Citations de Kathrine Kressman Taylor (349)
Tandis que nous approchons du Ponte Santa Trinita, nous voyons des feuillages palpiter au-dessus du pont. Ce sont des arbres dont les troncs, en éperonnant les énormes piliers, y ont pratiqué de profondes échancrures. Emboîtés dans la pierre, ils oscillent au soleil avec un faux air de fête.
Lorsque je me réveille de nouveau, l’aube rosit les carreaux et le ciel est bleu pâle. Je m’enveloppe d’un manteau et repousse les fenêtres. La matinée est splendide. Au-dessus du Santo Spirito s’embrasent quelques nuages légers, tel un foyer de braises d’où rayonne une lumière safran qui réchauffe le ciel blafard.
Oui, nous sommes cruels. La naissance est un acte brutal ; notre renaissance l'est aussi. Mais quelle jubilation de pouvoir enfin redresser la tête ! Comment un rêveur comme toi pourrait-il comprendre la beauté d'une épée dégainée ? C'est ce qu'est notre Führer, mais tu n'as jamais rencontré un Hitler.
Rien de tel pour satisfaire durablement sa femme, Max : faire en sorte qu'elle soit tellement occupée avec les bébés qu'elle n'ait pas le temps de geindre.
Sais-tu ce que c'est qu'être envoyé dans un camp de concentration ?
Qui est cet Adolf Hitler qui semble en voie d'accéder au pouvoir en Allemagne ? Ce que je lis sur son compte m'inquiète beaucoup.
Heureusement qu'il existe un havre où l'on peut toujours savourer une relation authentique : le coin du feu chez un ami auprès duquel on peut se défaire de ses petites vanités et trouver chaleur et compréhension ; un lieu où les égoïsmes sont caducs et où le vin, les livres et la conversation donnent un autre sens à la vie.
Naturellement, je n'exprime pas mes doute en public. Puisque je suis désormais un personnage officiel au service du nouveau régime, je clame au contraire ma jubilation sur tous les toits. Ceux d'entre nous, les fonctionnaires de l'administration locale, qui tiennent à leur peau sont prompts à rejoindre le national-socialisme – c'est le nom du parti de Herr Hitler. Mais en même temps, cette attitude est bien plus qu'un simple expédient : c'est la conscience que nous, le peuple allemand, sommes en voie d'accomplir notre destinée ; que l'avenir s'élance vers nous telle une vague prête à déferler. Nous aussi nous devons bouger, mais dans le sens de la vague, et non à contre-courant. De graves injustices se commettent encore aujourd'hui. Les troupes d'assaut célèbrent leur victoire, et chaque visage ensanglanté qu'on croise vous fait secrètement saigner le cœur. Mais tout cela est transitoire ; si la finalité est juste, ces incidents passagers seront vite oubliés. L'Histoire s'écrira sur une page blanche et propre.
le 25 mars 1933
Cher vieux Max,
Tu as certainement entendu parler de ce qui se passe ici, et je suppose que cela t'intéresse de savoir comment nous vivons les événements de l'intérieur. Franchement, Max, je crois qu'à bon nombre d'égards Hitler est bon pour l'Allemagne, mais je n'en suis pas sûr. Maintenant, c'est lui qui, de fait, est le chef du gouvernement. Je doute que Hindenburg lui-même puisse le déloger du fait qu'on l'a obligé à le placer au pouvoir. L'homme électrise littéralement les foules ; il possède une force que seul peut avoir un grand orateur doublé d'un fanatique. Mais je m'interroge : est-il complètement sain d'esprit ? Ses escouades en chemises brunes sont issues de la populace. Elle pillent, et elles ont commencé à persécuter les juifs. Mais il ne s'agit peut-être là que d'incidents mineurs : la petite écume trouble qui se forme en surface quand bout le chaudron d'un grand mouvement. Car je te le dis, mon ami, c'est à l'émergence d'une force vive que nous assistons dans ce pays. Une force vive. Les gens se sentent stimulés, on s'en rend compte en marchant dans les rues, en entrant dans les magasins. Il se sont débarrassés de leur désespoir comme on enlève un vieux manteau. Ils n'ont plus honte, ils croient de nouveau à l'avenir. Peut-être va-t-on trouver un moyen pour mettre fin à la misère. Quelque chose – j'ignore quoi – va se produire. On a trouvé un Guide ! Pourtant, prudent, je me dis tout bas : où cela va-t-il nous mener ? Vaincre le désespoir nous engage souvent dans des directions insensées.
Ceux d'entre nous qui possédons un transistor ont pu entendre un bulletin ou deux. Le secteur de Santa Croce est inondé, on signale un mètre et demi d'eau sur la Piazza del Duomo, mais encore aucune maison effondrée ni aucune victime. Notre jeune ami qui s'est aventuré au delà du périmètre inondé dit qu'il y avait un mètre d'eau dans les rues au niveau du Ponte Santa Trinita et s'évertue à nous donner une idée de la force du courant : impossible de résister, les voitures sont emportées et retournées.
Te voilà de retour en Allemagne. Comme je t'envie... Je n'ai pas revu ce pays depuis mes années d'étudiant, mais le charme d'Unter den Linden agit encore sur moi, tout comme la largeur de vues, la liberté intellectuelle, les discussions, la musique, la camaraderie enjouée que j'ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l'esprit hobereau, l'arrogance prussienne et le militarisme. C'est un Allemagne démocratique que tu retrouves, une terre de culture où une magnifique liberté politique est en train de s'instaurer. Il y fera bon vivre.
La lenteur calculée du petit déjeuner dominical s'etirait jusqu'à l'insupportable. Ils mangeaient en silence, à part le léger cliquetis des couverts contre les assiettes (son père était opposé à toute conversation à table), en attendant que soit annoncé le programme de la journée. Mais aujourd'hui tout se passait bizarrement.
Ellie Pearl avait peur. Le parfum des arbres était trop suave et trop fort à la fin du jour ; l'odeur de la terre mouillée, de la résine et des aiguilles de pin, comme lorsqu'elle était petite et qu'elle courait pieds nus dans tous les sentiers qu'elle connaissait par cœur, dans les pinèdes, sur le sol de granit ; lorsqu'elle courait, vive et précise, sans regarder où son pied se posait. Cette odeur revenait à présent, trop forte, alors qu'elle montait les derniers mètres de ce sentier forestier, marchant sur des aiguilles de pins sèches sur lesquelles elle glissait à cause de ses chaussures de ville à la semelle de cuir lisse.
Anna connut un moment de félicité totale, car l'étang bordé de saules pleureurs au milieu des aubépines et de la lande, était l'endroit où elle aimait chercher la solitude absolue.
18 août 1933. Tu dis que nous persécutons les libéraux, Max, que nous brûlons les livres. Tu devrais te réveiller : est-ce que le chirurgien qui enlève un cancer fait preuve de ce sentimentalisme niais ? Il taille dans le vif, sans états d’âme. Oui, nous sommes cruels. La naissance est un acte brutal ; notre re-naissance l’est aussi.
Dites-moi, m'aimez-vous, Amanda ?
Seul un être pondéré peut rendre la justice.
« Je ne veux plus rien avoir à faire avec les juifs »
juliette.
Un matin, en se levant, elle avait trouvé le corps raide de son mari, la peau couverte d'étranges taches, les yeux ouverts : son Charles, autrefois si vigoureux, était mort d'une embolie.
Vaincre le désespoir nous engage souvent dans des directions insensées.