ORPHÉE À la recherche de l'Orphée originel (France Culture, 1998)
Émission "Les Vivants et les Dieux" diffusée 18 juillet 1998 sur France Culture. Invités : Jacqueline Kelen et Jacques Brosse.
Comment l'humain des premiers âges n'aurait-il pas eu une vénération reconnaissante, une admiration profonde pour cet être énorme qui survivait, pas seulement à lui, mais à ses descendants. Car l'arbre vit très vieux, plus vieux qu'aucun autre être. Il existe des essences qui, dépassant le millénaire, semblent, à vue humaine, immortelles. Cet ancêtre, l'ancêtre par excellence, est aussi de tous les vivants le plus grand, le plus majestueux. Aucun animal, jamais, même parmi les géants préhistoriques disparus, n'atteignit pareille taille, pareil poids. Pour le sauvage, qui est au premier sens de ce mot l'homme de la forêt, l'arbre est véritablement la première des créatures terrestres ; pour celui-là, c'est aussi le vivant le plus proche du ciel qu'il unit à la terre, la voie qu'empruntent naturellement les dieux.

Qui n'a rêvé devant un arbre au printemps ? Qui n'a ressenti son calme épanouissement comme une invite ? Même l'homme moderne, qui a perdu la faculté de s'émerveiller, sauf peut-être et pour un temps devant les inventions nées de son cerveau, ne peut y rester insensible. Mais que l'on imagine que l'humain des temps anciens, vivant au sein de la nature, pour qui l'alliance avec elle n'était point soumission, comme on veut nous le faire croire, mais harmonie, ou, mieux encore, que l'on pratique la méditation, alors une telle rêverie retrouve son utilité première, elle redevient ce qu'elle était, authentique, vitale, elle constitue un mode d'être, le plus authentique, le plus clairvoyant qui soit. Ainsi, au pied de l'arbre, rêve le Bouddha, et il s'éveille du trop humain cauchemar. Durant la méditation devant le figuier sacré, surgit du tréfonds de l'être la compréhension intuitive de l'univers dont l'individu cesse d'être séparé, celle de la place qu'il y occupe, du rôle qu'il doit y jouer, compréhension spontanée, nécessaire et suffisante, que possède tout vivant et qui n'est refusée qu'à l'homme, ou plutôt que l'homme seul se refuse.
L'arbre semble le support le plus approprié de toute rêverie cosmique ; il est la voie d'une prise de conscience, celle de la vie qui anime l'univers.
En conclusion, Jacques Brosse accuse le monothéisme "dogmatique, intolérant et manichéen" d'avoir étouffé un langage symbolique ouvert à la diversité et à la complémentarité. Ses derniers mots sont :
"Ainsi, en effet, se trouva rompu un équilibre vital, fondé sur la communion de tous les êtres vivants, de cette rupture, nous subissons aujourd'hui les ultimes conséquences. D'ouverte qu'elle était jadis, l'humanité s'est de plus en plus refermée sur elle même. Cet anthropocentrisme absolu ne peut plus voir, hors de l'homme, que des objets. La nature tout entière s'en trouve dévaluée. Autrefois, en elle tout était signe, elle-même avait une signification que chacun, en son for intérieur, ressentait. Parce qu'il l'a perdue, l'homme aujourd'hui la détruit et par là se condamne."

Dans ma hâte, je n'étais pas à ce que je faisais, ici et maintenant, mais à ce que j'allais faire, comme si je voulais me débarrasser au plus vite du présent pour me projeter dans l'avenir. Cette fébrilité spéculative en fait ne m'était même pas propre, elle provenait de l'époque, du milieu. Comme mes contemporains, je vivais au futur.
Le samu, qui apprend à se mettre tout entier dans la tâche qu'on exécute, fût-elle la plus humble, m'avait fait trouver, en m'obligeant à l'accomplir, l'existence du geste juste, qui est à lui-même sa propre, sa seule récompense.
Il suffisait – c'était d'une indécente banalité – de faire attention à ce que l'on faisait, de prendre « son temps », de ne faire à la fois qu'une seule chose.
Alors m'apparut dans toute sa noblesse le geste quotidien, fût-il le plus trivial, et le réel plaisir dont il vous gratifiait, si on l'exécutait de son mieux. Telle était, en somme, pour moi, la leçon la plus précieuse que je recevais du Zen.
La feuille en elle-même ne compte guère pour l'arbre, elle n'est que la fonction qu'elle remplit : sa mission achevée, elle n'a plus qu'à disparaître. L'arbre s'aperçoit -il de sa chute ? De quel arbre sommes nous les feuilles ?
De dix heures du matin à dix heures du soir, j'ai fait apparemment beaucoup de choses. Une fois couché, une seule me semble utile : en vue des labours, j'ai dépiqué et mis en nourrice les six poireaux survivants du potager
une rencontre avec un oiseau, une fleur, un insecte, ça suffit. Il faut juste prendre son temps et utiliser ses sens pour découvrir son bonheur du jour
La grande joie, la grande lumière qui mettent un rayonnement autour de notre vie, n'est-ce pas précisément de voir au-delà de notre personnalité chétive et étroite ?... On a goûté à autre chose, entrouvert une autre porte... sans doute, c'est encore une nursery, pleine de fables chantantes et d'images enfantines à l'usage des "tout-petits" que nous sommes toujours, mais déjà approchons-nous du seuil au-delà duquel cessent la foi, l'espérance, l'anxiété, le désir... et c'est là, à peu près, toute la sagesse.
Sarlat : S’enfoncer dans les ruelles, le passage Henri de Ségogne, l’impasse des violettes, la rue du Présidial ou celle de la Salamandre, ce n’est pas seulement changer brusquement d’époque, mais retrouver au fond de soi une nostalgie que l’on ignorait peut-être pour la vie lente, discrète de nos ancêtres.