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Citations de Henri Béraud (40)


N'empêche que j'étais arrêté. Fait comme un rat. Rien de plus simple. Il paraît que cela se passe toujours ainsi. A de très rares exceptions près, l'homme renonce sans résistance à sa liberté. Pourquoi ? Cela tient-il à cette soumission quasi machinale que l'éducation chrétienne nous a, d'âge en âge, infligée ? Ou bien à cette lassitude sans fond née d'une attente qui vient à bout de n'importe quel système nerveux ?
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Je suis amoureux, voilà qui fait rire tout le monde. Le soupir est interdit à l’hippopotame, et Venise n’est pas faite pour les cachalots.

Le jour où j’atteignis cent kilos… Ah ! ce jour-là me remplit d’un chagrin si pathétique, que je poussais sur la bascule, de vrais cris de tragédien. Puis, comme il arrive toujours après les grandes douleurs, je sombrai, trois mois durant, dans la trouble mélancolie des bêtes à l’étable. Bah ! il faut en prendre son parti : "Grosses gens, bonnes gens", dit un proverbe de ma province.

L’obèse est la gaieté du monde, surtout lorsqu’il se met en tête de maigrir. Cela m’est arrivé comme aux autres, et, comme eux, j’ai tout essayé.
Je me laissai conduire dans un hammam. La chaleur m’oppressait au point de me tenir bouche bée comme un poisson sur le sable. Des citoyens dénués de graisse et de pitié et qui, sans doute, allaient en ces lieux pour voir souffrir les poids lourds, me regardaient d’un œil sec. Je haletais sous le peignoir de laine. Les miroirs, dans leurs cadres mauresques, me renvoyaient l’image d’une tomate énorme, huileuse et mouvante. La sueur me noyait les yeux. Je résistais. Les chevaux collés, la langue pendante, je régnais, comme un Neptune dérisoire, sur mes propres eaux dont j’inondais au moindre mouvement le carrelage du bain turc.
Puis ma force s’en allait. Je regagnai ma cabine en chancelant. Des garçons brutaux s’emparaient du costaud dégonflé et l’étendaient sur le lit. Enfin, massé, pincé, passé au crin, étrillé, assommé de claques, je sortais. Une soif dévorante me jetait dans une brasserie exploitée de l’autre côté de la rue par le tenancier des bains, comme je le sus plus tard. C’est là que la clientèle martyre venait se refaire et se consoler. Elle venait en courant entonner la bière fraîche et mousseuse, reprenait sans retard son humidité naturelle et son poids normal. Je garde de ces expériences un souvenir assez agréable, car la bière était excellente. Je les eusse certainement prolongées, si l’implacable bascule ne m’avait tout à coup révélé un nouvel excédent de bagage.
Alors commença pour moi l’ère de la gymnastique suédoise. Chaque matin me voyait, nu comme un bel œuf rose, au milieu de mon salon. La pantomime commençait : j’étais un prophète battant l’air de ses bras, puis un Bouddah s’accroupissant pour remonter avec lenteur vers le ciel ; puis, couché sur le tapis, un noyé qui tend ses orteils hors de l’eau, puis Adam étendant les bras pour savoir s’il pleut ; je roulais, je rampais, bondissais et je n’étais plus ensuite qu’un gémissant catalogue de toutes les espèces de courbatures depuis les premiers âges de l’humanité. Cette fois-là je maigris un tout petit peu.

Un jour, je m’assis, la faim au ventre et noyé de fatigue, à la terrasse d’un café. Un couple passa ; la femme sourit et je l’entendis qui, me montrant du regard à son compagnon, murmurait : - En voilà un qui ne doit pas se priver !
Ce fut une leçon. Je ne me privai plus, en effet. Alors je m’aperçus que les régimes, s’ils ne font pas maigrir, empêchent du moins d’engraisser. Je me mis aussitôt à enfler comme une bosse sur le front, sous le regard des témoins stupéfaits. Jusqu’alors j’étais potelé, pas davantage. Il me fallut moins d’un an pour atteindre au point où vous me voyez.
Alors ce fut, en son genre, admirable. Je ne pouvais plus rencontrer un ami, après un mois d’absence, sans qu’il levât les bras au ciel et demeurât béant, à la vue de mes joues :
- Si vous voyiez mes fesses ! m’écriais-je furieux.

Le vêtement moderne, voilà l’ennemi ! Vivent le peplum et la toge ! J’aspire au retour des mœurs antiques, sauf en ce qui concerne l’auto et les cocktails.

Un compliment fait toujours plaisir. Encore est-il mieux venu d’un aimable complimenteur. Mais la galanterie d’un gros monsieur n’est guère agréable aux petites oreilles. Bah ! bah ! laissez donc, ne protestez pas, vous savez bien que je dis vrai. Et puis j’ai l’habitude : ni plaire, ni déplaire, être tenu à l’écart des jeux du flirt, amuser les coquettes et rassurer les maris, c’est, à présent, notre sort à nous, les trop vastes galants, les bons gros que tous aiment bien et qu’aucune n’aime tout court.
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A l'âge des arrestations sans mandat et des enquêtes sans perquisitions pouvait bien se juxtaposer l'ère des inculpations sans interrogatoires. Et, puisqu'il fallait à cette purge un minimum d'apparat judiciaire, ne devait-on pas, en bonne logique, tailler dans le drapeau de l'émeute la robe des magistrats ?
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Pour voisin de gauche, j'ai le commandant Paul Chack, qui sera fusillé ; pour voisin de droite un des frères Ledanseur, qui sera fusillé. En face, comme par un guignol, je vois aller et venir la tête toute en poils du vieux de Puységur, octogénaire hilare et bougon, doyen des condamnés à mort, qu'on ne se décida jamais à gracier, ni à exécuter, et qui resta six mois dans les fers.
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Qu'est-ce, dans une pareille tourmente, que la douleur d'une femme ? Ceux qui s'arrogent le droit de verser le sang sont-ils capables de se représenter le calvaire infligé à leurs plus innocentes victimes ? Se sont-ils jamais souciés de ce que deviendront les veuves de fusillés ? Savent-ils que, de toutes les responsabilités humaines, celles de la justice politique sont les plus accablantes ?
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...il se passait en moi ce qui se serait passé en vous, en n'importe quel homme, puisque nous sommes tous des cochons, des cochons vaniteux.
Pour cela, les gros valent les minces et les pelés valent les tondus. Ils se croient tous irrésistibles pour si peu qu'ils puissent penser que l'on en veut à leur peau.

page 22
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Dans la ville de brumes où j'ai grandi, mes parents avaient pour voisin un bonhomme qu'on appelait le père Gidrol.
C'était un de ces petits vieux à bancs, qui finissent de vivre le menton sur une canne en remâchant leurs souvenirs. Le père Gidrol, venu au monde l'année de Wagram allait sur ses quatre-vingt-dix ans.
- Nonante moins trois, disait-il, en secouant des cheveux de père noble.
Assez fier de clopiner encore autour du pâté de maisons, il s'arrêtait de porte en porte et faisait la causette en s'écoutant parler. A l'entendre, il lui était arrivé des choses extraordinaires. Mais pareil à tous les vieux, il ne se rappelait bien que ses jeunes années.
Personne dans le quartier n'écoutait plus les histoires du vieux père Gidrol, excepté mon père, qui dans les veillées campagnardes de son enfance avait pris le goût des traditions orales, et qui payait la goutte à l'ancien pour le faire parler.
Souvent le soir, après souper, Gidrol entrait en voisin dans notre boulangerie. Tandis que le vieux remuait l'humble brocante de son passé, mon père versait à boire en fumant sa pipe. On entendait de loin en loin retomber le marteau d'une porte cochère. Les heures sonnaient. La voix confuse divaguait doucement. J'étais là, sur ma chaise et, plein de fatigue et d'ennui, j'entendais les confidences du père Gidrol, toujours les mêmes, qui dans ma tête d'enfant finissaient par se mêler aux vibrations de l'horloge et aux brouillards du premier sommeil.
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Tenez donc pour certain que la première condition d'un aimable repas tient principalement dans le choix des convives.
(chapitre VII)
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On aurait bénéfice à choisir les politiciens parmi les gens gras : ce serait le plus sûr moyen de ne point avoir à les engraisser.
(chapitre 1)
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- Un besoin d'elle qui me séchait la bouche et m’enfiévrait ainsi que doit le faire au pèlerin assoiffé l'approche d'une murmurante oasis.
- Ce n'est jamais en vain que l'on fait ronfler des phrases aux oreilles d'une femme.
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I. ne t'ois pour toutes, on admit que le >cigncur, dans sa sagesse et sa miséricorde, mit en nous cette graisse pour empêcher nof caractères de grincer. Le plus beau
est que mes lourdauds se laissent tout dire et que la plupart vont, par-dessus le marché, jusqu'à prendre un petit
air guilleret.
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Là- dessus, j'ai une petite chose à dire, c'est qu'on aurait bénéfice à choisir les politiciens parmi les gens gras : ce serait le plus sûr moyen de ne point avoir à les engraisser.
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Blaise partait. Il courait le long des boutiques, ses petits poings enfoncés dans les poches de sa culotte. À côté de lui, son image bondissait en ombre rapide dans les carreaux plombés des devantures ; et quand il sautait les flaques de la rue, l’enfant riait de se voir traversant, la tête en bas, ce ciel de nacre et de fumée qui est le ciel de Lyon.
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Où qu'on aille et quoi qu'il arrive, il y a toujours un copain renseigné. Le nôtre est un truand nasillard et barbu, la gueule en coup de pelle, l’œil farce, un étonnant sosie de Michel Simon. Comme on franchit le porche, il se penche vers moi, pour me dire :
- C'est là qu'ils interrogent à la châtaigne...
- Non ?
- Si. Et tous les jours, mon vieux. Une corrida formidable !
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Cette bière est excellente. À votre santé…

Oui, monsieur, j’ai toujours été gros, toujours… Voici une photographie, regardez-la. C’est moi-même, tout nu, âgé de cinq mois, assis sur un coussin de velours, et suçant mon pouce. Dites-moi si, dans le genre, vous avez jamais vu mieux ? On me pesait chaque semaine, sur les balances du boulanger, et il paraît que toutes les commères du quartier venaient voir ça. Ma sainte mère en tirait un grand orgueil.

Combien de fois m’a-t-on répété les paroles de l’accoucheuse qui m’attendait au seuil de la vie : « Madame ! s’était-elle écriée, madame, c’est un garçon : il est rond comme une quenouille ! »

Rond, vous entendez, j’étais rond en voyant le jour, et, depuis lors, on n’a cessé de me comparer à des objets renflés, à un pot-à-tabac, à un traversin, à Balzac. Et toujours aux mêmes, depuis trente-sept ans ! Il faut peser cent kilos, monsieur, pour savoir à quel point les hommes sont à court de comparaisons. Ah ! si les gens savaient ! À quoi bon toujours répéter une vérité désagréable ? Je suis gros, c’est entendu, c’est un fait, vous me l’avez tout assez dit. D’ailleurs je ne m’en cache pas.
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A Lyon, rien de pareil. Le recrutement des peintres est purement local. Ce sont, en général, des artisans, dessinateurs de broderies et de soieries, décorateurs, lithographes qui ont abandonné leur état pour se livrer à la peinture.
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Le grand reportage est peut-être de tous les métiers, l’un des moins accessibles. Dans l’armée de la presse où les vieux sergents pullulent, le grand reportage était alors un bâton de maréchal. On ne le donnait qu’au choix, jamais à l’ancienneté. Et quelle école !

Faire du reportage, cela signifiait : regardez l’envers de la société, mêlez-vous aux hommes, percez les mobiles des grands, touchez les plaies des humbles ; observez de la coulisse les tragédies du monde et ses comédies, errez dans les villes de cristal où l’on voit les négociants dans leurs bureaux, les ouvriers dans leurs faubourgs, les prêtres dans leurs presbytères, les politiciens dans leurs couloirs, les assassins devant la guillotine, les diplomates en proie au vertige du néant et les grands hommes dans la misère de leur gloire.

Les « envoyés spéciaux », de qui pouvaient dépendre, en certains cas, de véritables coups de théâtre internationaux, formaient, en ce temps-là, une élite où, pour ces raisons, on n’engageait que des hommes d’une sourcilleuse probité. Le talent nécessaire ne venait qu’ensuite. On choisissait avec soin, mais le choix fait, l’homme était libre de ses mouvements.
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Ils se gâtaient. Hitler agissait point par point comme je l’avais tant de fois annoncé : après le réarmement du Reich, l’occupation de la rive gauche du Rhin, puis l’annexion de l’Autriche et enfin celle des Sudètes. On se décida à bouger. Trop tard ou trop tôt. Ce fut Munich. Gringoire adopta une double attitude. André Tardieu se déclarait adversaire du pacte. Je l’approuvais sans réserve. C’est qu’entre l’homme d’État et le reporter il y avait toute la distance de la doctrine à l’information.

Ce que je venais d’observer par toute l’Europe me criait le danger que faisait courir à notre pays son isolement et son impréparation. Je parlais en voyageur qui, voyant les choses de loin, les peut mesurer dans leur ensemble ; en soldat qui sait le prix d’un combat engagé sans armes suffisantes, en paysan qui pense d’abord à la terre, en Français qui, bien loin de mésestimer sa patrie, la voulait assez forte pour vaincre et demeurer digne de trois siècles de gloire militaire.

Gagner du temps ! A tout prix ! Article après article je luttai. Mais qu’est la voix d’un homme en présence d’une multitude folle et sourde ? Le monde acceptait la guerre : la guerre vint.

Ai-je besoin de dire que mon choix fut aussitôt fait. J’écrivis en citoyen du pays au combat. Il suffira de feuilleter la collection de Gringoire pour juger la façon dont j’ai traité l’envahisseur. Ces écrits, par leur violence même, étaient dans le droit fil de mes sentiments antigermaniques. Quelque éditeur se trouvera bien pour les réunir un jour. Les Allemands, eux, les ont lus et bien lus. Ce fut le prétexte initial du pillage de mes biens.
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Les auteurs que notre propagande offrait à l’admiration étrangère étaient, pour la plupart, des auteurs ennuyeux. Il en faut. Or, il se trouvait qu’en ce temps-là les gens du bel air n’aimaient rien tant que de lire en bâillant, si ce n’est de s’endormir en lisant. C’est une forme d’admiration très ombrageuse.

Nos beaux esprits, donc, nos précieux et nos snobs crièrent au sacrilège. Ils feignirent de croire qu’en demandant des comptes à quelques fonctionnaires je cachais mon dessein, lequel était de dénigrer leurs auteurs préférés. Cela ne me fit ni chaud ni froid, car je n’en savais rien, attendu qu’ils exhalaient leur courroux en des lieux où je ne mets jamais les pieds.
[...]
Gide ? Que venait faire ici l’auteur de Corydon ? Que me voulait ce calviniste égrillard, à la poursuite d’une liberté morale qu’il confondait volontiers avec le pervertissement. Qu’avais-je à fiche du fameux « acte gratuit » manifestation d’impuissance, inévitable résultat de ses masturbations de toutes sortes ? Et quelle sorte de rapports pouvait-il exister entre un authentique fils des champs et cette fleur vénéneuse ?

Je n’avais nul souci de sa gloire, et les méditations qu’il proposait à l’élite sur son expérience de l’onanisme seul et à deux ne me convertissaient pas plus à ses doctrines qu’elles ne me guérissaient d’aimer les femmes. Franchement, ces confessions me donnaient plutôt envie de vomir.

Que cette vieille poule penseuse, entourée de ses poussins, fît l’admiration des volières les plus distinguées, je n’y voyais, quant à moi, aucun inconvénient. Mais j’eus la faiblesse de répondre à leurs piailleries. Et alors ce ne fut (paroles et musique) plus tout à fait la même chanson.
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J'avais déniché l'emploi de tout repos : secrétaire de la rédaction d'un quotidien incolore, baptisé La Dépêche, et qui changea deux ou trois fois de nom avant de s'appeler Le Rhône, afin de se noyer dans son propre titre. J'étais, dis-je, secrétaire de la rédaction. Chez nous, cela consiste à ponctuer au crayon -encre les serpentins encore humides du fil spécial. Le sommet de l'art était de donner à ces dernières nouvelles des titres ronflants. Oserai-je dire que j'en fis de mémorables ? Celui-ci par exemple : " Tolstoï n'est pas mort, mais il n'en vaut guère mieux" , ou cet autre : " Les marronniers de la place Bellecour réclament à grands cris un peu d'eau sur leurs pieds pour étancher leur soif". Mais ce fut à l'occasion de Mr Henry Bordeaux que j'atteignis au pinacle. L'auteur des Roquevillard avait fait une conférence à Bordeaux.
Honnêtement, je présentai la nouvelle sous le titre : "Mr Henry Bordeaux chez les Bordelais."
- Trop long, ça n'entre pas, objecta le metteur en page.
-Bon, mettez : " Mr Henri Bordeaux dans la Gironde. "
-Pas clair, bougonna un correcteur.
Ah ! c'est comme ça ? Eh bien ! mettez : "Mr Henri Bordeaux chez lui ".
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