Citations de Henri Bergson (416)
L'idée est chose qui grandit, bourgeonne, fleurit, mûrit, du commencement à la fin du discours. Jamais elle ne s'arrête, jamais elle ne se répète. Il faut qu'elle change à chaque instant, car cesser de changer serait cesser de vivre. Que le geste s'anime donc comme elle! Qu'il accepte la loi fondamentale de la vie, qui est de ne se répéter jamais!
Il faut agir en homme de pensée et penser en homme d'action.
Tout philosophe a deux philosophies : la sienne et celle de Spinoza.
Ainsi chacun de nous a sa manière d'aimer et de haïr, et cet amour, cette haine, reflètent sa personnalité tout entière. Cependant le langage désigne ces états par les mêmes mots chez tous les hommes ; aussi n'a-t-il pu fixer que l'aspect objectif et impersonnel de l'amour, de la haine, et des mille sentiments qui agitent l'âme. Nous jugeons du talent d'un romancier à la puissance avec laquelle il tire du domaine public, où le langage les avait ainsi fait descendre, des sentiments et des idées auxquels il essaie de rendre, par une multiplicité de détails qui se juxtaposent, leur primitive et vivante individualité. Mais de même qu'on pourra intercaler indéfiniment des points entre deux positions d'un mobile sans jamais combler l'espace parcouru, ainsi, par cela seul que nous parlons, par cela seul que nous associons des idées les unes aux autres et que ces idées se juxtaposent au lieu de se pénétrer, nous échouons à traduire entièrement ce que notre âme ressent : la pensée demeure incommensurable avec le langage. C'est donc une psychologie grossière, dupe du langage, que celle qui nous montre l'âme déterminée par une sympathie, une aversion ou une haine, comme par autant de forces qui pèsent sur elle.
Vous entendrez dire que ces hommes travaillent pour la gloire et qu'ils tirent leurs joies les plus vives de l'admiration qu'ils inspirent. Erreur profonde ! On tient à l'éloge et aux honneurs dans l'exact mesure où l'on n'est pas sûr d'avoir réussi.
Agir en homme de pensée, penser en homme d’action.
Cité in 101 repères pour innover de Véronique Hillen, p. 16
Tout se passe comme si un large courant de conscience avait pénétré dans la matière, chargé, comme toute conscience, d’une multiplicité énorme de virtualités qui s’entrepénétraient. Il a entraîné la matière à l’organisation, mais son mouvement en a été à la fois infiniment ralenti et infiniment divisé. D’une part, en effet, la conscience a dû s’assoupir, comme la chrysalide dans l’enveloppe où elle se prépare des ailes, et d’autre part les tendances multiples qu’elle renfermait se sont réparties entre des séries divergentes d’organismes, qui d’ailleurs extériorisaient ces tendances en mouvements plutôt qu’ils ne les intériorisaient en représentations.
(…) La vie, c’est-à-dire la conscience lancée à travers la matière, fixait son attention ou sur son propre mouvement, ou sur la matière qu’elle traversait. Elle s’orientait ainsi soit dans le sens de l’intuition, soit dans celui de l’intelligence.
(…) non seulement la conscience apparaît comme le principe moteur de l’évolution, mais encore, parmi les êtres conscients eux-mêmes, l’homme vient occuper une place privilégiée.
(Chapitre II – Les directions divergentes de l’évolution de la vie – torpeur, intelligence, instinct)
Les difficultés et contradictions de tout genre auxquelles ont abouti les théories de la personnalité viennent de ce qu'on s'est représenté, d'une part, une série d'états psychologiques distincts, chacun invariable, qui produiraient les variations du moi par leur succession même, et d'autre part un moi, non moins invariable, qui leur servirait de support. Comment cette unité et cette multiplicité pourraient-elles se rejoindre ? comment, ne durant ni l'une ni l'autre – la première parce que le changement est quelque chose qui s'y surajoute, la seconde parce qui elle est faite d'éléments qui ne changent pas – pourraient-elles constituer un moi qui dure ? Mais la vérité est qu'il n'y a ni un substratum rigide immuable ni des états distincts qui y passent comme des acteurs sur une scène. Il y a simplement la mélodie continue de notre vie intérieure, – mélodie qui se poursuit et se poursuivra, indivisible, du commencement à la fin de notre existence consciente. Notre personnalité est cela même.
Concentrée sur ce qui se répète, uniquement préoccupée de souder le même au même, l’intelligence se détourne de la vision du temps. Elle répugne au fluent et solidifie tout ce qu’elle touche. Nous ne pensons pas le temps réel. Mais nous le vivons, parce que la vie déborde l’intelligence. Le sentiment que nous avons de notre évolution et de l’évolution de toutes choses dans la pure durée est là, dessinant autour de la représentation intellectuelle proprement dite une frange indécise qui va se perdre dans la nuit. Mécanisme et finalisme s’accordent à ne tenir compte que du noyau lumineux qui brille au centre. Ils oublient que ce noyau s’est formé aux dépens du reste par voie de condensation, et qu’il faudrait se servir de tout, du fluide autant et plus que du condensé, pour ressaisir le mouvement intérieur de la vie.
(Chapitre 1 - De l'évolution de la vie - Mécanisme et finalité)
Homo faber, Homo sapiens, devant l'un et l'autre, qui tendent d'ailleurs à se confondre ensemble, nous nous inclinons. Le seul qui nous soit antipathique est l’Homo loquax, dont la pensée, quand il pense, n'est qu'une réflexion sur sa parole.
Le comique n'atteindrait pas son but s'il portait la marque de la sympathie et de la bonté
Voici le premier point sur lequel nous appellerons l’attention. Il n’y a pas de comique en dehors de ce qui est proprement humain. Un paysage pourra être beau, gracieux, sublime, insignifiant ou laid ; il ne sera jamais risible. On rira d’un animal, mais parce qu’on aura surpris chez lui une attitude d’homme ou une expression humaine. On rira d’un chapeau ; mais ce qu’on raille alors, ce n’est pas le morceau de feutre ou de paille, c’est la forme que des hommes lui ont donnée, c’est le caprice humain dont il a pris le moule. Comment un fait aussi important, dans sa simplicité, n’a-t-il pas fixé davantage l’attention des philosophes ? Plusieurs ont défini l’homme « un animal qui sait rire ». Ils auraient aussi bien pu le définir un animal qui fait rire, car si quelque autre animal y parvient, ou quelque objet inanimé, c’est par une ressemblance avec l’homme, par la marque que l’homme y imprime ou par l’usage que l’homme en fait.
Ce que nous avons senti, pensé, voulu depuis notre première enfance, est là, penché sur le présent.
Chaque homme a des devoirs envers l'homme en tant qu'homme.
Au fur et à mesure qu'ils nous parlent, des nuances d'émotion et de pensée nous apparaissent qui pouvaient être représentées en nous depuis longtemps, mais qui demeuraient invisibles : telle, l'image photographique qui n'a pas encore été plongée dans le bain où elle se révélera.
Tout le sérieux de la vie lui vient de notre liberté. (...)
Que faudrait-il pour transformer tout cela en comédie ?
Il faudrait se figurer que la liberté apparente recouvre un jeu de ficelles, et que nous sommes ici-bas, comme dit le poète,
"... d'humbles marionnettes
Dont le fil est aux mains de la Nécessité"
Notre vie se passe ainsi à combler des vides, que notre intelligence conçoit sous l’influence extra-intellectuelle du désir et du regret, sous la pression des nécessités vitales.
Il suit de là qu'un absolu ne saurait être donné que dans une intuition, tandis que tout le reste relève de l'analyse. Nous appelons ici intuition la sympathie par laquelle on se transporte à l'intérieur d'un objet pour coïncider avec ce qu'il a d'unique et par conséquent d'inexprimable. Au contraire, l'analyse est l'opération qui ramène l'objet à des éléments déjà connus, c'est-à- dire communs à cet objet et à d'autres. Analyser consiste donc à exprimer une chose en fonction de ce qui n'est pas elle.
Il n'y aura de nouveauté dans nos actes que grâce à ce que nous aurons trouvé de répétition dans les choses.
Notre personne nous apparaît telle qu'elle est « en soi », dès que nous nous dégageons d'habitudes contractées pour notre plus grande commodité. Mais n'en serait-il pas ainsi pour d'autres réalités, peut-être même pour toutes ?