Citations de Jacques Chardonne (430)
C'est une forêt de pins, pleine d'aromes; les branchages un peu convulsés sous une aigrette font une voûte ajourée et l'on voit au travers, dans les beaux jours, les nuages pareils à des amas de neige glisser sur un ciel d'azur frais; il y a des éclats dorés comme des taches de miel dans les sous-bois et ses feuillages légers, acacias, genêts qui recouvrent les dunes durcies sous les aiguilles de pin.
La Sologne, presque inhabitée, est une réserve de silence : terres sablonneuses, taillis ajourés que font les bouleaux et les aulnes ; parfois un groupe sombre et déchiqueté de pins dans les branchages légers ; une nappe d'eau, au ras du sol, concentré de paix, vive clairière de recueillement ; et l'air grave de ces choses presque immatérielles.
Le bon style (un certain accent de la phrase, une vertu intime des mots) s'adresse à une oreille intérieure chez le lecteur, oreille très fine. C'est le lecteur qui doit découvrir le style et son chant.
Il pleut ce matin. Lectures. Pluie, c'est beaucoup dire ; seulement des nuées qui couvrent la montagne ; une brève averse ; la mer un peu troublée, mais pas obscurcie, avec sa frange d'écume, des verts, des bleus plus rares, tout de suite fondus et renaissants, une espèce d'émoi intérieur des eaux, qui ride à peine la surface.
L'air des montagnes est un peu rude pour moi ; je veux aller à Sorrente revoir le calme hôtel Tramontane, face au Vésuve ; son jardin de camélias ; son propriétaire qui habite une cave de l'hôtel vouée au Tasse et pleine de livres précieux ; c'est là qu'il dort sur un lit de camp, tout près du Cupidon de Virgile qu'il vient d'acquérir et qui est couché sur un petit tapis.
Les optimistes sont redoutables ; ils entreprennent des guerres qui ne finissent pas ou s'achèvent par des victoires désastreuses ; ils prônent de gigantesques oeuvres de bienfaisance qui ruinent tout le monde ; ils ont un langage fier. Les pessimistes ne peuvent jamais dire ce qu'ils pensent : ils feraient moins de mal mais ils sont tristes ; c'est leur seul défaut. Je recommande un pessimisme gaillard, plein d'allant. Le principal est de voir au bon moment ce qui est possible et ce qui ne l'est pas.
Pour vivre, une foi est-elle indispensable ? Toutes sont mesquines dans leur expression humaine. Les raisons de vivre sont ténues, indiscernables, incluses dans la vie même. Et pourquoi, des raisons ? Secret de chacun. Un jour encore, dit le vieux malade. Ma mère, très âgée, a goûté le soleil de mai comme jamais dans sa vie. Une certaine fraîcheur des sensations, c'est la grâce que je vous souhaite le plus longtemps possible.
Solitude. Qu'est-ce que la solitude ? Elle est partout. Un grand salon. Ma mère dans un fauteuil près de la lampe, un livre dans les mains, et cet air d'intense rêverie qu'elle avait souvent. Mon père enfoncé dans un fauteuil bas devant la cheminée, silencieux, les joues rouges ; il fume d'un geste nerveux et la petite braise au bout de sa cigarette a l'air de briller au souffle des soupirs. Ils pensaient à quoi, si lointains ? Peut-être à ces meurtrissures que se font l'un à l'autre, avec innocence, ceux qui vivent ensemble. Et puis, la solitude de Barbezieux ; la mort sur tout cela.
Pour moi, la campagne est en Charente, plus précisément sur une butte sablonneuse, près de Cognac. Là-bas, en ce moment, les jours sont dorés comme les feuilles ; à travers les vapeurs matinales, blanches et transparentes, le ton des houx, des pins, des mousses a plus d'accent ; la terre, des senteurs plus fortes ; de secrètes germinations se préparent.
Rien de précieux n'est transmissible. Une vie heureuse est un secret perdu