Avant toute chose, permettez-moi une petite digression, mais qui me semble importante. Souvent, on présente Bilbo le Hobbit comme un conte pour enfant, ce qu’il est certes partiellement, puisque Tolkien l’a initialement construit, non pour être publié, mais pour divertir ses propres enfants, avec des histoires qui se déroulaient dans le « monde » qu’il élaborait patiemment. En tout cas, c’est presque par hasard que son éditeur en a eu connaissance, et a suggéré d’en faire un livre. Tolkien, pour cela, l’a profondément remanié, avant une première publication, puis, une seconde fois, pour « aligner » certains éléments au moment de lui écrire une suite… Le seigneur des anneaux ! Mais ces deux vagues de modifications ont singulièrement éloigné Bilbo du conte pour enfants, autant dans sa longueur que dans son écriture. D’ailleurs, Tolkien ayant travaillé et publié sur le sujet (il a publié un ouvrage intitulé Du conte de fées), il insiste sur le fait que, de son point de vue la question de savoir si les contes sont « pour les enfants » ou pas n’a pas d’intérêt.
Objectivement, et pour l’avoir vérifié in vivo, il n’est pas évident de lire ce livre à des enfants. L’écriture en est tout de même plutôt travaillée, le vocabulaire assez complexe. Alors, au-delà du sentiment incroyable qu’il y a à partager ses lectures fétiches avec ses enfants, il faut tout de même modérer cette histoire de « conte pour enfants ». S’il faut vous en convaincre, d’ailleurs, regardez aussi du côté du Fermier Gilles de Ham, un livre beaucoup moins connu du même Tolkien. Là aussi, il s’est inspiré des histoires qu’il racontait à ses enfants, mais, en bon universitaire britannique qu’il était, il a agrémenté ce « conte » (dont le format semble pourtant beaucoup plus adapté aux enfants), avant de le publier, de plaisanteries historiques et philologiques qui ne rendent pas sa lecture totalement triviale. Mais, bref, ce n’est pas le sujet.
Bilbo, donc. Vous allez vous en rendre compte, je ne suis pas objectif. Avec Bilbo, j’ai découvert et fait mes premiers pas dans les Terres du Milieu. C’était quelques années avant de pratiquer un jeu de rôle qui se déroule dans ce même univers (enfin, deux pour être précis : JRTM, d’abord, puis Rolemaster). Ce n’est qu’à ce moment, je dois le concéder, que j’ai découvert Le seigneur des anneaux, qui était encore loin de faire le buzz (aujourd’hui, cela doit sembler fou à certains qu’il ait pu exister des années « avant Le seigneur des anneaux« , et pourtant si !).
Si l’érudition de Tolkien transparait moins dans Bilbo que dans Le Seigneur des anneaux, ou que dans Le Silmarillion, on s’attache rapidement à ce petit personnage qui n’a rien d’un héros, mais qui, projeté dans une histoire qui le dépasse, va simplement faire « comme il peut ». On attend de lui qu’il soit un voleur ? Il n’ose pas affirmer haut et fort qu’il n’en est pas un – et s’élever ainsi contre l’autorité, parfois bienveillante, mais dont les motivations sont parfois bien moins claires et pures, de Gandalf -, tout en se croyant incapable d’assurer la mission. Mais, en bon soldat, il va quand même essayer, puis se prendre au jeu, et, finalement, se convaincre lui-même par moment qu’après tout, il est peut-être un voleur de talent. Et même si c’est par hasard qu’il y a parvient finalement, que penser de ce personnage qui se retrouve obligé à « sortir de lui-même », à aller au-delà de ce qu’il croit lui-même possible ?
Qu’est-ce que Bilbo, sinon une quête initiatique ? Certains ont pratiqué l’exercice de faire une lecture psychanalytique de tout ou partie de l’œuvre de Tolkien, au nombre desquels on peut citer Pia Skogemann. Sans aller jusque là, on peut aisément voir en quoi on peut s’identifier à ce héros dont l’horizon, initialement limité à son village, va, sous la contrainte d’événements qu’il ne maîtrise pas, devoir se confronter aux dangers du monde, mais aussi à l’exaltation de l’aventure.
Je recommande naturellement à chacun de lire Bilbo le Hobbit – au moins d’essayer -. Porte d’entrée sur l’univers de Tolkien, il ouvre à ceux qui y adhèrent un passeport pour des heures d’évasion mais aussi, et peut être surtout, un accès ludique à ce qu’est un mythe, c’est à dire à une vision fondamentale du monde…
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