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Citations de Jorge Semprun (455)


Je revenais de Buchenwald. J’avais juste eu le temps de voir tomber la neige, en bourrasque soudaine, sur les drapeaux du défilé ouvrier du 1er Mai. juste le temps de constater à quel point la vraie Vie était étrange, à quel point il serait difficile de m’y réhabituer. Ou de la réinventer.
Pourquoi s’est—on perdus de vue? se demandait, me demandait Jacqueline B. C’est vrai, on s’était perdus de vue. On avait même failli se perdre de Vie. C’était simple à expliquer, cependant.
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Il avait alors touché sa main ( par hasard ) ...... Elle avait tremblé de tout son corps . Fabienne ....... avait fait un commentaire sur l'électricité statique , affirmé que ce sont des choses qui arrivent .

Mais il était encore trop tôt . On ne trousse pas la jupe d'une femme dès qu'on la fait trembler en lui touchant la main .....

On ne la soumet pas aussitôt à ses caresses . Un tel comportement , tout à fait naturel d'un certain point de vue , serait qualifié d'animal . Et sans doute y avait-il une part de vérité dans ce jugement péjoratif et péremptoire . Non pas que la satisfaction immédiate du désir , de l'instinct sexuel puisse être considérée inhumaine . Ou immorale . Ce ne sont pas quelques jours de plus ...... qui rendront moral le passage à l'acte . mais il n'y a pas de civilisations sans contrainte , sans conventions culturelles .

Si l'homme et la femme , à la différence des animaux , sont toujours disponibles pour le désir sexuel ...... c'est peut-être parce qu'ils peuvent introduire dans leurs rapports charnels la dimension temporelle , avec ses rituels et ses convenances .
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"C'est quoi le bonheur, Sigrid ?" et je me demande quand je pose cette question, si je saurais dire ce qu'est le bonheur vraiment ,.
(...) C'est quand on réalise qu'on existe, réellement", dit-elle.
(...) C'est quand la certitude d'exister devient tellement aiguë qu'on a envie de crier", dit-elle.
(...) Le bonheur, je t'ai dit déjà, c'est toujours le présent, au moment même."
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La vie était encore vivable. Il suffisait d'oublier, de le décider avec détermination, brutalement. Le choix était simple : l'écriture ou la vie. Aurais-je le courage- la cruauté envers moi-même- de payer ce prix ?
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Voilà où j’en suis : je ne puis vivre qu’en assumant cette mort par l’écriture, mais l’écriture m’interdit littéralement de vivre.
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Mais comment terroriser une foule déterminée par le désespoir, se trouvant au-delà du seuil de la mort?
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Ce gamin blond aux yeux bleus .( Attention : je fabule .Je n 'ai pas pu voir la couleur
de ses yeux à ce moment là .Plus tard seulement ,lorsqu il fut mort .Mais il m 'avait
tout l 'air d 'avoir des yeux bleus .)
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Une tristesse pourtant m’étreignait le cœur, un malaise sourd et poignant. Ce n’est pas un sentiment de culpabilité, pas du tout. Je n’ai jamais compris pourquoi il faudrait se sentir coupable d’avoir survécu. D’ailleurs, je n’avais pas vraiment survécu. Je n’étais pas sûr d’être un vrai survivant, j’avais traversé la mort, Elle avait été une expérience de ma vie.
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" je m'aperçois soudain que je ne puis me rappeler en réalité aucun détail particulier de votre visage. Seulement votre silouhette, vos vêtements, au moment ou vous êtes partie entre les tables du café: cela oui, je le vois encore (lettres à Milena de Kafaka).
Sur cette apparition fugitive, d'une silouhette en movement dans le brouhaha d'un café de Prague, Franz Kafka a construit l'édifice littéraire, aérien, superbe et poignant d'un amour stérile, destructeur, se nourrissant exclusivement de l'absence, de la distance, du manque; se défaisant tristement, misérablement, à chaque rencontre réelle, à chaque instant de présence physique. Edifice littéraire tellement superbe et poignant que des générations de lecteurs - de lectrices surtout, les femmes de qualité ayant trop souvent la funeste habitude de dévaloriser le plaisir charnel, de la considérer comme subalterne, sinon grossier, pour exalter en revanche le plaisir spirituel d'une relation intense mais douloureuse, transcendée par la trouble béatitude de l'échec et de l'incompétence - et une longue cohorte de scoliastes transis on taccepté de prendre pour amour comptant cet exercice ou exorcisme littéraire, donnant en exemple sublime cette passion désincarnée, follement narcissique, brutalement indifférente à l'autre: au regard, au visage, au plaisir, à la vie même de l'autre....
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Je regarde le SS qui braque sur moi son pistolet mauser, le doigt sur la gâchette. Il va hurler. Mais je ne vois nulle part l’ombre de la mort. (…)
Je regarde le SS et je ne vois autour de lui que des images de la vie. Il me semble que le hêtre s’est dépris de son linceul de neige. Il me semble que des ruisseaux printaniers se sont mis à murmurer dans cette colline figée par le gel. On dirait même que j’entends le bourdonnement estival des insectes.
Je regarde le SS et je vois les visages halés, les yeux rieurs des enfants blonds qu’il va avoir. Je vois la silhouette de la femme aux jambes fermes, aux hanches matriarcales, au regard lisse, qui lui donnera ces enfants. J’entends même une musique de piano quelque part : une sorte de sonatine.
Je regarde le SS j’ai envie de rire. J’ai envie de lui crier :
« Laisse tomber mon vieux, ne te fatigue pas, tu ne fais pas le poids ! Jamais tu ne pèseras le poids de la fumée légère de la mort. Ce n’est pas encore pour aujourd’hui, ce n’est pas l’heure. »
Alors pour mettre fin à cette situation qui commence à devenir ridicule, avec ce lourdaud de SS qui se prend pour le destin et qui n’est qu’un père de famille bien convenable, je me mets au garde–à-vous je crie mon matricule, je me présente, l’œil fixé dans le vague, dans le néant aveugle du ciel pâle où il n’y a pas le moindre signes annonciateur de la mort.
Je veux dire : de ma mort. La cheminée du crématoire, elle, fume toujours calmement. »
(…)
-Pourquoi t’es tu écarté de la route ? me demande t-il.
Je le regarde bien en face. Il faut qu’il voie l’innocence de mon regard.
-A cause de l’arbre, Hauptsturmeführer ! lui dis-je.
Ça aussi, je sais que c’est un bon point pour moi, que je lui donne exactement le grade qu’il a dans la hiérarchie SS. Ils n’aiment pas qu’on s’emmêle les pieds dans la complication de leurs grades les SS.
-L’arbre ? me dit-il.
-Il y avait un arbre un peu isolé, un hêtre, très bel arbre. J’ai pensé tout à coup que ça pouvait être l’arbre de Goethe, je me suis approché.
Il a l’air très intéressé.
-Goethe ! s’exclame t-il. Vous connaissez l’œuvre de Goethe ? J’incline la tête modestement.
Il m’a dit « vous », peut-être sans s’en rendre compte. Le fait que je connaisse l’oeuvre de Goethe l’a fait changer de ton, instantanément.
C’est beau la culture, quand même.
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Je ne possède rien d’autre que ma mort, mon expérience de la mort, pour dire ma vie, l’exprimer, la porter en avant. Il faut que je fabrique de la vie avec toute cette mort. Et la meilleure façon d ‘y parvenir, c’est l’écriture. Or celle-ci me ramène à la mort, m’y enferme, m’y asphyxie. Voilà où j’en suis : je ne puis vivre qu’en assumant cette mort par l’écriture, mais l’écriture m’interdit littéralement de vivre.
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Je riais, ça me faisait rire d’être vivant.
Le printemps, le soleil, les copains, le paquet de Camel que m’avait donné cette nuit un jeune soldat américain du Nouveau-Mexique, au castillan chantonnant, ça me faisait plutôt rire.
Peut-être n’aurais-je pas dû. Peut-être est-ce indécent de rire, avec la tête que je semble avoir. A observer le regard des officiers en uniforme britannique, je dois avoir une tête à ne pas rire.
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Un jour viendra relativement proche, où il ne restera plus aucun survivant de Buchenwald : plus personne ne saurait dire avec des mots venus de la mémoire charnelle, et non d'une reconstitution théorique, ce qu'auront été la faim, le sommeil, l'angoisse, la présence aveuglante du Mal absolu (...) Plus personne n'aurait dans son âme et son cerveau, indélébile, l'odeur de chair brûlée des fours crématoires.
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On a le droit de faire sursauter un lecteur, de le prendre à rebrousse-poil, de le provoquer à réfléchir ou à réagir au plus profond de lui-même: on peut aussi le laisser de glace, bien sûr, lui passer à côté, le manquer ou lui manquer. Mais il ne faut jamais le dérouter, on n'en a pas le droit : il ne faut jamais, en effet, qu'il ne sache plus où il en est, sur quelle route, même s'il ignore où cette route le conduit. (p.99)
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Nous étions trente mille, rangés impeccablement, les S. S. aiment l'ordre et la symétrie. Le haut-parleur hurlait : « Das Ganze, Stand! » et l'on entendait trente mille paires de talons claquer dans un garde-à-vous impeccable. Les S. S. aiment les garde-à-vous impeccables. Le haut-parleur hurlait : « Mülzen ab! », et trente mille bérets de forçats étaient saisis par trente mille mains droites et claqués contre trente mille jambes droites, dans un parfait mouvement d'ensemble. Les S. S. adorent les parfaits mouvements d'ensemble. C'est alors qu'on amenait le camarade, mains liées dans le dos, et qu'on le faisait monter sur la potence. Les S. S. aiment bien l'ordre et la symétrie et les beaux mouvements d'ensemble d'une foule maîtrisée, mais ce sont de pauvres types.
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L'histoire de ce siècle aura été marquée à feu et à sang par l'illusion meurtrière de l'aventure communiste, qui aura suscité les sentiments les plus purs, les engagements les plus désintéressés, les élans les plus fraternels, pour aboutir au plus sanglant échec, à l'injustice sociale la plus abjecte et opaque de l'Histoire.
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J'ai compris soudais qu'ils avaient raison de s'effrayer, ces militaires, d'éviter mon regard. Car je n'avais pas vraiment survécu à la mort, je ne l'avais pas évitée. Je n'y avais pas échappé. Je l'avais parcourue, plutôt, d'un bout à l'autre. J'en avais parcouru les chemins, m'y étais perdu et retrouvé, contrée immense où ruisselle l'absence. J'étais un revenant, en somme.
Cela fait toujours peur, les revenants.
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Une année à Buchenwald m'avait appris concrètement ce que Kant enseigne, que le Mal n'est pas l'inhumain, mais, bien au contraire, une expression radicale de l'humaine liberté.
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Hemingway avait beau faire, la mort rôdait dans son regard. Car il ne parvenait plus à écrire et il n'y a pas de pire façon de mourir pour un écrivain que de ne plus parvenir à écrire. C'est sa seule façon de mourir, en vérité : quitte à en devenir immortel. On peut survivre à la disparition du désir, sans doute. On ne peut pas survivre à la disparition de l'écriture quand on est écrivain.
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[...] le questionnement fondamental qui sous-tend l'entreprise de Heidegger me semble tout bonnement insignifiant. Pourquoi y a-t-il de l'Etre plutôt que rien : cette question m'a toujours paru positivement insensée. C'est-à-dire non seulement dépourvue de sens, mais dépourvue aussi de toute possibilité d'en produire.
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Normandie : 1870

"Pendant plusieurs jours de suite des lambeaux d’armée en déroute avaient traversé la ville. Ce n’était point de la troupe, mais des hordes débandées. Les hommes avaient la barbe longue et sale, des uniformes en guenilles, et ils avançaient d’une allure molle, sans drapeau, sans régiment. […] Les Prussiens allaient entrer dans Rouen, disait-on." [...] Il y avait cependant quelque chose dans l'air, quelque chose de subtil et d'inconnu, une atmosphère étrangère intolérable, comme une odeur répandue, l'odeur de l'invasion. Elle emplissait les demeures et les places publiques, changeait le goût des aliments, donnait l'impression d'être en voyage, très loin, chez des tribus barbares et dangereuses." La débandade de l'armée française, l'occupation prussienne en Normandie, le cortège des horreurs de la guerre de 1870 servent de motif à de nombreux contes et nouvelles de Maupassant où sa férocité s'exerce avec maestria dans la plus connue et réussie de toutes dont le titre est le sobriquet de l'héroïne principale : "Boule de Suif". Mais quel est l'état-civil de Boule de suif dans le récit ? 👩‍🦰👩‍🦰👩‍🦰

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