Hum. Par où commencer…
Un livre épigraphique, composé de lettres dont le destinataire n'a découvert le contenu qu'à sa publication. Une absence totale – voir un désintérêt marqué – pour la moindre ligne narrative
claire. Une collection de petites phrases et d'épigrammes épinglées à première vue sans ordre sur un vague récit de voyage. Et au final quelque chose de brillant et plaisant à lire.
C'est qu'on a affaire à la plume magique de
Jacques Chardonne, qui arrive à faire tenir ensemble à peu près n'importe quoi. Et à son esprit curieux qui, par des détours en apparence sans but, nous mène exactement où il l'avait prévu comme il l'avait prévu.
Et où est-ce ? En altitude. Prendre un peu de hauteur sur le monde. Observer les être qu'on croise, obstinément lancés après quelque objectif. Les doctrines, les lieux où l'on passe, les écrivains, la littérature. Là-dessus, quelques petits jugements froids, comme négligents, mais si précis, si tranchants, si nets… Et généralement si justes. Voila tout l'art de Chardonne. Cela, et l'art des descriptions sans adjectifs.
L'esprit ironique relèvera que, dans ce livre écrit dans les années cinquante, se mêlent quelques allusions à l'engagement dans la collaboration qui faillit lui coûter la vie. Tentative de justification ? Peut-être. Mais du reste, qu'a bien pu aller faire un esprit aussi lucide et indépendant au côté des Darland et des Déat ? Si l'on en croit ce livre, deux éléments clés semblent avoir joué : sa sympathie pour Jaurès, et son admiration pour
Goethe. Ou l'inverse.