Les témoignages et récits , oeuvres en tous genres ,sur cette blessure de l'humanité, sont nombreux , et ne le seront jamais assez.
Cet essai de
Jean Améry se distingue de la littérature sur les camps par une approche philosophique , dans une mise à distance de son vécu de détenu à Auschwitz , pour en faire ressortir l'insurmontable par une réflexion purement intellectuelle .
Je n'aurais pas la prétention d'en faire un résumé , ni une synthèse . du reste rien n'est réductible de chaque mot cliniquement pesé pour tenter d'être au plus juste de son "expérience" de sa condition concentrationnaire derrière laquelle le désespoir et l'arrachement à la vie crient dans le silence du monde .
Alors oui ,
Jean AMERY , juif parmi les juifs à Auschwitz .
Mais pas que . Juif intellectuel sceptique .De là ,à réfléchir sur le pouvoir de la pensée comme force ou faiblesse dans ce monde déshumanisé . Il en conclut :
"Le détenu non entrainé à l'exercice de l'esprit acceptait toutes ces choses sans trop sourciller , avec la même égalité d'humeur que celles que trahisaient déjà avant des réflexions comme " "Il faut bien qu'il y ait des pauvres et des riches " ou bien : "Il y aura toujours des guerres " . Il en prenait connaissance , il s'y faisait et dans le meilleur des cas il en triomphait .Mais l'intellectuel se révoltait devant l'impuissance de la pensée , car au début il s'en remettait encore à cette sagesse folle et rebelle selon laquelle "Ce qui n'a pas le droit d'exister ne peut exister . Mais au début seulement . "
Alors oui
Jean Amery juif intellectuel parmi les juifs.
Mais pas que . Juif intellectuel agnostique .
Contrairement à ces camarades de camps s'en remettant à une foi divine ou une idéologie , il est bien évident que sa solitude et son absence de perspective d'avenir en l'au-delà ou terrestre constitue une faiblesse supplémentaire .
"Je ne voulais pas être au nombre de mes camarades croyants , mais j'aurais aimé être comme eux : inébranlable , tranquille , fort .Ce que j'ai cru comprendre m'est apparu de plus en plus comme une certitude : l'homme croyant au sens le plus large du terme , que la foi qui l'anime soit métaphysique ou fondée sur une immanence , se dépasse lui-même . Il n'est pas prisonnier de son individualité , il fait partie d'un continuum spirituel que rien n'interrompt à Auschwitz .Il est à la fois plus éloigné et plus proche que l'incroyant .Plus éloigné puisque dans son attitude essentiellement finaliste il laisse à gauche les contenus donnés de cette réalité et fixe les yeux sur un avenir rapproché ou lointain ; plus proche de la réalité , il l'est parce qu'il ne se laisse jamais surmonter par les faits qui le concernent , ce qui lui laisse le loisir d'agir énergiquement sur eux .Pour le non croyant , la réalité est dans le pire des cas , une violence à laquelle il se rend , dans le meilleur des cas un sujet d'analyse . Pour le croyant elle est une argile qu'il modèle , un problème qu'il résout ."
Alors oui
Jean Améry , juif intellectuel agnostique .
Mais pas que . de culture allemande .
Et de cette spécificité , imaginons ce que peut ressentir tel homme , de se sentir spolié de cette base identitaire pour , comble de l'ironie , s'afficher ostensiblement dans l'outrance du nazisme , se réclamant de celle-ci .
Alors oui
Jean Améry , juif intellectuel agnostique de culture allemande .
Mais pas que . Exilé aussi .
Arraché à cette terre natale :
" Il faut avoir une terre à soi pour ne pas en avoir besoin , de la même manière que la pensée doit posséder les structures de la logique formelle pour en franchir les limites et accéder aux domaines plus fertiles de l'esprit ."
Et que dire de la condition de juif qui n'est juif que par le sang . Sans aucune connection avec la culture juive et qui se retrouve marqué dans sa chair par cette identité qu'il ne reconnait pas ! Voilà qui me rappelle
Imre Kertesz qui affirmait être devenu juif à Auschwitz..
Jean Améry , lui , est devenu juif en 1935 découvrant dans un journal les lois de Nuremberg.
De là vivre le paradoxe de "la nécessité et l'impossibilité d'être juif
".
Jean Amery , juif parmi les juifs , sceptique , agnostique , juif par hasard .
Mais au delà : un homme .
Qu'est ce qui définit l'homme ?
Que se passe-t-il lorsque celui ci est soumis à la torture ?
Perte de dignité ? Il faudrait se mettre d'accord sur ce qu'on y met derrière .
Vivre l'insoutenable dans sa chair ...Mais qu'est ce que l'insoutenable ? Peut-on se le représenter sans l'expérience ? :
"Sa chair se réalise totalement dans son autonégation "
"c'est seulement dans la torture que la coincidence de l'homme et de sa chair devient totale" .
Il établira aussi une distinction très nette entre le martyr et le torturé .
De ce vécu il écrira 22 ans plus tard :
"c'était donc fini".Une bonne fois pour toutes . Mais ce n'est toujours pas fini .Je pendouille toujours , 22 ans après , suspendus au bout de mes bras disloqués , à un mètre du sol , le souffle court , et je m'accuse ".
Jean Améry , plaie béante , revendiquant son droit au ressentiment comme une forme de protestation intime , personnelle face à "l'oeuvre cicatrisante et immorale du temps .
Jean Améry accusant le peuple allemand pour la faute collective qui devrait , selon lui , être vécue , inscrite dans la descendance , culpabilité inhérente . le pardon est pour lui inconcevable .
« Les ressentiments sont là pour que le crime devienne une réalité morale aux yeux du criminel lui-même, pour que le malfaiteur soit impliqué dans la vérité de son forfait. »
Que l'on ne prenne que ce qui fait honneur à sa culture , son peuple pour se construire et que l'on efface la crasse de celle-ci , c'est ce manque de probité que
Jean Améry dénonce .
Jean Améry s'est donné la mort en 1978.
Qu'écrire de plus ...Sinon que Par delà le crime et le châtiment me semble une oeuvre incontournable , essentielle , première pour qui s'intéresse à l'histoire , à aujourd'hui , à l'universel , à sa condition d'homme .
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