Citations de Henri Bergson (415)
Quand nous éprouvons de l'amour ou de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience avec les mille nuances fugitives et les mille résonances profondes qui en font quelque chose d'absolument nôtre ?
NDL : je trouve cette troisième partie beaucoup plus intéressante, pas construite sous forme de cours magistral comme les 2 premières parties, mais on perçoit les futures recherches du philosophe sur la conscience.
Il faut agir en homme de pensée et penser en homme d’action.
Ecrits et paroles,
La conscience, chez l'homme, est surtout intelligence. Elle aurait pu, elle aurait dû, être aussi intuition.
[L]e rire ne peut pas être absolument juste. Répétons qu’il ne doit pas non plus être bon. Il a pour fonction d’intimider en humiliant. Il n’y réussirait pas si la nature n’avait laissé à cet effet, dans les meilleurs d’entre les hommes, un petit fonds de méchanceté, ou tout au moins de malice.
Il y a des choses que l'intelligence seule est capable de chercher, mais que par elle-même elle ne trouvera jamais. Ces choses, l'instinct seul les trouverait ; mais il ne les cherchera jamais.
Une fois écartées ces infériorités qui intéressent le sérieux de l’existence (et elles tendent à s’éliminer elles-mêmes dans ce qu’on a appelé la lutte pour la vie), la personne peut vivre, et vivre en commun avec d’autres personnes. Mais la société demande autre chose encore. Il ne lui suffit pas de vivre ; elle tient à vivre bien. Ce qu’elle a maintenant à redouter, c’est que chacun de nous, satisfait de donner son attention à ce qui concerne l’essentiel de la vie, se laisse aller pour tout le reste à l’automatisme facile des habitudes contractées. Ce qu’elle doit craindre aussi, c’est que les membres dont elle se compose, au lieu de viser à un équilibre de plus en plus délicat de volontés qui s’inséreront de plus en plus exactement les unes dans les autres, se contentent de respecter les conditions fondamentales de cet équilibre : un accord tout fait entre les personnes ne lui suffit pas, elle voudrait un effort constant d’adaptation réciproque. Toute raideur du caractère, de l’esprit et même du corps, sera donc suspecte à la société, parce qu’elle est le signe possible d’une activité qui s’endort et aussi d’une activité qui s’isole, qui tend à s’écarter du centre commun autour duquel la société gravite, d’une excentricité enfin. Et pourtant la société ne peut intervenir ici par une répression matérielle, puisqu’elle n’est pas atteinte matériellement. Elle est en présence de quelque chose qui l’inquiète, mais à titre de symptôme seulement, — à peine une menace, tout au plus un geste. C’est donc par un simple geste qu’elle y répondra. Le rire doit être quelque chose de ce genre, une espèce de geste social. Par la crainte qu’il inspire, il réprime les excentricités, tient constamment en éveil et en contact réciproque certaines activités.
Sans doute il y a des vices où l'âme s'installe profondément avec tout ce qu'elle porte en elle de puissance fécondante, et qu'elle entraîne, vivifiés, dans un cercle mouvant de transfigurations. Ceux-là sont des vices tragiques.
L'homme est le seul animal dont l'action soit mal assurée, qui hésite et tâtonne, qui forme des projets avec l'espoir de réussir et la crainte d'échouer.
L’homme devrait mettrait autant d’ardeur à simplifier sa vie qu’il en met à la compliquer.
Un personnage de tragédie ne changera rien à sa conduite parce qu'il saura comment nous la jugeons ; il pourra persévérer, même avec la pleine conscience de ce qu'il est, même avec le sentiment très net de l'horreur qu'il nous inspire.
[ Pour le personnage de comédie ] qui a un défaut ridicule, dès qu'il se sent ridicule, il cherche à se modifier, au moins extérieurement.
NDL : Dans le premier cas, "quand on est con, on est con !" ( Brassens ).
Il n’était pas souhaitable que l’on commence par la science de l’esprit : elle ne fût pas arrivée par elle-même à la précision, à la rigueur, au souci de la preuve qui se sont propagés de la géométrie à la physique, de la chimie à la biologie, en attendant de rebondir sur elle.
Si l’on trace un cercle autour des actions et dispositions qui compromettent la vie individuelle ou sociale et qui se châtient elles-mêmes par leurs conséquences naturelles, il reste en dehors de ce terrain d’émotion et de lutte, dans une zone neutre où l’homme se donne simplement en spectacle à l’homme, une certaine raideur du corps, de l’esprit et du caractère, que la société voudrait encore éliminer pour obtenir de ses membres la plus grande élasticité et la plus haute sociabilité possibles. Cette raideur est le comique, et le rire en est le châtiment.
Le rire est incompatible avec l'émotion.
L'esprit emprunte à la matière les perceptions d'où il tire sa nourriture, et les lui rend sous forme de mouvement, où il a imprimé sa liberté.
On analyse une chose, mais non pas un progrès ; on décompose de l’étendue, mais non pas de la durée. Ou bien, si l’on s’obstine à analyser quand même, on transforme inconsciemment le progrès en chose, et la durée en étendue. Par cela seul qu’on prétend décomposer le temps concret, on en déroule les moments dans l’espace homogène ; à la place du fait s’accomplissant on met le fait accompli, et comme on a commencé par figer en quelque sorte l’activité du moi, on voit la spontanéité en inertie et la liberté en nécessité.
Chapitre III : de l’organisation des états de conscience : la liberté
Fascinés par l’action, attirés par elle, pour notre plus grand bien, sur le terrain qu’elle s’est choisi, nous vivons dans une zone mitoyenne entre les choses et nous, extérieurement aux choses, extérieurement aussi à nous même. Mais de loin en loin, par distraction, la nature suscite des âmes plus détachées de la vie. Je ne parle pas de ce détachement voulu, raisonné, systématique, qui est œuvre de réflexion et de philosophie. Je parle d’un détachement naturel, inné à la structure du sens ou de la conscience, et qui se manifeste tout de suite par une manière virginale, en quelque sorte, de voir, d’entendre ou de penser.
On comprend que des concepts fixes puissent être extraits par notre pensée de la réalité mobile ; mais il n'y a aucun moyen de reconstituer, avec la fixité des concepts, la mobilité du réel.
« Désordre » et « néant » désignent donc réellement une présence – la présence d'une chose ou d'un ordre qui ne nous intéresse pas, qui désappointe notre effort ou notre attention ; c'est notre déception qui s'exprime quand nous appelons absence cette présence.
Aucun [des philosophes] n'a cherché au temps des attributs positifs. Ils traitent la succession comme une coexistence manquée, et la durée comme une privation d'éternité.
Si donc on voulait définir ici le comique en le rapprochant de son contraire, il faudrait l'opposer à la grâce plus encore qu'à la beauté. Il est plutôt raideur que laideur.