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Citations de Jorge Semprun (455)


De semaine en semaine, j'avais vu se lever, s'épanouir dans leurs yeux l'aurore noire de la mort. Nous partagions cette mort qui s'avançait, obscurcissant leurs yeux, comme un morceau de pain : signe de fraternité. Comme on partage la vie qui vous reste. La mort, un morceau de pain, une sorte de fraternité. Elle nous concernait tous, était la substance de nos rapports. Nous n'étions rien d'autre, rien de plus – rien de moins, non plus – que cette mort qui s'avançait. Seule différence qui entre nous, le temps qui nous en séparait, la distance à parcourir encore. (p. 31)
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p336. La réalité à souvent besoin d'invention, pour devenir vraie. C'est à dire vraisemblable. Pour emporter la conviction, l'émotion du lecteur.
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… l’Histoire, tout au long des années trente, ayant plutôt tourné dans le mauvais sens, faisant mûrir les ripostes totalitaires à la crise de la modernité démocratique et capitaliste

(Folio, p.221)
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Il y aurait toujours cette mémoire, cette solitude : cette neige dans tous les soleils, cette fumée dans tous les printemps.
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Etrange odeur, en vérité, obsédante.
Il suffirait de fermer les yeux, encore aujourd’hui. Il suffirait non pas d’un effort, bien au contraire, d’une distraction de la mémoire remplie à ras bord de balivernes, de bonheurs insignifiants, pour qu’elle réapparaisse. Il suffirait de se distraire de l’opacité chatoyante des choses de la vie. Un bref instant suffirait, à tout instant. Se distraire de soi-même, de l’existence qui vous habite, vous investit obstinément, obtusement aussi : obscur désir de continuer à exister, de persévérer dans cette obstination, quelle qu’en soit la raison ou la déraison. Il suffirait d’un instant de vraie distraction de soi, d’autrui, du monde : instant de non-désir, de quiétude d’en deçà de la vie, où pourrait affleurer la vérité de cet évènement ancien, originaire, où flottait l’odeur étrange sur la colline de l’Ettersberg, patrie étrangère où je reviens toujours.
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Pourtant, chaque journée de silence gagnée à la Gestapo, si elle éloignait mon corps de moi, carcasse pantelante, me rapprochait de moi-même. De la surprenante fermeté de moi-même: orgueil inquiétant, presque indécent, d'être homme de cette inhumaine façon.
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La même joie continuait de m'habiter : le bonheur de vivre. Car il n'était pas fondé sur le souvenir d'anciens bonheurs, ni sur la prémonition, encore mois la certitude, des bonheurs à venir. Il n'était fondé sur rien. Sur rien d'autre que le fait même d'exister, de me savoir vivant, même sans mémoire, sans projet, sans avenir prévisible. A cause de cette absence de mémoire et d'avenir, peut-être. Un bonheur fou, en quelque sorte, non fondé en raison : gratuit, sauvage, inépuisable dans sa vacuité.
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LES CRIS VAINS

Personne à qui pouvoir dire
que nous n'avons rien à dire
et que le rien que nous nous disons
continuellement
nous nous le disons
comme si nous ne nous disions rien
comme si personne ne nous disait
même pas nous
que nous n'avons rien à dire
personne
à qui pouvoir le dire
même pas à nous

Personne à qui pouvoir dire
que nous n'avons rien à faire
et que nous ne faisons rien d'autre
continuellement
ce qui est une façon de dire
que nous ne faisons rien
une façon de ne rien faire
et de dire ce que nous faisons

Personne à qui pouvoir dire
que nous ne faisons rien
que nous ne faisons
que ce que nous disons
c'est à dire rien

Ghérasim Luca
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A cette époque, il me semble que les Français auraient donné n'importe quoi pour éviter la guerre. Ils ont d'ailleurs donné n'importe quoi, mais ils ont eu la guerre en prime.
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[...] Lequeitio (aujourd'hui Lekeitio, maintenant que les Basques mettent des k partout où la phonétique le permet, pour nationaliser fantasmatiquement leur passé, parce que la lettre k leur semble plus authentique - parce que plus archaïque ? - que le q castillan)...
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- Buvons ! dit-il.
- C'est de la vodka ? demande Fanca, méfiante.
Il s'exclame, indigné.
- Quelle horreur ! Je ne bois jamais cet alcool de moujik, de cosaque pogromiste, de rêveur veule et karamazovien, d'envahisseur attilesque, et éthylique... Je ne bois que l'alcool démocratique par excellence, le bon vieux whisky écossais, dont l'expansion dans le monde va de pair avec la progression de la musique classique, du fair-play, des belles-lettres et de la contraception !
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Hitler.était en train.de masser ses divisions motorisées à la frontière polonaise,. nous le. savions ..
Ribbentrop s'apprêtait à s'envoler pour Moscou pour .signer un accord avec Staline, nous l'ignorions.
Les prisons de, Franco étaient pleines, les exécutions massives, c'était de notoriété publique.
Prague avait été.envahie par les troupes nazies,en stricte conséquence. de la capitulation des démocraties à Munich, nous y pensions sans qesse. Et Milena Jesenska avait pleuré de, rage, .ce jour-lil, néfaste, en contemplant, le déferlement nazi dans les rues de sa ville, cela, nous l'apprendrions plus tard, lorsqu'elle deviendrait compagne de nos rêves.
À Moscou, dans les cachots de la Loubianka, Carola Neher, jeune beauté allemande, grande comédienne amie de Brecht, communiste exilée en URSS, condamnée comme espionne trotskiste, commençait le long périple à travers l'archipel du Goulag où. elle perdrait la vie : où sa vie serait perdue, effacée sans laisser de traces, prise dans le gel immémorial de la steppe sibérienne, ombre glaciale et désolante semblable à la pluie de cendres grises issue des crématoires nazis. C'est seulement un demi-siècle plus tard que je rencontrerais Carola Neher, dans un court poème de Bertolt Brecht.
Et Albert Einstein venait d'écrire au président américain Franklin Delano Roosevelt pour lui proposer de commencer le travail de recherche qui aboutirait à l'invention de l'arme atomique, conçue comme arme absolue des démocraties contre l'absolue folie de domination de Hitler.
Et Sigmund Freud, cette nuit là du 22 août, à Londres, ne supportait péniblement qu'à l'aide de la morphine l'atroce souffrance empuantie de son cancer de la mâchoire.
Et George Orwell, le lendemain, à l'annonce de la signature du pacte. germano-,soviétique, allait commencer ce revirement radical - prenant les choses à la racine - qui le conduirait à la réinvention de la raison démocratique, revirement exemplaire et si peu suivi, connu, apprécié par les
intellectuels de gauche de sa génération. Et d'une trop grande partie des suivantes.
Pourtant, malgré ces données du réel, certaines évidentes, d'autres encore incertaines et floues, mais. accessibles à une méthode rigoureuse de pensée, si l'on m'avait demandé à ce moment-là, sur la terrasse de Biriatou, interrompant ma griserie, quel bilan je ferais de ce dernier été, j'aurais répondu sans hésiter qu'il y avait eu Paludes et la beauté d'Hélène.
.
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- Si leurs yeux sont un miroir, enfin, je dois avoir un regard de fou, dévasté.
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Quelque temps après mon installation dans le châlit, François a ouvert les yeux soudain, dans un soubresaut.
Nos visages étaient à quelques centimètres l'un de l'autre. Il m'a aussitôt reconnu.
- Non, pas toi, a t-il dit d'une voix presque inaudible.
Non, pas moi, François, je ne vais pas mourir. Pas cette nuit, en tout cas, je te le promets. Je vais survivre à cette nuit, je vais essayer de survivre à beaucoup d'autres nuits, pour me souvenir.
Sans doute, et je te demande pardon d'avance, il m'arrivera d'oublier. Je ne pourrai pas vivre tout le temps dans cette mémoire, François: tu sais bien que c'est une mémoire mortifère. Mais je reviendrai à ce souvenir, comme on revient à la vie. Paradoxalement, du moins à première vue, à courte vue, je reviendrai à ce souvenir, délibérément, aux moments où il me faudra reprendre pied, remettre en question le monde, et moi-même dans le monde, repartir, relancer l'envie de vivre épuisée par l'opaque insignifiance de la vie. Je reviendrai à ce souvenir de la maison des morts, du mouroir de Buchenwald, pour retrouver le goût de la vie.
Je vais essayer de survivre pour me souvenir de toi.....
....Dans cette salle des pas perdus de la mort, les râles, les gémissements, les frêles cris d'effroi s'étaient tus, s'étaient éteints, les uns après les autres. Il n'y avait plus que ces cadavres autour de moi: de la viande pour crématoire.
Dans un soubresaut de tout son corps, François avait ouvert les yeux, il avait parlé.
C'était une langue étrangère, quelques mots brefs. C'est après seulement que j'ai compris qu'il avait parlé en latin: il avait dit deux fois le mot nihil, j'en étais certain.
Il avait parlé très vite, d'une voix très faible: à part ce "rien" ou ce "néant" répété, je n'avais pu saisir le sens de ses dernières paroles.
Aussitôt après, en effet, son corps s'était raidi définitivement.
Le mystère des derniers mots de François L. s'était perpétué. Ni dans Horace, ni dans Virgile, dont je savais qu'il se récitait des poèmes, comme je me récitais moi même Baudelaire ou Rimbaud, je n'avais jamais retrouvé un vers où le mot nihil, rien, néant, se répétât.
Des décennies plus tard, plus d'un demi siècle après la nuit de décembre où François L. était mort à côté de moi, dans un dernier soubresaut, en proférant quelques mots que je n'avais pas compris, mais dont j'avais la certitude qu'ils étaient latins à cause de la répétition du mot nihil, je travaillais à une adaptation des Troyennes de Sénèque.
C'était une nouvelle version en espagnol que j'étais chargé d'écrire, pour le Centre andalou du Théâtre. Le metteur en scène qui m'avait propsé de participer à cette aventure était un Français, Daniel Benoin, directeur de la Comédie de Saint-Etienne.
.....Un jour, après avoir mis au point ma version de la scène cruciale entre Pyrrhus, fils d'Achille et Agamemnon, je m'attaquai à un long passage du choeur des Troyennes.
Traduisant le texte latin que j'avais sous les yeux, je venais d'écrire en expagnol: " tras la muerte no hay nada y la muerte no es nada."
Soudain, sans doute parce que la répétition du mot nada avait confusément réveillé un souvenir enfoui, non identifié, mais chargé d'angoisse, je revins au texte latin:
" Post mortem nihil est ipsaque mors nihil"
Ains, plus d'un demi siècle après la mort de François L. à Buchenwald, le hasard d'un travail littéraire me faisait retrouver ses derniers mots: "Il n'y a rien après la mort, la mort elle même n'est rien."
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[…] Kafka n’aura jamais réellement tenu compte des réalités historiques de l’époque. Son Journal est à cet égard d’une vacuité vertigineuse : nul écho du bruit ni de la fureur du monde ne semble s’y répercuter. Toutes ses œuvres, cependant, écrites le dos tourné aux problèmes et aux urgences de l’environnement historique, arrachées douloureusement par bribes et par fragments à un bloc glacial de cohérence irréelle, du moins dans son essence et quelle que soit la forme trompeusement naturaliste de son apparence ; tous ses textes, de fait, ramènent à l’épaisseur, à l’opacité, à l’incertitude, à la cruauté du siècle, qu’ils éclairent de façon décisive. Et non pas, ou pas seulement parce que Kafka atteint, dans la modestie déroutante de son entreprise narrative, au noyau même, métaphysique, de la condition humaine, à sa vérité intemporelle.
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Je ne voudrais que l’oubli, rien d’autre. Je trouve injuste, presque indécent, d’avoir traversé dix-huit mois de Buchenwald sans une seule minute d’angoisse, sans un seul cauchemar, porté par une curiosité toujours renouvelée, soutenu par un appétit de vivre insatiable –quels que fussent, par ailleurs, la certitude de la mort, son expérience quotidienne, son vécu innommable et précieux-, pour me retrouver désormais, revenu de tout cela, mais en proie parfois à l’angoisse la plus nue, la plus insensée, puisque nourrie par la vie même, par la sérénité et les joies de la vie, autant que par le souvenir de la mort.
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" Je dus choisir entre écrire, ou vivre. Je choisis la vie - une longue période d'amnésie. "
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Une idée m’est venue, soudain -- si l’on peut appeler idée cette bouffée de chaleur, tonique, cet afflux de sang, cet orgueil d’un savoir du corps, pertinent --, la sensation en tout cas, soudaine, très forte, de ne pas avoir échappé à la mort, mais de l’avoir traversée. D’avoir été, plutôt, traversé par elle. De l’avoir vécue, en quelque sorte. D’en être revenu comme on revient d’un voyage qui vous a transformé : transfiguré, peut-être.

(...) C’était excitant d’imaginer que le fait de vieillir, dorénavant, à compter de ce jour d’avril fabuleux, n’allait pas me rapprocher de la mort, mais bien au contraire m’en éloigner. p27 28
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Comme si elle n'arrivait pas à imaginer que la certitude d'exister, dans sa plénitude, puisse avoir un rapport quelconque, de quelque ordre que ce soit, avec la douleur d'exister. (p.171)
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Il me faut avouer qu'à cette époque, c'était plutôt Laurence qui m'accompagnait dans les librairies, et Odile dans les chambres à coucher. Ce n'était pas un choix, ça se trouvait ainsi. Je ne suis pas certain que j'eusse préféré le contraire, je regrette simplement de ne pas avoir eu l'occasion d'aller parfois d'une librairie à la chambre à coucher, ou vice versa : mais la vie n'est pas parfaite, on le sait. Elle peut être un chemin de perfection, mais elle est loin d'être parfaite.
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