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Citations de Jean-Pierre Cabanes (127)


Des policiers, des miliciens, des soldats font irruption dans les maisons et les appartements à Misilmeri, à Piana dei Greci, à Palerme, à Catane, partout en Sicile, avec, pour seule arme juridique, la voce pubblica qui dénonce une appartenance mafieuse. Le matin, la nuit, peu importe l'heure, ils déboulent dans les chambres, menottent les hommes et les femmes à peine sortis du lit. Si l'on tarde à ouvrir, ils enfoncent les portes. Ces hommes et ces femmes protestent, crient, jurent et blasphèment, menacent aussi. On les pousse dans le fourgon dont le moteur n'a pas cessé de tourner et on passe au suivant. Pas d'explication, pas de document judiciaire. Cette seule formule répétée à l'envi par les sbirri : C'est la loi du préfet Mori !
Elle dure huit ans, cette loi, aussi implacable que ceux qu'elle combat. [...]
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C'est l'assaut des arditi. Grenades et lance-flammes. Il faut bousculer les Autrichiens pour permettre à la vague des bersaglieri d'occuper le terrain. Lorenzo Mori et Nino Calderone courent l'un à côté de l'autre. Tous hurlent Avanti Savoia ! et les bersaglieri, derrière, ont le même cri de guerre. Les Autrichiens se défendent bien. Mori presse le levier du lance-flammes qui projette son jet à dix mètres. Mais, côté autrichien, on actionne les mortiers depuis l'arrière. Un obus explose juste devant. Il y a aussi une rafale de mitrailleuse qui vient d'un poste parfaitement dissimulé, et la première ligne des arditi s'écroule, tous fauchés ensemble.
A l'arrière des combats, dans une tente qui sert d'hôpital de campagne les chirurgiens opèrent à la chaîne. Il n'y a presque plus de morphine. On sert un coup de gnôle à ceux qui sont encore conscients et on coupe. Bras, mains, jambes sont balancés dans un seau qu'un soldat va vider dans une décharge quand il est plein. Mori a perdu connaissance, ce qui vaut mieux, car on est en train de l'amputer de la main droite.
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Carmela sait qu'elle aura le courage d'attendre le retour de Nino Beddu. Dans l'île, le temps ne compte pas, la durée, les délais, c'est pour les gens de Rome. En Sicile, on ne vieillit pas. on va doucement vers la mort, ce qui n'est pas la même chose, d'ailleurs les gens ne meurent pas vraiment, ils passent de l'autre côté, chargés des messages des vivants, et on continue de communiquer avec eux, bien après qu'ils ont rejoint le cimetière.
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Tout en parlant, son regard balaie rassemblée. Au premier rang, il y a d'abord Vittorio Orlando, président du Conseil lors de la victoire en 1918, qui a déclaré quelques mois plus tôt : « Si par mafia on entend le sens de l'honneur jusqu'à l'exagération, l'intolérance contre tout excès de pouvoir, la fidélité en amitié jusqu'après la mort, si par mafia on entend ces comportements même poussés à l'excès, s'agissant des marques typiques de l'âme sicilienne, alors, je me déclare mafioso et je suis fier de l'être ! »
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La plupart des hommes de troupe sont issus de la campagne. La moitié d'entre eux ne savent pas lire et doivent avoir recours aux officiers pour déchiffrer les lettres, très souvent écrites sous la dictée par le curé ou un notable de leur village. Il en va de même pour les réponses. Faut-il dire que la nourriture est infecte, les services médicaux rarissimes, la saleté partout et les Austro-Hongrois retranchés au sommet de collines, inexpugnables ?
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- J'écris un livre, lâche-t-il soudain, un livre sur cette femme que je trouve extraordinaire, avec ses défauts qui sont des qualites en même temps. C'est elle, mon sujet. Je l'observe beaucoup. Je prends des notes. J'ai déjà rédigé deux chapitres. Ce sera mon plus grand livre, le plus juste, le plus vrai. Quand on parlera de moi, le titre de ce livre viendra aussitôt à l'esprit.
Loriana éclate de rire et elle retire sa main.
- Tu es complètement fou !
- Non ! Je suis un écrivain !
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Au 35 de la via Paolo da Cannobio à Milan, siège du Popolo d'ltalia, sur la porte du directeur, Benito Mussolini, il est écrit : «Qui entre m'honore, qui n'entre pas me fait plaisir.» Car le directeur travaille. Il rédige des articles, des slogans, des phrases fortes et imagées. Après, il les prononce de sa voix chaude ou coupante que les Italiens apprendront à connaître.

De Mussolini, on peut dire du bien et du mal mais personne ne peut lui enlever d’avoir été le meilleur entraîneur du peuple, le meilleur orateur de son temps. Aucun avant ni après ne peut rivaliser avec lui, même D'Annunzio.
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[...] Sans argent, il n'y a pas de parti possible, et sans parti, il n'y a pas de pouvoir. Il y a un temps pour la révolution, un autre pur le pouvoir. Ces deux temps se succèdent, mais les deux,s 'ils ne se confondent pas, sont indispensables l'un à l'autre.
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Sandro se bat de son mieux, les hommes tombent autour de lui, son pistolet est vide, il prend son poignard. Le duel est bref, il tue un Autrichien, mais reçoit un coup de baïonnette dans le dos. Il ferme les yeux. On ne le tue pas immédiatement. Il doit subir le sort exemplaire des officiers italiens. On le traîne avec les autres. Tous sont hissés sur un camion qui se dirige vers la plage à l'abri des regards. Trois mitrailleuses sont déjà en batterie. Pas le temps de se confesser. Un ordre bref, et les mitrailleuses se mettent à tirer. Tous s'écroulent. Mais des survivants se redressent, hébétés. Un sous-officier allemand leur dit dans un italien rudimentaire : «Ceux qui sont encore vivants, levez-vous et vous serez graciés !» Certains obéissent. Ils ont tort. Un signe de l'homme et les tirs reprennent. Maintenant, ils sont tous bien morts. Le sous-officier passe parmi les corps. Si l'un d'eux bouge encore, il l'achève d'une balle dans la tête.
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«Pourquoi moi ?» avait-il demandé.

C'était la question qui le taraudait depuis le début. Que lui trouvait-elle ? Qu'avait-il de mieux que les autres, était-il plus riche, plus beau, plus brillant, ou tout cela à la fois ?

«Parce que tu es un solitaire», avait-elle immédiatement répondu.

Ce qui prouvait que cette question, elle l'attendait, elle y avait réfléchi.

«Parce que tu fais semblant. Tu joues un rôle de bon camarade, d'ami. C'est l'image que les autres attendent de toi. Tu ris quand ils rient, même de leurs bons mots. Mais au fond, tu penses à autre chose, tu portes un masque, tu n’es que mépris. Un dédain que tu ne montres jamais, c'est pourquoi on t'aime bien. Tout ce que tu m'as dit sur toi, sur ta vie, sur ton regard sur le monde, je suis sûre d'avoir été la seule à l'entendre. »

Elle s'était arrêtée un instant. Lui était stupéfait. Elle en savait plus que lui-même sur son compte. Elle avait une voix plutôt grave, avec une pointe d'accent autrichien qui tranchait sur les ritournelles des filles de son âge.

«Je crois que je suis comme toi. Nous avons toujours quelque chose à nous dire que nous ne disons pas aux autres. »

Elle s'était encore interrompue, avec cette expression chaude du regard qu'elle lui réservait.

«C'est peut-être cela l'amour, c'est sûrement cela, avait-elle achevé.
⁃ Oui, avait-il balbutié, c'est cela. »
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Il vient beaucoup de monde aux obsèques de Don Tomasini, des cousins, des arrière-cousins, des faux cousins, des correspondants d'affaires, des hommes politiques et quelques personnages, délégués d'organismes fictifs, qui en réalité représentent cette institution typiquement sicilienne dont on ne prononce jamais le nom. Il ne vient pas d'amis parce qu'il n'en a jamais eu.
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[...] Un vrai traître a besoin de trahir pour se sentir en accord avec lui-même. La fidélité est une amertume secrète qui pourrit sa vie. La loyauté, c'est du fiel saupoudré de sucre, le jour de sa violation, ce qu'il ressent est un bonheur qui le paie de tout le reste. La trahison, c'est intime.
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Après la guerre ... les auteurs se mettront tous à écrire sur ce qu’ils auront vécu. Il y aura pléthore de livres sur le sujet et ils se vendront très bien. 
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Cette cité en forme de coupe renversée avec tout en haut l'église qui jette ses tours vers le ciel, ce village accroupi, ramassé sur lui même, où les toits se chevauchent, où les rues tournent en grimpant, pleines de passages couverts, à peine éclairés par des lumignons à l'huile, de vieux escaliers aux marches disjointes, de recoins, de fentes dans les murs, de la taille d'un homme, de cachettes partout. Les odeurs, celles des bêtes et des hommes, les cris des bêtes et des hommes, étouffés mais violents, les cris de l'amour ou de la mort, ces cris mélangés surgissent pour cesser aussitôt et reprendre plus loin, l'écho de pas et des silhouettes qui glissent sans bruit, le son clair d'une arme blanche ou le claquement sec d'un pistolet, des rires aussi, de femmes agacées, enjôleuses, et des rires étranglés, ces reflets de lanternes qui allument les vieux murs avant que tout replonge dans l’ombre. C'est ça, Gangi.
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Cavalcanti est rentré de Rome, où il est resté plusieurs mois pour la promotion de son livre. Le fait d'être reconnu comme le plus grand romancier vivant d'Italie lui confère une autorité qui lui manquait jusque-là. Il propose à Carmela de lui reverser une partie de ses droits d'auteur pour la rémunérer de sa participation. Elle éclate de rire.
- Merci, Andrea, mais je ne crois pas que ta proposition soit sérieuse, et je n'en ai aucun besoin. Par ailleurs, je te rappelle que mon concours à ton livre est une sorte de réparation du préjudice que je t’ai causé en t’épousant.
Cavalcanti ne répond pas. Il a proposé ce partage en sachant qu’elle refuserait. C'est un homme de postures, ce qui est courant, paraît-il, chez les intellectuels.
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Un soir de l'année 1920, Lorenzo est convoqué à son regiment d'origine dans un bureau à Mantoue. C'est un colonel inconnu qui le reçoit, chaleureux, sympathique.
- Cher ami, lui dit-il, vous êtes un capitaine, un héros parmi d'autres qui a payé avec sa chair la défense de l'Italie. Votre congé a pris fin. Tenez-vous à réintégrer l'armée ?
- Je crains de ne pas avoir d'autre choix, mon colonel.
Le colonel a un large sourire.
- Vous l'avez, au contraire, vous êtes dans la situation de cinquante mille officiers italiens en cours de démobilisation. Le nouveau ministre de la Guerre, l'honorable Bonomi, m'a donné mission de parcourir l'Italie et de faire cette proposition : l'adhésion au fascio, ce qui entre nous n'est pas un problème à ce que je sais...
- En effet, dit Lorenzo, je dirige le Fascio de Vérone.
- En échange, vous démissionnez de l'armée en gardant les quatre cinquièmes de votre solde. C'est une autre manière de servir le pays, beaucoup plus efficace à notre avis. Vous êtes d'accord ?
- Bien sûr.
- Signez cette feuille, en bas. La solde vous sera versée dans le mois. Ne vous étonnez pas si je ne vous remets pas de double.
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Est-ce l'aboutissement d'une longue vie de séducteur, la fin des aventures ? Est-ce le bonheur d'un homme enfin accompli ? Le Cavalcanti n'est pas loin de le penser. Cette jeune femme, vingt ans de moins que lui, dix-neuf pour être précis, si belle, si pure, si forte en même temps. Cette ultime est-elle la bonne ? Celle que, désespérément, il recherche depuis sa première conquête, même s'il fut plus conquis que conquérant, à quinze ans par une amie de sa mère ? À force d'écrire des romans qui mènent toujours, après les embûches du destin, à la femme idéale, il a fini par y croire. Ainsi se trouve-t-il dans un dénouement d'un livre qu'il aurait pu écrire, quand, à la fin, les amants se trouvent récompensés de leur ardeur à s'aimer.
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Le déjeuner du dimanche ressemble à une offensive du général Cadorna. La signora Mori mere n’a pas lésiné sur les moyens. Les couverts flamboient comme des baïonnettes, les assiettes qui remontent au Risorgimento sont alignées comme des batteries de canons. Sous le lustre, les carafes de vin jettent des flammes, et les plats fumants, en rangs dans l'office comme dans la tranchée, répandent un parfum de cuisine aussi entêtant que l’odeur de la poudre brûlée.
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- Il n'y a aucun moyen ?

Lorenzo fait un signe négatif de la tête d'un air désolé.
- Où me conduisez-vous ? demande Cavalcanti.
- Devant un juge d’instruction du tribunal spécial qui vous signifiera votre inculpation d'injure à l'État.

Nous prendrons ma voiture, les hommes de Bocchini nous suivront à distance.
- Et après ?
- Ce sera Regina Coeli ou les arrêts domiciliaires, avec un policier devant votre porte pour s'assurer que vous restez bien là.
- Et après ? demande encore Cavalcanti.
- Le confino probablement. Malaparte s'en est tiré assez bien.
- Grâce à Ciano, remarque Carmela. Cette fois-ci, il ne fera rien. Je viens de recevoir ma propre lettre de licenciement.

Après le café, Lorenzo et Cavalcanti se lèvent en même temps. On apporte leurs manteaux. Carmela étreint son mari et Chiaramonti lui serre la main.
- J'alerterai nos amis en France et en Angleterre.
- Surtout pas, conseille Lorenzo. Cela ne ferait qu'aggraver la situation, en tout cas pas avant le procès. Attendez que le jugement soit prononcé. Après, toutes les interventions seront possibles.

Ils se dirigent vers la sortie en un groupe compact et désolé. Chiaramonti ne cesse de secouer la tête et de répéter : «Mais pourquoi donc est-il revenu ? »

Des pas pressés retentissent. Le majordome apparaît.

- Général Mori, on vous demande au téléphone, c'est urgent.

- Ici Quinto Navarra. Le Duce annule l'ordre d’arrestation. M. Cavalcanti est libre de ses mouvements dès cet instant. Il vient d'obtenir le prix Nobel, la radio l'annoncera dans une heure !
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Il se lève. Sa main cherche les poignées du sac et de la valise. Il va partir.
- Soyez heureuse avec votre fantôme.

Cette fois, il s'en va. Au moment où il passe la porte, elle lui décoche cette flèche du Parthe :
- Vous me décevez, Andrea. J'étais sûre qu'un homme comme vous comprendrait, pardonnerait mon émotion, cette culpabilité ressentie le jour même de mon mariage. Dans ces instants, on déforme, on exagère, on imagine tout. On a le sentiment que...
- Que le destin frappe à la porte, rétorque-t-il, presque malgré lui.

La flèche l’a touché en plein cœur. Il n’a pas su voir, les effets d'une coïncidence affreuse. S'il existe un sentiment féminin, c'est bien la culpabilité. Le mariage et cet homme à l'entrée, cet homme qui refuse le plat et s'en retourne sans un mot. Cela suffit à faire échouer une union sincère. Quelle belle scène romanesque, et il l'a ratée. Carmela s'approche de lui, saisit le revers de sa veste, se colle à lui. Il sent ses seins, son ventre, son souffle. Dans la cour, le moteur s'est éteint.
- Reste, dit-elle.
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