Citations de Josef Schovanec (213)
Nous avons peut-être une différence commune et surtout une commune humanité.
Notre temps, peut-être plus qu’aucun autre à l’exception de la valorisation antique de l’art de la rhétorique, fait de la parole volubile le premier des critères de l’intelligence.
Les cachettes ont donc fait partie de mon enfance. Tout lieu étroit convenait. J’aimais aussi aller dans des endroits qui ne sont pas des cachettes à proprement parler : le recoins des cours de récréation, les toilettes où je restais très longtemps, de préférence en train de regarder couler l’eau. Un cachette ou un lieu de refuge apportent un moment de calme sensoriel : lumières et bruits sont atténués. A cet égard, rien de mieux qu’une armoire fermée. Elle apporte la sérénité visuellement, certes, mais disposer d’un contact physique de tous les côtés ou presque est encore plus reposant. (p. 45-46)
Pour les enseignants, j’étais un enfant à problèmes. En pire. LE profil classique de l’enfant à problèmes est connu: il a de mauvaises notes, se comporte mal en classe est désobéissant. Je pouvais quant à moi avoir de bonnes notes. […] Imaginez un enfant qui a tout le temps la main levée pour répondre aux questions ou qui vous corrige de manière parfois très brutale quand vous faites une faute d’orthographe en écrivant au tableau : cela peut être fort pénible. (p. 38)
Souvent on pense qu’un enfant autiste qui corrige ses enseignants le fait pour les blesser : ce n‘est pas exact.
(p. 39)
« L’esquive était de règle. La cour de l’établissement était très grande ; souvent, j’allais bouquiner dans un coin. Malheureusement, cette technique est une arme à double tranchant parce que, autant vous pouvez être très tranquille dans un coin, autant, si on vous y trouve, alors là c’est fini pour vous.
Plus tard, en CM1 et CM2, j’ai remarqué qu’en faisant quelques menues bêtises ou en assumant celles de mes camarades je pouvais être privé de récréation, retenu en classe. Plusieurs fois, je tentai le coup., et c’était le paradis quand je réussissais, parfois malgré moi. J’ignore si mes professeurs avaient compris. Les non-autistes n’ont pas toujours la théorie de l’esprit développée qu’ils se prêtent. » p. 35
Aucun manuel ne le dit clairement : il est des choses qu’il faut savoir et des choses qu’il faut ignorer. Et faire la distinction est une des choses les plus ardues qui soient.
Il peut être à première vue contre-intuitif de dire que le contact avec l’altérité peut être plus simple que le contact au sein du groupe social familier. Pourtant, ce n’est pas toujours le cas.
Devenir normal : faut-il signer le pacte faustien ?
Mon corps est pour l'heure encore en Occident mais mon coeur vibre pour et irresistiblement tend ver l'Orient
Nous autres, Occidentaux, qui savons doser au milligramme près les pilules, sommes en matière de voyageothérapie au stade du Moyen Age. On ignore encore le dosage, l’action réelle de ces simples. Pire, selon des mécanismes que mettent parfaitement en lumière diverses associations de personnes handicapées, ceux qui devraient le plus en bénéficier en sont exclus. Promouvoir l’idée du tourisme, du voyage chez les personnes handicapées relève encore de l’expérimental, de l’avant-gardisme, et donc de quelque chose d’irritant. Le plus remarquable est que cet aspect irritant se retrouve à travers le spectre des professions et milieux sociaux, y compris là où on aurait pu espérer quelque soutien, par exemple dans les milieux médicaux ou médico-sociaux. Voyager, n’y pensez pas… la santé avant tout. Pour cela, restez bien nuit et jour dans votre établissement, derrière la vitre blindée et les deux grillages de sécurité. On vous apportera à manger, et cette nourriture sera labellisée par la Sodexo : en voyage, vous pourriez attraper la diarrhée. Et ne me dites pas que la bouffe est dégueulasse, sinon j’appellerai le psy pour voir ce qui ne va pas et, le cas échéant, adapter votre traitement médicamenteux.
Un long parcours, un très long apprentissage. Qui débouche comme souvent sur le curieuse impression de ne plus trop savoir qui est l'autiste et ce qu'il lui faut acquérir que les autres ont, contrairement à lui.
Le classement des livres est une thématique assez négligée... Pour ma part, je ne classe pas, je subis une accumulation qui me dépasse. Pourtant faute de moyens financiers, je n'achète que rarement des livres, ceux que l'on m'offre suffisent à occuper mon espace vital. Au-delà d'une certaine hauteur, la pile devient inutilisable.
Le désert, c’est un peu un grand malentendu. On le prend pour ce qu’il n’est pas, on y voit ce que l’on veut y voir, c’est-à-dire le plus souvent soi-même, et ce sont les pensées de ceux qui ne le connaissent pas qu’il obsède le plus. Ainsi, vous aurez beau y aller, vous ne verrez jamais le « vrai » désert.
Des gens aiment se retrouver, qu’ils utilisent des termes spécifiques, et que chaque réunion ressemble à une sorte de rituel.
Savoir marcher fut aussi très compliqué. Je ne l’ai appris que tardivement, au grand désespoir de mes parents qui essayaient de me tenir par mes petits bras, mais je ne faisais que remuer mes jambes en l’air. Et sans la synchronisation des mouvements, cela ne marchait pas, si j’ose dire.
Accéder à un texte est généralement plus aisé pour moi lorsqu’il est écrit plutôt qu’oral.
On conserve encore, dans le stock des archives familiales, un dessin – certes fort rudimentaire mais guère moins évolué que les gribouillages dont je suis capable aujourd’hui – que j’avais fait de cette petite poupée peluche, sur lequel j’avais marqué sa date de « naissance » (arrivée) et quelques autres mots.
" Le ciel est bleu " , chacun le sait . D'ailleurs , dans beaucoup de pays, quand les enfants apprennent le français à l'école, c'est par cette phrase , " le ciel est bleu " , qu'ils commencent ...
Je me sens parfois comme L'Avare de Molière. Pas forcément avare dans le sens où je ne donne pas d'argent, mais plutôt dans le sens où l'avare est quelqu'un qui réfléchit soigneusement avant d'entreprendre la moindre activité. Et je crois avoir ce type de comportement, qui nécessairement pose quelques problèmes.
P 86
Au fur et à mesure que mon autonomie croissait, le volume et la qualité des bibliothèques que je pouvais visiter augmentait dans la même proportion. J'y ai fait de singulières rencontres. A titre personnel, je préfère les bibliothèques quasi vides, le soir, si possible la veille d'un jour de fête. Par exemple, dès que je sus que les samedis soir ou la veille de je ne sais quelle festivité les gens non-autistes avaient coutume de se retrouver dans les lieux bruyants, j'en profitais pour me rendre au même moment dans les bibliothèques. Je dus à ces soirées mes meilleurs souvenirs : c'est alors que je rencontrais dans les salles de lectures les véritables passionnés.