Citations de Irina Teodorescu (61)
Un algorithme est une idée fixe, avait-il complété, comme le refrain d’une chanson, comme parfois un vers dans un poème ; si vous comprenez le sens des mots inventés et si vous êtes quelqu’un, si vous êtes une personne vivante, si la perfection est proche, vous allez ressentir comme vous traversant, par exemple, une poussière dans les idées. Ou une mollesse dans le ventre. Ou plus fortement, une épine dans les veines. Ce sera la circulation d’une onde selon un algorithme.
Un algorithme est une obsession. C’est une suite dans une langue qui permet l’invention de mots. Vous inventez votre vocabulaire à chaque phrase, vous déroulez et vous déroulez, vous cherchez la perfection. Il avait ajouté cette langue aux nouveaux mots, je l’ai aimée, vraiment, et l’ordure d’homme avait relevé vous l’avez aimée ? Vous ne l’aimez plus ?
Elle s’était rendu compte qu’il ne lisait rien, qu’elle ne l’avait jamais vu lire ne serait-ce qu’un magazine, qu’il n’avait pas un seul livre chez lui, mais il avait répondu d’un ton évasif, comme s’il était redevenu tout à coup un petit garçon coupable d’une bêtise : je lis parfois de la poésie. Le trait noir et droit qu’était Irenn s’était allongé un peu et Bo s’était assis devant elle, à ses pieds, et à eux deux, pour un instant, ils avaient formé un point d’exclamation.
...avec les mêmes mots on peut écrire un poème ou déclarer une guerre, on peut dire que c’est merveilleux ou que ça fait mal !
Tu vois, l’espace-temps, ça a une forme, une courbure, comme une mélodie, et c’est le cadre de tous les phénomènes, les mots, les ondes, les chiffres, nous, tout ! On évolue là-dedans.
Elle s’enferme dans sa chambre, s’assied devant sa coiffeuse et reprend vie. Elle se démaquille, se remaquille, nettoie ses ongles, les recouvre de rouge, se pince les joues, se parfume, se coiffe, écoute la radio, la guerre est finie, quelque part des hommes signent des traités de paix, ils signent pour son avenir et pour l’avenir de Pol et pour celui de Bo, ils signent et commencent à construire la Nouvelle Société et Ala approche sa tête du miroir, fixe son regard sur ses propres yeux, tu vas t’en sortir, ma belle, tu vas t’en sortir.
Lorsqu’elle allait pieds nus à l’école ou aux champs ou lorsqu’elle attachait des écorces d’arbre à ses talons pour ne pas se faire trop mal et que les ongles de ses orteils étaient noirs dessous et dessus, elle se promettait chaque jour de s’en aller, de partir loin de cette campagne maudite où sa mère avait à peine de quoi la nourrir, d’aller à la ville et de chanter, de devenir célèbre, d’avoir toujours de belles mains et des pieds soignés et des chaussures élégantes, et maintenant, pour un accouchement et une guerre sans importance, voilà que son vernis est tout écaillé.
L’odeur de sa femme lui emplit les narines, l’humidité de la culotte transperce sa chemise et s’étale sur sa poitrine, cette odeur le rassure, l’odeur de sa femme et de son bébé, il ose même imaginer que tout va bien se passer, peut-être que finalement oui ! et il est comme ivre, tellement ivre qu’il confond les sirènes de la ville et les gémissements de sa femme, quelle voix, quelle puissance ! peut-être que finalement tout se passera comme prévu.
-Tu ne lis pas de livre ? lui avait demandé Irenn au début de leur aventure, car elle avait décidé de toujours parler d’une aventure, pas de relation, les relations nous enferment, avait-elle déclaré et Bo s’en foutait, il avait pensé c’est juste un mot comme un autre, les mots, je m’en tape.
Et une fois le coït consommé, bien-sûr, "Très chère, voulez-vous m'épouser ?"
Elle aussi elle va se promener,bien entendu,avec moi,puisque nous sommes liées.Je suis à Paris,nous sommes à Paris,ou à Bucarest,nous sommes à Bucarest aussi,nous sommes à plusieurs endroits toujours ensemble.
[...] car ainsi se moque le sort de ceux qui échouent, en leur offrant de longues vies sans éclats.
Ses géniteurs sont des porcs, mais elle, elle est une vipère. (p.107)
Elle, plus en retrait, essayait de garder son calme car malgré elle, elle avait observé les taches qui apparaissaient ici et là sur la nappe blanche, les taches de vin rouge, et elle n'avait pu s'empêcher de songer à son sang qui coulerait sur le drap de son lit matrimonial cette nuit même. (p.98)
C’est vrai qu’ils sont étranges dans cette famille, il y a les très méchants, mais alors quand ils sont bons, ils sont comme du miel…Puis il y a les fous aussi, il n’y a qu’à passer dans le village voir monsieur Guigui assis sur son banc depuis une éternité, et j’ai entendu que l’autre, la Gina, elle est toquée aussi, c’est pas pour rien qu’elle est allée se cacher à la ville.
Poupée, tu es mon orchidée, tu es ma fleur sans racines, oublie la terre et aime les étoiles, les étoiles sont partout les mêmes.
Quand j'étais enfant, il y a eu, dans mon autre pays, une révolution. Un moment de grâce, j'ai cru que le temps des dictateurs était terminé et que commençait le règne des poètes.
Plus tard_ mais quand ?_ je me suis rendu compte que je m'étais trompée. C'est cela la définition d'un éblouissement : l'altération du jugement par un éclat, une luminosité insupportable.
Les images vraies, et non pas télévisées, que je garde de la révolution sont très peu nombreuses : seulement deux.
La première est celle de mon père qui agite au milieu du salon un petit drapeau_format A4_ aux couleurs roumaines, rouge, jaune, bleu en papier, avec un trou au milieu du jaune, un trou parfaitement rond...
La deuxième image est celle du ciel que je voyais depuis la chambre de mes parents (...) j'observai pendant plusieurs heures, car c'était beau, la pluie d'étoiles filantes_ les balles traçantes rouges et bleues qui dessinaient des arcs lumineux sur toute la largeur de la fenêtre.
“ Un algorithme est une idée fixe, avait-il complété, comme le refrain d’une chanson, comme parfois un vers dans un poème ; si vous comprenez le sens des mots inventés et si vous êtes quelqu’un, si vous êtes une personne vivante, si la perfection est proche, vous allez ressentir comme vous traversant, par exemple, une poussière dans les idées. Ou une mollesse dans le ventre. Ou plus fortement, une épine dans les veines. Ce sera la circulation d’une onde selon un algorithme.
Lorsque tu as un nuage en toi, un vide qui essaie de t’avaler de l’intérieur, tu ne veux pas être enserré. Tu veux partir, tu veux aller à un endroit où tu peux te débattre et te libérer. C’est ce qui m’arrive quand je m’en vais.