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Critiques de Jérôme Fourquet (98)
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L'archipel français

Mon Dieu ! Que de chiffres, de pourcentages, d'abscisses et d'ordonnées, de graphiques colorés, de courbes, de points d'intersection… Toute une population de gaulois réfractaires mise en coupe réglée. Prodigieux travail même si parfois le tournis m'a pris. Jérôme Fourquet nous montre avec beaucoup d'acuité comment notre nation une et indivisible s'est transformée en quelques décennies en une nation multiple et divisée. Le référentiel commun qui nous soudait et existait encore du temps de mon enfance, celui d'une France conservatrice et catho d'un côté et d'une France rouge de l'autre, s'est effondré face aux coups de boutoirs de l'évolution des moeurs, de l'individualisme, de l'immigration massive et de la mondialisation. En 2019, la société française est devenue totalement hétérogène. Elle est désormais constituée d'un archipel d'îles plus ou moins grandes, certaines conquérantes, d'autres en voie de disparition, s'ignorant « les unes des autres »

« Halalisation » des quartiers de banlieue victime de ségrégation ethnoculturelle, paupérisation de certains territoires, regroupement des élites dans les grands centres urbains, chacun vit sur son île, pratiquant l'entre-soi et le grégarisme.

L'élection présidentielle de 2017, où les clivages gauche/droite ont été balayés, est la première traduction politique d'ampleur de ces bouleversements. Nous avons en effet assisté à la confrontation brutale entre deux Frances, deux îles, qui ne se voient plus et se comprennent encore moins. Nous avons la France (ou l'île…) des « gagnants/ouverts » composée de l'élite, de cadres +++, adaptés à la mondialisation, favorables à l'Europe et à l'ouverture des frontières. Ils ont envahi les grands centres urbains, et leur mode de vie comme leur idéologie les éloignent du reste de la nation. Puis nous avons la France (ou l'île) des « perdants/fermés », celle des déclassés, des humiliés de la mondialisation qui vivotent dans des déserts culturels, administratifs et économiques. Ceux-là ne sont guère européens et voient dans le rétablissement des frontières une forme de protection. le mouvement des gilets jaunes, mouvement intrinsèquement violent, d'un nihilisme tapageur, un jour récupéré par l'extrême droite, un autre par l'extrême gauche, est la simple prolongation de cette confrontation et la preuve par A plus B que les élites sont déconnectées de leur réalité.

Aujourd'hui, les partis politiques, de la LFI, le RN à LAREM, par intérêt, par calcul, par paresse idéologique aussi, se positionnent en fonction de ces deux Frances. Même si j'ai fait mon choix, je n'en suis pas satisfait pour autant. C'est que je l'aime, mon pays ! et ça me fait mal au coeur de le voir se déchirer, se haïr, se fragmenter, se disloquer, se dissoudre, tomber en quenouille. Les conclusions de Jérôme Fourquet son hâtives et guère optimistes. Eh bien, moi, ne vous en déplaise, je veux encore rêver d'une grande et ambitieuse destinée commune.

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La France sous nos yeux

C'est en les voyant, présenter leur livre dans une émission de télévision que j'ai eu envie de lire cet ouvrage.



Les auteurs nous y décrivent tout ce qui a évolué, changé, disparu, en France, des années 1980 à nos jours, en s'appuyant entre autres sur des graphiques, des cartes, etc.. C'est clair, argumenté, ultra vérifié et le fait de mettre tout en exposition, presque sur le même plan, fait surgir le portrait d'une France qu'on ne voyait peut- être pas comme ça.



Nouveaux modèles économiques / urbanisation/ campagnes/ tourisme / religion /classes moyennes/ Gilets jaunes / ( nouveaux ) métiers /culture/ nourriture / loisirs / vacances et j'en oublie...



Impossible pour les plus de trente ans de ne pas se rendre compte que la France bouge. Qu'elle soit mieux ou moins bien qu'avant n'est pas le propos des auteurs. C'est juste un constat, comme des photographies.

A travers les reportages ou débats télévisés, on a un aperçu de ces changements , mais certaines informations ont pu nous échapper ou être survolées.



Ce qui m'a le plus amusée (et stupéfaite) , c'est de découvrir la France de la drogue, traitée comme une part "normale" de l'économie...La cartographie des traffics, des go fast.



Ce que je ne savais pas : une des propositions de l'ex candidat Griveaux aux élections municipales à Paris, qui souhaitait que tous les collégiens parisiens deviennent bilingues anglais .



Ce qui ressort aussi avec tous ces graphiques, c'est les différences entre villes et campagnes, région dense ou pas, ce n'est plus LA France mais LES France...



Je ne suis ( vous l'aurez compris !) pas sociologue mais j'ai trouvé " La France sous nos yeux " très abordable, très facile à lire.
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L'archipel français

Violences entre groupes ethniques d'immigrés, (maghrébins contre roumains...) dans les banlieues et villes de province...





L'auteur est directeur des études à l'Ifop. Et, si les sondages ethniques sont interdits, il a réussi, par recoupements, à dégager des clivages entre les Français (différences de classes, d'opinions et de croyances...)





Dans ses voeux fin 2017, E.Macron souhaitait la cohésion sociale pour la France, (on a vu la suite...) à travers la victoire des Bleus, l'hommage rendu au colonel Beltram, et même l'adieu à Johnny, à l'église de la Madeleine!





J.Fourquet nous parle de la divergence des valeurs, en France. Clivage dans les croyances religieuses: la baisse des baptêmes, et du nombre de prêtres catholiques (moins 47%). Clivage de valeurs: dans les années 80, les personnes sondées déclaraient, face aux enquêteurs, que l'homosexualité était soit une perversion, soit une maladie mentale.

En 2013, moins de 5% pense cela! Et leur attitude change envers la PMA.





Clivage social : les enfants des classes favorisées vont étudier à l'international, alors que ceux de la France profonde, des banlieues et de la campagne ne maîtrisent pas suffisamment l'anglais. Macron parle couramment l'anglais, à la différence de ses prédécesseurs.

Il y a un hiatus entre ses "premiers de cordée" et le reste de la population. Des gagnants et des perdants! Bordeaux est devenu l'épicentre du mouvement des gilets jaunes, car la ville de Juppé a subi une hausse énorme des loyers, en 20 ans..





Clivage culturel: une évolution des prénoms, car Marie n'est plus usitée, au profit des prénoms anglo-saxons, comme Kevin ou Brandon, ou au profit des prénoms arabo-musulmans...L'auteur souligne, que dans le Nord, les prénoms des enfants polonais ont disparu en une génération, et sont devenus des prénoms "catholiques", et communs à la culture de la France. Contrairement à ceux du Moyen Orient, bien que les parents connaissent le racisme et la xénophobie en France. C'est une contre réaction qui affirme ses propres convictions. Hélas, M.Le Pen et ses acolytes se sont empressés de surfer, sur cette différence de valeurs!





La cohésion sociale du Catholicisme et du clivage gauche-droite s'est perdue, à travers la montée de ces nouveaux courants.

La question se pose: que peuvent faire les hommes politiques, avant que toutes ces différences ne submergent, comme une marée montante, tout l'archipel français ???

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L'archipel français



On dit que l'on peut faire tout dire aux chiffres. Mais quand ils sont présentés par Jérôme Fourquet, le Directeur du Département Opinion à l'IFOP, que celui-ci s'appuie sur des données multiples de nombreux sondages, d'analyses fouillées de l'INSEE, que ces chiffres sont argumentés avec beaucoup de précautions, de nuances, alors on obtient un ouvrage remarquable et passionnant, une véritable photographie en haute définition de notre société française, une analyse détaillée de sa fragmentation et des conséquences de celle-ci sur notre paysage politique.



Le livre se divise en 3 parties.



Dans une première, l'auteur nous montre que la "matrice" catholique qui contribuait fortement à la structuration de la société française s'est effondrée à partir des années 1950-1960, et nous décrit les différents signes de ce qu'il nomme un basculement anthropologique, caractérisé entre autres, par la reconfiguration des structures familiales (baisse des mariages, hausse des divorces, prédominance des couples non mariés), par l'acceptabilité majoritaire de l'IVG et de l'homosexualité, par un nouveau rapport au corps (hausse des pratiques d'incinération, de tatouage, ...), et par le développement de la cause animale.



Dans une deuxième partie, l'auteur montre comment la société française s'est fragmentée depuis cinquante ans.

Il y a d'abord la disparition de l'église "rouge" qu'était le parti communiste, contrepoids au bloc catholique.

Il y a surtout le développement de l'individualisme dont témoigne par exemple la multiplication des prénoms rares, le déclin des grands médias et le recours de plus en plus important aux réseaux sociaux, générateurs de fake-news propagatrices de théories du complot, surtout chez les jeunes.

Puis, c'est le tableau, pas forcément joyeux, de notre société "archipellisée" qui nous est peint:

- des élites diplômées de l'enseignement supérieur (CSP+) qui vivent dans l'entre-soi au sein des centres des grandes agglomérations, déconnectées du reste de la population;

- des classes moyennes et populaires, moins ou pas diplômées, souvent affectées par la mondialisation, qui vivent dans la périphérie des grandes villes, dans les petites villes de province, et dans le monde rural;

- des identités régionales bretonnes et corses persistantes et qui se sont renforcées en ce qui concerne la Corse;

- et puis un grand nombre de pages est consacré à la population arabo-musulmane. L'analyse est très fouillée, très nuancée, et cela vaut le coup de lire ces pages. Elles nous montrent la dynamique démographique, la géographie particulière, surprenante, de l'implantation de cette population; des preuves à la fois de l'intégration, notamment professionnelle, de cette population mais aussi des signes identitaires pas forcément problématiques comme le choix des prénoms, mais d'autres à rebours du reste de la société française tels la pression sur les femmes et les filles concernant l'endogamie, ou plus inquiétants comme la virginité avant le mariage, et ceci, comme l'on pouvait s'y attendre dans les quartiers où la proportion de cette population est importante, et chez ceux qui pratiquent la religion, mais, moins attendu et préoccupant, plus marqué les plus jeunes.

Et puis, l'auteur nous montre comment très souvent, quartiers arabo- musulmans, ou d'immigration sub-saharienne, cumulent pauvreté, trafic de drogue, et apartheid scolaire, contribuant de façon saisissante à une fragmentation d'une ville, même moyenne, comme Compiègne ou Carcassonne.



La troisième partie est consacrée au basculement idéologique et électoral de ces 30 dernières années.

L'auteur y identifie trois années "clés": 1983 où deviennent visibles simultanément Beurs et FN, 2005 et le non au référendum européen, 2015 et les attentats qui révèlent que tout le monde n'a pas été Charlie.

Sans entrer dans les détails, la suite, qui analyse de façon exhaustive, chiffres à l'appui, l'évolution du paysage électoral, montrent, si on veut faire simple, la disparition de l'antagonisme droite-gauche au profit d'une division selon le niveau d'éducation et d'ascension sociale, et selon la géographie, entre un bloc de "gagnants", BAC +3 majoritairement, cadres supérieurs ou moyens, ouverts sur le monde, pro-européens, flexibles et ouverts aux changements sociétaux, et majoritairement urbains, et un autre bloc de "perdants", ouvriers, employés, instituteurs, mais aussi dans une certaine mesure, petits artisans, commerçants, donnant la préférence à la France plutôt qu'à l'Europe et au monde, et vivant à distance des grands centres urbains.

Dans les premiers, on trouve ceux qui ont voté Macron à la présidentielle, dans les seconds la majorité de ceux qui ont voté Le Pen.

Cette argumentation fondée sur de nombreux chiffres et schémas, et que l'auteur nuance en analysant aussi le vote pour La France Insoumise, le vote socialiste et LR, est absolument passionnante, car elle montre une France divisée sur le plan électoral selon le niveau d'éducation et la géographie, et dans laquelle la population arabo-musulmane se retrouve dans les deux blocs, même si, au sein du bloc "perdant" le vote France Insoumise y est prépondérant.



La conclusion est plutôt pessimiste sur les potentialités d'éclatement de cet archipel français, que l'auteur trouve incapable de retrouver une unité.

Je trouve ce constat un peu sévère. Un corps social ne peut être homogène, et il y a eu par le passé des oppositions très fortes, que l'on songe aux grèves de 1936, à mai 68. Et on peut noter une France plus homogène que l'Espagne avec la volonté de sécession de la Catalogne, et relever aussi l'antagonisme Flandre-Wallonie en Belgique, Ecosse-Angleterre au Royaume Uni, l'opposition entre Italie du Nord et du Sud, entre ex-RFA et RDA.

Mais j'approuve ses arguments sur l'incertitude quant à l'avenir, fondés sur de l'arrivée dans le corps électoral des tranches d'âges plus jeunes, plus sensibles aux Fake-News, et le départ des plus âgées!



Il faut noter que ce livre est paru en mars 2019, et que depuis, les élections municipales ont montré une forte poussée du parti écologiste, en particulier dans les grandes villes, celle des "gagnants". Est-ce que la prise de conscience du péril climatique, de la perte de biodiversité, de l'importance du "local" face à une mondialisation nous amenant de méchants virus, va encore changer les comportements électoraux des français, ou mieux, on peut rêver, fédérer le pays, voire l'Europe, dans une lutte contre le réchauffement climatique?
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L'archipel français

Prêté par un ami, électeur de M.Emmanuel Macron, ce document m'a énormément déçu. Contrairement à ce qui est annoncé en couverture et en 4ème, il ne s'agit ni plus ni moins que d'une rationalisation à posteriori de l'élection de M. Macron en 2017. Une seule ligne, une seule voie, unique et univoque tend ces 380 pages: justifier, légitimer une victoire (qui avait déjà annoncée un an avant même qu'il ne soit candidat) énoncée comme évidente, logique, saine et salvatrice. Qu'importe cela, mais 380 pages et des milliers de chiffres pour seulement ça, rend la lecture indigeste. D'autant plus que les chiffres, on peut leur faire dire ce que l'on veut, n'importe quoi. Ainsi, l'auteur, chiffres à l'appui, prétend que la perte de vitesse de l'église catholique justifie, explique, légitime les tatouages, les mariages unisexes, les supermarchés ouverts le dimanche, les ivg . Avec les mêmes chiffres on aurait pu tout aussi bien asséner, et de manière tout aussi contestable, que Dieu a été assassiné par le capital et remplacé par l'argent et que les manifestations évoquées ci-dessus ne sont que des manifestations de la société de consommation triomphante. Idem pour les prénoms "arabo-musulmans" au bout de la x ème génération et la baisse du nombre de "Mohamed" (comparés à la chute des "Marie", comme manifestation de la décrépitude du phénomène religieux (!!!???) consacrés par "le choix des prénoms traduit la persistance d'une forte singularité culturelle". Tout aussi bien, avec les mêmes chiffres on aurait pu se demander pourquoi les fils d'italiens, d'espagnols, d'arméniens, ne s'appellent plus Luigi, Carlos ou Achod dès la 1ère génération.

L'auteur maltraite le lecteur avec une profusion de "Au plan" alors qu'en langue française "Sur le plan" est l'expression légitime. Peut-être veut il nous annoncer la mort de cette langue. Des chiffres...vite!

Si vous lisez ce livre en ayant présent à l'esprit le fil rouge qui le tend peut-être y verrez-vous, vous aussi une voie unique, un sens unique.

Ou bien même un contre sens.

Simple opinion d'un simple lecteur qui ne compte pas
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La France sous nos yeux

Si cet ouvrage concourrait dans le cadre d'un prix tels les Goncourt ou Femina, on aurait pu lui attribuer un prix ; malgré tout il restera une référence littéraire pour l'année 2021 car on ne peut lui reprocher sa transversalité et son impact à quelques temps des présidentielles.



"La France sous nos yeux" se décrit comme un essai autant complet que sérieux, avec son lot d'éléments de sociologie qui se révèle être fort documenté et illustré avec des détails significatifs. À travers tous ces détails, les auteurs dressent tant un portait qu'un panorama de ce qu’est notre quotidien et de ce qu’il peut devenir, de sinon des évolutions que la France a connu depuis la fin des Trente Glorieuses et son pendant littéraire de Jean Fourastié.



Mieux envisager nos comportements actuels et à venir ainsi que leur mutation est de la sorte entre les mains de nos dirigeants s'ils se donnent la peine de prendre en compte les enseignements tirés de cet essai non partisan.
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La France sous nos yeux

.Dans la lignée de ses ouvrages précédents (L'Archipel Français, En immersion), Vincent Fourquet poursuit son inventaire de la société française en mutation, des changements intervenus entre le Monde d'Avant et le Monde d'Après.

Chez lui, ces notions ne se confondent pas avec celles invoquées par Emmanuel Macron dans sa période réformiste, ni avec l'attente du Monde d'Après Covid qui naquit durant le premier confinement et son ambiance surréelle. Il s'agit là de touts autres concepts.

Dans la pensée de Fourquet, le Monde d'Avant désigne l'époque dite des Trente Glorieuses, qui se prolonge en réalité, malgré la crise pétrolière, jusqu'au début des années 80.

Quant au Monde d'Après, c'est celui où nous vivons ; entre les deux, tout a changé ; c'est banal de le constater, mais souvent on ne réalise pas jusqu'à quel point il s'est agit d'une transformation en profondeur.

Pour ma part, né en 1951 (et en tant que tel ayant-droit à la stupide appellation péjorative de boomer), je peux dire que j'ai vécu sur trois siècles : je suis né en 1951, autant dire au XIXème siècle, dans le Monde d'avant le Monded'Avant, j'ai vécu ma jeunesse et ma maturité dans le Monde d'Avant, et je vieillis aujourd'hui dans le Monde d'Après.

Toutefois il me faut faire un effort conscient pour voir le passé d'après-guerre (qui est à peine celui dont parle Fourquet) et réaliser à quel point les choses ont changé

Car tout est différent, et je n'ai pas bien sûr la prétention de reprendre ici l'ensemble des développements à la fois exhaustifs et précis de l'auteur, mais voyons un peu :

Dans les années 60, nous vivions dans un état colbertien, où l'Etat intervenait, dirigeait et orientait l'économie, entre autres par le biais du Plan, en théorie incitatif, en réalité largement prescriptif.ILyé existait un important secteur public, appuyé sur un certain nombre de monopoles ; la Banque de France, et donc la monnaie, était entre les main de l'Etatt. Aucune entreprise privée, quelle que soit sa taille, n'aurait eu les moyens, ni même l'envie, de s'opposer à une demande de l'exécutif ; Il existait un secteur industriel considérable,réalisant un véritable maillage du territoire, et l'on était proche du plein emploi. Les travailleurs du privé étaient défendus par de puissants syndicats ; les salaires augmentaient régulièrement

La société civile était structurée par les deux piliers jumeaux, certes antagonistes mais remplissant des rôles comparables, de l'Eglise Catholique et du Parti Communiste, dotés chacun de sa morale propre, ces deux morales basées cependant très largement sur des fondamentaux communs

Dans son ensemble, la société était était régie par une morale commune, assez largement respectée.

Les solidarités familiales, de voisinage, de quartier, de village, étaient largement respectées ;

Elles s'appuyaient entre autres sur un maillage de petits commerces assurant l'essantiel des fournitures à la population et fournissant une possibilité de promotion sociale largement accessible aux classes populaires.

L'école de la République était à la fois égalitaire et élitaire et offrait des possibilités d'ascension sociale, parfois sur plusieurs générations. Elle produisait certes peu de diplômes, mais encore moins de chômeurs.

C'était cela, le monde d'avant.

Et tout cela a été démantelé à partir de 1980. Je ne vas pas me livrer à une comparaison terme à terme.

Disons seulement que deux forces principales ont été à l’œuvre, communes à l'ensemble de l'occident, mais qui, en France, ont été curieusement mises en place par un Président dit de gauche.

La mondialisation, d'abord : ouverture des frontières et libéralisation des échanges ; destruction corrélative de la quasi-totalité du secteur industrialisé, et passage à l'agriculture productiviste, le tout énorme destructeur d'emplois directs et indirects, laissant des territoires saignés à blanc ; tentative de substituer aux emplois détruits un secteur tertiaire hypertrophié, basé en réalité très largement sur une économie de services à la personne, précaires, mal payés et peu gratifiants ; chômage de masse

La dérégulation ensuite, d'abord dans le domaine économique, bien sûr, et à la remorque du système anglo-saxon : démantèlement du service publics, privatisations (« vente des bijoux de famille ») souvent pour des raisons idéologiques, suppression des monopoles d'état, affaiblissement du droit du travail, mythe de l'entreprise, le tout entraînant la destruction des partis traditionnels de la classe ouvrière (avec celle de la classe ouvrière elle-même, affaiblissement des syndicats, bref de la plupart des structures d intermédiaires, mais aussi dans le domaine sociétal, l'anomie croissante de la société entraînant aussi une anomie morale, avec la quasi-destruction de l'ancienne morale commune

Il faut y ajouter la destruction du système éducatif que sa prétendue démocratisation a rendu plus inégalitaire, la disparition de la culture commune, éclaté en cultures d'origine étrangère, souvent antagonistes, et bien sûr les mutations ethniques de la société française.



Bref, un tableau fort peu encourageant. Il ne s'agit pas de dire que c'était mieux avant, car la France d'Avant n'était pas parfaite. Mais il est difficile d'aboutir à un bilan globalement positif.



Cette considération est personnelle et ne figure pas dans l'ouvrage, qui se limite à une description et à un constat d'une très grande qualité.

Il ne propose pas non plus de solutions. Ce n'est pas son rôle ; et peut-être n'y-en-a-t-il pas.



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En immersion

La France vient de vivre une expérience unique : le confinement de toute sa population pendant près de deux mois. Durant cette période, l'Ifop, le magazine Le Point et le think tank Fondation Jean Jaurès ont mis en place un panel de 33 français(e)s dont le ressenti a été régulièrement recueilli. A l'initiative de Jérôme Fourquet, l'Ifop a également réalisé de nombreuses enquêtes d'opinion au cours de ces deux mois.



C'est l'analyse "à chaud", donc sans que le temps ait permis une réelle prise de recul, des réponses à toutes ces prises d'information que nous présente ce livre.



Si l'on met à part le premier chapitre, qui n'échappe pas à quelques poncifs sur l'impréparation de la France, ou plutôt de ses gouvernants, j'ai trouvé l'exercice plutôt réussi. L'ouvrage s'intéresse d'abord à la vie des français, comment ils sont passés de l'état presque d'insouciance à celui de confiné (chapitre 2), puis à leur vie dans le confinement (chapitre 3). Il analyse ensuite l'impact sur le monde du travail (dont les hôpitaux) et ses modes de fonctionnement (chapitre 4), avant d'essayer de tirer quelques enseignements généraux sur notre société (chapitre 5) et sur ce qui pourrait découler de cette crise (Conclusion et Postface).



J'ai trouvé toutes ces analyses intéressantes, utiles, bien étayées et faciles à lire ; c'est plutôt factuel, sans pédanterie ou intellectualisme, et pourtant le sujet pourrait s'y prêter...



Il m'a manqué une dimension : un avis, qui aurait pu être contradictoire, sur ce qu'il en restera dans 2, 5 ou 10 ans. Je vous donne le mien :

- Je crains que les égoïsmes individuels ou massivement collectifs ne reprennent très vite le dessus. Deux exemples : combien de nouveaux cyclistes retourneront à leur voiture individuelle quand l'hiver viendra ? Combien de décisions destinées à protéger l'environnement seront prises, et surtout réellement mises en oeuvre, au niveau des états au détriment des sacro-saints coûts de production et mondialisation de l'économie ? Je ne demande qu'à me tromper...

- Je pense qu'il existe une maille intermédiaire, celle des entreprises (peut-être pas les plus petites ou les plus grandes), des villes ou des cantons, là où l'impact a été très fort (combien de PME disparaîtront ou ne survivront que de justesses à cette crise ? Combien de villes ont mis leurs finances en danger durant cette crise ?) mais où la notion de collectif a encore un sens individuel (si l'entreprise survit, c'est MON emploi qui est sauvé ; si la ville crée une piste cyclable dans ma rue, ce sont MES enfants qui pourront aller au collège à vélo ; etc.). Il me semble que c'est à cette maille que de réels changements, efficaces dans la durée, pourront être impulsés.


Lien : http://michelgiraud.fr/2020/..
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L'archipel français

L'archipel, en géographie, est un ensemble d'îles relativement proches les unes des autres. A l'image de cette donnée géographique, Jérôme Fouquet, directeur du département Opinion à l'IFOP, dresse le portrait d'une société française morcelée, divisée, composée de différents groupes qui se côtoient mais ne partagent pas forcément le même mode de vie ou la même vision du monde.



Certes dans le passé on avait des différenciations au sein de la société: ainsi on pouvait parler des langues régionales, on connaissait un clivage population citadine/ population rurale mais il y avait une matrice commune, un référentiel commun catho-laïque. Cette matrice tend à s'effilocher, processus qui s'accélère depuis plusieurs années.



On entre ainsi selon l'auteur dans une dynamique de fragmentation, qui se manifeste par exemple par le nombre croissant de prénoms "identitaires" donnés aux nouveau-nés.

Parallélement à ceci, un "basculement civilisationnel" semble s'opérer, qui se manifeste par exemple par un nouveau rapport au corps (exemple: l'essor de la pratique du tatouage, la "vogue" de l'incinération ..) un nouveau rapport à l'animal (volonté de donner des droits aux animaux...)



Explosion des réflexes communautaires, individualisme marqué, manque de référence à la nation.. voilà des marques importantes observées avec un virage qui date selon l'auteur, de 2005, moment où le vote sur la constitution européenne a vu le "non" l'emporter.



L'analyse de l'auteur porte beaucoup sur la "sécession des élites", très mal ressentie par la "base".

Les diplômés de l'enseignement supérieur peuvent ainsi "vivre entre eux", marquant un monde divisé, selon les propos récents de Boris Cyrulnik, entre "ceux qui lisent et ceux qui ne lisent pas."



Fin du brassage social qu'on pouvait avoir avec les colonies de vacances d'antan, fin du service militaire, expatriation des élites..tout cela concourt à créer du ressentiment dans les catégories populaires qui réagissent en créant leur propre culture.



Au niveau régional, de grandes disparités de vote, comme le montrent les différentes cartes électorales déployées dans le livre: il s'avère que le quart nord-est du pays semble être entré, depuis 2005, en "dissidence idéologique" selon les propres terme de l'auteur, ce qui se manifeste aux différentes élections par le poids important des partis extrémistes dans ces régions, à rapprocher avec les difficultés économiques rencontrées par ces régions en reconversion..)



Le clivage Gauche/ Droite semble dépassé et on irait plutôt selon Jérôme Fourquet, vers un clivage "gagnants ouverts à la mondialisation"/ "perdants fermés à la mondialisation et aux transformations".

Tout cela dans un contexte de développement de réflexes de repli chez certaines communautés qui se sentent à l'écart des progrès sociaux.

Des communautés religieuses qui se mélangent de moins en moins et qui peuvent se cristalliser sur des points "traditionnels" (rôle de la femme..éducation...)



Dans ce contexte, beaucoup de Français ne se reconnaissent plus dans les choix définis par une élite de plus en plus "internationalisée", d'où l'essor de certains mouvements comme celui des gilets jaunes.



La France, une nation multiple et divisée? C'est la question qui se pose à la fin de la lecture de ce passionnant ouvrage.



L’exposé est très pédagogique, et illustré par de nombreuses cartes, tableaux et graphiques originaux réalisés par Sylvain Manternach.

La démarche d’ensemble est fondée sur la combinaison originale de différents outils (sondages, analyse des prénoms, géographie électorale…), visant à restituer de façon vivante les enseignements spectaculaires de cette exploration inédite de la société française.

Un très bon ouvrage de référence...
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La France sous nos yeux

C'est un travail très complet de sociologue qui nous livre un tableau de la France et de son évolution depuis les Trente Glorieuses. Un livre qui nous montre une société post-industrielle en pleine mutation, avec une hiérarchie déterminante des territoires, des métiers, des types de consommation.



Jérôme Fourquet, directeur du Département Opinions de l'Ifop, avait déjà écrit il y a deux ans "L'archipel français", où il nous montrait une France morcelée, tiraillée entre des tendances contraires et des populations se polarisant de plus en plus. Ici, avec le journaliste Jean-Laurent Cassily, qui travaille pour Slate.fr et L'Express, il s'agit de nous dévoiler une France au quotidien. les effets de la fermeture des usines, l'évolution du commerce et l'essor de la logistique avec Amazon, le tourisme, la spécialisation des territoires (gentrification rurale avec le Perche, par exemple..)



L'analyse de l'évolution de l'habitat est très bien rendue aussi avec l'apparition de l'idéal "Plaza majoritaire"...



Ce qui m'a le plus frappée dans ce livre, parfois un peu trop riche en informations et données à "digérer", c'est ce tableau d'une France fragmentée entre la France "premium" et la France "discount".. Quand les types de consommation donnent un sentiment d'appartenance ou non à la classe moyenne. Une classe moyenne qui évolue et qu'il semble de plus en plus difficile à rejoindre: ainsi le "ticket d'entrée" y est le Bac+2... un ticket pour rejoindre le monde du bureau qui va se démarquer du monde des magasins, des ateliers...



La peur du déclassement est ce qui revient le plus dans l'analyse des auteurs, peur qui se manifeste par exemple dans le type de commerce auquel on peut accéder.



Les auteurs égaient leur analyse en évoquant des films ou des oeuvres représentatifs de telle ou telle tendance, ainsi l'excellent film de Ken Loach "Sorry we missed you" pour évoquer les métiers de services à la personne et les métiers de la logistique.



Enfin des chiffres qui "claquent", j'en citerais seulement deux:

- 800 000 personnes qui travaillent maintenant dans le numérique, dont 77% sont des hommes et 40% sont en Ile de France.

- la part des personnes de plus de 65 ans, c'est 20% de la population en 2020..



Bref c'est un ouvrage de référence qui aide à mieux comprendre les évolutions de ces dernières années, c'est très bien illustré avec de nombreux tableaux. L'abondance de chiffres peut lasser mais cela permet de mieux appréhender les réalités évoquées.
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L'archipel français

Cette étude sociologique est captivante. Jêrome Fourquet, analyste politique et directeur du département Opinion pour l'Ifop démontre que la population française se fracture peu à peu depuis quelques décennies. La matrice du catholicisme a laissé sa place à plein d'autres modes de vies. La France du vingt et unième siècle est passée à un mode ethnoculturel multiple. Pour moi c'est tant mieux. Ensuite se pose la question de l'intégration de toute cette diversité au sein de la république qui doit faire corps.

J'expose, ci-après, les thématiques développées dans ce document ainsi que des thématiques personnelles qui peuvent s'y ajouter.

- Non prise en compte suffisante par le gouvernement et l'état des multiples problèmes écologiques liés à nos modes de consommation et de vies, génération de pollueurs, économie non durable, risques pour la planète. Absence de plan à moyen et long terme pour résoudre ces problèmes écologiques.

- Montées des radicalismes et des extrémismes en tous genres, politiques et religieux.

- Après des siècles de pérennité, chute de la pratique religieuse catholique et quasi disparition de son influence.

- Remise en cause et disparition progressive du modèle traditionnel catho-bourgeois.

- Changement et libéralisation des moeurs, chute du nombre de mariages civils et religieux, augmentation importante du nombre d'enfants nés hors mariage, augmentation et banalisation des divorces.

- Disparition certaine et progressive des prêtres catholiques.

- Disparition de l'influence de la matrice communiste.

- Famille mono parentales nombreuses, acceptation totale de l'IVG et d'un statut pour les personnes homosexuelles et autres genres.

- Mixité sociale à revoir dans les grandes métropoles françaises.

- Fin du service militaire pour les hommes français et des colonies de vacance pour les plus jeunes. Ces deux institutions ayant assurées pendant plusieurs décennies une partie de la mixité sociale à la française.

- Pérennisation marqué et structurante même politiquement, de la société de consommation.

- Division de classes de la société française entre les urbains et les ruraux.

- Séparatisme politique entre les favorisés du système, les CSP+ habitant les centres des métropoles et les ouvriers plus ruraux ou périphériques.

- L'élite hors sol de la nation vit dans son entre soi et fait des lois pour elle-même. L'autre partie de la population se sent méprisé par cette dernière.

- Etiolement du clivage politique gauche/droite traditionnel.

- Nouveau clivage politique entre la France d'en bas et celle d'en haut, et montée des populismes de gauche comme de droite.

- Naissance d'un bloc libéral élitaire qui profite de la mondialisation de l'économie, au détriment du reste de la population française.

- Ce bloc libéral, diplômé, flexible sur le marché du travail hautement employable profite à l'élection d'Emmanuelle Macron en 2017.

- Gauche et droite française à reconstruire.

- Stratification éducative de la société française.

- Individualisation des modes de vies et de la société française dans son ensemble.

- Culte de la performance de groupe ou individuelle.

- Percée à long terme du rassemblement national, anciennement front national, jouant avec les chiffres de l'immigration, les peurs, et les frustrations identitaires et économiques d'une frange importante de la population française.

- Percée à long terme du mouvement de la France insoumise replaçant l'humain au centre des débats.

- Monter des inégalités économiques de classes, fin de mois impossibles, ras le bol taxo-fiscal d'où la naissance du mouvement des gilets jaunes à la fin de l'année 2018.

- Fragmentation ethnoculturel dans les quartiers dit sensibles et montée du radicalisme islamique.

- Crise migratoire.

- Crise identitaire.

- Affirmation de l'identité de la population d'origine maghrébine-musulmane, endogamie de cette population.

- Intégration à la société française différente pour la population d'origine maghrébine.

- Attachement à la religion musulmane à la pratique et au respect de ses moeurs, virginité avant le mariage, pratique du ramadan, pour cette population.

Cet ouvrage est destiné pour les personnes s'intéressant à l'évolution de la sociologie française et à sa compréhension.

Tous ces bouleversements sociologiques font que les hommes et les femmes politiques sont perdus face à une France qui change très vite et qui ne ressemble plus aux anciens modèles. La classe politique doit effectuer un changement de logiciel s'ils veulent satisfaire les français.

Grâce à cet ouvrage je comprends mieux pourquoi le mouvement la république en marche est au pouvoir et au détriment de qui. Il reste une question importante pour les partis politiques traditionnels de gauche comme de droite.

Face à LREM à l'extrême gauche et à l'extrême droite seront-ils capables de reparler aux français et seront-ils capables de reconquérir leur électorat perdu ?



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La France sous nos yeux

Jérôme Fourquet, directeur à l'IFOP et Jean-Laurent Cassely, journaliste à Slate.fr ont mis à profit les périodes de confinement pour accoucher de ce monumental ouvrage décrivant la France de 1980 à 2021, communément appelée "La France d'après". Après les Trente glorieuses (1950-1980), période de déclin de l'agriculture au profit de l'industrie et la naissance de la société de consommation.

La France d'après, c'est celle du déclin de l'industrie au profit d'une société de services, où les néo-ruraux adeptes de la collapsologie côtoient les gilets jaunes, les employés de start-up les cadres reconvertis dans l'artisanat.

Un livre intéressant et bien documenté, qui se lit comme un roman et permet de mieux comprendre l'évolution des quarante dernières années pour ceux qui, comme moi, les ont vécues.

Ce livre est basé sur de nombreux livres (liste : https://www.babelio.com/liste/28445/La-France-dapres-selon-Jerome-Fourquet-et-Jean-La), mais aussi articles de presse nationale, régionale, en ligne et même internationale, des statistiques et des témoignages pris dans tous les milieux sociaux et toutes les régions.



A lire sans modération



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La France sous nos yeux

La France sous nos yeux est l’essai le plus passionnant que j’ai lu depuis des années.

Les deux auteurs analysent l’état de la société française avec un regard aiguisé, et surtout ce ne sont pas des intellectuels hors sol déconnectés de la réalité. Ils se basent sur des chiffres, ils observent les spécificités de chaque territoire et de chaque classe sociale, c’est bien vu, c’est pertinent, c’est éclairant.

C’est aussi touchant quand ils parlent de ma région, la Lorraine, et plus généralement des territoires victimes de la désindustrialisation. C’est poignant quand ils expliquent les émeutes du Nutella et la fierté des personnes pauvres de pouvoir offrir des produits de marque à leurs enfants.

Les exemples sont parlants et font de ce livre une lecture marquante qui pourrait utilement être conseillée à tout le personnel politique.
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La France sous nos yeux

En s'appuyant sur les outils modernes de traitement des données et de cartographie et en s'inspirant de la méthode de Fernand Braudel, il est possible d'avoir assez de recul pour prendre la mesure des changements de l'économie, des paysages et des modes de vie français au cours des quarante dernières années, c'est-à-dire de sentir la marée sous la houle et la houle sous l'écume...



L'auteur de l'Archipel français dresse ici un tableau dynamique de la France et montre, par de nombreux exemples combien la "France d'après" est différente de celle de la fin des Trente Glorieuses.



Cet essai contient une mine d'informations chiffrées, mais faciles à lire car commentées en langage souvent clair et synthétisées dans d'excellents graphiques et cartes. Il arrive cependant parfois que le langage universitaire prenne le pas sur l'expression compréhensible par tous. Ainsi, à propos du paysage, peut-on lire : "Si l'on peut entreprendre de typologiser les espaces selon leur degré de désirabilité, force est de constater qu'en termes de paysage, les lignes de partage sont souvent de plus en plus brouillées avec une forte intrication des types de contruction et des esthétiques qui y sont associées". Il arrive heureusement que le raccourci soit percutant : le cariste a remplacé l'ouvrier et "les racks (...) et tapis roulants ont remplacé la chaîne de montage", la plateforme de distribution a remplacé l'usine. En forçant le trait, on peut considérer que la France consomme et s'amuse, mais ne produit plus.



On pourra être agacé par l'usage fréquent de termes américains (gaming, génération millenial, boomurb, home staging, backstage, low cost, hard discount, package, drive, coworking, hot spot, hub, go fast, success story, etc.), mais l'usage dans la vie courante d'une partie de ce vocabulaire traduit par lui-même l'évolution de notre société.



L'ouvrage aborde successivement les changements de l'économie (la zone commerciale et les espaces de loisir versus l'usine), l'attractivité changeante des territoires, la "démoyennisation" des styles de vie, la modification des métiers et la stratification des couches culturelles. Chaque partie de cet essai est largement documentée et le point de vue proposé sérieusement argumenté. le document offre dans ses 454 premières pages une description fine de la France actuelle. La fin de l'essai tente d'avancer des conclusions en termes de politique en rapprochant les tendances observées lors de votes récents avec le substrat socio-économique des territoires analysés, laissant ainsi le lecteur deviner ce qu'il pourrait advenir. L'intérêt de cet essai ne réside pas dans sa conclusion, mais dans le travail d'analyse descriptive de notre environnement : nous sommes dans un monde qui bouge, les auteurs nous montrent (et démontrent) le mouvement et sa direction.



Curieusement, internet, la téléphonie mobile, les réseaux sociaux, le vieillissement de la population et autres thèmes sont peu abordés en tant que tels. Leurs conséquences (vente en ligne, repas servis à domicile, soins à la personne et autres) sont en revanche largement prises en compte.



Les compétences complémentaires des deux auteurs en matière de statistiques, sociologie et culture générale (mais aussi "branchée") font merveille tout autant que la complémentarité entre la vue globale et l'analyse de cas particuliers (le Perche, la Drôme, Paris, les logements construits avant 1949, etc.).



Bref, nous avons là incontestablement un ouvrage de référence --agrémenté de citations littéraires contemporaines-- qu'il sera utile pour les candidats et précieux pour les électeurs d'avoir lu avant d'essayer de comprendre le comportement de nos compatriotes lors des prochaines échéances électorales, ou, à Dieu ne plaise, lors d"événements moins démocratiques.
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La France d'après : Tableau politique

a france d'après



Voici la meilleure étude sociologique(*) de l'état de la société française et des mutations qu'elle a subies pendant les dernières décennies ; hélas ; hélas non à cause de ses défauts, mais en raison de ses qualités, et notamment de sa fidélité.

Il en dresse le tableau politique, économique et social, rendant hommage au passage au classique Tableau Politique de la France de l'Ouest (ce que, curieusement, Piketty fait aussi dans sa récente Histoire du conflit politique, dont les thématiques recoupent partiellement celles du présent ouvrage), d'ailleurs pour constater souvent à quel point le monde a changé.

Cet ouvrage repose sur un énorme appareil statistique, mais l'auteur ne dédaigne pas à l'occasion de s'appuyer sur tel ouvrage romanesque, de L'été circulaire de Marion Brunet à Chaleur humaine de Serge Joncour en passant par le Conemarra de Nicolas Mathieu et l'incontournable Anéantir de Michel Houellebecq, revenant ainsi à une excellent pratique initiée par le grand sociologue Louis Chevallier dans son maître-livre Classes laborieuses et classes dangereuses. Il se réfère aussi à son collègue géographe Christophe Guilluy, quitte à l'égratigner un peu au passage, et à Emmanuel Todd, auquel il emprunte la notion de catholicisme zombie (**), recourant ainsi à des cources aussi originales qu'éclectiques, et toujours judicieuses et éclairantes.

Quand au tableau de la France, eh bien vous en avez déjà une idée, non, puisque vous y vivez ?

Maiq grâce à ce livre elle sera plus précise et plus générale à la fois, et vous apprendrez bien sûr beaucoup de choses.

Je ne vais pas chercher à paraphraser où à résumer le contenu du livre, ce serait sans int »rêt et d'ailleurs irréalisable.

Mais je permettrai cependant de faire ce que l'auteur, par probité scientifique, s'est interdit : qualifier cet état, qu'il a si bien décrit.

Il est effrayant. Une société plus atomisée que jamais, éclatée entre des groupes qui n'ont plus d'intérêts, et de moins en moins de langage en commun, qui d'ailleurs ne vivent même plus aux mêmes endroits, dont les écarts de revenus se creusent, auxquels il n'est offert aucune solution dans un paysage politique tout aussi éclaté, et dominé par des forces semblant irréconciliables, une anomie croissante en raison de l'effondrement de l'état et des groupes intermédiaires qui contribuaient avec lui à structurer la société française, particulièrement de ces deux forces antagonistes et complémentaires qu'étaient l'Eglise Catholique et le Parti Communiste, dont il ne reste que des lambeaux, un éclatement entre deux traditions culturelles résultant de l'existence d'une forte minorité musulmane, qui n'est pas sans conséquences sur les moeurs, les sociabilités et la cohésion nationale, que Fourquet a le mérite de ne pas chercher à le nier ou à le dissimuler comme le fait par exemple Piketty dans on ouvrage précité, qui le noie sous un flot de pétitions de principe et de statistiques « oubliant » certains éléments significarifs.

J'ajouterai encore une réflexion personnelle: nous payons et n'avons pas fini de payer quarante (et peut-être cinquante) années terribles où nous avons bradé et laissé bradé notre héritage pour un plat de lentilles idéologiques





(*) d'aucuns me feront peut-être reproche, cela m'est déjà arrivé, d'oser qualifier de sociologique un ouvrage qui n'émane pas d'un sociologue professionnel, certifié et patenté, et de l'employer pour celui-ci, dont l'auteur ne bénéficie pas de cette éminente qualification. Je persiste et signe.

(**) pour ceux qui n'ont pas lu Todd, et pas encore Fourquet, pas de panique ! Todd désigne ainsi le comportement électoral de ces régions de l'ouest de la france, profondément catholiques à l'époque où écrivait Siegfried, et à celles des premiers travaux de Todd, mais presque totalement déchristianisées aujourd'hui.

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La France sous nos yeux

Une description imagée de la France « d'après » la société post-industrielle et de consommation, un véritable manuel d'archéologie culturelle et politique, assorti d'une belle brochette de cartes. Car nous vivons au coeur de la « grande métamorphose » qui se au cours des 30 dernières années et s'accélère en ce moment, et non du « grand remplacement » évoqués par certains …



Entre paysages fabriqués et paysages consommés, gentrification et ghettoïsation, disparition des activités industrielles désormais considérées comme ringardes et polluantes et essor insolent de la société de loisirs, les transformations économiques ont un impact sur les paysages et les relations sociales. L'élargissement de la classe moyenne et en même temps la bipolarisation de la société « en sablier », tiraillée entre « prémiumisation » et économie de la débrouille, tous ces éléments génèrent de la frustration.



Les auteurs n'en finissent pas d'analyser les ressorts profonds du mouvement des Gilets jaunes. Une surprise pour de nombreux acteurs politiques. Ces manifestants auront eu le mérite de faire connaître à tous leur situation précaire. Après avoir inventé le concept d'"archipel", le livre propose celui de "constellation" : les motifs de révolte de la constellation populaire des « classes subalternes », celles qui se placent juste au-dessus des « classes ancillaires » (j'ai horreur de cette dénomination !). Cependant, ces groupes sociaux sans conscience de classe demeurent divisés, spontanément toujours en révolte mais inorganisés.



Dans cette société où s'évanouissent les cadres collectifs traditionnels (village, famille, syndicat, paroisse, usine …) se nouent cependant de nouvelles convivialités (clubs de dance country, cours de yoga, ronds-points, célébrations évangéliques, bikers, véganisme et animalisme …). A l'autre bout du spectre, la pratique de l'anglais constitue une véritable ligne de clivage social.



Désindustrialisation et tertiairisation de l'économie, nouvelle hiérarchisation des territoires et de leur désirabilité, nouvelle stratification éducative (avoir le bac ou pas ?) : la COVID et le TGV ont servi de catalyseur et d'accélérateur à cette transformation parfois radicale des modes et des choix de vie. Et les effets de cette grande métamorphose sur le paysage politique sont majeurs. On découvre un certain nombre de nouveaux concepts : l'objectif des classes populaires d'accéder au niveau « Plaza majoritaire » (en référence à l'animateur immobilier de M6), les cassos (cas sociaux), la valise marocaine (unité de transport des stupéfiants par Gofast), la banane bleue (mégapole européenne) …



Cet ouvrage est indispensable à tous les « sachants » impliqués dans la campagne électorale qui nous envahit déjà.
Lien : http://www.bigmammy.fr/archi..
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La France sous nos yeux

C'est un ouvrage qui est très complet.



L'enquête est dense mais cela m'a permis de bien comprendre certainnes subtilités du monde qui m'entoure.



J'ai vraiment apprécié dans ce document:

-Les nombreuses cartes.

-Les nombreux graphiques.

-La pertinence des sujets traités.



Ce livre rend accessible des sujets très complexes.



Je remercie les auteurs pour la qualité de leurs recherches et la neutralité du contenu.



Pour ma part, il manque une synthèse de fin.
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L'archipel français

Jérôme Fourquet est un intervenant connu de « C dans l’air ». Il s’attache à comprendre l’évolution d’un pays longtemps perçu comme un pays de cocagne. Les Allemands ne disaient-ils pas « Heureux comme Dieu en France » ?



J’ai lu avec intérêt cet essai. La France qu’il nous dévoile ressemble à un pays morcelé, fragmenté en sociétés et contre-sociétés qui au mieux s’ignorent, et au pire se détestent. Ce qu’il nomme du doux nom d'Archipel est une réalité dérangeante.



Pour l’auteur, la France d’autrefois construite sur une matrice catholique et républicaine s’est complètement disloquée. Il part pour établir ce constat de la réalité (développement de certaines pratiques, consommations, prénoms). La partie la plus intéressante — et la plus polémique — vient du fait que Fourquet donne indirectement raison aux défenseurs de la théorie du grand remplacement. Pour cela ; il analyse l’évolution des prénoms et notamment la croissance impressionnante des prénoms musulmans.



La France qu’il dessine ressemble à celle que beaucoup de Français voient depuis longtemps dans le métro ou le RER, aux sorties des écoles. Une France métissée très loin des films de Claude Autant-Lara.



Une sorte de grand Liban ou de Yougoslavie d’avant la guerre civile. L’auteur s’arrête à ce constat de fragmentation sans vouloir en dessiner les conséquences possibles. Son discours se fait plus consensuel. L'homme de média est bien placé pour savoir ce que le politiquement correct peut accepter avant de prononcer une excommunication médiatique.



Mais le lecteur ne peut que s’interroger sur la suite logique de cette dislocation.



Dans cette interrogation, je ne peux m’empêcher de penser au glaçant roman « Demain les barbares, chroniques du grand effondrement» qui m’avait tant marqué.



Le "grand effondrement" français, suivra-t-il ce « grand bouleversement » dévoilé par Jérôme Fourquet ?



On ferme le livre de Jérôme Fourquet taraudé par cette sourde inquiétude…

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La France sous nos yeux

L'archipel Français de Jérôme Fourquet m'avait déjà fortement marquée par la force de ses conclusions et l'intelligence de ses analyses. Il en va de même pour ce nouveau livre, co-écrit avec Jean-Laurent Cassely. Un tableau complet de la France d'aujourd'hui nous est peint ,  se revendiquant le plus  réaliste possible et mettant parfois à mal une image romantique et fantasmée que nous pouvons avoir de notre propre pays. Les chiffres ne mentent pas lorsqu'ils sont analysés par des auteurs pragmatiques. J'aime particulièrement les domaines étudiés , trop souvent considérés comme peu dignes d'intérêt : musiques urbaines et populaires, nourriture de fast-food et kebab, émissions de télévision et achats internet... Ils ne s'interdisent rien. Cela permet véritablement de comprendre la société à laquelle nous appartenons et de saisir que nous-mêmes répondons à des normes de notre classe sociale et de notre éducation. C'est tellement frappant parfois que l'on se demande bien où se trouve notre libre-arbitre !

Ce livre est donc à lire , je ne donnerais qu'un seul bémol : une comparaison avec les autres pays occidentaux- ou européens- serait un vrai plus pour distinguer  les évolutions qui relèvent intrinsèquement de la France et celles qui sont à l'œuvre dans l'ensemble des pays riches.

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La France sous nos yeux

Un livre étonnant qui invite à s’interroger sur l’écart existant entre les transformations économiques et sociales de la France et leur impact sur les modes de pensée et les idées politiques.

C’est enfoncer une porte ouverte que d’évoquer les profondes mutations que la France a connues ces cinquante dernières années, ce livre a néanmoins le mérite, de partir de ce constat, pour dresser une géographie minutieuse de ce que l’industrialisation a laissé et continue de laisser de cicatrices dans la société et les paysages, les deux entités se nourrissant l’un l’autre. Ainsi sont morts les bassins houillers, supports d’une industrie lourde elle-même fixant toutes les activités de transformation au cœur de régions vivantes, structurées par une société duale, où ceux qui produisent, de leurs mains d’or, partagent une solidarité et une culture commune.

Cet héritage du 19ème siècle a bel et bien explosé, et dans ce profond cataclysme prend forme l’émiettement social, culturel, politique que nous vivons aujourd’hui. « La France sous nos yeux » dessine les nouveaux contours de ces réalités contrastées, un pays à plusieurs vitesses d’où les inégalités n’ont pas disparu mais où la solidarité de classe elle, n’existe plus, dans le kaléidoscope des activités nouvelles.

Nous nous promenons ainsi, dans cette France nouvelle, avec l’impression de la connaître et de la découvrir aussi : France des dynamismes régionaux d’un nouveau type où la consommation et la logistique dessinent de nouveaux flux qui structurent à leur tour de nouveaux dynamismes locaux. France périphérique, espaces périurbains, marginalisés par les réseaux de transport, la consommation et la culture qu’ils transportent, France des nouveaux métiers, France d’un univers culturel aux références venues d’ailleurs, on s’y reconnait ou on en est exclu. Le tableau est implacable, il a également le mérite d’explorer cette sphère culturelle dans sa diversité, sa complexité, de mettre en relief de nouveaux critères pour montrer comment l’espace change, se ramifie, se hiérarchise. Il propose en particulier une analyse fine des classes moyennes dans leur polarité, les uns poussés vers le haut, les autres aspirées vers le bas.

Un livre très descriptif, qui n’apporte pas de solutions mais qui présente une réalité éclatée et complexe, au lecteur de réfléchir, de penser, d’analyser sur le plan politique le chemin à parcourir pour que ce puzzle prenne forme et que la société reconnaisse à tous ceux qu’elle invisibilise, la digne place qui leur revient.

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