Citations de Jean-Paul Roux (12)
Ma seule ambition dans ces pages a été de restituer ce qui a été, un passé vraiment prodigieux, extraordinaire au sens propre du terme, en témoin rare, non ès qualité, mais parce que, étranger, il en est peu. C'est au passé que j'ai voulu accorder l'essentiel de mes soins, espérant non pas en percer les arcanes, mais plutôt faire apparaître une silhouette qui se détache en clair, alors même que les traits du visage et les plis du vêtement demeurent confus. D'autres complèteront peu à peu le dessin, lui donneront ses couleurs, corrigeront sans doute quelques lignes imparfaites, voire inexactes. J'aurai pleinement réussi ce que j'ai souhaité si mes pages peuvent servir de canevas ; je ne considérerai pas avoir échoué si le lecteur ne fait que prendre conscience de l'ampleur du sujet : au moins aurai-je tiré le monde turc d'un injuste silence.
Le nomade de l'Asie centrale est le meilleur soldat du monde. Il possède la meilleure et la plus nombreuse cavalerie et le meilleur armement. D'une robustesse sans égale, il peut se passer de boire, de manger, de dormir. Il est discipliné et obéissant quand il a reconnu un chef. Il a toujours la supériorité de l'offensive, car il peut décider où et quand frapper, car on ne peut l'attaquer que si l'on sait où il est, et il a toujours la possibilité de se dérober.
Si l'historien attend de ses études une meilleure compréhension du monde contemporain, il ne peut guère en espérer la connaissance de l'avenir ; l'expérience lui a certes appris le jeu des effets et des causes, mais aussi que des évènements fortuits venaient souvent changer le cours normal des choses. Que le passé annonce le futur n'a jamais été considéré par lui comme une loi, et moins encore aujourd'hui que pèsent tant d'incertitudes et de menaces. Je laisse à d'autres l'idée que l'histoire est un éternel recommencement, convaincu pour ma part de sa continuelle progression vers un but. Ne constatons-nous pas que les prévisions à court terme se révèlent inexactes ?
...si les années qui passent vieillissent l'homme, elles enrichissent l'historien.
Avant-propos
Dès les temps les plus anciens, dès que des hommes se sont accrochés à la glèbe pour en tirer leur nourriture, les nomades et les sédentaires se sont fondamentalement opposés. Tout les sépare et les pousse à se mépriser. Pour les uns, seuls comptent la chaumière enfumée, le petit village, le sillon où la charrue précède la semence, ce sillon miraculeux qui rendra cinq ou dix fois plus qu'on ne lui aura confié. Les autres préfèrent les grands espaces, la liberté, le troupeau qui porte la vie. Les nomades sont pillards, toujours prêts à déferler sur les agriculteurs qui n'ont même pas la ressource de fuir et, une fois leur butin amassé, ils repartent aussi vite qu'ils sont venus.
Pendant trente ans, l'Occident ne sut rien des fantastiques événements qui se déroulaient en Asie.
On ne savait rien, du moins rien de sûr. Il y avait bien des bruits qui couraient, mais ils étaient soit inconsistants, soit déformés,amplifiés, enjolivés. L'Islam avait été secoué. On en avait eu des échos, mais ceux-ci n'étaient pas faits pour causer de la peine.
La solution de ces conflits se fit parfois en faveur des Turcs ,parfois en faveur de l'islam.l'art funéraire finit par devenir de règle dans le monde musulman.les Turcs finirent par immoler à l'islamique .
Le grand nomadisme qui fut une des gloires du passé est mort.Les cavaliers ont perdu, depuis l'invention des armes à feu , leur supériorité , et jamais ils ne la retrouveront Jadis un million d'entre eux pouvait bouleverser le monde et dominer cent millions de sédentaires.Juste revanche des choses! Désormais ils sont impuissants devant les hordes des cultivateurs à la recherche de terre et qui déferlent sur eux.
Cet ouvrage n'obéit pas à une règle, qui me semble trop fréquente, et qui consiste à construire une pyramide reposant sur la pointe, c'est-à-dire à augmenter le nombre de pages au fur et à mesure qu'on se rapproche de notre siècle. Mon souci a été de mettre en lumière les périodes les moins connues de l'Histoire, souvent celles où les Turcs ont tenu leur plus grand rôle et ont donné la mesure de leur génie.
Les villes que fondent ou refondent les Parthes - Merv, Ctésiphon, Hatra, Chich (Takht-é Sulayman), Firuzabad - sont construites selon un plan circulaire dans lequel on verra une projection du ciel, mais qui reprend en réalité celui des camps nomades, dressés à l'intérieur du cercle des chariots qui servent de remparts : Attila, aux Champs Catalauniques, le rendra célèbre, comme le Ring des Avars. Cette disposition toute nouvelle connaîtra un grand succès, au point d'être reproduite au VIII°s par la Bagdad abbasside.
p. 184
Et je crois qu'un écrivain ne peut pas consacrer plusieurs années de sa vie à un être vers lequel il ne se sent pas fortement attiré. Ou alors il faut être inspiré par la haine! La tiédeur ne convient pas à l'historien, j'entends à celui qui se soucie de demeurer objectif, fidèle à sa vocation de chercheur : la belle neutralité n'est en définitive qu'indifférence et l'indifférence ne permet pas de comprendre, de percer à jour une âme, de rendre compte d'une action. Il y faut de la ferveur. Il faut un tant soit peu d'amour.
Une des raisons les plus remarquables qu'ont les hommes de tenter une escalade est qu'ils trouvent en elle leur justification.L'effort porte sa récompense ;il sanctifie.A l'ascension physique correspond une ascension spirituelle.