Citations de Kathrine Kressman Taylor (347)
Ainsi s’éclaire un pan mal connu du régime hitlérien : ses relations avec l’Eglise évangélique, déchirée entre la résistance, regroupée dans l’église confessante, la passivité forcée de nombreux fidèles, et l’allégeance au Führer proclamée par les chrétiens allemands.
Le plus déprimant, dans ce camp, était le visage des prisonniers. Ils étaient si résignés, si hébétés, si bêtement patients. Briser le corps d’un homme est un acte brutal et barbare, mais briser ainsi son esprit ne relève pas de la barbarie ; c’est un raffinement de civilisation dans la cruauté, c’est un crime contre Dieu.
Hitler dit qu’il offrira une nouvelle Allemagne. Tout le monde travaillera pour son prochain et tous pourront de nouveau croire en leur propre bonté ; nous retrouverons beauté, noblesse, morale, nous serons de nouveau un peuple élu. Je ne crois pas ce que dit Hitler, et toi non plus. Selon nous, il ment. Nous avons vu assez de monarques et il est évident que cet homme-là veut le pouvoir. Mais que vas-tu proposer au peuple ? Si tu parles de la république, ils pensent que c’est ce qu’ils connaissent en ce moment, un régime dans les vices répugne au ciel. Je me suis souvent demandé s’il aurait été possible d’empêcher le raz-de-marée. Les étudiants voyaient dans les promesses des nazis le retour de l’Allemagne à sa grandeur passée. À Berlin, où le patriotisme avait toujours été fort et l’opinion conservatrice, le rêve d’une renaissance germanique poussait tous les regards et tous les espoirs vers le nouveau mouvement.
Je ne trouve plus le repos après la lettre que tu m'as envoyée. Elle te ressemble si peu que je ne peux attribuer son contenu qu'à ta peur de la censure.
Tu dis que nous persécutons les libéraux, que nous brûlons les livres. Tu devrais te réveiller : Est-ce que le chirurgien qui enlève un cancer fait preuve de ce sentimentalisme niais ? Il taille dans le vif, sans états d'âme. Oui, nous sommes cruels. La naissance est un acte brutal. Notre re-naissance l'est aussi. Mais quelle jubilation de pouvoir enfin redresser la tête ! Comment un rêveur comme toi pourrait-il comprendre la beauté dégainée ?
Heureusement qu'il existe un havre où l'on peut toujours savourer une relation authentique : le coin du feu chez un ami auprès duquel on peut se défaire de ses vanités et trouver chaleur et compréhension ; un lieu où les égoïsmes sont caducs et où le vin, les livres et la conversation donnent un autre sens à la vie.
L'homme que j'ai aimé comme un frère,dont le cœur a toujours débordé d'affection et d'amitié ne peut pas s'associer, même passivement,au massacre de gens innocents. Je garde confiance en toi, et je prie pour que mon hypothèse soit la bonne ; il te suffit de me le confirmer par lettre par un simple "oui", à l'exclusion de tout autre commentaire qui serait dangereux pour toi.
Moi, un libéral quasiment américain ? Jamais ! Un patriote allemand.
Un libéral est un homme qui ne croit pas à l'action. Il se contente de tenir des discours creux sur les droits de l'homme. Il fait tout un tapage sur la liberté d'expression, mais qu'est-ce que la liberté d'expression ? Tout juste une bonne occasion de rester assis sur son derrière en critiquant ceux qui agissent.
Tu es un libéral, Martin. Tu vois les choses à long terme. Je sais que tu ne peux pas te laisser entraîner dans cette folie par un mouvement populaire qui, aussi fort soit-il, est foncièrement meurtrier.
Un si grand peuple ne pouvait pas rester éternellement sous le joug du reste du monde. Après la défaite, nous avons plié l’échine pendant quatorze ans. Pendant quatorze ans, nous avons mangé le pain amer de la honte et bu le brouet clair de la pauvreté. Mais maintenant, nous sommes des hommes libres. Nous nous redressons, conscients de notre pouvoir ; nous relevons la tête face aux autres nations. Nous purgeons notre sang de ses éléments impurs.
La race juive est une plaie ouverte pour toute nation qui lui a donné refuge. Je n’ai jamais haï les Juifs en tant qu’individus –toi, par exemple, je t’ai toujours considéré comme mon ami-, mais sache que je parle en toute honnêteté quand j’ajoute que je t’ai sincèrement aimé non à cause de ta race, mais malgré elle.
Maintenant, je suis vraiment un homme; avant je n'étais qu'une voix. Je ne m'interroge pas sur la finalité de notre action : elle est vitale, donc elle est bonne. Si elle était mauvaise, elle ne susciterait pas autant d'enthousiasme.
Tu refuseras de concevoir que quelques-uns doivent souffrir pour que des millions soient sauvés. Tu seras avant tout un juif qui pleurniche sur son peuple. Cela, je l'admets. C'est conforme au caractère sémite. Vous vous lamentez mais vous n'êtes pas assez courageux pour vous battre en retour. C'est pourquoi il y a des pogroms.
Car je te le dis, mon ami, c'est à l'émergence d'une force vive que nous assistons dans ce pays. Une force vive. Les gens se sentent stimulés, on s'en rend compte en marchant dans les rues, en entrant dans les magasins. Ils se sont débarrassés de leur désespoir comme on enlève un vieux manteau. Ils n'ont plus honte, ils croient de nouveau en l'avenir. Peut-être va-t-on trouver un moyen pour mettre fin à la misère. Quelque chose - j'ignore quoi - va se produire. On a trouvé un Guide !
L'homme [Hitler] électrise littéralement les foules ; il possède une force que seul peut avoir un grand orateur doublé d'un fanatique. Mais je m'interroge : est-il complètement sain d'esprit ?
Franchement, Max, je crois qu'à nombre d'égards Hitler est bon pour l'Allemagne, mais je n'en suis pas sûr.
Vaincre le désespoir nous engage souvent dans des directions insensées.
Est-ce pour cela que l'on vit ? Pour gagner de l'argent par des procédés douteux et en faire étalage aux yeux de tous ?
Le 12 novembre 1932
Mon cher Martin,
[...]
Quatorze ans déjà que la guerre est finie ! J'espère que tu as entouré la date en rouge sur le calendrier. C'est fou le chemin parcouru, en tant que peuples, depuis le début de toute cette violence !
[1ère lettre]
Le 12 novembre 1932
Mon cher Martin,
Te voilà de retour en Allemagne. Comme je t'envie... Je n'ai pas revu ce pays depuis mes années d'étudiant, mais le charme d'Unter den Linden agit encore sur moi, tout comme la largeur de vue, la liberté intellectuelle, les discussions, la musique, la camaraderie enjouée que j'ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l'esprit hobereau, l'arrogance prussienne et le militarisme. C'est une Allemagne démocratique que tu retrouves, une terre de culture où une magnifique liberté politique est en train de s'instaurer. Il y fera bon vivre.