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Citations de Jean Améry (36)


A Auschwitz, l'esprit n'était que lui-même, et ne trouvait aucune occasion de se rattacher à une structure sociale aussi précaire, aussi camouflée fût-elle. Ainsi donc, l'intellectuel s'y retrouvait-il seul avec son esprit qui n'était rien d'autre qu' une pure et simple conscience dépourvue de toute possibilité de se conforter ou de s'endurcir au contact d'une réalité sociale. (...)
Dans un tel cas l'esprit perdait d'un coup sa qualité fondamentale : la transcendance.
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"Dans des situations comme la mienne, la violence est l'unique moyen de reconstituer une personnalité décomposée."
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Je m'arrangeai d'un monde que j'aurais voulu autre, qui à son tour, me voulut autre et triompha dans cette lutte inégale.
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J'ai déjà fait allusion à la faillite ou encore l'absence d'écho qui était le lot des réminiscences et des associations esthétiques. Dans la plupart des cas elles n'apportaient donc aucune consolation, très souvent elles n'éveillaient plus que souffrances ou sarcasmes ; plus généralement encore elles s'étiolaient dans un sentiment générale de parfaite indifférence.
Pourtant il y avait des exceptions : quand on était envahi par une certaine ivresse. Je me rappelle par exemple ce jour où un garde-malade de l'infirmerie me donna une assiette de semoule sucrée que je dévorai goulûment, ce qui eut pour effet de transporter mon esprit dans un état d'euphorie exceptionnel. Empli d'une profonde émotion je me mis d'abord à réfléchir au phénomène de la bonté humaine. Cette pensée s'associa à l'image du brave Joachim Ziemssen de La montagne magique de Thomas Mann. Et tout à coup ma conscience fut envahie de manière chaotique et jusqu'à ras bord de contenus de livres, de fragments de musique et d'idées philosophiques que je voulais absolument considérer comme miennes. Un impétueux désir intellectuel s'empara de moi, et il allait de pair avec un sentiment aigu d'autocompassion qui me fit monter les larmes aux yeux. Il ne dura d'ailleurs que quelques minutes. Pourtant dans une strate de ma conscience demeurée limpide, j'étais parfaitement conscient du caractère suspect de ce sursaut intellectuel. C'était un véritable état d'ivresse dont l'origine était physique. [...] Comme toutes les ivresses, celles-ci se soldaient par un sentiment terne et vaseux de vide et de honte. Elles étaient profondément inauthentiques, la valeur de l'esprit ne se conforte guère dans de tels états. Pourtant la représentation esthétique et tout son cortège n'occupe qu'un espace exigu dans la grande maison spirituelle de l'intellectuel, et ce n'est pas le plus important. Plus essentielle est la pensée analytique : c'est d'elle qu'on peut attendre qu'elle soit à la fois un soutien et un guide sur les chemins de l'horreur.
Mais ici aussi je n'ai jamais pu dresser que des bilans décevants. Au camp et tout spécialement à Auschwitz, la pensée rationnelle et analytique n'était d'aucune aide et elle conduisait tout droit à la tragique dialectique de l'autodestruction.
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Pour Georges Bataille le sadisme ne doit pas être compris au sens de pathologie sexuelle mais plutôt de psychologie existentielle, et sous cet angle-ci il se profile comme négation radicale de l'autre, comme refus d'en reconnaître à la fois le principe social et le principe de réalité. Un monde où triomphent le martyre, la destruction et la mort ne peut subsister, c'est évident. Mais le sadique ne se soucie guère de la perpétuation du monde. Au contraire : il veut abolir le monde, et par la négation de son prochain, qui pour lui aussi est « l'enfer » dans un sens bien particulier, il veut réaliser sa propre souveraineté totale. Le prochain est réduit à l'état de corps, de chair, processus par lequel il se retrouve déjà au bord du gouffre de la mort ; et dans le pire des cas il finit par basculer par dessus la frontière létale dans le néant. De la sorte le tortionnaire assassin réalise sa propre corporalité meurtrière mais sans qu'il lui faille s'y perdre totalement comme le supplicié : il peut mettre un terme au supplice comme bon lui semble. Le cri de douleur et le cri de mort poussés par l'autre lui appartiennent, il règne en maître absolu sur la chair et l'esprit, la vie et la mort. De la sorte la torture opère un renversement total du monde social où nous ne pouvons vivre que si nous accordons la vie au prochain, refrénant le désir d’expansion de notre Moi, et allégeons ses souffrances. Au contraire de l'univers de la torture où l'homme n'existe que du fait même qu'il brise l'autre et peut contempler sa ruine. Une simple petite pression de la main prolongée par son instrument suffit pour transformer l'autre – y compris sa tête qui peut abriter ou non Kant et Hegel et toutes les neuf symphonies et le monde comme volonté et comme représentation – en goret qui s'égosille sur le chemin de l'abattoir. Le bourreau peut même, quand c'est finit, quand il a réalisé son expansion dans le corps d'autrui et a éteint ce qui était l'esprit de l'autre, il peut même se mettre à fumer une cigarette ou prendre son petit-déjeuner ou, s'il en a l'envie, retourner au monde comme volonté et comme représentation.
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On comprendra alors qu’un faciès gris sur lequel l’âge a apposé, voire gravé ses rides avec le plus grand art peut être plus beau qu’un visage jeune aussi lisse que le marbre, vers lequel, comme on le sait, les yeux et les cœurs se tourneront d’abord.
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On peut ameuter la presse, pas la télévision, elle est aux mains du gouvernement.
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Le simple fait de dire non – non au projet de démolition de la maison, non à l’affectation dans un immeuble à appartements aux abords de la ville et même à la compensation financière substantielle qui permettrait sans doute que le champagne coule à flots dans la chambre le matin – le seul fait de dire non n’est pas un acte de Résistance. Dans la plupart des cas, et notamment celui dont il est question ici, ce n’est rien d’autre qu’un retrait, une fuite, une vague consolation.
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Je n'ai pas grand-chose, mais toi tu n'as rien. Veux-tu venir chez moi?...
Oui, avait-elle répondu, bien sûr.
Même si je ne voulais pas, je n'aurais pas d'autre choix. Je ne fais pas la fine bouche quand on m'offre le gîte et le couvert. Nous ne sommes plus des enfants, Eugen Althager : je ne peux pas me mettre à t'aimer, comme ça, subitement, mais je m'efforcerai de coucher avec toi aussi bien que n'importe quelle autre.
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Jean Améry
Qui fréquente la mort s’engage dans bien plus qu’une liaison dangereuse : il commet une obscénité, un inceste. Mais on a aussi le droit de dire que la mort, futur de tous les futurs, est seule chose vraie.

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Une problématique particulière en rapport avec la fonction ou l'absence de fonction sociale de l'esprit se posait pour l'intellectuel juif qui avait à son actif un bagage culturel allemand. Quoi que ce soit qu'il invoquât, cela ne lui appartenait plus, c'était la propriété de l'ennemi. Beethoven. Mais à Berlin il était joué sous la direction de Furtwängler, et Furtwängler était une éminente personnalité du Troisième Reich. Le Völkischer Beobatcher publiait des articles sur Novalis, et ils n'étaient pas toujours si bêtes que ça. Nietzsche appartenait non seulement à Hitler, ce sur quoi on aurait encore pu passer, mais aussi au poète pronazi Ernst Bertram ; lui, il le comprenait.
[...]
C'est à la même époque, je crois, qu'aux USA Thomas Mann a dit : "La culture allemande est là où je suis." Un détenu juif-allemand d'Auschwitz n'aurait jamais pu risquer une affirmation aussi téméraire, quand bien même il aurait été un Thomas Mann. Il ne pouvait prétendre que la culture allemande fut son bien propre parce que sa revendication n'avait aucune justification sociale.
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Le ressentiment bloque l'accès à la dimension humaine par excellence : l'avenir.
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Tout comme maints autres qui partagent le même destin, il a des chaines à perdre, légères et agréables à porter, ornement d'une existence détruite qui s'est humainement ruinée en se bâtissant socialement. Il a vieilli. Par la faute de la société. Lui même porte sa part de culpabilité dans la mesure ou il s'est soumis aux impératifs de la société, au lieu de devenir fou ou une sorte de Che Guevara mourant exsangue.
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Un intellectuel, au sens où je voudrais qu'on l'entende ici, est un homme qui vit au sein d'un système de références intellectuelles, cette épithète étant prise dans son sens le plus large. L'espace associatif de l'intellectuel est considérablement plus humaniste et surtout axé sur les lettres. Sa conscience esthétique est richement fournie. Ses penchants et ses aptitudes le poussent à des raisonnements abstraits. A toute occasion il peut puiser dans l'histoire des idées pour élaborer ses propres associations conceptuelles.
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Celui-qui-dit-Oui n’est pas libre dans sa liberté : il accepte délibérément – il assume ! -que la réalité ait le dernier mot, et de ce fait il renonce à la souveraineté du moi, dernier retranchement et garde-fou de “celui-qui-dit-Non”. Mais ce que “celui-qui-dit-Oui” ne peut savoir, c’est si l’Histoire inaugure vraiment une époque et si certains courants coulent avec une impétuosité réelle, ou bien si à l’inverse il est le jouet d’une simple mode.
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Mystification de la parole, on ne se laisse pas aussi aisément duper par elle. Ote-t-on ses voiles au langage quand on prend ses métaphores au pied de la lettre, quand par exemple les choses qui viennent le font au propre et non au figuré, et que l’on se représente ce qui ne peut pourtant se produire dans les faits, à savoir que le chevalet et la lettre et les murs et le lavabo se mettent en route et viennent palper Lefeu étendu ou tapi sur sa couche défaite – dé-faite et non par-faite !
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Agathe transitait dans l'an de grâce de la bêtise naissante, du béotisme enfin recueilli et concentré : 1933.
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Il arrive qu'en levant les yeux de son travail, il se demande : cela va t-il continuer éternellement ? Et il a peur. Cela continuera, pas éternellement, mais l'espace d'une éternité de son existence; aussi longtemps que le lui permettront la pesanteur de ses membres et les lois en vigueur.
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Car notre demeure n'est pas le monde de l'être mais bien le monde de l'avoir, ou plus précisément : le monde de l'être qui n'est donné que par l'avoir. Ce que quelqu'un est, ce que quelqu'un représente, est déterminé par ce qu'il a.
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Les objectifs de la langue ne se situent plus dans la sphère linguistique, mais au-delà de la langue : dans l’espace social où les non-pensées ne cohabitent plus aussi aisément et où toutes ces choses qui constituent, prises ensemble, ce que nous appelons réalité, s’entrechoquent durement.
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