Lars Gustafsson : L'étrange
animal du
nordOlivier BARROT présente l'ouvrage de Lars Gustafsonn paru aux éditions Calmann Lavy "L'étrange
animal du Nord".
Je pense que l'âme a la forme d'une sphère (si elle a une forme), d'une boule où une faible lumière pénètre légèrement en dessous de la surface diaprée où des sensations et des actes de conscience, fragiles comme des bulles de savon, se déplacent en tourbillons et changent sans cesse de couleur, mais seulement en dessous de la surface.
Plus au fond, il n'y a que de faibles traces de lumière, à peu près comme dans les grandes fosses marines, après vient la nuit. La nuit, la nuit.
Mais pas une nuit menaçante. Une nuit maternelle.
Je regardais très attentivement, tout au long de la route, les arbres qui n'avaient plus leurs feuilles. J'adore ces branches nues sur fond de ciel gris de plomb. Ce sont comme les caractères d'une langue inconnue qui essaient de dire quelque chose.
On dirait qu'il y en a qui ne vivent que pour ces visites à l'hôpital. Ils ne s'y trouvent pas mal du tout. Leur maladie leur donne une identité. Cela est surtout vrai pour certaines des plus vieux et des plus modestes. Leur maladie provoque un intérêt autour de leur personne, un intérêt qu'on ne leur a jamais témoigné tant qu'ils étaient bien portants.
Dans la langue de la région, on ne dit jamais : "il est mort." On dit : " il a fait sa mort."
C'est un état social que rien ne semble capable d'endiguer. La seule barrière que l'on essaie de mettre en travers de son chemin, c'est la peur de l'état, déguisée en quelque chose que l on baptise "solidarité". Et cette peur est bien trop fragile.
nous sommes tout le temps restés à la campagne - c'était un mode de vie : pour tous les deux, une sorte de (très vague) contestation de la société. Contestation de jardinier, pourrait-on dire.
Lors de courts instants de rêvasseries manichéennes, il lui arrivait même de penser que l'intention du projet humain n'était peut-être pas qu'il agit rationnellement. Le désordre, le danger, le chaos, suspendus comme une épée de Damoclès au-dessus de la table de fête, étaient les conséquences normales du jeu.
(…)
Les seuls qui à longue échéance seraient capables de survivre étaient ceux qui vivaient comme si la survie était dénuée d'importance.
Son visage, pur, clair et vif mais aussi mensonger. Je n'ai en vérité jamais rien vu de semblable. Blonde, une bouche fine et charnue, de beaux traits, mais un visage torturé, un de ceux que l'on voit souvent aux stars de cinéma, à la fois terriblement anxieux qu'on ne les voie pas et profondément offensés si on les voie réellement un instant.
Oncle Sune fumait tout le temps des petits cigarillos bruns et comme il avait une moustache à peu près du même modèle que celles de Nietzche ou de Staline, on était toujours un peu inquiet qu'elle ne s'enflamme quand lentement le mégot s'y enfonçait telle une mèche à l'ancienne.
Les souvenirs sont, en fin de compte, la seule chose que l'on ne puisse plus changer.