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Citations de Jacques Réda (161)


L'un des buts de cet ouvrage
Fut de rendre plus prudents,
Sans qu'ils en prennent ombrage,
Tous ceux que des accidents -
Nommément ceux de toilette
(Car le sort est sibyllin
Comme un sphinx et plus malin
Et plus vif qu'une belette) -
Risquent de frapper un jour
Dans leur chair ou dans leur âme :
Un lacet qui traîne (on court)
Pourrait provoquer un drame ;
Une fermeture éclair
Bâille ou tout à coup se bloque,
Et vite on vous trouve l'air
D'un personnage équivoque.

Mais mon thème englobe aussi,
Plus largement il me semble,
Tout ce qui maintient ensemble,
Pour le dire en raccourci,
L'Univers - qui multiplie
Les accrocs dans son trajet
Vers un terme qu'il oublie,

Comme si l'anomalie
Elle-même avantageait
Son majestueux projet.
Tout, ainsi, grave ou fantasque -
L'oeil au coeur de la bourrasque,
La Vérité sous son masque
La lune dans le ciel bleu -
Autour du même moyeu
Tourne en rond comme le jeu
De roulette monégasque.
Le hasard sait ce qu'il veut.

Si le sort nous abandonne,
C'est en somme une leçon
De constance que je donne
Sous couleur d'une chanson.
Si fort qu'on soit à la course,
Au saut, au poids, au lancer,
Il faut, comme la Grande Ourse
Qui semble se prélasser,
Apprendre encore à danser.
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CHARENTE

Arrondie et pointue alternativement la barque
De soleil glissant vers la mer replonge et disparaît
dans le ciel nuageux de Saintonge aux replis massés
Contre des volets bleus, entre les toits de tuiles rondes.
Un désordre léger d'oiseaux aligné sur l'étendue
Exacte de labours, de près, d'arbres qui s'accomplissent
Dans la source épaisseur du gris où le temps submergé
N'avance plus parmi les eaux, les herbes devetues.
A l'horizon très bas la carrière de bleu s'effondre
Avec le sable du rivage ou se trouve soudain,
Et le jour se déploie au-dessus des premiers villages
D'Aunis équilibrant ce poids de terre et de nuages
Qui les maintient dans la douceur de la nécessité.
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Je ne suis quand même pas fâché de replonger dans le silence nocturne de Cosne, cette capitale intérimaire de n'importe où. A l'angle que prend ce boulevard devant une pharmacie, à la façon dont les arbres y sont taillés, je devine la direction de la gare et, avec son large porche roman hollywoodien, le cinéma Eden n'est pas moins archétype que toutes ces arrière-cours et toits cagneux, ces trottoirs soudain rétrécis le long des persiennes que je frôle, et qui ferment mal, révélant le couple humain figé dans la clarté de son lustre, près de son buffet où traîne un cadre qui les représente en habits de noces, bouffis par le fameux bonheur, et tels qu'ils apparaissent par paires interchangeables dans les vitrines des photographes. Alors qu'ordinairement je retombe dans ce cas sous le charme de l'habitude, tout se déclare à présent avec une entière étrangeté. je ne suis pas dans un n'importe où de moyenne de sociologue, mais là où n'importe où se fait si activement singulier, qu'il me faudrait des mots ayant subi la même usure, et laissant enfin se découvrir leur pâle et dur noyau, pour désigner vraiment ces toits, ces trottoirs, ces gens, ces persiennes. Je les sens inaccessibles ans un paroxysme d'évidence, de banalité, de je ne sais quoi de fictif dont mon souffle participe, et ma démarche, et maintenant le poids de mon corps étendu sur ce lit. Au loin une seule petite motocyclette gravit et redescend en sirène l'échelle des sons. C'est le seul fil onduleux qui me retient encore puis qui se casse : je dors ; j'ai dormi. Un autre fil, lumineux, se tend au plafond de la chambre, et à travers les premiers bruits du jour qui semblent tous ensemble chaussés de pantoufles, j'entends s'ébrouer sous la rosée l'herbe des talus.
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Alors j'ai cru comprendre que le temps est une route, et l'éternité le pays. Non le pays vers lequel la route se dirige, mais celui qu'elle traverse et qui la rend concevable. Et en dépit de tout ce qui se liguait pour que ce séjour me devînt odieux - une discipline de moines, l'inquisition morale, ma mollesse et ma vanité - j'ai su que je franchissais un des rares passages de ma vie où, de façon un peu durable, le temps qui passe et l'éternité se confondraient.
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Au moins souvenez-vous (si vous vous souvenez)
Que nous fûmes un jour comme des enfants dont le nez
Passe furtivement par-dessus la barrière
Et qui découvrent tout à coup une étrange lumière
Dont on voit le reflet grandir en s’enflammant
Sur leur face où l’espoir se fond avec l’étonnement.
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TERRE DES LIVRES


Longtemps après l'arrachement des dernières fusées,
Dans les coins abrités des ruines de nos maisons
Pour veiller les milliards de morts les livres resteront
Tout seul sur la planète
Mais les yeux des milliards de mots qui lisaient dans les nôtres,
Cherchant à voir encore,
Feront-ils de leurs cils un souffle de forêt
Sur la terre à nouveau muette ?
Autant demander si la mer se souviendra du battement de nos jambes; le vent
D'Ulysse entrant nu dans le cercle des jeunes filles
Ô belle au bois dormant
La lumière aura fui comme s'abaisse une paupière
Et le soleil ôtant son casque
Verra choir une larme entre ses pieds qui ne bougent plus
Nul n'entendra le bâton aveugle du poète
Toucher le rebord de la pierre au seuil déserté,
Lui qui dans l'imparfait déjà heurte et nous a précédés
Quand nous étions encore à jouer sous vos yeux,
Incrédules étoiles
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[...] Un cloître alors me fait songer à une sorte de piscine, où l'on se délasse dans un bain de temps dormant mais qui frémit, comme si la source intarissable en était toute proche, amicale, et filtrait à travers le silence des siècles disjoints comme un air de pipeau.
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[...]
L'esprit qui de la neige et des eaux lustrales émane
Vibrant impalpable dans l'air comme le Paraclet,
L'âme étroite s'arrondissait en arcade romane
Pour la lumière où plus aucune ombre ne renâclait.
[...]
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Vous n’en finissez pas d’ajouter encore des choses,
Des boîtes, des maisons, des mots.
Sans bruit l’encombrement s’accroît au centre de la vie,
Et vous êtes poussés vers la périphérie,
Vers les dépotoirs, les autoroutes, les orties ;
Vous n’existez plus qu’à l’état de débris ou de fumée.
Cependant vous marchez,
Donnant la main à vos enfants hallucinés
Sous le ciel vaste, et vous n’avancez pas ;
Vous piétinez sans fin devant le mur de l’étendue
Où les boîtes, les mots cassés, les maisons vous rejoignent,
Vous repoussent un peu plus loin dans cette lumière
Qui a de plus en plus de peine à vous rêver.
Avant de disparaître,
Vous vous retournez pour sourire à votre femme attardée,
Mais elle est prise aussi dans un remous de solitude,
Et ses traits flous sont ceux d’une vieille photographie.
Elle ne répond pas, lourde et navrante avec le poids du jour sur ses paupières,
Avec ce poids vivant qui bouge dans sa chair et qui l’encombre,
Et le dernier billet du mois plié dans son corsage.
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De quelque façon qu’on l’analyse (la sociologie, la politique et même l’économie ont dit ici leur mot), il semble que le jazz ait toujours voulu être plus ou autre chose que lui-même. En témoignent sa rapidité à exploiter le possible de ses ressources particulières, son besoin impatient d’en repousser les limites et de les abolir. Peut-être faut-il y voir encore le résultat d’une intensification générale des rapports propre au monde moderne, et telle, qu’ayant pu par une convergence d’appoints hétéroclites vite brassés, vite assimilés, déterminer la naissance de cette musique, elle aura de même, par sursaturation de ses capacités d’absorber, compromis son équilibre, entraîné sa dislocation. Ainsi le jazz s’exposait-il à succomber à la violence, en même temps réaction de défense et symptôme d’un épuisement. On pourrait ironiser sur le regain d’attrait qu’il exerce, n’existant pour ainsi dire plus qu’à l’état d’écho ou réitération de ses fastes anciens, si l’essentiel de ce qu’a dégagé son histoire – le swing – n’assurait sa capacité de rester présent, tant par le corpus achevé mais préservé de ses œuvres, que par celles qui maintenant se situent comme rétroactivement dans leur mouvance, là où le swing déjà transcendait les catégories du temporel ; et si la fin des arts affectait ce qu’elles ont à jamais concentré de signification humaine.

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[À propos de Benny Carter] Bien que d’autres l’aient précédée, je mentionnerai, comme symbole des étapes franchies dans cette conquête de l’espace, un New street swing gravé le 24 mars 1937 en Hollande avec l’orchestre local des Ramblers. Les pièces enregistrées à Paris, en avril et en août de la même année (publiées sous son nom ou celui de Coleman Hawkins) permettent d’apprécier les véritables dimensions de la patinoire. Rien n’empêche d’imaginer qu’elles aient pu rendre rêveur Einstein. La théorie de la relativité s’y trouve musicalement confirmée, améliorée peut-être : l’espace-temps n’y dépend plus de ses dimensions ni du rôle de la vitesse, et le rythme y joue à sa manière celui de la gravité. L’art de Carter se trouve donc en corrélation très étroite avec la question du swing, qui n’est de nature métaphysique que dans la mesure où la physique s’interdit par déontologie de la poser.
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Sidney Bechet a joué avec le feu. Aussi est-il devenu comme un symbole pour ceux qui, dans le jazz, ont perçu l’effet d’un principe diabolique. On raconte que même Hugues Panassié, d’ailleurs expert en exorcismes (et qui de toute évidence l’admirait), s’était toujours défié de Bechet dont les deux chalumeaux – le saxophone-soprano et la clarinette – sont du dangereux type oxhydrique. A ce « mélange d’hydrogène et d’oxygène dont la combustion dégage une chaleur considérable », de fait il n’ajoute pas qu’une dose de phosphore qui le rend tout à fait incendiaire et déflagrant : on y détecte aussi des traces importantes de soufre. L’éclat fantastique de sa flamme n’arrive pas à cacher on ne sait quelle ténébreuse chimie de son aliment.
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Où sommes-nous, entre l'encre oublieuse et les étoiles
En travail démesurément autour de ce berceau
Que la pensée à son commencement perpétuel
Habite à petits cris;
Qui sommes-nous pour accorder un sens à la poussière de nos mots
Plutôt qu'à ce trébuchement de la parole à la pointe du jour qui nous terrasse?
Et cependant qu'avons nous d'autre ici que ce barrage de voyelles transparentes
De friables consonnes cédant sous le poids de la nuit
Qui presse aux tempes la clarté sans borne répandue
Dans l'espace du rêve et sur le toit de nos maisons?
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Il y a autant de poésies que de poètes.
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ÉQUINOXE

Je cherchais comment l'eau, les rochers, les oiseaux, les
arbres
Font pour tenir ensemble, et les nuages qui figurent
Le monde vagabond, rythmique, engendré, s'engendrant
Comme le même songe instable au fond d'yeux jamais
clos.
Je savais qu'à beaucoup se refuse la gloire d'une herbe
Au sommet d'un talus, pesant le dos large du ciel
Qui nous supporte, et que le vent chasse dans la lumière
Les signes des cristaux de neige pour la boue.
— Ô tête
Ici de tout soutien privée, où est le mur? (Un mur
À défaut d'une mère, et dormir dans les ruines de son
flanc.)

Et je voyais le vide entrer dans l'apparence avec
Les bourgeons qui toujours pour la première fois reviennent.
Poussés par la force d'oubli qui de sa couche arrache
Et féconde ce vaste corps tumultueux d'étoiles
Puis l'abandonne à notre porte ouverte, comme un dieu
Encore enfant mais bien trop haut pour nous, hôtes déjà
Qui hébergeons et nourrissons le dieu de notre mort.

Du seuil, je relevais d'oiseaux et d'arbres quelques traces
Au fond de la combe où le soir tout à coup se rappelle —
Et c'était l'heure où, des enfants, brillent à contre-jour
Les bicyclettes, quand
Le plus petit au carrefour tombe dans un remous
De lueurs qui vont l'engloutir en larmes dans la mémoire ;
Et touchant de la nuit la bouche dépravée j'ai dit :
Quel long désastre en bouquets éclatant qui saluent
L'éveil jamais surgi dont nous sommes le souvenir
Les messagers perdus dans les distances inhabitables.

p.91-92
Extraits Récitatif I 1970, Gallimard, 1988.
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LA VOIX DANS L'INTERVALLE

Peut-être devons-nous parler encore un peu plus bas,
De sorte que nos voix soient un abri pour le silence ;
Ne rien dire de plus que l'herbe en sa croissance
Et la ruche du sable sous le vent.
L'intervalle qui reste à nommer s'entenebre, ainsi
Que le gué traversé par les rayons du soir, quand le courant
Monte jusqu'à la face en extase des arbres,
(Et déjà dans le bois l'obscur a tendu ses collets,
Les chemins égarés qui reviennent s'etranglent.)
Parler plus bas, sous la mélancolie et la colère,
Et même sans espoir d'être mieux entendus, si vraiment
Avec l'herbe et le vent nos voix peuvent donner asile
Au silence qui les consacre à son tour, imitant
Ce retrait du couchant comme un long baiser sur nos lèvres.
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TESTAMENT


Extrait 4

Mais sait-on ce qu’elle y contemple ?
D’aucuns disent : c’est l’Absolu.
D’autres la donnent en exemple
D’un temps désormais révolu :
La poussière qu’elle va mordre
Est tout ce qui reste d’un ordre
Dont le poète a secoué
Le joug. Donc que nul ne s’encombre
Du vieux rafiot vers qui sombre :
Seuls des gâteux l’ont renfloué.

Allons, la rime, à quoi ça rime ?
Que chaque horrible travailleur
Qu’elle veut charmer la réprime,
Le pire y sera le meilleur.
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[Sur le gris]

Et j’attendais. J’attends toujours, mais moins. L’attente
N’est plus cette grisaille où je m’étais dissous :
A force d’y flotter j’ai glissé par-dessous
Son épaisseur inconsistante.

Et j’ai vu reparaître, adoucis, les rayons
Dont la joie et l’éclat trop violents meurtrissent,
Comme si mon regard était la cicatrice
D’une blessure. (Nous payons

Peut-être de la sorte un ancien spectacle
Auquel il eût fallu ne jamais assister,
Mais le gris apaisant comme l’eau du Léthé
Nous permet de boire l’obstacle.)
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APARTÉ


Mais le ciel, qui voudra l'ouvrir à l'ombre que je fus ;
Et l'innocence de l'oubli, qui vous la donnera, mémoire,
Songes que la douceur n'a pu désaltérer, et toi
Sanglant désir rôdeur sous ce crâne d'ours ?


p.116
Extraits Récitatif (1970), Gallimard, 1988.
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Vous n'en finissez pas d'ajouter encore des choses,
Des boîtes, des maisons, des mots,
Sans bruit l'encombrement s'accroît au centre de la vie,
Et vous êtes poussés vers la périphérie,
Vers les dépotoirs, les autoroutes, les orties;
Vous n'existez plus qu'à l'état de débris ou de fumée.
Cependant vous marchez,
Donnant la main à vos enfants hallucinés
Sous le ciel vaste, et vous n'avancez pas;
Vous piétinez sans fin devant le mur de l'étendue
Où les boîtes, les mots cassés, les maisons vous rejoignent,
Vous repoussent un peu plus loin dans cette lumière
Qui a de plus en plus de peine à vous rêver.
Avant de disparaître,
Vous vous retournez pour sourire à votre femme attardée,
Mais elle est prise aussi dans un remous de solitude,
Et ses traits flous sont ceux d'une vieille photographie
Elle ne répond pas, lourde et navrante avec le poids du jour sur ses paupières,
Avec ce poids vivant qui bouge dans sa chair et qui l'encombre
Et le dernier billet du mois plié dans son corsage.
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