Citations de Jacques Chardonne (429)
Une grande déception dans la vie, c'est de vouloir rendre un être heureux sans y parvenir ; et c'est l'autre qui vous ne le pardonne pas.
Pour vivre, il faut admettre autour de soi une zone de tranquillité artificielle, où tous les évènements sont considérés comme inoffensif ou favorables. Celui qui ne respecte pas ces bornes est un anxieux, un malade.
La littérature ne dure pas.
C'est triste à dire quand on est écrivain.
Un stock de cognac est plus sûr.
Je sais aujourd'hui que le génie des hommes ne m'apportera rien, si je ne trouve d'abord mon contentement dans ma vie intime et spirituelle, dans mes sentiments, mes gouts vrais, mes amours.
C'est l'argent qui vous oblige à vivre comme tout le monde, qui vous pousse sur les chemins battus, dans les endroits courus, parmi les mêmes gens qu'on n'a pas choisis. J'aime les sentiers que j'invente, les relations inutiles, les choses sans renommée, et tout ce qui ne vaut que pour moi.
Trois de mes amis se sont tués, ces dernières années : Robert Massicot en 1940, Stefan Zweig en 1942, Drieu La Rochelle en 1944. Ils ont cru que le monde qu'ils voyaient poindre ne serait pas supportable. A mon tour, j'ai balancé, puis j'ai opté pour une voie souterraine.
Un instant, je voudrais retrouver la joie de la vie. Je ne veux pas mourir de mauvaise humeur...
C'est la mode chez les écrivains de maudire les bourgeois.
Je ne sais de qui ils parlent ; eux non plus bien sûr ...
On vit avec une imagination et une femme. Ce n'est pas toujours facile de les faire coexister, même si l'on est pourri de bon sens comme vous et moi. Ajoutez l'honneur (qui est une forme particulière de l'imagination, douloureuse en tout cas quand on ressent fortement l'humiliation) et tout se complique encore.
Dès le premier repas, je comprend la félicité de mon existence ; je n'ai jamais reçu que des amis de mon choix, ou bien je mange seul et vite. C'est là mon luxe. J'ai oublié qu'il existe des gens ennuyeux avec qui j'ai peu de patience.
Le poète, c'est l'homme attentif à des riens.
Il faut du temps et des retouches continuelles pour faire un jardin. Chaque année, à la floraison, on découvre des fautes. On est obsédé par le futur. Plus tard, les couleurs du tableau seront mieux distribuées ; plus tard, on connaîtra l'effet d'un repentir.
Dans la crèche pleine de foin il y avait un mort, boutonné dans sa capote bleue, son képi sur la tête. Personne n'y prenait garde. Il est venu là, pensait Jean, se tenant le ventre ou le côté, comme tant d'autres qui, une fois touchés, se lèvent du sillon et s'en vont debout dans la fusillade, indifférents à tout nouveau danger. Il s'est couché dans cette crèche qui ressemblait à un lit. A-t-il pensé aux siens, à un pardon, à une affaire mal arrangée qui, au dernier moment, l'a turlupiné, ou s'est-il revu bambin dans les foins? On donne sa vie, quand on est vivant, mais on garde sa mort pour soi. Dans cette ultime pensée du soldat blessé qui, plus que le malade, se voit mourir, que trouverait-on? Sans doute des figures douces, plus de femmes que d'hommes, et plus de vieilles que de jeunes; ou bien seulement un "enfin" qui n'a pas besoin d'être dit.
Ce sont des gens très simples, pleins de sagesse et d'innocence, pacifiés à l'extrême, heureux de vivre, de vivre seulement, sans rien ajouter d 'excitant ou de pathétique à ce sentiment étale de l'existence, qui se suffit à lui-même.
C'est une forêt de pins, pleine d'aromes; les branchages un peu convulsés sous une aigrette font une voûte ajourée et l'on voit au travers, dans les beaux jours, les nuages pareils à des amas de neige glisser sur un ciel d'azur frais; il y a des éclats dorés comme des taches de miel dans les sous-bois et ses feuillages légers, acacias, genêts qui recouvrent les dunes durcies sous les aiguilles de pin.
On dirait que l'homme est avide surtout de belles défaites.
Élémir Bourges nous rejoignait, décharné par la lecture, enveloppé dans un manteau noir à col d'astrakan poussiéreux d'où émergeait une longue figure jaune, bizarrement découpée par un lorgnon et une moustache rase, comme postiche, autour de sa large bouche. Il méprisait les hommes et la vie, "cette farce"; mais il croyait à la justice littéraire et à la gloire future.
Ce sont mes amis qui m'ont fait aimer la vie. Ils me rendent meilleur à mesure que je les trouve meilleurs eux-mêmes.
Je n'aurais jamais été un musicien. Aujourd'hui encore, je n'aime guère la musique. Elle vous oblige à rester assis, il faut l'écouter en silence, et je n'ai jamais pu faire le silence en moi-même.
A voir quels écrivains prônent les "créateurs" quand ils se mêlent de jugements littéraires, on a de l'indulgence pour les critiques professionnels. Un bon critique aussi c'est l'épouse ; elle vous fait sentir le peu que vous êtes. C'est indispensable pour la bonne tenue.