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Citations de Jérôme Ferrari (631)


Aujourd’hui, peut-être faut-il aussi leur rappeler que l’ignorance n’est pas une vertu mais qu’elle ne devient un vice que quand on en tire gloire.
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... il était tout entier concentré sur l'effondrement de son propre corps que l'Afrique contaminait lentement de sa pourriture vivace, il regardait la tombe de sa femme sur laquelle poussaient des plantes qu'il tranchait à grands coups de machette rageurs, et il savait qu'il la rejoindrait bientôt car le démon de son ulcère, nourri d' humidité torride, le torturait avec une vigueur inégalée comme si son intuition démoniaque lui permettait de sentir qu'à l'extérieur, dans la moiteur de l'air corrompu, des alliés sans nombre se tenaient à l'affût pour l'aider à parachever sa lente entreprise de démolition et Marcel gardait les yeux grands ouverts sur la nuit, il entendait le cri des proies, il entendait les corps de sommeilleux égarés glisser sur le sable tandis que les crocodiles les traînaient lentement vers leurs charniers aquatiques, il entendait le brusque claquement des mâchoires qui soulevaient des gerbes de boue et de sang et, dans son propre corps bouleversé, il sentait les organes s'ébranler lourdement, en se frottant les uns aux autres, pour entamer une lente rotation sur l'orbite du démon qui dressait la main au fond de son ventre, immobile comme un soleil noir, des fleurs poussaient la pointe de leurs bourgeons dans les alvéoles de ses bronches, leurs racines en filaments couraient dans ses veines jusqu'aux extrémités de ses doigts, des guerres terribles se livraient dans le royaume barbare qu'était devenu son corps, avec leurs cris de victoire sauvages, leurs vaincus massacrés, tout un peuple d'assassins, et Marcel scrutait ses vomissements, ses urines, ses selles, avec la peur panique d'y découvrir des grappes dorées de larves, d'araignées, de crabes ou de couleuvres, et il attendait de mourir seul, transformé en pourriture avant même de mourir.
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Il faut vivre et se hâter d'oublier, il faut laisser la lumière estomper le contour des tombeaux. Autour de l'abbaye de Mont-Cassin, les longues tresses des goumiers surgissent de terre comme des fleurs exotiques que caresse tendrement une douce brise d'été, le long des plages de Lettonie, les vagues grises de la Baltique ont poli les os des enfants enfouis dans le sable pour façonner d'étranges bijoux d'ambre fossile, dans les sous-bois ensoleillés, d'où Sulamith ne reviendra pas vers le roi qui l'appelle en vain, vole le pollen de ses cheveux de cendre, la terre verdoyante s'est gorgée de tissus et de chairs en lambeaux, elle est pleine de cadavres et repose tout entière sur la voûte de leurs épaules brisées mais l'aube étincelante s'est levée et, dans l'éclat de sa lumière, les cadavres oubliés ne sont plus que l'humus fertile du monde nouveau.
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Les démonstrations ne lui servaient qu'à confirmer ce qu'il avait pressenti et il prenait soin qu'elles fussent toujours d'une élégance extrême, pures, concises, lumineuses, car il savait que la vérité et la beauté doivent être dévoilées ensemble et ne valent rien l'une sans l'autre.
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(...) ils voyaient mon visage et leurs yeux étaient vides, je m'en souviens très bien, on n'y trouvait aucune trace de haine, aucun jugement, aucune nostalgie, on n'y trouvait plus rien si ce n'est peut-être la paix et le soulagement d'être enfin libérés car grâce à nous, mon capitaine, aucun d'eux ne pouvait plus ignorer que le corps est un tombeau.
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Oh, mon capitaine, c'est pourtant la vérité, il n'y a rien d'impossible : vous êtes un bourreau et un assassin. Vous n'y pouvez plus rien, même si vous êtes encore incapable de l'accepter. Le passé disparaît dans l'oubli, mon capitaine, mais rien ne peut le racheter. Plus personne ne se soucie de vous, mis à part vous-même. Le monde ne sait plus qui vous êtes et Dieu n'existe pas. Personne ne vous punira pour ce que vous avez fait, personne ne vous offrira la rédemption avec le châtiment que votre orgueil réclame. (...)
Vous n'avez rien vécu d'exceptionnel, mon capitaine, le monde a toujours été prodigue d'hommes comme vous et aucune victime n'a jamais eu le moindre mal se transformer en bourreau, au plus petit changement de circonstances.
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Pensez-vous, comme votre ami Karl Friedrichenétait alors convaincu, avec un machiavélisme incroyablement enfantin, que la maîtrise de l’énergie atomique donnerait aux scientifiques du pouvoir sur Hitler et leur permettrait de donner aux évènements un cours favorable ? Envisagiez-vous seulement de profiter de votre situation pour préserver la science allemande et tenir éloignés du front ces représentants les plus jeunes et les plus prometteurs en prétendant qu’ils vous étaient indispensable ? Avez-vous accepté de diriger les recherches pour mieux les ralentir et les entraver ou simplement parce que, là où vous aviez été emporté à une vitesse inimaginable, vous aviez depuis longtemps laissé loin derrière vous toutes les possibilités de refus ? A moins que vous n’ayez succombé, ne serait-ce qu’une seconde, bien que je me refuse à le croire, à l’enthousiasme toxique de voir votre pays retrouver la grandeur dont on l’avait injustement privé et que vous ayez voulu participer de tout votre cœur à ses victoires éclatantes, sans plus vous soucier de la nature des maîtres que vous deviez servir
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Le chemin de croix de Bernard Gratas prit d'abord des allures de fête. Mathieu et Libero préparaient leurs mémoires de master à Paris quand il commença à organiser toutes les semaines des parties de poker dans l'arrière-salle du bar. Il est fort douteux que Bernard Gratas ait pris seul une telle initiative. Sans doute lui avait-elle été suggérée par quelqu'un qui devait rester anonyme mais avait sans doute compris qu'il tenait là un pigeon dont le désir le plus cher et le plus urgent était de se faire plumer. Ces parties rencontrèrent un vif succès dès que le bruit se répandit dans la région que Gratas était un joueur aussi déplorable qu'imprudent, persuadé, de surcroît, que le poker était une affaire de chance et que la chance finissait toujours par tourner. Il s'était mis à fumer des cigarillos qui ne lui furent d'aucun secours, pas plus que les lunettes noires qu'il portait maintenant de jour comme de nuit. Il perdait de l'argent en grand seigneur, poussant l'élégance jusqu'à offrir une tournée à ses bourreaux.
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(...) Marie-Angèle savait maintenant avec certitude qu'elle n'ouvrirait plus le bar, elle ne s'infligerait pas une seule fois de plus le spectacle de l'infecte soupe jaunâtre cristallisant dans les verres sales, l'odeur des haleines anisées, et les éclats de voix des joueurs de belote, au cœur d'hivers interminables dont le souvenir lui donnait la nausée, et les disputes incessantes avec leur rituel des menaces jamais mises à exécution, immanquablement suivies de réconciliations larmoyantes et éternelles. Elle savait qu'elle ne le pourrait pas. Il aurait fallu que sa fille, Virginie, accepte de s'occuper du bar à sa place, en attendant qu'elle embauche une nouvelle serveuse mais cette solution était inenvisageable à tous points de vue. Virginie n'avait jamais rien fait dans sa vie qui pût s'apparenter, même de loin, à un travail, elle avait toujours exploré le domaine infini de l'inaction et de la nonchalance et elle semblait bien décidée à aller jusqu'au bout de sa vocation mais, quand bien même elle eût été un bourreau de travail, son humeur maussade et ses airs d'infante la rendaient totalement inapte à accomplir une tâche qui supposait qu'on entretînt des contacts réguliers avec d'autres êtres humains, fussent-ils aussi frustes que les habituels clients du bar.
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Nous ne savons pas, en vérité, ce que sont les mondes. Mais nous pouvons guetter les signes de leur fin. Le déclenchement d’un obturateur dans la lumière de l’été, la main fine d’une jeune femme fatiguée, posée sur celle de son grand-père, ou la voile carrée d’un navire qui entre dans le port d’Hippone, portant avec lui, depuis l’Italie, la nouvelle inconcevable que Rome est tombée.
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Ce que l’homme fait, l’homme le détruit
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— La vérité, elle est plus modeste, capitaine, dit Tachar en se penchant vers lui. La vérité, c'est que c'est moi qui suis fini, seulement moi, et ça n'a aucune importance car je ne compte pas.
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Dans un sens Tachar a eu de la chance que vous l'ayez exhibé à la presse, nous avons dû rendre son cadavre mais si ça n'avait tenu qu'à moi, mon capitaine, je l'aurais dilué dans la chaux, je l'aurais enseveli dans les profondeurs de la baie, je l'aurais répandu aux vents du désert et je l'aurais effacé des mémoires. J'aurais fait qu'il n'ait jamais existé.
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Marcel est seul, et l'heure de la retraite vient lui confirmer ce qu'il avait peut-être toujours su, il ne s'est rien passé, les lignes de fuite sont des cercles secrets dont la trajectoire se referme inexorablement et qui le ramènent vers le village détesté de son enfance (... ) A présent qu'il a porté les siens en terre, l'un après l'autre, la mission harassante qu'il a accompli doit échoir à un autre, et il attend que sa santé toujours chancelante et inaltérable soit finalement vaincue car, dans l'ordre fixé par l'état civil, son tour est maintenant venu de marcher seul au tombeau.

(p.148)
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... celui qui fuyait sa misère ne pouvait rien espérer d'autre que d'exercer son pouvoir inutile sur des hommes plus misérables que lui, comme le faisait maintenant Marcel, avec l'acharnement impitoyable de ceux qui ont connu la misère et n'en supportent plus le spectacle écoeurant, et ne cessent d'en tirer vengeance dans la chair de ceux qui leur ressemblent trop.

(p.138)
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Aurélie rappela Matthieu qui fut soulagé et lui reprocha presque d'avoir dressé un tableau apocalyptique d'une situation parfaitement maîtrisée. Elle ne se donna pas la peine de répondre.
- Alors, tu arrives quand ?
Matthieu lui fit remarquer qu'il n'y avait plus d'urgence et qu'il était très occupé par les préparatifs de la saison et puis s'il débarquait comme ca, brutalement, ca risquait d'inquiéter son père, pour rien, il croirait peut-être à une visite d'adieux, il fallait ménager son moral et Aurélie fut incapable de se contrôler plus longtemps, elle lui dit qu'il n'était qu'un petit con répugnant d'égoïsme, un petit con aveugle qui espérait au fond de lui que son aveuglement finirait par lui valoir l'absolution, mais que jamais il ne serait absous de ce qu'il était en train de faire, et s'il devait l'être, ce ne serait pas par elle, elle n'était pas leur mère qui persistait à voir en lui un chérubin qu'il fallait préserver coûte que coûte d'une douloureuse confrontation avec les horreurs de l'existence, comme si c'était lui qui était au fond le plus à plaindre, comme si sa sensibilité à fleur de peau, l'exquise sensibilité qui était apparemment son privilège exclusif, le dispensait d'accomplir ses devoirs les plus fondamentaux, les plus sacrés, elle ne voulait même pas lui parler d'amour et de compassion, c'étaient des mots qu'il était incapable de comprendre ...

(pp.119-120)
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Il ne pouvait ni voir ni entendre son père, Jacques Antonetti , expliquer comme il pouvait à ses enfants qu'il allait peut-être mourir bientôt car son discours n'avait pas sa place dans le meilleur des mondes possibles, le monde du triomphe et de l'insouciance, et il ne pouvait y acquérir le moindre sens intelligible, ce n'était qu'une rumeur désagréable ...

(p.113)
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Ils eurent la surprise de constater dès le lendemain qu'Annie, dont l'efficacité était par ailleurs irréprochable, semblait avoir conservé de ses anciennes fonctions la curieuse habitude d'acceuillir chaque représentant du sexe masculin qui poussait la porte du bar d'une caresse, furtive mais appuyée, sur les couilles. Nul n'échappait à la palpation... Matthieu et Libero avaient d'abord pensé à demander à Annie d'essayer de se montrer moins immédiatement amicale mais personne ne se plaignait, bien au contraire, les hommes du village faisaient plusieures apparitions quotidiennes au bar, ils y venaient même pendant les heures habituellement creuses... si bien que Matthieu et Libero gardèrent le silence, non sans louer intérieurement la clairvoyante Annie dont l'immense sagesse avait percé à jour la simplicité de l'âme masculine.

(pp.98-99)
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Libero avait cessé de rêver depuis longtemps déjà. Il reconnaissait sa défaite et donnait son assentiment, un assentiment douloureux, total, désesperé, à la stupidité du monde.

(p.66)
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En matière de contagion de la bêtise, l'Internet a pulvérisé tous les records précédemment établis par la télévision, et ce n'est pas peu dire.
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