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Citations de Judith Perrignon (384)


Lorsqu'elle quitte le pouvoir, le monde a changé. Le mur de Berlin est tombé. LEmpire soviétique s'est effon- dré. Le bloc capitaliste triomphe de la guerre froide. C'est un véritable rouleau compresseur. Il exulte. S'étend. Démultiplie ses gains. S'est affranchi du dernier frein: l'Etat et sa régulation.
Et puis Microsoft a commercialisé sa première souris.
Le charbon est fini.
Des métiers disparaissent. Des vieux quartiers aussi.
C'est l'apparition du management.
D'un nouveau langage. Les mots fondent au profit d'obscurs sigles.
Les chiffres triomphent. Courbes d'audience à la télé. Élevage intensif dans les campagnes. Rendement imposé à l'hopital.
La Bourse n'est plus la criée des hommes. Mais le pro- duit de froides transactions électroniques.
Les punks se sont tus. Les Stranglers font des tubes dans des studios en pleine révolution digitale. L'Histoire a connu une accélération technologique. Thatcher n'a rien inventé. Elle a été le bras armé d'un changement d'époque. Le thatchérisme n'existe pas, assure son ancien ministre Kenneth Clarke.

Pages 16-17, Grasset.
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C'est de nuit qu'il est passé du coma à la mort. II avait fait promettre à ses parents de ne rien entreprendre pour le sauver dès qu'il perdrait conscience. Eux ne le reconnaissaient plus. Leur fils de 27 ans avait la peau d'un centenaire, il pesait 35 kilos, les os et les dents lui sortaient du visage. A l'annonce de son décès, les catho- liques de Belfast rejoignent Falls Road. Les femmes de Belfast passent un manteau sur leur chemise de nuit, elles chantent, pleurent, et prient tandis que d'autres fabriquent des cocktails Molotov. Les voitures blindées de la police ont bouclé le quartier.
Les archives gouvernementales britanniques ont révélé la teneur d'un coup de téléphone entre Margaret Thatcher et son secrétaire d' Etat en charge de l'Irlande du Nord, Humphrey Atkins, juste après la mort de Bobby Sands.
— II y en a deux ou trois autres qui vont suivre après lui, n'est-ce pas Humphrey? demande la Première Ministre.
— Oui, un nouveau va bientôt y passer.
— Je pense qu'ils vont finir par s'inquiéter, si un pre- mier meurt, un deuxième meurt, puis un troisième meurt et que rien ne se passe.
— Oui, ce n'est pas très réjouissant pour eux.
Dix se sont laissés mourir.


Page 145, Grasset.
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Après l’abolition, la répression du corps noir a continué et l’interdiction d’entrer dans l’eau en faisait partie. L’eau est un lieu de promiscuité, de regards, de frôlements, c’est un lieu où l’on se déshabille, où les uniformes et les mensonges tombent, c’est un lieu de nudité, de vérité, et donc de sexualité. Il a fallu du temps pour mélanger hommes et femmes dans l’eau et nous y sommes parvenus, mais il a été impossible de mélanger Noirs et Blancs. Car le Noir aurait pu apparaître pour ce qu’il est : un homme.
(page 124)
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Nous étions promis à la classe moyenne, moyenne, c'est déjà haut quand on est tout en bas.
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C'est comme ça qu'ils ont procédé et ça a continué pendant tout le mandat de Thatcher. Ils ont agi graduellement. Le dernier grand coup de canif dans le droit du travail, c'est que maintenant, il faut avoir deux ans d'ancienneté pour bénéficier de la protection de l'emploi. Si vous n'avez que dix-huit mois d'ancienneté, votre employeur peut vous renvoyer sans la moindre raison. Et vous ne pouvez pas l'attaquer aux prud'hommes parce que la loi ne vous protège que si vous avez au moins deux ans d'ancienneté. Les effets de la politique de Thatcher et sa vision du Royaume-Uni commencent à se faire sentir très concrètement. Mais les gens n'ont pas l'air de s'en soucier. Ils sont trop occupés à prendre soin d'eux-mêmes, ils n'ont pas le temps de penser à autre chose qu'à leur propre famille. Il est clair que la société n'est plus aussi attentionnée et humaine qu'elle l'était autrefois. Les gens peuvent gagner beaucoup de fric s'ils sont au bon endroit au bon moment. C'est exactement ce qu'elle voulait.

Pages 171-172, Grasset.
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Dimanche 9 février 2020. Belfast. Nous remontons Falls Road. Artère catholique. Ou plutôt nous remontons le temps.
«Il faut imaginer les policiers, dans leurs voitures blindées, ouvrant le feu à la mitrailleuse lourde Derrière, d'autres policiers armés de fusils et de pistolets qui ouvrent aussi le feu. Et pour finir, les loyalistes qui balancent des cocktails Molotov sur les maisons catholiques. Certaines étaient marquées d'une croix à la craie: "Catholique, catholique, catholique" Ils savaient exactement quelles maisons incendier. C'est pour ça qu'on utilise le mot "pogrom". Parce que c'était un pogrom soigneusement préparé et supervisé par la police, le gouvernement et l'Etat contre la communauté catholique. Ça, il y a cinquante ans, c'était une école catholique. Approchez-vous un peu... On voit encore les impacts de balles des mitrailleuses de la police sur les murs de l'école. La police a tiré sur une école ! Vous pouvez imaginer comme mon père, le reste de la communauté, des hommes, des femmes et des enfants étaient terrifiés. Ils ont commencé à monter des barricades, comme à Paris, pour barrer la route à la police et aux loyalistes. »

Page 106, Grasset.
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Ma ville en ruine et moi, on se ressemble, on est deux vieilles mal en point, on suffoque en août et on grelotte en hiver, on a les mêmes souvenirs, les mêmes fantômes, la même nostalgie, on a cru trouver de l'or, connu la folie des grandeurs et des cadences infernales, ici Ford, General Motors et Chrysler ont dicté la taille du capot et des routes, ici a été calibré le rêve américain, ici la fièvre des modernes fomentait les cancers des maris, hommes-machines soudés à l'usine douze heures par jour et brisés lorsqu'ils rentraient chez eux, mais jamais nous ne l'avouerons, ma ville en ruine et moi, nous sommes trop fières. Et moi, plus que ma mère, plus que ma fille, j'ai pu me poser quelque part, c'était au coin de Cochrane et Butternut Street à Detroit, et j'y habite encore.
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Ce pays, c’est des voitures avec des gens dedans, on leur a laissé croire qu’il suffisait de rouler pour être bien. Nous roulons. Ou plutôt, ils roulent et je les suis au pays des ramasseurs de coton, des fleurs blanches et des rêves d’évasion. Je suis de passage. Pas d’ici. Pas du Sud.
(page 49)
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Il scintille, le fleuve, surtout le soir quand les phares sont braqués sur lui, il prend des airs de majesté, mais il est poisseux, il n’est qu’eaux usées par les hommes, leurs bateaux, leurs usines, leurs maisons, leurs caniveaux, leurs chiottes. Leurs pensées les plus sales sont dans le fleuve, il a tout absorbé. Si c’est un monstre, il s’est laissé domestiquer. S’il avale nos enfants, c’est qu’on le lui apprit.
(page 149)
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«Il y a ici une fresque qui représente cinq volontaires de l'IRA qui ont été tués pendant le conflit. Et celui du milieu, avec le fusil, c'est mon cousin. Il s'appelait Jimmy Quigley, c'était un sniper de l'IRA et il a été abattu alors qu'il combattait larmée britannique au coin de la rue. C'est à ce moment-là que le conflit est devenu non seulement politique, mais aussi personnel pour moi, vous comprenez. Quand mon cousin Jimmy a été tué en 1972. Il y avait déjà plus de 30000 soldats britanniques qui occupaient le nord de l'Irlande. Que faire, quand ils com- mencent à tuer des gens de votre famille? A arrêter, tor- turer et emprisonner les membres de votre communauté? Est-ce que vous mettez la tête dans le sable en faisant comme si rien de tout ça n' existait? Ou est-ce que, comme moi et comme d'autres de ma génération, vous prenez part au conflit à 14 ans? Une fois qu'on franchit le Rubicon et qu'on décide de s'impliquer dans un conflit militaire, il n'y a que deux issues possibles. Ou on va en prison, ou on va au cimetière. J'ai eu de la chance, je suis allé en prison. »

Page 107, Grasset.
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C’est que j’aimais avant tout dans cette musique, ce pouvoir qu’elle avait de divertir mes parents. Le temps de quelques morceaux, leurs corps étaient moins raides, leurs épaules descendaient de quelques centimètres, ils souriaient et s’ils fermaient les yeux, ce n’était pas comme à l’église, c’était autre chose, un moment d’abandon qui laissait entrevoir en eux une zone secrète et interdite, le plaisir.
(page 62)
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Je n'ai pas eu l'impression que l'ensemble de la population virait plus à droite ni qu'ils rejetaient l'idée d'un système de démocratie sociale. D'ailleurs, quand on les sondait, une large majorité des gens disaient vouloir vivre en Suède plutôt qu'aux Etats-Unis. Ils préféraient un Etat providence plutôr qu'un système basé sur le chacun pour soi. Quelle que soit la question posée, une majorité d'entre eux se disait en faveur du modèle de consensus social-démocrate de l'après-guerre, avec un fort interven- tionnisme de l'Etat, la gratuité de l'enseignement et des soins médicaux indispensables et une couverture sociale pour lutter contre la pauvreté. Je ne crois pas qu'on assistait à un virage à droite. Alors, que sest-il passé? Le monde était en proie à l'un de ces spasmes intellectuels qui le secouent de temps à autre.

Page 15, Grasset.
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Si vous regardez dans les journaux de l'époque, le gouvernement utilisait les médias pour dire aux protestantes: "Vous, les femmes protestantes, vous ne devriez pas soutenir cette grève parce qu'elle a été organisée par l'Eglise catholique et le pape de Rome." Ils ont commencé à utiliser la religion pour diviser le sentiment d'appartenance de classe qui se développait chez les hommes et les femmes. La leçon est claire pour nous: peu importe l'église où on va le dimanche, concentrons-nous plutôt sur la lutte des classes. Ce qui nous rapproche, c'est la classe et les salaires plutôt que la religion.

Pages 133-134, Grasset.
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Il ne s’était pas écoulé dix minutes après le départ des flics qu’elle te voyait en soldat, mais il ne faut pas que tu y ailles, il y a trop de guerres qui se préparent, des guerres pour rien, qui ne feront pas de toi un homme mais l’ombre d’un homme.
(page 14)
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Dans cette région... les disparités entre riches et pauvres se sont accrues. Je ne suis pas sûr que ce soit uniquement la faute de Thatcher et de la grève, mais avant, on avait des communautés où la plupart des gens étaient sur un pied d'égalité. On gagnait tous plus ou moins la même chose en faisant le même genre de boulot. Et si la voiture du voisin était plus belle, c est parce qu'il avait choisi d'y consacrer une plus grande partie de son salaire. Alors que toi, t'avais préféré t'offrir des vacances au ski ou t'acheter de nouveaux vêtements. Mais tout le monde savait que c'était une question de choix. Et puis soudain, de grosses disparités sont apparues. Certaines personnes avaient tout à la tois, elles avaient souvent des trucs mieux et elles en avaient plus. Et du coup, d'autres personnes avaient des trucs moins bien et en avaient moins. La société n'a pas tardé à réaliser que ce nétait pas juste, ce n'était pas équitable. On avait beau travailler plus et plus dur, on n'était pas récompensés. Il y avait des gens qui bossaient comme des fous et qui n'arrivaient nulle part. Alors que d'autres s'asseyaient en attendant que ça leur tombe tout cuit dans la bouche. Quand j'ai arreté l'école pour commencer à la mine, je savais que je pourrais travailler dans cette industrie jusqu' à 60 ans et qu'au moment de prendre ma retraite, je n'aurais eu qu'un seul employeur. Ça n existe plus, aujourd'hui. Les gens commencent un boulot et au bout de douze ou dix-huit mois, c'est fini. Il faut qu'ils trouvent autre chose. On ne peut plus taire carrière tout sa vie à Barnsley ou ailleurs. Les choses sont beaucoup plus difficiles. Quand on est obligé de changer régulièrement d'emploi, les postes sont moins bien payés. Ils sont plus précaires. Je dois reconnaître qu'à l'époque où j'ai fait un emprunt, en 1986, douze mois après la fin de la grève, j'étais à peu près sûr que je pouvais me le permettre. Je savais que mes revenus augmenteraient progressivement, avec le coût de la vie. De nos jours, même s'ils ont la "chance" – entre guillemets – d'accéder à la propriété, les jeunes sont soumis à une pression terrible pour réussir à payer leur emprunt. Devenir propriétaire, c'est le premier obstacle. Mais une fois qu'on a acheté, on doit encore payer pendant vingt ou trente ans avant que la maison soit vraiment à vous. Et ça ne peut pas le faire si on vous propose un contrat zéro heure au smic et que vous ne savez pas ce que vous allez gagner d'une semaine sur l'autre.

Pages 198-199, Grasset.
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Finalement les colères de Mamy Lee sont un peu comme les tempêtes de la région. La maison tremble fort, pourtant au matin, le toit a tenu. Alors on regarde le ciel, les derniers nuages à la traîne et on se dit qu’on l’a échappé belle. Je préfère les colères de Mamy Lee aux tempêtes. Je suis plus habitué.
(page 29)
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À cette première exposition de Vincent, on ne chemine pas de toile en toile, en observant là les courbes et les grâces féminines, là les harmonies de gris, les subtilités du ciel, ici le puits de la lumière, ou encore, la patte de l'artiste. C'est un assaut, c'est brutal c'est bouillant comme le feu du soleil, la sève impatiente de la nature, les rêves et les émotions d'un peintre sans école dont la main était une torche, qui trouvait plus de lumière dans les yeux des hommes que dans les cathédrales.
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Tu m'as écrit que dans la vie du peintre, la mort n'est pas ce qu'il y a de plus difficile. Tu disais qu'un peintre qui s'en va parle à une génération suivante. Sache que la mort est plus noire que l'image que tu en avais.
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Étrange tableau autour du lit qui prend toute la place dans la petite chambre. Ils tournent, piétinent, penchés, inquiets, ils se tiennent à deux pas du malade ou bien tout près, ils portent la marque de la tendresse qu’il leur a prodiguée ou bien celle de son autorité sur eux, et ils n’ont plus de mots aux lèvres sinon pour lui répondre quand il parle. Tous ont toujours laissé sa voix les remplir des secousses du pays, du monde. Ils restent sourds désormais aux bruits de la rue. Ils reviennent à l’échelle de leur vie, aux épreuves traversées ensemble, à tous ces drames, tous ces morts chez cet ogre qui a enterré femme et enfants, à ces longues années d’exil sur ordre de l’Histoire. La chambre est comme une presqu’île fouettée une dernière fois par les tempêtes et les fièvres d’un seul homme. Chacun mesure son souffle sur son existence.
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J'envie les japonais, l'extrême clarté de leur travail. Le japonais dessine vite, très vite comme un éclair, c'est que ses nerfs sont plus fins, son sentiment plus simple. Tu ne peux pas étudier l'art japonais sans devenir plus gai et plus joyeux.
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