Jonathan Coe

"Je faisais partie de votre famille, dit-elle, parlant lentement et choisissant chaque mot avec soin, en articulant d'une voix égale. Je suis partie en vacances avec vous. J'ai dîné avec vous. Je suis allée à vos mariages, à vos baptêmes et à vos enterrements. Je leur ai donné des petits-enfants, à Geoffrey et Mary. On s'est fréquentés pensant trente-deux ans, lui et moi. Trente-deux ans. Et pendant tout ce temps, tu sais quoi ? Pas une seule fois - pas une seule - il ne m'a regardé dans les yeux. Il n'a pas pu. Il n'a pas pu s'y résoudre. Même à la fin, quand Angela et moi on s'occupait de lui, quand on le lavait, qu'on l'habillait, qu'on ... nettoyait derrière lui. Et pendant tout ce temps, vous tous.... Oui, c'est sûr, vous avez toujours été sympas, vous avez toujours été gentils, vous avez toujours été chaleureux, mais vous saviez. Vous voyiez. Tous autant que vous êtes. Et vous n'avez jamais levé le putain de petit doigt. Jamais rien fait, bordel. Vous avez serré les rangs. Vous ne lui avez jamais rien dit, et tu sais ce que ça signifie ? Ça signifie que vous avez pris son parti. Alors ça n'a rien à voir avec qui a voté quoi - enfin, peut-être que le référendum a été la goutte d'eau, mais franchement, rien à foutre de savoir si tu veux faire parti de l'union européenne ou pas, on s'en cogne. C'est juste que ç'a encore plus clarifié les choses. Sur nos positions. Sur ta position. Et celle de Mary, aussi. N'oublions pas Mary. Nom de Dieu, j'ai aimé cette femme, que personne ne commence à me dire que je ne l'aimais pas - c'est moi, bordel de merde, c'est moi qui suis rentrée dans la maison ce matin-là et qui ai essayé de la sauver, c'est moi qui lui ai fait un massage cardiaque, qui lui ai ouvert la bouche et qui ai tout tenté pour qu'elle respire à nouveau -, mais disons la vérité là-dessus, Jack, soyons honnête, même elle, même Mary n'a jamais pris ma défense contre lui. Pas réellement. Bon sang, elle ne lui a même pas dit pour Peter, il est mort sans même avoir reconnu que son propre fils était gay, et tout ça... pour quoi ? Tout ça pour avoir une vie tranquille. Tout ça pour préserver la famille sacrée, comme s'il n'y avait rien de puant sous les apparences. De vraiment puant."

Plat, terriblement plat et ennuyeux, je m'interroge face aux bonnes critiques que le livre a suscité. Dues peut-être au renom de Jonathan Coe et à la qualité de ses œuvres antérieures.
Personnages sans relief, qui n'expriment que bien peu d'émotions et ne m'ont fait en ressentir aucune.
Dommage car le thème semblait intéressant.

Près de deux ans plus tard, je reste triste et en colère à l’idée que ma mère est morte seule, dans traitement pour soulager la douleur, et que ses proches se sont vu interdire tout contact avec elle au moment où c’est arrivé. Mais enfin, comme des milliers de familles dans tout le pays - et contrairement à ceux qui occupaient alors le 10 Downing Street -, nous respections les règles.

Elizabeth aurait aimé que la photo lui en dise davantage : lui dise ce que sa mère pouvait penser, ou ressentir, en cette grande occasion familiale, si fraîchement mariée. Pourquoi les photos - les photos familiales - donnaient-elles toujours aux gens un air si insondable ? Quels espoirs, quelles angoisses secrètes se dissimulaient derrière ce visage incliné avec tant d'assurance, derrière cette bouche arborant son sourire caractéristique et légèrement tordu ?

C’est ainsi que les choses se passaient désormais entre eux, depuis la mort de Geoffrey : Mary était incapable de prendre la moindre décision, même anodine, sans consulter ses fils et Peter en particulier. Ils avaient été stupéfaits de découvrir dans les premiers mois de son veuvage, à quel point cette femme dynamique était démunie dans bien des domaines. Elle n’avait encore jamais fait le plein de sa voiture, ni retiré de l’argent à un distributeur, et ils durent l’accompagner dans ces tâches, étape par étape.

It was the world, the world itself that was beyond his reach, this whole absurdly, vast, complex, random, measureless, construct, this never-ending ebb and flow of human relations, political relations, cultures, histories…How could anyone hope to master such things ?

Je suis convaincu que de bien meilleurs compositeurs qu'Andrew Lloyd Webber ont pâti du fait que les comédies musicales et les concerts sont à dix pour cent des œuvres d'art et à quatre-vingt-dix pour cent une simple étape dans un rituel de séduction. Il est amusant de penser que quelqu'un comme Debussy a sué sang et eau sur l'orchestration de telle ou telle mesure de Pelléas et Mélisande, sans se rendre compte que la plupart des hommes présents au concert seraient bien trop occupés à risquer une main sur le genou de leur voisine pour se soucier de la musique.

Le plat principal consistait en une côte de porc caramélisée accompagnée de pommes de terre à l'ail. La viande (comme les œufs de caille) venait de chez Dorothy […]. Elle gardait, dans un enclos derrière sa ferme, un petit troupeau de porcs élevés en plein air, pour son usage personnel. Comme Hilary (qui ne regardait jamais ses propres programmes de télévision), Dorothy n'avait jamais eu la moindre intention de consommer les produits qu'elle était trop heureuse d'imposer à un public résigné.

« Ces écologistes nous tapent sur le système autant qu'à toi, reprit Henry en attaquant le plat avec gourmandise. Ils ont bousillé le marché du veau, par exemple. »
C'était vrai : les plus importants producteurs de veau de Grande-Bretagne avaient récemment dû détruire leurs box étroits et revenir à un élevage en plein air.
Sous la pression du public, le directeur général avait admis que le système intensif était « moralement répugnant ».
« Eh bien, je trouverai encore un usage à ces box, déclara Dorothy. On peut les exporter, après tout. Et puis, ce sentimentalisme autour des veaux est complètement stupide. Ce sont des créatures absolument dégoûtantes. Sais-tu ce qu'ils font si on ne leur donne pas d'eau pendant quelque temps? Ils se mettent à boire leur propre urine. »

Maria avait toujours cru en Dieu, mais en revanche elle n’avait pas la moindre preuve qu’il croie en elle.

- Et si jamais je mourais avant ? »
Au lecteur d’imaginer un bref silence.
«  Je t’aime, Maria.
- Et pourtant tu sais bien que je te trouve insensé. Si tu crois pouvoir contrôler ta vie ainsi, tu ferais mieux de te trouver une autre fille, une fille qui saurait de quoi tu parles quand tu dis ça. »
Ce conseil piqua Ronny à ce que nous autres romanciers appelons le vif. Pourtant, comme d’habitude, il n’en tint pas compte.

«Tu sais, cette soirée nous a rappelé à tous les deux quelque chose d'important. » Je me demandais à quoi il pouvait songer- ce que lui et moi pouvions bien avoir en commun «Peu importe ce qu'elle te réserve par ailleurs, reprit-il, la vie aura toujours des plaisirs à offrir. Et il faut savoir les saisir. Et puis cet homme qui avait accompli tant de choses en son temps, et tant souffert aussi, tira sur son chapeau pour l'incliner sur son crâne selon un angle parfait, et me fit un salut : "Souviens-toi de ça", ajouta-t-il. Et je m'en suis toujours souvenue.

La vie est moche. On le sait tous. Pas besoin d'aller au cinéma pour savoir que la vie est moche. Les gens y vont parce que ces deux heures apportent à leur existence une petite étincelle, qu'il s'agisse de comédie et de rires ou simplement.. je ne sais pas, de belles robes et d'acteurs séduisants, ou n' importe quoi d'autre - une étincelle qui n'était pas là auparavant. Un soupçon de joie,| peut-être.

- Eh bien, tu ne peux pas comprendre, bien sûr. Tu es trop jeune. Avec l'âge, les espoirs rapetissent et les regrets grandissent. Le défi, c'est de lutter contre ça. D'empêcher les regrets de prendre le dessus. Tu me suis ?

Je n'avais pas emporté de robe, ni rien de ce genre. Pour quoi faire? Je ne savais pas du tout que c'était le projet. Je me suis mariée en jean élimé, coiffée d'un bandana. Quelle importance, ce qu'on porte? Ce qui compte, c'est qui on épouse.

C'est curieux comme parfois les idées les plus importantes et les plus lourdes de vérité vous viennent pendant l'accomplissement d'un geste routinier, alors qu'une partie de votre esprit est focalisée sur autre chose.

Je n'avais encore jamais goûté de martini, et j'adorai son âpreté acidulée : comme une gentille claque sur le visage après un évanouissement pour vous ranimer, après un évanouissement.

La dernière image que le journaliste garda de la source à laquelle il avait si longtemps fait confiance fut celle d’une silhouette qui gesticulait en s’éloignant, les bras encore prisonniers des manches de la veste récalcitrante croisés sur sa poitrine. Allez savoir pourquoi, cette posture lui évoqua la camisole de force.

Il s’interrompit brusquement. Son regard se vida de toute expression. Ses épaules s’affaissèrent. Il contempla la surface mousseuse de son café une bonne minute. Enfin, il leva les yeux et les mots qu’il articula parurent à Doug les plus sincères qui aient jamais passé ses lèvres. « On est dans la merde. — Pardon ? — On est dans la merde jusqu’au cou. C’est le chaos. On court dans tous les sens comme des poulets sans tête. C’est le grand n’importe quoi. On est dans la merde in-té-grale. » Doug sortit précipitamment son portable et se mit à enregistrer. « Officiel ? — On s’en fout. On est dans la merde, alors quelle importance ? — Quel chaos ? Qui court comme un poulet sans tête ? — C’est le chaos dans tous les sens du terme, et tout le monde court. Personne ne s’attendait à ce résultat. Personne n’était prêt. Personne ne sait ce qu’est le Brexit. Personne ne sait comment s’y prendre. Il y a un an et demi, ils disaient tous « Brixit ». Personne ne sait que Brexit veut dire.

La publication de ces derniers chiffres de l’immigration eut un effet galvanisant sur la campagne du référendum. Le débat se déplaçait. Il portait moins sur les prévisions économiques, la souveraineté et les avantages de faire partie de l’UE. À présent tout tournait autour de l’immigration et du contrôle des frontières. Le ton aussi avait changé, on y entendait plus d’amertume, d’implication personnelle, de rancœur. Une moitié du pays semblait être devenue farouchement hostile à l’autre. Il y avait de plus en plus de gens qui souhaitaient désormais, comme Benjamin, en finir avec toute cette affaire lassante, malsaine et clivante et l’oublier au plus vite.

Ce que je comprends pas, c’est où ça va finir ? Comment faire si on continue comme ça ? On fabrique plus rien. Et si on fabrique plus rien, alors on n’a plus rien à vendre… Et comment on va survivre ? C’est ça qui m’inquiète. Parce que, bon, ce qu’on voit là, ça m’inquiète pas, ces terrains vagues, c’est pas grave. Quand on démolit une usine et que tous ces emplois disparaissent, on s’attend bien à voir ça. C’est-à-dire, rien. Mais ce magasin, là, ce magasin immense, bon Dieu, et ces maisons, ces centaines de centaines de maisons ? À quoi ça sert ? Comment est-ce qu’on peut remplacer une usine par des boutiques ? S’il n’y a plus d’usines, comment est-ce que les gens vont gagner de quoi dépenser dans les boutiques ? Comment ils vont gagner de quoi acheter les maisons ? Ça n’a pas de sens. »