageux au cœur d’évènements historiques qui ont marqué la lutte pour l’indépendance du Cameroun. L’œuvre est très documentée, riche de renseignements, riche d’enseignements aussi.

Le livre est découpé en vingt chapitres, selon un ordre chronologique bouleversé. Fin 1958 (3 chapitres, puis 4 chapitres), 1948-1958 (8 chapitres), 1999 (5 chapitres). La choralité du livre pèse d’emblée sur l’issue du combat pourtant pacifique mené par Muulé et les siens. Le premier chapitre le montre en prison, sous le joug des autorités coloniales françaises. De plus, comme l’auteure a cherché de toute évidence à donner chair à ses héros de l’histoire, le récit s’arrête autant de fois que nécessaire pour prendre le temps de décrire chaque personnage, quitte à revenir sur son passé, à jongler d’une page à l’autre avec des temporalités différentes. Un tableau au début du livre reprend les noms, les parentés, les liens entre chaque actant. L’auteure a probablement craint que le lecteur ne se perde dans cette galerie de personnages. L’attention est délicate, mais la consultation du tableau n’est pas nécessaire parce que chacun d’eux a une telle présence dans le livre que le risque de se perdre est vraiment ténu. Du côté des Noirs : Mpodol, Muulé, Amos, Likak et d’autres ne sont pas simplement présentés psychologiquement, ils sont le fruit de coutumes, de rapports humains, ils appartiennent à une communauté qui les façonnent. Ils sont Bassa. Les renseignements ethnographiques fourmillent, passionnants, jamais anecdotiques. Face aux difficultés de la vie, aux douleurs de l’existence, de nombreuses phrases au présent de vérité générale proposent une réponse que chaque lecteur peut probablement faire sienne. Face à eux, d’autres portraits, tout aussi soignés, tout aussi fouillés, ceux des Blancs, Pierre Le Gall, parangon du colonisateur raciste et borné, atrocement dangereux pour les populations qu’il maltraite sans vergogne, son fils, Christian, son exact opposé, physiquement, mentalement, la sœur Marie Bernard, véritable pont entre ces deux mondes. Noir et Blanc, chacun a ses failles, chacun a ses faiblesses, certains sont exceptionnels car ils sont capables d’abnégation, de grandeur d’âme. Ceux-là sont des héros, des figures tutélaires. Le combat à mener est un combat pour la dignité, celles des Bassa, celle des Camerounais, et avec eux celle des Africains, mais aussi celle de tous ceux qui revendiquent l’égalité entre tous les humains. L’épisode des combats qui verra mourir Mpodol et ses amis est en ce sens très signifiant : des vainqueurs Blancs injurient les cadavres des vaincus devant Christian effaré face à tant d’ignominie.

Ce roman fictionnalise certes des épisodes de l’Histoire du Cameroun. Toute lecture l’installe dans un présent qui échappe à la seule volonté de reconstituer un simple puzzle évènementiel. Il est une œuvre littéraire qui, si elle joue avec la chronologie, ne perd jamais de vue que le présent de 1999 comme celui de 2015 ne peut gommer les épisodes de ce passé récent. Elle a le mérite, après d’autres écrivains, comme Achille Mbembe, de donner corps, de donner vie à des figures majeures de l’Indépendance camerounaise. L’écriture de Hemley Boum a la vigueur du mot soigneusement choisi, de la syntaxe limpide, du refus de l’emphase ou des effets stylistiques. Les premières pages montrent Mpodol fuyant au cœur de la forêt:

L’aube parut sans crier gare. L’instant précédent, la forêt était obscure, avant même qu’il n’en prenne conscience, les couleurs lui sautaient au visage. Kaki sombre des feuilles pourrissantes couvrant le sol, châtain mordoré de celles à peine vieillies, brun noir des troncs centenaires, vert d’eau des jeunes pousses, absinthe des plantes en contact avec la lumière, trouble de celles qui poussent dans l’ombre, rouge orgueilleux des immortelles amarantes, arc-en-ciel écrasé des orchidées épiphytes. La rosée matinale achevait de laver la végétation des miasmes de la nuit. (p.20-21)

Les poèmes, à la fin du livre, sont magnifiques, empreints d’une sensibilité douloureuse qui ne peut que toucher au plus profond de lui-même chacun des lecteurs sans doute parce que les mots de Likak trouvent un écho en eux. Ils sont rédigés à la première personne du singulier comme s’ils avaient été écrits par Likak, ce qui est peu vraisemblable, puisqu’elle n’a pas pu faire d’études. Hemley Boum se fait la porte-parole des sans voix et joue des instances narratives pour ne pas leur voler ce qu’ils ont à dire. On sent son admiration, sa fascination pour ses personnages qu’elle ne se résout pas à enfermer dans une simple fiction romanesque.

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Le Rêve du pêcheur

Le rêve du pêcheur

Hemley Boum

Roman (5°)

Gallimard, 2024, 349p





Me revoici à Douala, dans le quartier misérable de New Bell, et dans ce pays qui me désole, où seuls les hommes, disent-ils, mangent de la tortue, tant le mets est succulent. Remarque machiste d'antan, certes, mais qui en laisse entendre.

C'est un roman de fuite, d'envol, et de comptes à régler, de transmission. Car on ne vient pas de nulle part, on ne naît pas de personne.

Zachary s'enfuit, s'envole, respire enfin, est disponible à ce qui vient. Il a 18 ans. Et pourtant il n'est pas libre. C'est le père de sa petite amie -elle n'est pas pour lui- qui l'exile en France, lui paie des études, de psychologie, parce que dans cette faculté il y a de la place, à condition qu'il ne retourne pas au pays. Zachary coupe toute amarre, il laisse sa mère alcoolique et prostituée, son ami est mort, victime de la vindicte populaire à cause d'un vol qui a foiré, il abandonne sa petite amie.

Il étudie, devient psychologue. Un soir de dépression, il rencontre Juliette, psychiatre, avec qui il se marie et a deux jumelles qu'il prénomme l'une du nom de sa mère Dorothée, l'autre du nom de sa petite amie, Nella. Juliette n'en sait rien. Elle a épousé le Zachary français, qui ne lui a rien dit de son passé, qui vit en France en ne se pas remarquer, il ne veut pas faire de vagues. Déjà petit, il ne voulait pas creuser ce qu'il entendait dire de sa mère, il le refoulait. Il a expliqué à Juliette la raison de sa dépression, le suicide d'un adolescent camerounais dont il n'a pas su voir la détresse, cet enfant qu'on ne nomme pas, c'est « l'enfant », à qui on donne un autre nom, « Sunday » parce qu'il est né un dimanche, qu'on abandonne au pays et qu'on reprend et fait venir en France, sans rien lui expliquer. Il lui a expliqué aussi sa relation avec une autre femme noire, très intéressée par la question des Noirs, racisée, et qui l'a fait réfléchir sur son origine, sa couleur, sa place.

Zachary n'a plus de désir pour sa femme, pour l'avoir vu accoucher. Elle est la mère de ses enfants. le couple bat de l'aile. Pour penser à autre chose, il va voir sur les réseaux sociaux, et retrouve sa petite amie qui lui dit de rentrer au pays dare-dare, sa mère est moribonde.

Cela fait vingt ans qu'il a quitté le Cameroun. IL ne reconnaît rien de Douala. IL y retrouve Nella et son ami qui n'est pas mort, mais est resté hémiplégique. Il apprend que le père de Nella s'est occupé de sa mère, qu'il voit, ainsi que sa grand-mère qu'il ne connaissait pas, confortablement installées et en bonne santé pour sa mère. Nella a inventé cette histoire pour faire rentrer Zachary dans son pays.

Les deux femmes vont lui conter son ancêtre Zacharias, homme de doutes et de solitude, parce qu'il est déçu de n'être pas bon à l'école, et fils d'un pêcheur qui aimait excessivement la mer. Il vit à Campo, là où le fleuve femelle se jette dans l'océan mâle, et où le poisson pullule.

Avec sa grand-mère, qui défend la valeur travail et la dignité des femmes, il a deux filles, l'aînée ennuyée par les remarques contraignantes de sa mère, et la cadette docile. Zacharias écoute les sirènes d'un grand exploitant forestier qui veut s'approprier les terres des paysans et leur fait miroiter une vie de luxe grâce à l'utilisation d'une carte à crédit. Zacharias achète des choses que sa femme ne trouve pas utiles, jusqu'au jour où il perd son travail à cause de l'industrialisation de la pêche, et ne peut rembourser ses dettes. Tout va de mal en pis, jusqu'au tragique.

Cette histoire, il faut la dire à Juliette qui porte le même nom que sa grand-mère. Une fois qu'elle l'aura écoutée, elle, qui veut divorcer, fera ce que bon lui semblera. En tout cas, l'histoire, contée par des esprits relayés par des personnes réelles dont les voix ont changé, a comme ressuscité Zachary qui se sent extrêmement heureux.

Tout ce qui concerne Douala ne peut me laisser indifférente. Je connais Campo, Kribi, Ebodjé, je mange ndolé et miondos, connais les fameux sorciers. Celui du livre n'est pas un charlatan. Ce roman, à la fois récit, documentaire, et réquisitoire, a de l'intérêt. Les personnages, notamment les femmes, pourraient être épiques, les femmes du fleuve, de la forêt et de l'océan. Cependant il manque quelque chose à l'écriture pour faire de ce livre un très grand livre. Ou c'est moi qui apprécie mal parce que le Cameroun m'irrite.

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Les maquisards

C'est le quotidien des héros de l'indépendance Camerounaise qui est retracé dans ce livre, dans ce roman qui mêle faits historiques et romance. Moi qui ne connaissait pas du tout ces évènements, c'est une belle surprise, au sens littéraire du terme, parce que les faits eux, sont beaucoup moins glorieux. Je dis "les héros" parce que le récit n'est pas du tout linéaire, toutes les histoires se chevauchent, se recoupent, et nous permettent d'entrevoir un panel important de personnages (merci le petit arbre généalogique / diagramme en 2ème page). En fait, c'est une saga familiale, à travers l'Histoire camerounaise post coloniale, on s'attache à ces personnages, hauts en couleurs, au destin tragiques, à ces femmes et ces hommes fiers, aimants, drôles, fous.. et la structure du récit permet de ne pas se lasser, ou de pas tomber dans une certaine lenteur ou lourdeur.

Après un début un peut lent, j'ai eu peur de me perdre et de m'ennuyer, mais tout démarre d'un seul coup, et les personnages nous guident dans leur vies. Une petite dédicace à Likak, qui porte le roman sur les épaules, comme les femmes de son village portent le monde.

Ca donne envie d'aller plus loin, et c'est à ça que je reconnais souvent un bon livre.
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Les jours viennent et passent

Je ne connaissais pas cette autrice et se fut une belle découverte. Je remercie @babelio pour la masse critique et les éditions Folio pour l'envoi.

J'ai beaucoup aimé le découpage du roman. Anna, une vielle femme malade est hospitalisée en soins paliatifs. Alors que son corps lâche, elle se remémore sa vie. Une vie qu'elle n'a jamais raconté à sa fille. Une vie où elle a dû se battre pour devenir ce qu'elle est. À travers son récit, c'est le Cameroun que j'ai découvert : un peu d'histoire, des paysages, des odeurs et des couleurs.

En parallèle de cette histoire apparaît les bribes de vie de sa fille Abi. Les histoires s'embriquent les unes dans les autres et retrace une lignée de femmes fortes.

J'ai beaucoup aimé ce roman pour les réflexions sur les origines et les secrets familiaux, pour les réflexions sur la vie de couple. Le tout écrit avec une très jolie plume, très agréable à lire.
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Le Rêve du pêcheur

Un roman magistral sur l’exil et l’identité.

L’histoire d’une déstructuration, celle d’un petit village du Cameroun et de ses habitants dont la vie va être profondément bouleversée à la suite de l’installation de compagnies d'exploitation étrangères. Là où les habitants ne manquaient de rien et se contentaient de peu, vont venir peu à peu s’installer l’avidité, la création de nouveaux besoins, l’endettement, la pauvreté, l’expropriation des populations, jusqu’à l’exil forcé de Zack.

C’est l’histoire de cette dislocation qui est racontée dans ce magnifique roman, au travers de celle de la famille de Zack, de sa mère et de ses grands parents.

Rarement un roman ne m’a autant ému. Hemley Boum a un tel talent pour faire vivre ses personnages et raconter leurs destins que j’ai très vite été retourné par les émotions. Quelle écriture magnifique ! Il y a des passages vraiment sublimes, de très belles envolées littéraires.

La connexion avec les personnages est tellement forte que je n’ai pas pu m’empêcher d’éprouver un petit sentiment de tristesse en tournant la dernière page de ce livre.

Sans aucun doute, ce roman figurera dans le top de mes lectures.
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