Citations de Laurent Petitmangin (223)
Août, c'est le meilleur mois dans notre coin. La saison des mirabelles. La lumière vers les cinq heures de l'après-midi est la plus belle qu'on peut voir de toute l'année. Dorée puissante et pourtant pleine de fraîcheur déjà pénétrée de l'automne , traversée de zestes de vert et de bleu . Cette lumière c'est nous. Elle est belle, mais elle ne s'attarde pas , elle annonce déjà la suite. Elle contient en elle, le moins bien, les jours qui vont rapidement se refroidir . Il y a rarement des étés indiens en Lorraine.
Comme dans tous les squats, les belles choses poussaient au milieu de la merde.
Il se démenait l'avocat. Moi aussi, désormais. J'avais finalement compris que la vie de Fus avait basculé sur un rien.
p.127
Ils étaient beaux mes deux fils, assis à cette table de camping, Fus était grand et sec, Gillou encore rond, une bonne bouille qui prenait son temps pour grandir. Ils étaient assis dos à la Moselle, et j'avais sous mes yeux la plus belle vue du monde. Mon regard allait des coteaux presque dans l'obscurité à leurs visages bien éveillés, francs, éclairés par notre lampe-tempête. J'étais content ce soir-là et tous ceux qui avaient suivi. Je profitais de cette période. Il y avait déjà trois mois que la moman était partie, j'avais évacué la peur de ne pas y arriver,de ne pas faire face à tout ce qu'il y avait à organiser, à gérer. Tout ce que j'avais déjà entrevu depuis trois ans. C'était terrible à dire, mais c'était presque plus facile maintenant qu'il n'y avait plus l'hôpital, les soirées et les dimanches passés à attendre. Presque plus facile. Si elle m'avait entendu. C'était pourtant vrai, les vacances n'avaient jamais autant mérité leur nom.
Elle était issue d’une famille de polaques qui s’était installée en Moselle entre les deux guerres. Elle militait au FN depuis ses quatorze ans, « comme papa ». C’était toujours fascinant de voir comment des gens pouvaient se sentir aussi vite partie prenante d’une histoire, plus français que les Français, encore gorgés de bondieuseries et de traditions de leur coin d’origine, et, avec la même ardeur et la même obstination, comment ils refusaient un pareil droit à tous ceux qui arrivaient après eux.
"Pas que tu aies l'air d'un paysan dans ta classe de champions. Gros, tu représentes la Lorraine, promets-moi de faire gaffe à partir de maintenant. Tes gros joggings paillasse et tes maillots Franprix, tu les gardes pour le week-end." p. 61 et 62
Est-ce qu'on est toujours responsable de ce qui nous arrive ? Je ne me posais pas la question pour lui, mais pour moi. Je ne pensais pas mériter tout ça, mais peut-être que c'était une vue de l'esprit, peut-être que je méritais bel et bien tout ce qui m'arrivait et que je n'avais pas fait ce qu'il fallait.
J'avais honte. Désormais on allait devoir vivre avec ça, c'était ce qui me gênait le plus. Quoi qu'on fasse, quoi qu'on veuille, c'était fait : mon fils avait fricoté avec des fachos.
on ne vaut pas moins que ceux que j'ai croisés, juste on y croit pas assez
Ils étaient assis dos à la Moselle, et j'avais sous mes yeux la plus belle vue du monde.
C'était toujours fascinant de voir comment des gens pouvaient se sentir aussi vite partie prenante d'une histoire, plus français que les Français, encore gorgés de bondieuseries et de traditions de leur coin d'origine, et, avec la même ardeur et la même obstination, comment ils refusaient un pareil droit à tous ceux qui arrivaient après eux.
Est-ce qu’on est toujours responsable de ce qui nous arrive ? Je ne me posais pas la question pour lui, mais pour moi. Je ne pensais pas mériter tout ça, mais peut-être que c’était une vue de l’esprit, peut-être que je méritais bel et bien tout ce qui m’arrivait et que je n’avais pas fait ce qu’il fallait.
Toute cette rage m'était restée dans la tête, m'avait traversé la gorge, m'avait chauffé les poumons, mais elle n'était allée nulle part ailleurs. Au contraire, j'avais les jambes cotonneuses et les bras totalement inutiles et interdits. Alors, j'avais hurlé tant et plus, ça j'arrivais encore à le faire.
J avais finalement compris que la vie de Fus avait basculé sur un rien.Que toutes nos vies, malgré leur incroyable linéarité de façade, n'étaient qu'accidents,hasards croisements et rendez-vous manqués.Nos vies étaient remplies de cette foultitude de rien, qui selon leur agencement nous feraient rois du monde ou taulards. "J'ai été là au bon moment", voila ce que bien des gens comblés pouvaient confesser...
Fus lui avait été là au mauvais moment.Quand il avait croisé la bande. Le reste s'était enchainé.
Putain, il était où le militant facho sûr de son fait ? Je ne voyais qu’un pauvre type, comme moi, tout aussi décontenancé. « On est bien rendus, hein, avec leurs conneries », qu’il m’avait dit. Et les conneries, dans sa bouche – je ne crois pas me tromper en le disant –, ce n’étaient pas celles de nos enfants, surtout pas, c’était quelque chose de bien plus haut, de plus insaisissable, qui nous dépassait et dans les grandes largeurs encore. À la limite, c’étaient nos conneries à nous, tout ce qu’on avait fait et peut-être, en premier lieu, tout ce qu’on n’avait pas fait.
Ca avait commencé avec trop de magasins de kebabs à Villerupt, à se demander où on habitait. Qu’est-ce que ça pouvait bien leur faire ? Ils ne prenaient la place de personne, juste de merceries ou de marchands de tricots chez qui ils n’avaient jamais mis les pieds. Est-ce qu’ils préféraient des vitrines pétées, blanchies à la peinture ? Ces kebabs, c’était signe qu’il y avait encore des gars qui mangeaient dans le coin. Ca attire une drôle de faune, qu’il avait dit l’autre, et puis ils sont moches, pas un pour racheter l’autre, des posters de mosquée, des tables crasseuses sous des néons de merde. Ouais, peut-être. Des gens du coin. Des gens comme toi et moi. Qui se paieraient bien quelque chose d’autre, mais qui n’ont pas trop le choix.
Que toutes nos vies, malgré leur incroyable linéarité de façade, n'étaient qu'accidents, hasards, croisements et rendez-vous manqués. Nos vies étaient remplies de cette foultitude de riens, qui selon leur agencement nous feraient rois du monde ou taulards. "J'ai été là au bon moment" voilà ce que bien des gens comblés pouvaient confesser.
Bien sûr, il y avait de longs silences, mais ils étaient utiles, ce n'était pas du temps de parloir perdu.
La vie ne m'avait pas fait trop de cadeaux, mais j'avais deux gaillards qui s'aimaient bien. Quoi qu'il arrive, l'un serait toujours là pour l'autre.
« Desnos qui partit de Compiègne accomplir sa propre prophétie. » Comment pouvait-il encore fredonner cette chanson ? Il traînait maintenant avec ceux qui l'avaient foutu dans le train. (p. 64)