Citations de Jérôme Lambert (55)
Les mères se remettent d'un tas de choses que beaucoup d'entre nous ne pourraient même pas encaisser.
- Lemeur ! Vous dormez ?
Apparemment la question s'adresse à moi.
D'ailleurs, étant donné le ton aimable sur lequel
ces trois mots viennent de traverser la salle comme
des boulets de canon, on ne peut pas exactement
parler de question. On est plus proche de la gifle.
Quoi qu'il en soit, je suis le seul à porter ce
nom dans cette classe de trente-quatre élèves et
je ne peux pas faire semblant plus longtemps.
Franchement, ça ne m'arrange pas. Je me serais
bien passé d'un réveil aussi brutal. Parce que, pour
répondre à la question du gracieux M. Pointelle
qui me sert de prof de SVT, eh bien oui, je dormais.
Et profondément en plus.
Fatou ne renouvelait pas ma période d'essai ; j'étais viré, licencié sans préavis, au chômage de l'amour, et sans toucher le Revenu de Solitude Amoureuse. Je devais me préparer à l'exclusion sociale, à la dégringolade dans l'enfer du célibat, à la honte publique et aux moqueries dans la cour du collège.
" Une des plus grosses épreuves dans ma vie quotidienne ( à part les endives au jambon au dîner, mais pour ça, il me faudrait six heures de colle pour faire le tour du sujet et expliquer le problème), un des pires moments de mon existence est le matin."
Suis-je le seul à remarquer que les choses terribles arrivent toujours "par un matin comme tous les autres" ? Les massacres collectifs, les attentats dans les aéroports, les interros surprises et tout le reste. Ce serait trop facile si on était prévenu dès le début de la journée. Par exemple, si au lieu de voir s'afficher l'heure, on voyait sur son réveil clignoter "Attention, journée pourrie ! Teste au lit". Ou bien si on pouvait lire dans notre bol de céréales le mot "DANGER" à la surface du lait.
En amour, la condition indispensable pour ne pas être malheureux comme les pierres, c'est d'être aimé en retour par la personne qu'on aime. Ça peut paraître idiot de le préciser, mais on l'oublie trop souvent. A mon avis, beaucoup de problèmes dans le monde seraient évités si on obéissait à cette règle d'or (et j'y inclus les guerres civiles et certaines crises économiques).
Si je suis devenue aide-soignante, c'est parce que ma place est auprès d'eux au quotidien, c'est ce que je fais de mieux. Après une opération à cœur ouvert, une greffe du rein ou une mastectomie, même si on vient de sauver une vie, on retire ses gants et on enchaîne. Moi, je ne pourrais pas me contenter de ce tête-à-tête sur le billard, encadré par deux visites en chambre pour briefer et débriefer comme ils disent maintenant. Il faut que je touche leur peau, que je les regarde dans les yeux, que je les bichonne. Il faut qu'on se parle surtout. Bien sûr que les anesthésistes sont la clé de voûte de l'opération, mais la résurrection, c'est entre mes mains qu'elle a lieu.
Ce qui me dérange, c'est quand le tyran qui règne sur ses sujets en profite et exige de chacun un peu plus chaque jour. J'ai toujours peur que les gens se perdent eux même, qu'ils ne se retrouvent plus et ne comprennent que des années plus tard, enfin libérés, à quel point ils furent malheureux. Sans parler du nombre d'années supplémentaires pour soigner tout ça, se restaurer, se reconstruire vraiment. Je crois que les mécanismes qui régissent nos cœurs sont beaucoup plus fragiles qu'on ne se le figure.
Ça devrait être interdit de parler d'amour à ceux qu'on a aimés. [sous entendu : et qu'on a quittés]
[...] c'est avec douceur, avec cette sorte d'amour que nous sommes seuls à pouvoir donner, nous les blouses de la nuit, les changeurs de draps, les serveurs de repas, les toiletteurs et les aides-soignants aux fronts luisants, les infirmières soucieuses et souriantes, les ombres glissants autour des lits, nous sommes l'armée aux chaussons qui couinent, les gardiens des douleurs, veilleurs de morphine, les derniers regards plongés dans leurs iris avant la nuit.
- Mon petit bonhomme, il faut toujours préférer la joie. Elle est meilleure conseillère. Préfère la à la colère, au malheur, à la tristesse. Si tu y arrives bien sûr, parce que ce n'est pas donné à tout le monde et chacun règle ses problèmes comme il peut.
Les cailloux me paraissaient les êtres les plus enviables de la Création. D'abord parce qu'ils ne s’embarrassent pas de savoir s'ils sont heureux ou non. Ils sont. Point barre. Ensuite parce qu'ils sont toujours bien là où le destin les a posés. Un caillou ne dépare jamais son environnement. Même un galet de plage qui se retrouverait par un concours de circonstances au milieu d'une forêt aurait toujours l'air à sa place. Il ne serait ni trop plat, ni trop salé, ni trop joli. Et je suis sûr que les autres cailloux de la forêt l'accueilleraient sans préjugés. Les cailloux ne jugent pas, les cailloux ne se plaignent pas.
Ce qui angoisse, ce qui oppresse, ce qui donne envie de chialer ou de défoncer un mur, c’est pas la certitude qu’on ne va jamais sortir de l’hôpital et y mourir, c’est qu’on va devoir y revenir.
" Mon conseil : méfiez-vous des matins comme tous les autres. Ce sont les pires."
Je suis un garçon qui fait l’inverse de ce qu’il veut vraiment. C’est un métier à plein temps et promis à un grand avenir.
Oui, en effet, on aime le foot en général à mon âge. ET ALORS ? Est-ce que j'ai une tête à faire du foot le mercredi ? Non, je n'aime pas le foot en particulier ni les sports collectifs en général. Ça ne veut pas dire que je suis un cas perdu et ça n'a rien à voir avec le fait d'avoir mauvais caractère. Ce n'est pas obligatoire dans l'existence d'un homme de savoir marquer un but dans la boue en short, que je sache. Des tas de gens réussissent leur vie sans enfiler une paire de crampon, non ?
Et sans manger d'endives.
Enfin, j'espère,sinon les soixante prochaines années s'annoncent mal pour moi.
J’aime pas les filles. Elles me font peur. Et elles crient. Souvent. Fort. Et pour un rien. Les filles crient quand elles sont folles de joie, folles d’émotion, folles de rage, folles d’amour et folles de tristesse. Ça fait beaucoup d’énergie pour rien et ça abîme la peau du visage, me dit mamie.
Qui sait de quoi est capable une fille avec des ongles verts incrustés de diamants en forme de coeur et d'étoiles ?
Depuis ce jour, je ne crains plus la mort des patients. J'ai passé une soirée avec le fils de Mme Dufreux, nous avons veillé tard et j 'ai compris en rentrant chez moi à pied, en traversant la ville aux trottoirs enfin mouillés d une fine pluie, que lorsqu'un patient mourait j'avais le droit d'être triste. Ça ne dure pas, les autres arrivent, les lits se remplissent, les visages changent et se succèdent, mais j ai le droit d accuser le coup. Un soir ou deux.
Je peux être très fort pour me faire des nœuds dans le cerveau, comme me le dit parfois mamie. Ou pour me prendre la tête, comme me le dit parfois Coûton.
C'est vrai, je me complique la vie parce que je réfléchis trop, j'ai besoin de savoir immédiatement ce que je ressens face à telle ou telle situation. Comme si on pouvait analyser en direct ce qui se passe en nous. J'ai besoin de savoir pour pouvoir me protéger, je crois. Pour ne pas être pris au dépourvu par la vie. C'est aussi bête que ça.