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Citations de Henri Béraud (40)


Il entendit la messe étendu sur la dalle, entre deux tréteaux, les pieds tournés vers l'autel. Après le dernier amen, on lui donna ses habits de ladre. C'étaient des braies de tricot, une tunique de gros drap et, pour tout recouvrir, une housse noire à capuchon. Servais s'en revêtît, et le cortège se remit en marche par un frayé désert, qui, contournant le perron des Communiers, gagnait les cailloutis de l'Étang Rompu.

Là se trouvait un groupe de cabanes abandonnées. L'une, la plus proche de la forêt, allait recevoir ce vivant dont le nom, désormais, figurait aux registres abbatiaux parmi les morts de la paroisse. Servais Lubin entra. La masure, lavée à la chaux par les soins des clercs, contenait une table, un lit, un pot, un escabeau, un barillet. Sur la table, il y avait une baguette, un couteau, une lampe. Une ceinture de cuir pendait au mur. Soudain, le reclus frémit ; il venait d'apercevoir sur le lit une crécelle. Une cliquette de bois semblable à celles dont les Bouâmes accompagnaient leurs danses et leurs chansons.

Accablé, Servais Lubin s’assit.
⁃ Debout, lépreux ! ordonna le moine.

Et, criant ainsi, il lui jetait une pelletée de terre sur les pieds :

⁃ Lubin Servais, ajouta-t-il, d'une voix forte et qui couvrait les murmures de la foule et la rumeur du feuillage, au nom de Dieu, je te retranche et te défends de paraître dépouillé de ton brun chaperon. Cette maison est léproserie. Tu n'en sortiras pieds nu, ni sans que retentisse aux oreilles du passant et du voyageur cette crécelle. Aux fontaines et aux ruisseaux, tu ne lavera ni ton corps ni ton écuel!e. Tu n'entreras plus à l'église. Ton baril, que tu poseras aux portes, recevra aumônes de vin et nourriture. A ceux qui, dans le pays, t'interrogeront, tu ne répondras que sous le vent. Tu ne marcheras ni dans les chemins bordiers, ni dans les ruelles ; tu ne t’approcheras pas des enfants. Ta maison sera brûlée et tout ce que touchèrent tes mains. Cependant, Servais, frappé de Dieu, tu nous est sacré ! Que les anges te conduisent au paradis, que les martyrs t’accueillent, avec le pauvre Lazare, aux portes du ciel. Bats ta coulpe. Servais, afin que ton corps mortel ne souille point la terre chrétienne !... Requîem aeternam dona eîs. Domine... Requiescat in pace !

Les paysans, les clercs, le lépreux, répondirent d'une seule voix :
⁃ Amen !
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Aux derniers jours de l'an 1562, les bandes huguenotes, armées d'une artillerie prise à Grenoble, et venant de saccager la Grande-Chartreuse, s'avancèrent, à lentes étapes, vers les collines de Lieu-Dieu. Elles menaient si grand vacarme qu’une avant-garde de sauterelles, fuyant leur approche les devançait de deux heures en tous pays.

Chargé du butin des églises, le baron des Adrets errait dans la campagne dauphinoise. II semblait n'obéir qu'à son caprice. En réalité, il cherchait les compagnies de Moncelar, et il enrageait de ne saisir qu'ombre et que vent. Sa troupe, qu'il n'épargnait point, puait la haine, le sang et le fauve. Entre toutes les soldatesques, on la reconnaissait à ce qu'elle cheminait en silence, sans chansons, au seul bruit des peaux d’âne et des coups de mousquet.
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Tout Paris veut en être.
La semaine anglaise amène aux audiences du samedi, à Versailles, une affluence multipliée.
Rien au monde, pas même les wagons du métro, ne nous donnera pareillement la mesure de la compressibilité humaine.
On ne se fait aucune idée de ce qu'un simple mètre cube de Cour d'Assises peut contenir de dames, de fourrures et de chapeaux de velours.
Il fallait le procès de Landru pour nous en instruire ...
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A parler franc, je m'aime pas l'amour à l' impromptu. Je suis comme le ténor Duprez , auquel les bravos de confiance ôtaient ses moyens.
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L'âge d'aimer n'existe pas. Ce qui existe et qui passe c'est l'âge d'être aimé.
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"Grosses gens, bonnes gens", dit un proverbe de ma province. S'il dit vrai, la terre porte quantité de braves bougres, car les bons ventrus, Dieu merci, ne sont pas aussi rares que les bons ministres. Là-dessus, j'ai une petite chose à dire, c'est qu'on aurait bénéfice à choisir les politiciens parmi les gens gras: ce serait le plus sûr moyen de ne point avoir à les engraisser.
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Henri Béraud
Le nouveau riche qui pullule partout en France, grouille à Lyon d'une manière surprenante. Le culte des affaires y a. pris un caractère de fureur sacrée. Et nulle part, on ne voit aussi clair dans les manœuvres des mercantis qu'en ce pays de brumes et d'ombre. Tout se passe au vu et au su de tout le monde ; les fortunes scandaleuses » n'ont l'air de scandaliser personne. On entend d'austères bourgeois lyonnais vanter, d'un ton presque cynique, l'astuce de tel négociant notoire et honoré, qui fournissait l'Allemagne de soies destinées à la confection des gargousses à poudre, tandis que ses fils mouraient sur les champs de carnage ! Le rigorisme local a disparu ; les gains fusent tout. Les enrichis parlent avec jovialité de leurs condamnations, qu'ils considèrent comme des encouragements à persévérer et que, d'ailleurs, ils ont raison de juger telles. Certains petits fonctionnaires « facilitent » les transactions et j'en sais qui, à ce petit jeu, gagnent cent mille francs par mois. Un scandale récent a provoqué l'arrestation d'un spéculateur qui, achetant des salaisons en stocks aux intendants militaires, a gagné trente millions en quelques mois. On rit de sa mésaventure et l'on, ne cache point qu'on admire son savoir-faire. Une presse locale soucieuse de ne point s'aliéner les puissances du jour se tait ; et il fallut l'intervention récente d'un journal parisien, pour obtenir l'arrestation et la condamnation d'un fripon convaincu d'avoir, en 1918, introduit des obus défectueux dans un lot de munitions destiné aux armées.

Floréal, n° 12, 24 avril 1920, p. 273.
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"Au travail on fait ce qu'on peut, mais à table on se force !"
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Mais, hors de l’église, autour des bornes et des marches, les serfs étaient couchés côté à côte, rang sur rang, dans la terre, tous pareils, tous entre eux, comme des poignées de terre prise aux labours. Là, toute ces têtes dures et toutes ces pauvres mains étaient tombées en poussière. Dix noms effacés par les pluies, et c’était toute la force éteinte et renouvelée de Sabolas, depuis le temps où l’évêque Isarn chassa les Sarrasins… Ces trépassés n’avaient en leur vie guère parlé plus que les bœufs du sillon et les moutons du pâtis -- et pourtant ils laissaient à leurs descendants maintes leçons. Nul grimoire ne conservait aux coffres de Mortut le souvenir de mille manants défunts. Qu’est-ce que l’on savait d’eux ? Rien que ces noms qu’ils avaient transmis avec la peur de l’enfer, et le respect du seigneur, et l’appel confus de l’humaine fatigue vers l’avenir menteur. ...

321 - [Le Livre de Poche n° 1439, p. 27]
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Pas un portrait de Trotsky.
Pas un seul.
L'homme qui, en 1919, sauva la Russie rouge assaillie par Denikine, Koltchak, les Ukrainiens de Petlioura, les Polonais en marche vers Minsk, les Allemands de Von Bermondt, les Lituaniens, les Lettons, les Estoniens et les Alliés à Mourmansk, le meneur de la révolution de 1905, l'évadé de Sibérie, le "Gourdin de Lénine", le soutien de la "Révolution permanente", Trotsky, enfin, est comme effacé de la vie moscovite.
Lorsque je partis pour la Russie, je ne croyais pas que les adversaires de Trotsky eussent osé le diminuer à ce point. La vérité est qu'en plusieurs semaines je ne pus obtenir qu'on lui transmît une demande d'entretien. Les obéissants sectateurs de la Troïka y apportèrent cette inertie déterminée, ce méticuleux désordre, ces oublis bien réglés que, de tout temps, la bureaucratie russe sut opposer à l'importune curiosité des reporters. Finalement, la veille de mon départ, les bureaux me firent remettre tout ensemble mon passeport et un rendez-vous avec M. Trotsky...pour la semaine suivante.

(Trotsky, trotskysme et Troïka - 1/10/1925).
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Les petits voudraient des contes de fées ; on leur démontre la preuve par neuf.
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Il y a peu de chances que vous connaissiez les caves de l'hôtel de ville. Bénissez votre ignorance et choisissez un autre lieu de villégiature.
C'est un énorme labyrinthe, où, dans une profusion de bacs, de chaudières et de réservoirs, se tortillent des kilomètres de boyaux. On dirait, grossie des milliers de fois, la planche abdomen du Larousse. Tel est le ventre de Topaze. Quelques rares soupiraux versent une lumière de catacombes. A peine si l'on distingue, entre de goudronneux et suintants contreforts, une rangée de portes à judas qui, selon toute apparence ont jadis clos les oubliettes.
Les deux fifis marchent à mes côtés. Ce sont deux jeunes faubouriens, beaucoup plus goguenards que méchants. Leurs mitraillettes sous le bras, ils me font un brin de conversation. Tantôt ils me donnent du "grand-père" et tantôt du "docteur".
- Pourquoi docteur ?
- Vous ne l'êtes pas ?
- Pas du tout.
- C'est rigolo. J'aurai cru.
Mais l'autre :
- Alors, qu'est-ce que vous êtes ?
- Écrivain.
Il réfléchit, hoche la tête et conclut :
- Il en faut...
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Alain Champartel, fils de Florent le forgeron, était né le même jour que le baron Jean de la Mortut. Une douce coutume du pays dauphinois voulait, en ce temps-là, que les deux enfants fussent baptisés ensemble. L'usage était, par surcroît, que la châtelaine portât sur les fonts le fils de la serve, tandis que celle-ci tenait en ses bras le petit gentilhomme. Cela exactement accompli au matin du 20 mars 1333.

Après le baptême, les deux mères, ayant remis les petits aux servantes, prirent place côte à côte au banc de la seigneurie. La messe dite, cependant que dans la cour du château éclataient des fanfares, Mahaut de la Mortut embrassait bonnement la modeste Clémence Champartel, qui était fille de Benoit Pastourel, valet de meunerie.

Le fils du forgeron et le fils du noble, tous deux orphelins fort jeunes, grandirent sans se voir jamais, séparés par une muraille aussi haute que le ciel.

(...) les rustiques assuraient, en baissant la voix, qu'après le baptême, l'échange s'était mal fait.

- Un valet se trompave, disaient-ils dans leur patois, et lous éfants bian mêlés restavant toudios ainsi...

- L'éfant du ferron mize les rôtis du château, tandis que l'éfant du noble est bien eso de remplir son ventre de pan fouache.

Un jour, un colporteur malotru, crut flatter Alain en lui rapportant, devant sa mère, les propos des alentours. Clément Champartel, qui ne savait rien de ces croyances, entendit et, toute saisie, se prit à pleurer. Alain empoigna une trique, et le colporteur fut si bien pelaudé qu'il en demeura boiteux.

375 - [Le Livre de Poche n° 1439, p. 57]
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... les voix des morts gardent un écho tant qu'il reste un vivant qui, autrefois, les entendit. Après cela, ils sont bien morts. Chaque mort est suivi d'un cortège d'anciens morts, dont il entraîne le souvenir dans les ombres éternelles.

130 – [Le Livre de poche n° 1439, p. 119]
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Le propre d'une grande passion c'est de donner de l'importance aux espoirs les plus puérils.
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Être aimé soudain, provoquer dans le regard des femmes cette lueur rapide qu'elles cachent aussi vite qu'elles le peuvent sous des airs indifférents et des paupières baissées, deviner chez celles que l'on désire en silence ce consentement muet que les paroles ne pourront ni confirmer ni démentir, voilà la raison de vivre, voilà ce que rien ne remplace !
(chapitre XI)
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Le colonel Chambard, sachant que le 10 août n’était qu’une étape, gardait ses épaulettes, afin de servir une Nation où tout semblait agoniser de ce qu’il croyait juste et bon. Cependant, le fermier, en qui le sort incarnait l’aveugle et tenace espoir de Sabolas, était à lui seul le passé et l’avenir de ses paysans. Il tenait enfin cette terre, que boudaient les chemins tracés par les ancêtres. Chaque matin et chaque soir, ils avaient cheminé, les vieux, le long de ces terres-là. A présent, leurs tombes étaient entourées d’un domaine qui portait leur nom.
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Tout le mal vient peut-être de ce qu'on fait instruire les petits par des hommes qui ne se rappellent pas leur enfance.
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Faut-il réduire l'Angleterre en esclavage ?
Oui
Le Négus, au besoin, pourrait s'en charger.
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1562 : On creusa de nouvelles tombes. Aux fossés de la Mortut, aux ormes de la place, à la clairière du Templier, on prit les trente-huit cadavres de paysans que l'armée huguenote laissait derrière elle avec l'écho d'un chant de victoire.
On fit des civières de feuillage. Ces morts avaient au visage une expression farouche, comme si leur trépas marquait le terme de l'antique résignation. Cependant, ceux qui leur donnaient la sépulture n'osaient même point les regarder. Les fumés de Savolas s'élevaient droites sous le ciel comme un encens misérable. Au loin, la clarté de cette journée d'août semblait ronger la plaine ; tout était solitude et stérilité ! Les troubles arômes de la mort et du feu se confondaient, pour flotter ensemble et monter dans le soleil.
Les trente-huit suppliciés de Sabolas se couchèrent à cette même place où, d'âge en âge, couche par couche, la vieille misère avait étendu leurs anciens.
Au fond, à dix pieds, dormaient les victimes des Sarrasins, près des serfs ahaniers pendus au gibet de La Mortut au temps de la haute justice. Puis venaient les rebelles de 1358, entourant la féale dépouille d'Alain Champartel. Puis ceux qu'étouffa la peste noire, ceux qu'égorgèrent Anglais, loups, archers du roi ; les scorbutiques et les lépreux ; ceux des famines, ceux de la malerage, ceux de la foudre, ceux du chagrin.

125 – [Le Livre de poche n° 1439, p. 163-164]
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