Citations de Jean-Baptiste Andrea (1547)
(...) un chiot bleu (...) Pépin entra dans ma vie sans explication, comme il en sortirait plus tard.
Il me suivait partout. Son enfance et la mienne se mêlèrent en un tourbillon qui nous laissait haletants, langue pendante et genoux écorchés. Je le vis bientôt me dépasser en tout, force, vitesse, ruse, j’enrageais d’être coincé dans un corps trop petit. Le monde de Pépin était rond et j’en étais le centre. Il l’encerclait d’une danse attentive, de plus en plus lointaine, si bien que quand j’atteignis neuf ans et lui quatre, je le devinais plus que je le voyais. Mais il était toujours là, clignotant aux lisières de ma vie telle une poussière sur un cil.
À Pietra d’Alba, comme ailleurs, qui comprend l’eau, comprend l’homme.
(page 140)
Toutes mes joies, tous mes drames sont d’Italie. Je viens d’une terre où la beauté est toujours aux abois. Qu’elle s’endorme cinq minutes, la laideur l’égorgera sans pitié. Les génies naissent ici comme les mauvaises herbes. On chante comme on tue, on dessine comme on trompe, on fait pisser les chiens sur les murs des églises. Ce n’est pas pour rien qu’un Italien, Mercalli, donna son nom à une échelle de destruction, celle de l’intensité des tremblements de terre.
(page 14)
Je dois à mon père l'un des meilleurs conseils que j'aie jamais reçus :
- Imagine ton œuvre terminée qui prend vie. Que va-t-elle faire ? Tu dois imaginer ce qui se passera dans la seconde qui suit le moment que tu figes, et le suggérer. Une sculpture est une annonciation.
Toute frontière est une invention. Qui comprend ça dérange forcément ceux qui les inventent, ces frontières, et encore plus ceux qui y croient, c'est-à-dire à peu près tout le monde.
- je le jure, je te dis.Tu veux qu'on crache? Qu'on mélange nos salives pour que ce soit valable ?
- Les adultes mélangent tout le temps leur salive.Ça ne les empêche pas de se trahir et de se poignarder à longueur de journée.
( p.137)
Je le remerciai d’un signe de tête. Ni lui ni moi n’aimions les effusions. Nous étions nés de privations, de ceintures serrées, où même les émotions étaient comptées.
Tu me trouves belle, Joseph
Ben oui , je te trouve belle
Belle comment?
Comme do mineur, la tonalité préférée de Beethoven
Une clé où la beauté rôdait sous la tempête
Un miracle est arrivé. J'ai trouvé mes jambes d'alpiniste. Elles étaient là qui m'attendaient sur le bord du sentier, je les ai chaussées sans m'en rendre compte.
Partir, c'est déjà réussir.
Umberto a été exclu du catéchisme très jeune, il me l’a raconté. Il avait demandé la pointure de Dieu. Un scientifique n’avale pas un récit à dormir debout sans questionner, sans exiger une preuve, un détail concret. Le doute comme religion.
Je suis parfois maladroit. Blessant, bourru, bête même. Réservé, froid, méfiant. Emporté et désespérant. Mais je ne suis pas un mauvais bougre. J'ai la gentillesse ébouriffée des abeilles, je pique parfois sans m'en rendre compte la main qui m'approche, parce que je crois par habitude qu'elle va m'écraser. J'aimerais que vous le sachiez.
(page 99)
Il faisait chaud. Ici dans la vallée l'été n'avait pas l'air de savoir qu'il allait bientôt devoir s'en aller. Personne ne lui avait rien dit et il s'était installé confortablement, un peu comme moi, sans penser très loin.
Mieux ici. Momo préférait Les Confins à la vie qui l’attendait dehors. Je me plaignais de mon statut de réprouvé, de paria, depuis mon arrivée. Il suffit de deux mots, mieux ici, pour me faire comprendre que nous avions de la chance. Qu’il y avait pire que d’être orphelin de ses parents, c’était d’être orphelin de soi.
- Alors ? demanda Rose.
Alors je l’embrassai.
Elle me repoussa brusquement, me gifla pour la seconde fois de la journée.
- Tu es malade ? Pour qui tu te prends ?
Puis, elle m’embrassa à son tour, de toutes ses forces. C’est là que j’appris que les femmes étaient compliquées.
La nature a fait le loup à la perfection. Il me regarde m'épuiser et m'agiter, sans impatience. Il sait, avec la science de son espèce, qu'un feu finit toujours par s'éteindre. Et moi, je mène mon combat d'homme, comme tant d'autres avant moi. Instinct contre instinct.
Ici, la pierre est plus dangereuse que les loups.
Du haut de ses deux mètres, Umberto est un univers à lui tout seul, une tour de garde qui refuserait de rester en place. Il est pourtant d’une grâce que la logique peine à comprendre. Il s’enfonce à peine dans la neige. On dira que l’altitude le grise. Ou plus prosaïquement, qu’Umberto a des pieds comme des raquettes. Non, il y a autre chose en lui, l’impression qu’il se meut dans plusieurs dimensions en même temps et parvient à y répartir son poids. Il pèse à peine sur notre monde.
Le pays était suspendu aux villes du front, après la raclée que les Austro-Hongrois nous avaient infligée à Caporetto. On disait les positions stabilisées non loin de Venise. On disait aussi le contraire, que l’ennemi allait débarquer et nous égorger dans notre sommeil ou, pire, nous forcer à manger du chou.
(page 46)
Elle me dévisagea comme si j'étais devenu fou.
- J'ai l'air morte ?
- Maintenant non.
- C'est absurde, de toute façon. Pourquoi craindre les morts ?
- Euh... parce qu'ils sont morts ?
-Tu crois que ce sont les morts qui font les guerres ? Qui s'embusquent au bord des chemins ? Qui te violent et te volent ? Les morts sont nos amis. Tu ferais mieux d'avoir peur des vivants.
Je la dévisageai, bouche bée. Je n'avais jamais entendu quelqu'un parler comme ça. Je n'avais d'ailleurs jamais discuté très longtemps avec une fille, à part ma mère, laquelle n'était pas vraiment une fille, mais ma mère.