Dans ce salon, j’écris mon journal – rien ne reste si on n’écrit pas, et si on écrit rien n’est sûr – face à un balcon vitré qui donne sur la rue. Il y a des gravures avec des scènes de la cour du roi Darius et un grand miroir suspendu au-dessus d’un canapé flanqué de deux fauteuils, de style isabélin, tapissés de velours vert mousse.
Un intrus à l’esprit, au cœur et au sexe ensorcelés par une autre femme et un autre paysage, différent du nôtre. Je me demande si le décret d’Auguste exilant Ovide était aussi précis. Ovide et L’Art d’aimer, un livre qui pourrait être le livre de la famille. De ma famille.
L’amour est autiste – un autisme partagé à deux –, ou alors il mue. Et aucun homme marié, aucune femme mariée – pour utiliser la vieille formule, qui ne s’emploie plus aujourd’hui que sur le ton de la plaisanterie – ne tombe amoureux si son conjoint ne lui a pas laissé un espace libre où un autre amour peut s’inventer et trouver sa place. Aucun homme marié, aucune femme mariée, non, sauf tous et chacun des membres de ma famille, une famille dont je suis le dernier maillon ou fin de race, sans armoiries ni parchemin qui me rattache à aucune terre ou aucun manoir. Une fin de race sans racines, un homme déplacé.
« – Mon garçon, le monde des adultes et dégoûtant. Pourquoi penses-tu que je vis ici, sans voir personne sauf mon père, qui n’est personne, parce que mon père est un végétal avec des yeux, une paire de jumelles , mais un végétal tout de même ? Parce que le monde des adultes est dégoûtant. Pourquoi penses-tu que tes parents voyagent de ville en ville sans jamais s’arrêter plus de trois mois dans chaque ville ? Parce que le monde des adultes est dégoûtant. »
Laisse les autres écoper la boue.
Je veux des surhommes, messieurs, je ne veux pas des débris humains.L'année prochaine, vous étudierez Nietzsche et vous me comprendrez.
Vous êtes un idiot, Bonet, et vous êtes un idiot pour deux raisons:parce que vous posez des questions idiotes et parce que vous braconnez les mouches avec votre bouche grande ouverte.
Bonet, vous venez de gagner un deuxième zéro de conduite.Si jamais vous grandissez un jour, Bonet,vous serez usurier:vous aimez accumuler des intérêts.
Stein est un type bizarre et moi je n'aime pas les types bizarres.Ils déstabilisent.
Un homme qui passe la moitié de sa vie à écrire finit forcément par travailler du chapeau.
Un homme est dans ses objets:c'est en eux qu'est écrite sa biographie.
Ecrire n'est qu'une bizarrerie que l'on tolère.
Une île produit soit des dieux, soit des esclaves.
Emilia rit d'un rire propre et frais que je n'avais jamais entendu.Et elle me dit:maintenant nous avons un secret toi et moi,un sale petit secret comme les hommes les aiment.
Il apprendra lui aussi à nager à travers le temps, m'a-t-il dit.Il n'a pas d'autre choix:il est de ma race,de celle qui souffre du mal de l'eau.
Comme l'humidité:l'écho de l'eau invisible.
J'ouvre la mémoire d'un temps que j'ai perdu comme on perd son destin dans une partie de poker:dans le grenier m'attend un lévrier russe qu'on a empaillé il y a vingt ans.