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Critiques de Josef Skvorecký (29)
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Dix péchés pour le père Knox

" A ce stade de l'histoire, vous possédez déjà suffisamment d'indices pour identifier l'auteur du crime. Mais attention, n'oubliez pas qu'il faut déduire, pas deviner !"



Voici la phrase que vous allez croiser par dix fois dans cet amusant assortiment criminel proposé par Josef Škvorecký. L'auteur a un faible pour le genre policer et il ne le cache pas, en offrant à son lecteur ce "divertimento" (comme il l'appelle lui-même) plein de surprises, écrit avec un plaisir évident.

L'idée de départ est simple : si le lecteur participe à l'enquête, le livre devient un peu plus qu'une simple distraction passive: une sorte de jeu qui lui donne l'occasion de se mesurer au détective.

Mais attention encore une fois, car dans les dix histoires, il ne faut pas toujours deviner (pardon, déduire !) QUI a fait le coup, mais parfois aussi POURQUOI ou COMMENT. Alors concentrez-vous bien !

Et pour que l'exercice se complique encore davantage, à chaque fois on va transgresser une règle du "Décalogue de Knox" et à vous de trouver laquelle.



R. A. Knox était un pasteur britannique , père de la "holmesologie" et un des membres fondateurs du cercle littéraire connu comme "Detection Club" (qui existe toujours), qui regroupait alors des auteurs aussi illustres qu'A. Christie, D. Sayers ou G. K. Chesterton. Et selon le bon père Knox, dans une histoire criminelle qui se respecte, certaines choses sont tout simplement inadmissibles.*

Škvorecký va donc délibérément transgresser ce sévère décalogue, pour le plus grand plaisir (et parfois pour la plus grande frustration) des détectives-amateurs que nous sommes.



Dans la première histoire on fera connaissance de la truculente Eve Adam, une chanteuse de variété, injustement accusée du meurtre de son amant. Mais Eve n'a pas la langue dans sa poche, son cerveau tourne à plein régime, et avec un coup de pouce du lieutenant Boruvka, elle sera disculpée. Mieux, l'agence communiste Pragoconcert va l'engager pour représenter "la culture tchécoslovaque" (quoi que cela veuille dire) sur les scènes étrangères.

Suède, Italie, France, bateau transatlantique, Etats-Unis.... partout la séduisante blonde va rencontrer le crime sous ses formes les plus diverses, mais aussi toute une galerie de personnages aussi hauts en couleurs qu'elle-même.

Les méninges de la pétillante chanteuse travaillent souvent plus vite que ceux des détectives et commissaires chargés de l'enquête, et leurs confrontations sont parfois irrésistibles, d'autant plus qu'Eve supporte les cocktails alcoolisés mieux que quiconque.

Et si vous êtes amateur du genre, les références à Christie, Carr, Hammett ou Chandler devront vous réjouir.



Mais malgré mes sympathies envers la maligne et délurée Eve, je reste toujours davantage attachée aux étranges enquêtes du lieutenant Boruvka, autre protagoniste de romans policiers de Skvorecky. Ce triste détective se fie souvent à son intuition et ses aventures ont une agréable mélancolie d'autrefois. On le croise d'ailleurs plusieurs fois dans ce recueil, car il a un faible incontestable pour les charmes de la chanteuse. Aura t-il sa chance ?

Škvorecký est loin de sous-estimer son lecteur, et même si les aventures d'Eve se lisent toutes seules, il y a parfois tellement de suspects et de fausses pistes qu'on s'y perd.

Bref, mon cerveau n'était pas suffisant pour résoudre toutes les énigmes. Essayez le vôtre !

4/5 comme d'habitude, pour l'humour et le beau langage de Škvorecký, pour ses personnages inoubliables et pour son amour de littérature.

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*Le Décalogue de Knox :



1. le criminel doit être quelqu'un mentionné plus tôt dans l'histoire, mais pas quelqu'un dont le lecteur a pu suivre les pensées.

2. le détective ne doit pas utiliser de techniques surnaturelles pour résoudre une affaire.

3. L'usage de plus d'un passage secret ne saurait être toléré. Même dans le cas d'un seul passage secret, il faudrait que l'action se passe dans une maison où la présence de ce type de dispositif était prévisible.

4. Des poisons inconnus ne peuvent être utilisés, ni aucune machine, de telle sorte que le lecteur ne soit pas embarrassé par une longue explication scientifique en conclusion.

5. Aucun Chinois ne doit figurer dans l'histoire.

6. Aucun accident ne doit aider le détective. de même, on ne doit avoir recours à aucune intuition divine inexplicable. Toutes ses intuitions doivent avoir une origine et se confirmer par la suite.

7. le détective ne doit pas commettre lui-même le crime.

8. le détective ne doit pas utiliser des indices qui n'ont pas été présentés au lecteur pour résoudre l'affaire.

9. Les observateurs ont le droit de tirer et présenter leurs propres conclusions.

10. Il ne doit pas être fait usage de jumeaux et d'habiles déguisements.
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Les Lâches

"Après la bataille, tout le monde est général"



... dit le proverbe. Ces mots caractérisent à la perfection "Les lâches", le deuxième titre de la pentalogie libre de Josef Škvorecký, consacrée à Danny Smiřický, son alter-ego littéraire.



J'ai toujours aimé, chez Škvorecký, ce mélange d'écrivain et d'homme simple. Il n'était jamais un fanatique, un lèche-botte qui tourne sa veste à la demande, ni un monsieur-je-sais-tout qui critique son époque en voulant avant tout attirer l'attention sur lui. Même en le comparant avec des auteurs bien plus connus : Kundera, Havel, Kohout, Klima, Uhde (et pratiquement toute l'élite intellectuelle tchèque de l'époque), il reste fascinant par son désengagement. C'est comme si depuis le début, quelque part, il "savait", en ne se laissant jamais amadouer par aucune idéologie; les efforts des histrions qui faisaient tout pour devenir visibles le laissaient de marbre, et il écrivait pour le simple plaisir d'écrire.

Son exil à Toronto après le fameux '68 n'est que logique, et presque tragicomique, si on connaît l'histoire de plusieurs versions de ses "Lâches", finalement autorisés à sortir après les corrections imposées... juste pour servir d'exemple à quoi la bonne littérature socialiste ne doit surtout pas ressembler. Contre toute attente, les lecteurs s'arrachent cet horrible fruit véreux, et l'auteur de la seule critique positive qui apparaît dans la presse est immédiatement licencié.

Škvorecký n'était jamais attiré par la "grande littérature", sa passion pour le genre détective en témoigne, et la plupart de ses héros portent en eux cette lucidité et l'étrange tristesse qui émane aussi de son personnage de lieutenant Boruvka.

Il continue à écrire à Toronto, il enseigne la littérature, et avant tout il dirige (avec sa femme Zdena Salivarová) une maison d'édition '68 Publishers, consacrée aux auteurs proscrits dans leur pays. Malgré les razzias de la police secrète, ces livres continuent à circuler parmi les lecteurs en Tchécoslovaquie. ("Quel mot bêtement long", songe parfois Danny...)



Josef Škvorecký et le Danny Smiřický de ses livres... c'est du pareil au même. Danny est loin d'être un héros socialiste, tout ce qui l'intéresse c'est la culture américaine, les filles et le jazz. Mais il a le don d'utiliser les mots justes pour analyser ce qu'il est en train de vivre, même dans cet accès de faux héroïsme quand tout véritable danger est déjà écarté.

Le livre décrit les huit derniers jours de la guerre, mieux connus comme "l'insurrection de Prague". Les Allemands se retirent et les Russes avancent, mais tandis qu'à Prague c'est un soulèvement armé contre l'occupant, dans la petite bourgade de Kostelec où vit Danny, c'est le calme plat. Mais les Allemands battus approchent, et chacun attend avec impatience de pouvoir arracher une petite partie de la gloire, pour dire plus tard : "Moi aussi, j'étais dans la résistance !" Même Danny et ses potes du jazzband veulent être là, surtout pour frimer devant les filles et notamment la belle Irena.

Même si Irena sort déjà avec Zdenek (ce bolchevik !), et même si Danny la trouve complètement bête. C'est le jeu de séduction qui l'intéresse. Et il se pourrait que Zdenek meure pendant cette "révolution de fortune" qui se prépare à Kostelec, ce qui arrangerait Danny, ou alors c'est lui qui va mourir, et l'idée de savoir Irena triste est très plaisante.

Pas très héroïque, ni très nationaliste, comme pensées...

Danny va se joindre au groupe d'hommes de la brasserie qui sont pour le départ calme et organisé des Allemands, mais la situation va déraper face aux communistes exaltés, et avec le chaos ambiant il va se perdre quelque peu entre les deux factions... mais peu importe, il est là, il profite de la vie, et il pense à Irena... dans cet inimitable langage populaire plein d'expressions réjouissantes dont Škvorecký a le secret.



Pour moi, ce livre est une sorte de paradoxe. C'est extrêmement bavard, ça tourne souvent en rond en se perdant dans des réflexions interminables sur les filles et le jazz, et Danny, ce parfait exemple de la jeunesse dorée, est un freluquet qui m'insupporterait dans la vraie vie. Et pourtant... à chaque fois je me fais avoir, car l'ensemble est incroyablement charmant.

Si un jour vous visitez Náchod (qui a servi de modèle à "cette belle ville de Kostelec"), vous trouverez le pub Port Arthur inchangé, comme si le jazzband de Danny venait juste de partir. Il ne manque que le vieux Winter, pour vous servir la fameuse limonade verte.

Et vous pouvez imaginer la belle Irena sourire par la fenêtre de la poste à la statue de Danny/Josef, assis juste en face et lui souriant en retour de son visage de bronze.

Je donne 4 symboles de l'armée libératrice sur 5.
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Le lionceau

Roman paru en 1969, suite au bref dégel tchèque, pendant le départ de l’auteur en exil au Canada, ce sera sa dernière œuvre parue dans son pays, avant l’interdiction qui va frapper ses livres pendant un bon moment.



Le personnage principal, qui pour une fois, n’est pas Danny Smiricky, même s’il lui ressemble par certains aspects, est un poète, écrivain, qui compte tenu du contexte politique de son pays, a mis un frein à ses ambitions littéraires, pour ne pas s’exposer aux risques d’une répression, voire d’un emprisonnement. Il travaille dans une maison d’édition importante en tant que rédacteur, et suit à la lettre les recommandations de son directeur, ce qui lui permet une vie relativement confortable. Nous le suivons de près dans son activité professionnelle ; une affaire en particulier préoccupe tout le monde. Une jeune collaboratrice tient à tout prix à faire éditer le livre d’une débutante, qui a de réelles qualités littéraires, mais dont le contenu risque d’indisposer les autorités, à cause de la façon trop véridique et trop crue dont elle aborde son sujet, des adolescents à la marge de la société. Le directeur, tout en respectant les formes des comités littéraires et autres procédures, fait tout pour couler le manuscrit. Mais la jeune collaboratrice, Dacha, a de la ressource, et n’hésite pas à utiliser ses charmes pour convaincre les membres du comité de suivre son avis. Ce qui donne lieu à quelques scènes hilarantes, dans ce milieu d’écrivains et littéraires, dont certains n’ont comme seul objectif que la préservation de leur poste et de leur situation, quitte à sortir n’importe quelle ânerie, et à émettre des jugements sur la littérature en fonction des thèses politiques officielles du moment. Même les ouvrages de grammaire peuvent être corrigés en dépit du bon sens, mais pour suivre la ligne du partie. Loden, notre anti-héros, tout en étant conscient de l’absurdité de ce qu’on lui demande, s’y conforme pour éviter les ennuis.



En dehors de ses activités professionnelles, son occupation principale est d’essayer de séduire des femmes. Au début du roman, il a une liaison avec une ballerine, Vera, mais il s’en est lassé. D’autant plus qu’il fait la rencontre de la belle et fascinante Lenka, que son ami maladroit Vaclav, lui présente. Vaclav étant plus que maladroit, Loden arrive à se retrouver seul avec Lenka. L’attitude de cette dernière est étrange : elle semble l’encourage au départ, mais très vite l’ignore, et l’évite au maximum. Tous les stratagèmes et techniques de séduction de Loden semblent sans effet sur Lenka. Elle est un véritable mystère pour Loden, non seulement elle semble vouloir épouser Vaclav, malgré toutes les bourdes que ce dernier commet, mais elle manifeste un étrange intérêt pour le directeur de la maison d’édition, vieux, laid, et moralement bien plus condamnable que Loden. Ce dernier, devenu amoureux fou, va essayer de percer l’énigme posée par cette jeune femme, dont le comportement lui semble défier toutes les lois de la nature.



Un livre amusant, l’auteur le présente comme un roman policier, ce qu’il devient un peu vers la fin. Mais cet aspect est malgré tout un peu anecdotique, et c’est la description des milieux de l’édition tchèque dans les années 60 qui est sans aucun doute l’élément le plus intéressant. Le portrait de Lenka, est aussi intéressant, mais nous ne la voyons que par les yeux de Loden, elle ne nous parle jamais directement, elle reste aussi un mystère au fond pour le lecteur, même si la fin nous révèle des choses essentielles sur elle. Ce qui est peut-être une façon d’éviter trop de pathos, tant son histoire est tragique.



Sans être parmi les plus grandes réussites de Josef Škvorecký, un roman très agréable à lire, et par moments, très drôle, même s’il soulève des questions et problématiques très graves.
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Deux meurtres dans ma double vie

Le titre du l’ouvrage met bien en évidence la dualité qui est au coeur du roman. Le narrateur est un écrivain tchèque, que la situation politique dans son pays d’origine a obligé à émigrer avec son épouse au Canada. Il enseigne dans une université de seconde zone le roman policier, genre dans lequel il écrit également. Nous le suivons donc dans sa vie de professeur, qu’il ne prend qu’à moitié au sérieux, préférant regarder les jolies étudiantes plutôt qu’à bûcher ses cours et à essayer de faire carrière. Dans cette vie canadienne, un meurtre intervient sur le campus : la victime est un professeur de mathématiques, peu apprécié en général, et de notre narrateur en particulier. Mais il a été aux premières loges, et a vu un certain nombre de choses, et ne peut s’empêcher d’en tirer des conclusions. D’autant plus, qu’une de ses étudiantes, par ailleurs dans la police, participe à l’enquête de manière officielle, et qu’elle vient lui en parler. Nous suivons donc le déroulé des événements et la progression de l’enquête, même si le narrateur ne semble prendre tout cela qu’à moitié au sérieux.



Il prend en revanche bien plus au sérieux la situation de sa femme. Cette dernière, éditrice connue de livres tchèques au Canada pendant la période communiste où la censure empêchait la parution d’ouvrages qui n’était pas dans la ligne, honorée et décorée après la chute du communisme, voit son nom apparaître sur une liste surgie on ne sait d’où de collaborateurs occultes des services secrets. Rien n’y fait : il lui est impossible de démontrer sa bonne foi, elle est régulièrement victime d’attaques dans les médias, et elle sombre petit à petit dans la dépression et l’alcoolisme. Son mari ne sait comment l’aider.



Le livre oscille entre un aspect ludique, celui de l’enquête policière, et une forme de tragique, lorsqu’il s’agit d’évoquer la situation de Sidonia, la femme du narrateur. La situation inextricable dans laquelle elle se débat, les retours en arrière sur la vie en Tchécoslovaquie de l’époque communiste, forment un contre-point dramatique au jeu de chercher le coupable et aux petites intrigues du campus. Le narrateur est déchiré entre les deux tonalités.



La thématique et l’approche pour la traiter sont intéressantes, mais j’avoue une forme de frustration suite à cette lecture. La dualité affichée est peut-être un peu trop évidente, trop systématique. Et je n’ai pas retrouvé l’écriture qui m’avait tant séduite dans d’autres livres de Josef Škvorecký, mélange d’humour et de réalisme ; je ne sais pas si la faute en revient à l’auteur, ou à la traduction. Ce n’est sans doute pas le meilleur livre de Josef Škvorecký, même si cela reste toujours intéressant.
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Le saxophone basse et autres nouvelles

9 nouvelles sont rassemblées dans ce recueil.

Le narrateur est un jeune homme tchèque, grand amateur de jazz. (En fait, c’est Danny Smiricky, l’alter ego de Josef Skvorecky).

Dans la 1re intitulée « le saxophone basse », on est en pleine occupation allemande.

Un orchestre allemand itinérant doit jouer devant des nazis et leurs épouses à Kostelec, en Bohème (à Nachod en réalité, la ville où est né Josef Skvorecky).

Mais pour se produire en soirée devant ce public, il manque un musicien sachant jouer du saxophone basse. Ce jeune tchèque, Danny, sait jouer du saxo et est fasciné par ce gros instrument à vent.

Il est littéralement embrigadé dans cet orchestre où les musiciens sont tous bizarres ! (« le pépère avec son costume d’ersatz et cet œil qui avait dégringolé sur la joue, … la femme au visage de clown triste, oui, tout ce catalogue de deuil, de ruines, de lambeaux, le géant à la jambe de bois, le bossu aveugle, la fille aux ailes brisées de cygne blanc… »).

Il va se produire sur scène, mais le plus discrètement possible (en étant caché derrière les autres musiciens), car il a peur de ce qu’on va penser de lui, lui qui est tchèque et qui va jouer avec des allemands, pour des allemands qui occupent son pays !

Avec cette 1re nouvelle, on sent combien le narrateur souffre de la présence des nazis, et du climat de suspicion qui règne alors dans sa petite ville (« et partout ces yeux, les yeux de Kana et des Vladyka qui vous espionnent ; et les oreilles ; et les petits rapports ; et les fichiers ; »).

Et la musique de jazz des noirs américains qu’écoute Danny, est qualifiée d’indécente et provocatrice aux yeux du chef nazi qui commande à Kostelec !

Dans la 2e nouvelle, intitulée « Eve était nue », Danny raconte le coup de foudre qu’il a eu quand il avait 8 ans pour une petite fille de 6 ans ! Il se remémore le voyage du groupe scolaire qu’ils font en compagnie de leur institutrice, partis en train vers l’Italie fasciste de Mussolini, où ils croisent les Hitler-Jugend (Les jeunesses hitlériennes) !

« Une sorcière au mois de mai » est la 3e nouvelle et je l’ai particulièrement appréciée !

Toujours sur fond d’occupation allemande, pendant le Protectorat, Danny fait la rencontre d’une jolie jeune fille. Il tombe sous son charme. Il semble qu’elle ait des dons magiques, et c’est pourquoi elle est pour lui, une sorcière…

Certains passages de cette nouvelle sont écrits avec de très longues phrases. Cet effet de style permet de nous faire participer à l’énorme émerveillement que ressent Danny quand la jeune fille joue du piano, accompagnée d’autres musiciens d’orchestre. Il est alors dans un état second, comme en transe !

La jeune fille le met plusieurs fois à l’épreuve, je devrais dire « les jeunes filles », car sans le savoir, il a affaire à des jumelles !

Dans « Babylone sur Vltava », on est à la fin de la guerre. Une brune et une blonde rencontrent des soldats américains qui libèrent le pays.

Et on suit la blonde qui sert de guide pour faire visiter Prague au soldat américain qui conduit une jeep. Ils ont des difficultés pour bien se comprendre l’un, l’autre, avec des bribes d’allemand et d’anglais, mais ils se débrouillent… Leur périple urbain, après un repas et de nombreux verres d’alcool, s’achèvera dans une chambre d’hôtel, mais le soldat reste lucide et n’abuse pas de sa jeune guide éméchée.

Dans la 5e nouvelle, on est en 1952. Une jeune fille juive, « Rebecca », raconte à Danny son retour du camp de concentration de Térézine.

Quand elle revient dans sa petite ville, elle a perdu tous les membres de sa famille, et elle n’est pas franchement bien accueillie. D’autres personnes ont pris possession de ses appartements de famille, et elle ne peut pas non plus retrouver des bijoux qui devaient lui revenir… Elle ressent beaucoup d’amertume ! (« Ainsi va le monde, voulais-je dire. Il est fondé sur l’indifférence. Il n’y a guère que la littérature pour nous émouvoir. Des fadaises imprimées, une histoire sentimentale et les larmes nous viennent aux yeux. Mais la réalité, ce qui se passe autour de nous ici et maintenant, cela ne nous émeut jamais. »)

Dans la 6e très courte nouvelle, intitulée « Déjà, du temps des pyramides… », Danny, rencontre dans le tram, un ami qu’il n’a pas vu depuis une dizaine d’années ! Il n’a pas changé. Toujours aussi libertin, toujours aussi attiré par les femmes, dont il dit qu’elles sont « des objets psychologiquement intéressants et le meilleur terrain d’étude c’est le lit » !

Dans « La fin de Bull Macha », la 7e nouvelle, on est en 1953.

Bull Macha est le nom d’un zazou. Il a 29 ans, il est solitaire, nostalgique, dégouté et désespéré.

(« Il était seul, les mains fourrées dans d’immenses poches et du manteau, strictement coupé dans le style bouteille, au col large comme celui du surplis d’un enfant de chœur, sortait une petite tête ornée d’une coiffure en queue de canard, soigneusement gominée »).

Il se souvient des bons moments passés entre bandes de copains, aux cafés, au son du be-bop…

Mais aujourd’hui, les boîtes de jazz ont fermé, et les danses « excentriques » des zazous sont réprimées par la police. Tous les jeunes sont inscrits collectivement à l’Union de la Jeunesse Tchécoslovaque sans que leur soit demandé leur avis. Bull Macha vit mal cette période, il voudrait encore pouvoir vivre comme avant. Il est révolté, et ne veut pas changer. Et aujourd’hui il est le seul parmi ceux de son âge, à ne pas avoir évolué dans la vie !

Dans l’avant-dernière nouvelle de ce recueil, « Du travail pour le service du personnel », Danny fait la caricature d’un juge tout à fait bourgeois. C’est un opportuniste, un « parasite », qui en 1948 (Coup de Prague et effondrement de la 3e République tchèque), adhère au Parti communiste.

Mais le juge est rongé de mauvaise conscience, car le Pape a excommunié tous les communistes !

Communisme et religion ne font pas bon ménage !

La dernière nouvelle, « Un manuscrit en contrebande » est un extrait du roman « L’ingénieur des âmes humaines », que beaucoup qualifient comme étant le meilleur roman de Josef Skvorecky, qui avait quitté la Tchécoslovaquie après l’invasion soviétique de 1968, et vivait au Canada, où il avait dirigé une maison d’édition.

On retrouve ici le narrateur qui vit à Toronto.

Danny, voudrait bien séduire une dame qui est à la tête d’une maison d’édition de livres tchèques, mais celle-ci ne veut rien entendre…

Cet extrait, très drôle, met en scène Danny avec un homme qui est venu de Prague avec un samizdat pour le faire publier dans cette maison d’édition. L’homme recherche un endroit discret pour pouvoir remettre le manuscrit clandestin dans les mains de Danny, et c’est dans les toilettes de la grande gare de Toronto que cela va se passer, mais pas du tout dans le calme souhaité !



Un véritable régal que ce recueil de nouvelles !

C’est riche de beaucoup d’anecdotes, de faits historiques, de belles peintures de personnages touchants… dans une belle écriture où se mêlent humour, nostalgie, pitié, indignation, révolte, …

On y sent beaucoup de vécu de la part de l’auteur lui-même.

Je recommande vivement cet ouvrage, pour qui voudrait découvrir ce grand auteur tchèque, qu’est Josef Skvorecky !

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Qui mène l'enquête ?

Ce livre d’humour noir de Josef Skvorecky comporte 4 nouvelles dans lesquelles on assiste aux tribulations d’un lieutenant de police dans l’exercice de ses fonctions, à Prague, dans les années 60.

Dans chaque nouvelle, le Lieutenant Boruvka, mène à bien son enquête criminelle de façon très brillante. Il est vraiment habile pour faire des déductions et trouver la solution à des énigmes hors du commun !

On pourrait situer ce personnage entre Sherlock Holmes (pour son pouvoir de déduction) et Maigret (pour son excentricité aimable).

En fait, cet homme, qui est doué d’une remarquable psychologie criminelle n’a pas toutes les qualités !

Mais c’est un personnage gentil, mélancolique, et attachant, de par des aspects contradictoires.

D’abord physiquement, il a le visage rond, est grassouillet, du type Bibendum, ce qui ne l’empêche pas d’encore pratiquer le jiu-jitsu et le judo, pour maîtriser de vigoureux bandits !

Il a 48 ans, est marié depuis 18 ans à une femme très autoritaire, à laquelle il fait des infidélités !

En effet, il adore " mater " les jolies filles (et son boulot ne l'en prive pas !), mais en même temps, il n’est pas très fort pour les séduire, car son physique n’est pas approprié et aussi parce qu’il est maladroit !

Dans une de ces 4 nouvelles (intitulée « Qui mène l’enquête ? »), le lieutenant Boruvka a invité une jeune collègue de travail, son auxiliaire (« la fille au joli chignon et au cou de cygne »), avec laquelle il veut passer la soirée dans un bar à vins.

Mais ce soir-là, il doit partir sur le terrain pour démêler une intrigue !

Alors, dans son esprit des pensées confuses se bousculent ! Il voudrait rejoindre au plus vite la jeune femme qu’il a invitée, mais alors il devrait bâcler son enquête…

En fait, c’est un honnête homme ! Il a le sens du devoir.

Un moment il est triste, parce qu’il va sans doute perdre l’opportunité de rejoindre cette jeune femme, et puis le moment suivant, il éprouve du remord car il va tromper sa femme !

Il est aussi très humain ; il ne tire pas sur les gens, quitte même à ce que les bandits s’enfuient !

Il est bienveillant envers ses collègues de travail («il préférait, chaque fois que c’était possible, passer sous silence toute circonstance qui aurait pu faire douter du talent criminologique de ses collègues »).



Autour de lui gravitent des personnages, tout aussi fantasques que lui, par leurs attitudes et leurs psychologies. Ce sont principalement :

- L’agent de 1re classe Sintak, la soixantaine, « le seul policier dans tout le pays à pouvoir se vanter d’un tel grade », qui est un vrai subordonné, un peu « attardé », un peu trop respectueux, qui est persuadé que le Lieutenant Boruvka est un sorcier !

- Le sergent Malek, qui agit en « bon élève » et « roule les mécaniques » devant son supérieur pour l’éblouir de ses capacités et lui prouver qu’il est bon enquêteur !

- L’auxiliaire, la jolie fille, que Boruvka trouve attirante, et qu’il emploie en lui faisant taper à la machine ses comptes-rendus d’enquêtes…

Des 4 nouvelles, j’ai particulièrement apprécié la 1re, qui s’intitule « Les pouvoirs surnaturels de Boruvka » !

Une femme est retrouvée pendue dans son grenier…

Normalement, ce serait au Lieutenant Boruvka de faire toute la lumière sur cette affaire pour trouver qui est le coupable.

Mais il s’est couché très tard la veille, et son réveille-matin n’a pas sonné ! Et il arrive avec un grand retard sur les lieux…

En fait, en son absence, le sergent Malek a interrogé plusieurs témoins, pris des notes de façon très minutieuse, et s’est déjà focalisé sur un homme dont il est persuadé de la culpabilité.

Quand le lieutenant arrive enfin, Malek, tout exalté, ne se contente pas de lui exposer simplement les faits, mais il rentre dans un nombre de détails incalculables, de façon soulante !

Le lieutenant Boruvka veut l’interrompre à plusieurs reprises, mais en vain !

Et on a l’impression d’assister à une pièce de théâtre de vaudeville !



En conclusion, ces 4 nouvelles sont des histoires hors du commun, à la fois humoristiques, légères, subtiles, ironiques, parfois satiriques.

Les occasions de rire de bon coeur ne manquent pas !

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Le camarade joueur de jazz

Ce livre rassemble six textes de Josef Škvorecký, textes assez disparates, articles, une interview, dans la plupart de ces textes l’auteur évoque sa vie, essentiellement en Tchécoslovaquie, où en filigrane on entraperçoit l’histoire et le contexte du pays, son amour pour le jazz et la littérature nord-américaine.



Le premier texte, le plus long, « Je suis né à Nachod.. »raconte les jeunes années de l’auteur, jusqu’à son départ pour le Canada après les événements de 1968. Les lecteurs des romans et nouvelles de Josef Škvorecký y seront en terrain connu, il s’est beaucoup inspiré de sa vie pour tisser ses fictions, et Danny, son personnage récurrent et son alter ego, lui ressemble beaucoup. Avec beaucoup d’humour et d’auto-dérision, comme dans ses fictions, il nous parle de son enfance, de la deuxième guerre mondiale, de l’arrivée du communisme...Il évoque quelques personnes qu’il a côtoyé et qui sont devenus célèbres, comme Milos Forman. Il est juste beaucoup plus discret sur ses relations avec les femmes que dans ses romans.



Les autres textes, plus courts, sont en quelque sorte complémentaires, dans un il évoque son amour des livres, dans un autre son apprentissage des langues, de l’allemand auprès du chantre de la synagogue, mort ensuite dans les camps nazis, et de l’anglais pour l’amour de Judy Garland...Deux autres évoquent le jazz, et le dernier est une interview, donnée à Prague, dans un moment de dégel, juste avant que les événements n’obligent Josef Škvorecký à quitter le pays sans espoir de retour.



Evidemment, c’est moins essentiel que les œuvres de fiction, ses grands romans ou nouvelles. Mais pour un lecteur qui apprécie cette œuvre riche et dense, c’est un délice. On retrouve la belle plume de l’auteur des Lâches, son humour, sa capacité de mettre à distance les sujets les plus graves, non pas pour les escamoter, mais pour pouvoir les affronter, en gardant une part d’humanité dans les situations les plus inhumaines. Sans se poser en héros ni en modèle, il décrit les choix de sa vie, personnelles et artistiques, comme une évidence.



C’est un vrai crève-coeur que ses livres soient si difficiles à trouver en France, son chef d’oeuvre, L’ingénieur des âmes humaines n’a toujours pas été traduit.
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Miracle en bohême

C’est grâce aux indications de Babelio que j’ai découvert ce livre de Josef Skvorecky, que je ne connaissais pas du tout, et qui est, avec Bohumil Hrabal (que j’aime particulièrement beaucoup) et Milan Kundera, l’un des plus grands auteurs tchèques de l’après-guerre.



L’intrigue principale de ce roman policier politique, est basée sur un fait divers qui s’est réellement produit (en 1949 à Cihost). Un « miracle » a eu lieu dans la chapelle d’un village au nord-est de la Bohème. Lors d’une messe dominicale, une statue de Saint-Joseph s’est mise à bouger !

Le prêtre Doufal (de son vrai nom :Toufar), qui célébrait la messe, a été inculpé par la police d’Etat, d’avoir mis en place un dispositif technique afin de truquer le miracle, et cet événement a servi de prétexte à la police pour se débarrasser du prêtre en question (par trop populaire) et de perpétrer des actes de répression contre l’Eglise, jugée comme une organisation d’opposition dangereuse.



La trame du roman est tendue entre 1949, l’année où a été commis ce prétendu crime, et l’année 1968, avec l’invasion des troupes du Pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie.

Le narrateur, Danny Smiricky, est en fait un personnage autobiographique stylisé de Josef Skvorecky.

Au début du roman, Danny, qui vient d’être nommé enseignant à l’Ecole de Sciences Sociales de filles de Kostelec (ville avoisinante de la paroisse du prêtre Doufal), souffre d’une chaude-pisse qu’il a contracté lors d’un stage de formation politique ! On rit beaucoup à la lecture de ce passage !



Il assiste à la messe, mais s’assoupit au moment-même où le miracle se produit.

Entretemps, devenu auteur de comédies musicales à succès, il aide à mener une enquête aux côtés du rédacteur d’un journal catholique, Juzl, pour tenter de faire la lumière sur le dit « miracle ».

« Miracle en Bohème » est un livre très drôle sur un fond tragique, car il donne un aperçu de la réalité de l’époque stalinienne et de l’année 1968, par le biais de nombreux récits et anecdotes, qui s’ajoutent à la trame principale.

Josef Skvorecky a utilisé une méthode particulière pour construire ce roman. Il a affirmé lui-même qu’il avait découpé en morceaux de nombreuses histoires racontées dans « Miracle en Bohème »,

qu’il les avait posés par terre, et qu’il cherchait, tel un collage littéraire, à les insérer à divers endroits.

L’auteur explique qu’il a eu recours à cette méthode, qualifiée de « confusion délibérée », parce qu’à travers elle, il a pu restituer l’image du caractère confus de l’époque de ces moments charnières de l’histoire de la Tchécoslovaquie.

En imposant au lecteur d’être constamment éveillé par des bribes d’histoire, qui apparaissent dans un ordre anachronique, J. Skvorecky met à l’épreuve la force de ses récits pour voir si le lecteur est capable de se rappeler de chaque anecdote, alors même que notre attention se porte sur un nouvel événement survenu dans la narration de l’intrigue principale.

Danny Smiricky porte un regard distant, voire cynique, sur les événements survenus lors du Printemps de Prague, ce moment où on pouvait croire à la possibilité d’existence d’une société civile au sein d’un système socialiste.

Cette vision idéaliste est confrontée dans « Miracle en Bohème » au regard sceptique du narrateur.

Après avoir passé un an aux USA, Danny constate à son retour en Tchécoslovaquie occupée, « être le seul à avoir les idées claires au milieu de fous ou d’ivrognes au dernier degré ».

Cette dimension existentielle de Danny Smiricky, sa prise de distance et son regard désabusé et satyrique ont suscité de vifs débats à l’époque de la parution de ce roman, car nombreux étaient ceux qui croyaient à la réussite de la transformation de la société et à sa démocratisation.

De plus, ceux qui sont restés en Tchécoslovaquie ont dû subir des conséquences, ils ont dû vivre sous la normalisation (rétablissement de l’ordre).

« Miracle en Bohème » soulève aussi la question de la croyance.

En cherchant à élucider les circonstances du miracle, Danny constate qu’il n’a pas le don de croire.

Cette attitude pouvait sembler provocatrice à une époque où les gens se battaient pour le retour aux traditions chrétiennes de l’avant-guerre, ou bien étaient idéologiquement engagés.

J. Skvorecky, en évoquant de nombreuses personnalités de la vie culturelle et politique tchécoslovaque de l’époque, dont les noms sont légèrement transformés (mais reconnaissables), réussit à laisser planer un doute entre ce qui est vrai et ce qui est inventé.

Ceci fait probablement aussi la force de ce roman, car il est écrit à une époque où l’absurdité de la réalité rivalisait souvent avec celle de la fiction.

La fin du roman montre le début de la vague de « normalisation », qui suivit l’invasion du pays, se traduisant par une « chasse aux sorcières », visant ceux qui ont soutenu le Printemps de Prague, ou critiqué le communisme.

Je suis heureux d’avoir pu découvrir ce très bon roman tchèque, qui apporte un éclairage sans concession sur les événements de 1968, mais aussi sur toute la période de 1948 à 1969.

C’est un livre riche de témoignages, de personnages historiques et de destins, d’une grande qualité d’écriture. C’est écrit sans pathos, c’est irrévérencieux et truffé d’un humour mordant !

Passionnant !

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Le camarade joueur de jazz

La comparaison entre Joseph Skvorecky et Milan Kundera ne me semble pas juste même s'ils sont tous les deux en réaction contre les totalitarismes. Certes ce sont deux dissidents tchécoslovaques qui ont quitté leur pays après le Printemps de Prague mais ils n'ont pas le même parcours ni la même qualité d'écriture. Kundera vit en France alors que Joseph Skvorecky avait choisi le Canada et écrit en langue anglaise.

J'ai été assez déçue par ce recueil de textes publié dans différentes revues et journaux.

Avec "Le camarade joueur de jazz" je pensais qu'il nous aurait fait part de son expérience sur la censure du jazz, forme de musique qui a pu être considérée comme décadente en Russie et ailleurs. le sujet est suffisamment passionnant pour cela.

Mais pas du tout. En dehors d'une anecdote, le disque d'Eddie Rosner qui est un objet de contrebande en 1957, tout ce qui est écrit fait référence au livre de l'Américain Frédérick Starr « Red and Hot : The Fate of Jazz in the Soviet Union 1917-1980 ». Si c'est pour vanter les écrit d'un autre, pourquoi pas, mais cela s'appelle une critique pas un essai.

Je n'ai donc pas eu envie de terminer ce livre qui ne m'a pas apporté grand-chose.





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La légende d'Emöke

En 1958, Josef Skvorecky avait suscité un véritable scandale avec son 1er roman « Les Lâches ».

En 1963, avec « La Légende d’Emöke », il récidivait !

Et il est bon de rappeler le contexte de l’époque…

En avril 1963, en Tchécoslovaquie, le 3e Congrès des Ecrivains voit la réhabilitation d’écrivains interdits. De nombreux intellectuels tchèques (dont J. Skvorecky) vont sortir de la semi-torpeur dans laquelle ils étaient plongés depuis les années 1950 (période des purges staliniennes).



Grâce à la déstalinisation entamée par N. Kroutchev, on assistait à un « dégel » avec le camp occidental, et en Tchécoslovaquie s’affirmait une sorte de Renaissance littéraire.

La forme favorite de cette littérature de l’époque était la nouvelle ou le récit court, et « La légende d’Emöke » est fait partie.



Historiquement, la Bohème (où se passe l’action) avait connu une période héroïco-patriotique bourgeoise (et idéaliste des héros), et puis au moment où le narrateur s’exprime, une période marxiste mal comprise.



Dans ce contexte, ce court récit met en scène 3 personnages principaux.

Un instituteur, le narrateur (le récit est écrit à la 1re personne), et une jeune femme, du nom d’Emöke.

Le personnage de l’instituteur est tout ce que déteste J. Skvorecky.

Il est le « petit-bourgeois » personnifié, bassement matérialiste, et sans morale, un grossier personnage. C’est un « parasite », un « sous-homme », « qui vivait selon la loi des souris et des tatous », « tatou qui copule », « ce type qui n’était pas un homme, mais une simple énumération de coïts » !

Une caricature violente, pamphlétaire à souhait !



Mais cet instituteur n’est pas le personnage principal.

Le héros de ce récit est le narrateur : trente ans, jeune célibataire intellectuel pragois cultivé, et solitaire parce qu’il en éprouve le besoin. Le désir qu’il ressent d’un monde meilleur et différent, se perd dans la grisaille du quotidien. Il refuse de s’engager dans un quelconque combat.

Sans caractère, il est dans l’incapacité de se dépasser soi-même. Il n’attend déjà plus rien de la vie.

Il est désabusé.

C’est un héros « non héroïque » !



Quant à Emöke, c’est une jeune et jolie institutrice, hongroise, sensiblement du même âge que le narrateur. Elle est veuve et a une fille. Elle était mariée à un homme riche, brutal et violent, bien plus âgé qu’elle. C’était pour venir en aide à ses vieux parents (qui étaient dans les difficultés), qu’elle s’était mariée avec cet homme. Elle avait beaucoup souffert de ce mariage.

Pendant qu’elle était mariée, elle avait rencontré un homme très pieux, qui lui avait prêté des livres sur la découverte de Dieu. Elle avait alors compris que le but final de l’Homme était de parvenir à « se confondre en Dieu, jusqu’à dissoudre son propre moi ».

Emöke apparaît comme étant une femme très chaste, mais aussi noyée dans des superstitions mystiques et démoniaques qui datent du Moyen-Age !

En fait, dans les sciences occultes, elle cherche un remède à l’échec de sa vie !



Ces trois personnages se retrouvent avec d’autres, dans une maison de vacances où ils vont passer ensemble une quinzaine de jours.

Le narrateur ressent une attirance physique pour Emöke. Une idylle naît.

Mais les jours passent, et il trouve qu’Emöke est pleine de contradictions. Parfois elle est gaie (joue au piano, chante, danse…) et à d’autres moments elle est comme recluse. Pourtant, elle est jeune et jolie, pourrait se remarier, mais elle ne le veut plus. Pour elle, « dans la vie, il y a des buts plus nobles », elle, qui veut accéder à une perfection spirituelle.

Ses penchants pour la spiritualité et la chasteté, dérangent le narrateur.

Il ne se sent pas la force, ni le courage d’aller plus loin dans son idylle avec elle.

Il préfère se dire que ce n’est qu’une aventure de vacances.



Les autres personnages qui interviennent dans ce récit, sont caricaturés par l’auteur, davantage pour leur psychisme que pour leur physique.

Il y a notamment : le responsable aux activités culturelles, qui est vulgaire, ivrogne, inculte, un incapable qui tient des discours tout ce qu’il y a de plus superficiels ; un couple de commerçants, petits-bourgeois, bedonnants et « aux pensées sclérosées » ; un dandy, homme indéfinissable et taciturne, … (liste non exhaustive)

Vers la fin du récit, Il y a toute une partie qui est consacrée à un jeu de société, qui a été initié par le responsable aux activités culturelles. Dans ce jeu de devinettes, se découvrent les vrais caractères des personnages, et notamment celui de l’instituteur, qui se dévoile être très bête et dont tout le monde se moque !



A noter que la forme de l’écriture de ce court récit est d’une grande originalité ! Et j’avoue qu’on peut être dérouté par la longueur de certaines phrases, qui comportent très peu de ponctuations. Parfois, une seule phrase s’étale sur 2 à 3 pages !

Néanmoins, ce procédé d’écriture dense et intense, permet de mieux impressionner, d’insister, de davantage affirmer, de marteler littéralement le récit.

Josef Skvorecky avait traduit des romans de W. Faulkner, et l’apport de cette littérature moderne a enrichi son écriture.



Josef Skvorecky montre les choses telles qu’elles sont dans son pays en ces années 1960, où il vit et écrit. Il dénonce le mensonge et l’hypocrisie. Il manifeste une inquiétude morale.

Il porte un regard mélancolique, lucide et ironique.



Et j’ai eu envie d’écrire ces quelques vers libres de mon ressenti de lecture de cette « Légende » (avant d’en arriver à la conclusion de ma critique) :



Les souvenirs s’évanouissent,

Ils ne résistent pas à l’épreuve du temps,

Le vide s’installe,

La passation cesse et se casse,

Le souvenir s’efface.

Mais une note d’espoir,

Rejaillit du vide.



Pour conclure, il y a Emöke, la vraie, l’épanouie, et l’idée que l’on peut se faire d’Emöke, c’est « La Légende ».

Ce fut pour moi l’expérience intéressante d’une lecture atypique, intense et baroque, d’un récit dont la préoccupation éthique et le souci de l’écriture sont les traits marquants.

Merci à 5Arabella de m’avoir conseillé cet ouvrage !

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Une chouette saison

Tchécoslovaquie pendant l'occupation allemande. Danny Smiricky est un lycéen, peu doué pour les études, surtout en latin et en mathématiques, qui aime le jazz et surtout les filles. Il est prêt à tout pour conquérir le cœur de l'une d'elles mais ce n'est pas si simple ! Josef Skvorecky signe un beau roman sur l'adolescence sur fond de guerre et d'occupation.
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Les Lâches

Critique disponible sur mon blog www.marcbordier.com.



D'inspiration très largement autobiographique, Les lâches relate la fin de la seconde guerre mondiale et la libération d'une petite ville imaginaire située à la frontière tchéco-allemande. Le récit est raconté du point de vue de Danny Smiricky, un jeune homme de bonne famille amateur de jazz, de culture américaine, et de filles. Ce roman a connu une histoire mouvementée : publié en 1958, il a été condamné par les autorités socialistes de l'époque et retiré de la vente. La raison ? Il met joyeusement en pièces le mythe officiel de la libération de la Tchécoslovaquie, cet idéal patriotique selon lequel des révolutionnaires tchèques téméraires auraient héroïquement lutté contre l'occupant allemand et accueilli avec enthousiastes leurs libérateurs russes. Dans le récit de Skvorecky, nulle trace d'héroïsme: les habitants de Kostelec (version à peine déguisée de Nachod, ville natale de l'auteur) se montrent lâches, pusillanimes, et préoccupés avant tout de la sauvegarde de leurs propres intérêts. Skvorecky décrit leur comportement avec un talent et une dérision bien sentie qui rendent la lecture de son livre assez jouissive . Ainsi, dans ce passage (p.60) où les révolutionnaires tchèques s'en prennent à des soldats allemands à peine sortis de l'adolescence:

"Désarmez-les!" cria dans le fond un intrépide.

Personne ne bougea."

Par sa dimension sarcastique et sa déconstruction burlesque des mythes fondateurs du pouvoir, le roman de Skvorecky s'inscrit dans la lignée de l'esprit tchèque incarné par le brave soldat Chveïk (que je vous invite à redécouvrir en lisant ici mon billet daté du 24 mai 2010). Omniprésente, la dérision y prend pour cible tous les objets qu'elle rencontre. Le narrateur ne s'épargne pas lui-même, comme en témoigne ce passage dans lequel il moque son narcissisme gonflé d'autosatisfaction (p. 60): "J'étais nu. […] Je me regardai. Ainsi nu, je me plaisais à moi-même. J'étais beau. J'avais un corps harmonieux, les hanches étroites. Lorsqu'il n'y avait pas à côté de moi un athlète, et donc pas de comparaison possible, j'avais l'air tout à fait grec." Parfois, le sarcasme vire à la misogynie décomplexée (p.61), en particulier dans les scènes où le jeune Smiricky tente en vain d'attirer la belle Irène dans son lit: "Il ne lui vint même pas à l'idée qu'elle n'avait rien compris du tout. Il paraissait évident qu'elle ne possédait pas, dans le cerveau, l'équipement qui lui aurait permis de comprendre. D'ailleurs, dans l'ensemble, les filles ont dans le cerveau un équipement très primitif."

Volontiers provocant et agréablement je m'en foutiste, le roman de Skvorecky est une lecture rafraichissante qui ravira les amateurs d'humour burlesque et de littérature tchèque.


Lien : http://www.marcbordier.com
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L'Escadron blindé : chronique de la période des..

Le personnage principal de ce roman est de nouveau Danny, le narrateur du roman Les lâches. Nous sommes maintenant en 1953, Danny a fini ses études et il a du partir faire son service militaire. L’escadron blindé est une impitoyable mais surtout irrésistible satire de la vie et des mœurs militaires en pleine époque stalinienne dans l’armée tchèque. Presque toute l’armée, des officiers au simple soldat de rang ne rêve que d’échapper à ses devoirs militaires de toutes les façons possibles et imaginables. Les exercices militaires tournent à la farce, et les séances embrigadement idéologique au grand guignol, les hommes opposant une sorte de force d’inertie subversive à toutes les tentatives de les faire marcher au pas. Une sorte de satire entre le soldat Chveik et les Marx Brothers.



C’est moins complexe et riche que Les lâches, puisque volontairement l’auteur a choisi la verve purement comique, même si on se sent une mélancolie par moment sous le rire. De même Danny est finalement peu présent, un peu à l’arrière plan.
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Le camarade joueur de jazz

Six essais et articles du grand romancier tchèque, avant et après son exil à Toronto en 1968.



Publié en 1988 en anglais et traduit la même année en français aux éditions Anatolia, ce recueil présente six essais et articles de l'écrivain tchèque Josef Skvorecky, à caractère majoritairement autobiographique, écrits soit avant son départ de Tchécoslovaquie en 1968, soit après son installation en exil à Toronto.



Les 67 pages de "Je suis né à Nachod", la plus longue pièce du recueil, constituent une véritable autobiographie littéraire, dans laquelle Skvorecky raconte à la fois son enfance lors de l'invasion nazie, la naissance de sa vocation, tant d'écrivain que d'amateur éclairé de jazz, ses grandes influences en tant que romancier, et ses divers démêlés avec la censure, officielle ou larvée, du régime tchèque entre 1950 et 1968.



"Comment j'ai appris l'allemand et, plus tard, l'anglais" n'est bien entendu pas tant un plaidoyer pour l'apprentissage des langues étrangères qu'un récit, bourré d'humour, de l'ouverture et de la résistance à l'endoctrinement que procure la fréquentation assidue et passionnée d'autres cultures que la sienne, fût-ce à travers le décryptage incertain de paroles de chansons, et les tâtonnements parmi les mots d'argot incompréhensibles de prime abord.



"Lire en liberté", en 9 pages, donne une magnifique leçon, toujours teintée d'humour et d'autodérision, d'émancipation authentique par la littérature.



"Red Music" et "Le camarade joueur de jazz" décrivent à la fois le traitement du jazz en tant que musique "dégénérée" par les régimes totalitaires nazi et stalinien, et l'impact monumental de cette musique sur l'adolescent puis l'homme Skvorecky.



"Interview à Prague", pour finir, est le dernier entretien donné par Skvorecky avant de quitter Prague après le printemps tchécoslovaque et la fin de Dubcek, entretien qui prend prétexte de la figure d'Hemingway pour dériver rapidement sur le rôle de la littérature, et sur la part du "divertissement" en elle.



Un recueil attachant pour mieux connaître cet écrivain exilé tardif qui, tout en étant resté toute sa vie farouchement anti-totalitaire, sut éviter de sombrer dans les rodomontades mystiques et les jérémiades d'un Soljenytsine, mais qui souffrit sans doute quelque peu, en France tout particulièrement, de la comparaison avec le rayonnement intellectuel d'un Milan Kundera.

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Les Lâches

Nous sommes en mai 1945 dans une petite ville de Tchécoslovaquie proche de la frontière allemande. La guerre est sur le point de finir, les Allemands sur le point de partir, les Russes sur le point d'arriver. La situation est vue et racontée par un jeune homme, Danny, passionné de jazz et obsédé par les filles. Il observe avec un regard décalé, teinté d'une ironie qui semble ne pas en être, le monde autour de lui, celui des adultes, dont il refuse de faire partie, mais dont aucun travers ni aucune contradiction ne lui échappe. Il croque des portraits mi-tendres mi cruels des gens qu'il rencontre, préfère le rêve à l'action, et l'air de rien, à petites touches dessine un monde en train de disparaître, un monde dont les défauts ne lui échappent pas, mais dont il a déjà la nostalgie alors qu'il est en train de vivre ses derniers jours. Tout cela dans une écriture originale, dansante et mordante, qui fait de la lecture de ce livre une expérience joyeuse et grave à la fois, jouissive et inquiétante.



J'adore ce ton désinvolte, cette façon de dire des choses sans avoir l'air d'y toucher et dans un discours en apparence trivial et inoffensif, sans en avoir l'air glisser des choses plus graves, voir tragiques. Mais sans aucun pathos.

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La légende d'Emöke

La légende d'Emöke, est un court roman (ou longue nouvelle) qui suit immédiatement Les lâches dans l'oeuvre de Josef Skvorecký. Néanmoins, le personnage du livre n'est pas Danny. Cela dit, le narrateur lui ressemble un peu. Le livre se passe dans une villégiature, le narrateur partage la chambre d'un instituteur, et très vite tous les deux s'intéressent à Emöke, une jeune femme d'origine hongroise.



C'est le récit d'une rencontre qui aurait pu avoir lieu mais ne n'a pas eu lieu. Une nostalgie, un possible qui s'est enfuit. Une fois l'instant passé, il n'est pas possible de revenir en arrière. Cela s'achève par le retour à trois solitudes, les départ vers les petites vies qui auraient pu changer mais qui resteront ce qu'elles étaient. Avec juste le souvenir, le regret de ce qui auraient pu être. Une légende.

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Le saxophone basse et autres nouvelles

Il y a des tas de livres, beaucoup sans intérêt, où l’on s’ennui un peu ou beaucoup, d’autres pas inintéressants mais oubliés sitôt lus, et heureusement de belles lectures dans lesquelles on se laisse emporter par un auteur qui crée un univers bien à lui. Et il y a des livres d’exception, qui créent une magie, des moments de grâce, qui font que l’on voudrait que la lecture ne s’arrête jamais, que ce voyage continue le plus longtemps possible, et qu’on rêve de relire une fois terminés. Ce recueil de nouvelles de Josef Škvorecký fait partie de cette catégorie.



J’ai tout particulièrement aimé deux de ces nouvelles. Dans ces deux-là, on retrouve le personnage récurrent de Danny, qui ressemble tant à l’auteur lui-même, à l’époque de la fin de la deuxième mondiale, juste avant les événements du roman Les lâches.



Le saxophone basse : dans cette nouvelle qui donne son titre au recueil la route de Danny croise celle d’une troupe de musiciens allemands donnant des concerts dans divers pays occupés. Une bien triste troupe, composés de vieux éclopés, pas très bons musiciens, des perdants de la vie. Danny se trouve mêlé à un concert, et à l’unique occasion de jouer d’un instrument rare, un saxophone basse. Texte mélancolique et tendre, dans lequel la douceur se mélange à l’amertume, avec une grande et simple poésie.



Une sorcière au mois de mai : Danny toujours prêt à s’enflammer pour une jolie fille, fait par hasard connaissance avec une nouvelle venue dans la petite ville dans laquelle il habite, et qui se prétend sorcière, et donne à plusieurs reprise une démonstration de ses talents à notre Danny, qui finit par lui signer un engagement d’amour avec son sang, comme on accorde son âme au diable. Très drôle et très tendre, même si une pointe d’amertume se mêle toujours à la douceur, et que sans en avoir l’air des sujets graves peuvent surgir à l’occasion. Malgré mon émerveillement pendant cette lecture, je n’arrivais pas à m’empêcher de me demander comment l’auteur arrivera à se dépatouiller de cette intrigue et donner une fin convaincante à l’histoire. Et bien, il y arrive avec talent et élégance.



Ce que j’aime vraiment tout particulièrement chez cet auteur, c’est la façon dont il arrive à parler avec légèreté de sujets graves, de se promener tel un funambule entre les larmes et le rire, observant les gens, et d’abord lui-même avec une ironie mordante mais en même temps avec une grande tendresse. C’est plein d’une humanité profonde et d’une lucidité forte. Juste dommage que ce livre soit difficile à trouver, mais les meilleures choses se méritent…..

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Miracle en bohême

Il faut absolument lire l'excellent «Miracle en Bohême» . Le roman commence avec un jeune professeur qui prend ses fonctions dans un collège de jeunes filles, toutes en seins et en fesses, au moment où il est frappé par la chtouille. Pendant qu'il se contorsionne autour de ses érections douloureuses, un miracle se produit. La statue du saint local remue lors d'un office. Les petits mouvements font les grandes catastrophes: l'affaire devient nationale et révèle les petites lâchetés absurdes de l'élite pragoise après 1968.
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L'Escadron blindé : chronique de la période des..

Burlesque

Inattendu

Bref , du plaisir

Que demander d'autre à un livre ?
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Les Lâches

Figurant indéniablement parmi les auteurs tchèques majeurs de la seconde moitié du XXème siècle, même s’il est beaucoup moins connu que Kundera et Hrabal, Josef Škvorecký est l’auteur d’une trilogie libre, constituée par Les lâches, L’escadron blindé et Miracle en Bohême. Rédigé en 1948 mais publié seulement en 1958, Les lâches valut à son auteur une interdiction de publier de plusieurs années et la perte de son travail. Il traite de la libération de la ville natale du narrateur Danny Smiřický, du 4 au 11 mai 1945.



Le régime communiste ne laissait pas de place à l’humour et à la nuance. Si le livre de Josef Škvorecký peut apparaître à un lecteur actuel comme un témoignage objectif des derniers jours de la Seconde Guerre Mondiale dans la ville tchèque de Kostelec, il porte néanmoins un regard loin de la ligne officielle qui magnifiait la libération de la Tchécoslovaquie et y répandait un fort lyrisme.

On suit ainsi Danny Smiřický, le narrateur. Il a 20 ans et a deux grandes occupations : le jazz, une passion qu’il partage avec une bande copains, et les filles, qu’il essaie de séduire, et en premier lieu une dénommée Irène, qui se refuse malheureusement à lui :

Les Allemands refluent de Kostelec, les premières célébrations ont lieu, et des accords sont passés entre la municipalité et les occupants pour éviter les combats inutiles. Dans ce cadre, les jeunes gens, qui se sont inscrits pour combattre, sont un peu désabusés. Les patrouilles leur semblent inutiles, et Danny préfère aller passer son temps à séduire Irène. Les prisonniers du front Est font leur apparition à Kostelec : il s’agit de soldats anglais en captivité depuis 5 ans, des Juifs en guenilles… Les derniers combats, sanglants, ont lieu entre les SS et l’Armée Rouge, auxquels participent Danny et ses amis.

Les lâches constituent un témoignage historique très intéressant sur ces derniers jours de la guerre. Ils ont un caractère autobiographique certain car Škvorecký est né lui aussi en 1924 et derrière Kostelec, se cache Náchod, une ville du Nord-Est de la Bohême où est né l’auteur. Danny porte un regard tantôt détaché, tantôt humoristique ou ironique sur la situation. « Lui, il était obligé d’être héroïque parce que, pendant la guerre, il ne l’avait pas été du tout » dit-il en parlant d’un des voisins, sans oublier de prendre part aux combats, même s’il relativise son héroïsme. Danny a la naïveté de sa jeunesse, mais également une profonde honnêteté. Il saisit bien le caractère des gens qui l’entourent et le rôle que certains veulent jouer. Il prend conscience qu’une nouvelle époque est en train de naître avec l’arrivée de l’Armée Rouge.



C’est un vrai régal de lire à nouveau Škvorecký ! On ne peut que regretter une nouvelle fois qu’aucune édition récente ne permette à un lectorat plus large de découvrir son oeuvre. C’est à la fois facile à lire, très vivant grâce à de nombreux dialogues, mais en même temps profond, bien écrit, « humoristiquement intelligent ». De la très bonne littérature en conclusion.


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