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Citations de Lilia Hassaine (505)


(Les premières pages du livre)
Prologue
Derrière la baie vitrée, une femme est assoupie. Sa poitrine se gonfle et s’affaisse comme la houle matinale. Nico se colle contre son dos et embrasse ses cheveux défaits. Je n’avais encore jamais vu de blonde dans son lit.
Nico a décidé d’oublier et de vivre. Moi je n’y arrive pas, et je me demande encore comment les choses ont pu déraper à ce point.

C’était il y a tout juste un an.
Une famille a disparu, là où personne ne disparaissait jamais.
On m’a chargée de l’enquête, et ce que j’ai découvert au fil des semaines a ébranlé toutes mes certitudes. Il ne s’agissait pas d’un simple fait-divers mais d’un drame attendu, d’un mal qui irradiait tout un quartier, toute une ville, tout un pays, l’expression soudaine d’une violence qu’on croyait endormie.

Mais avant de vous raconter cette histoire, il me faut remonter le temps. Car aucun des évènements du 17 novembre 2049 ne peut être compris si l’on ignore ce qui s’est produit ici vingt ans auparavant,
quand nos villes, qui furent des jungles, sont devenues des zoos.

Première partie
I 2029
La scène se passe dans l’Auditorium de Radio France. Gabrielle Boca, jeune femme à la détermination tenace, s’avance à la tribune et d’un geste solennel retire sa toge. L’assemblée applaudit. Des centaines de citoyens, dont je fais partie, ont été tirés au sort pour assister à son discours, retransmis en direct à la télévision et sur Internet. C’est un jour historique. Ce 26 octobre 2029, on fait le procès de la Justice.

« Chers amis, j’ai été la première à me repentir. J’ai rendu ma carte d’avocate, jeté ma robe, demandé pardon. À vous qui avez cru en l’institution judiciaire, vous qui avez été entendus sans être écoutés, je veux redire ces mots : la Justice a trahi. La justice du passé, celle des magistrats nommés par le pouvoir, celle de la présomption d’innocence et de la prescription, cette justice a failli. Incapable de défendre les plus fragiles, elle s’est vautrée dans des compromissions et des effets de manches. Combien de crimes ainsi ignorés ? Combien de victimes sacrifiées ? Ces victimes, nous les avons condamnées à purger une peine à perpétuité, par notre laxisme envers leurs agresseurs. Mais cette époque est maintenant révolue. »

Une musique s’élève du fond de la salle. Le souffle d’un hautbois, et l’âme tourmentée d’un violon. Je ferme les yeux. Un homme tape de plus en plus vite, de plus en plus fort, sur une peau tendue. Je crois deviner des timbales, mon souffle s’accélère, j’ai mal au crâne. Au tintement des cymbales, je pars. Je me souviens de la haine des jours, de la sauvagerie des nuits, des femmes aux ailes d’Érinyes et du goût amer de leur vengeance. Je me souviens d’être restée paralysée. Sept jours. Ça a duré sept jours.

Tout a commencé quand un célèbre influenceur du nom de Julian Gomes a porté plainte contre son oncle. À son million d’abonnés, il avait raconté comment cet homme l’avait violé quand il était petit et expliqué les répercussions qu’un tel secret avait eues dans sa vie. Malgré le retentissement de l’affaire, les interviews, les articles dans les journaux, la plainte fut classée sans suite : les faits étaient prescrits.

Julian Gomes propose un sondage à sa communauté. Doit-il se faire justice lui-même ? La réponse est oui, à 87 %. Le lendemain matin, muni d’une caméra frontale, il se rend au 6 boulevard Arago, à Paris, grimpe les six étages qui le séparent de son destin, toque à la porte de son oncle et lui plante un couteau dans la gorge. Julian retourne la caméra vers lui et s’effondre en larmes.

Après son arrestation, des messages de soutien affluent du monde entier pour demander sa libération. Face à l’absence de réaction du gouvernement, des manifestations éclatent un peu partout en France. On brandit les photographies d’accusés relâchés, les visages des « salopards » jamais poursuivis. Les témoignages se multiplient : chacun exprime ses griefs personnels à l’encontre de l’autorité judiciaire, sa lenteur, son inefficacité. Le site du ministère de la Justice est piraté et renommé « ministère de l’Injustice ».

Une nuit, alors que le Tribunal de Paris est envahi par une centaine de femmes, membres d’une association de victimes de violences conjugales, le ministre de l’Intérieur ordonne leur expulsion. Elles refusent d’obtempérer, se débattent, et l’une d’elles est matraquée par un policier. La séquence, diffusée à la télévision, attise la colère des manifestants. Sur les réseaux sociaux, des centaines de jeunes se coordonnent pour mener des actions ciblées. Ils veulent imiter le geste de Julian Gomes, tous ensemble, et au même moment.

Le hashtag « Revenge Week » – semaine de la vengeance – devient viral. Un climat insurrectionnel s’installe en France. Les victimes punissent leur bourreau. Une jeune salariée de Mulhouse défenestre le patron qui l’avait harcelée pendant des années. Un étudiant d’Amiens pousse sur les rails d’un train son voisin, un ancien militaire qui battait son chien. Le patron d’un empire pétrolier, responsable d’une marée noire, est empoisonné par des militants écolos. Les parents maltraitants, les prêtres pédophiles, les flics abusifs, les « pourris » en liberté sont éliminés les uns après les autres. Ces crimes sont filmés, relayés et likés par des centaines de milliers de personnes. À Béziers, un homme âgé se présente au commissariat pour se dénoncer : il a tripoté des gamins à l’époque où il était directeur sportif d’un club de foot. Il sait que ses anciens élèves sont à ses trousses, ils ont posté sa photo et cherchent son adresse. Il craint pour sa vie et insiste pour être incarcéré. Les policiers lui demandent de revenir plus tard, sans garantir de pouvoir lui trouver une place en cellule. L’effet de sidération est tel que personne – y compris dans mon unité – n’ose bouger.

Le président de la République – menacé à son tour – se réfugie au fort de Brégançon, laissant le pouvoir vacant.

Après sept jours de Terreur, Julian Gomes est libéré.
Gabrielle Boca, la très médiatique avocate de l’influenceur, lance le mouvement « Transparence citoyenne » pour aider les individus qui se trouvent dans la même situation. Soutenue par d’autres repentis des corps exécutif et législatif, elle propose la grâce pour tous les actes commis lors de la Revenge Week, à condition que les violences cessent : « Une procédure d’exception doit être mise en place pour épargner ceux que la Justice n’a pas su protéger par le passé. Les vengeurs d’un jour seront auditionnés et fichés, car la vengeance n’est pas et ne sera jamais acceptable en démocratie, mais je suggère qu’ils ne soient pas condamnés. Montrons-nous indulgents avec ces victimes coupables de crimes, ces justiciers qui ne représentent aucun danger pour la société. »

Sa pétition réunit les signatures de trois millions de Français en moins de vingt-quatre heures. Devant un tel plébiscite, Transparence citoyenne veut aller plus loin. Gabrielle Boca lance des « états généraux » en ligne pour que les citoyens imaginent un nouveau modèle de gouvernance. En quelques mois, le mouvement démantèle les institutions pour les réduire à de simples administrations. Les lois, tout comme les décisions de justice, seront désormais discutées et votées par le peuple lui-même sur Internet. Les documents ministériels (sauf ceux de la Défense) seront rendus publics. La classe politique, jugée corrompue, est désavouée.

Quand j’ouvre les yeux, le discours se termine. Autour de moi, des adultes, des enfants, aux joues peintes en bleu, blanc, rouge. Viktor Jouanet, un jeune architecte, membre actif du mouvement, est invité à monter sur l’estrade par Gabrielle Boca. Il se racle la gorge, écarte d’une main la mèche qui lui barre le front : « Nous avons accompli une révolution en quelques mois à peine : faire de la France une démocratie réelle, rendre le pouvoir au peuple. Néanmoins, si la Transparence veut perdurer, elle doit d’abord s’appliquer à nous-mêmes. Les viols, la maltraitance, les abus, les agressions, toutes les violences commises envers les humains et les animaux, ont un point commun : ils se déroulent à l’abri des regards, derrière les murs, dans les chambres des maisons et dans les ascenseurs des entreprises. Les espaces clos sont dangereux. Les murs sont menaçants. Chacun d’entre nous, et pour le bien de tous, devrait accepter de renoncer à une part d’intimité ; il en va de la paix civile. »

L’architecte scelle ce jour-là, en accord avec les citoyens, les normes d’un nouvel urbanisme. Le baron Haussmann avait transformé Paris au XIXe siècle pour plus de salubrité et de sécurité. Les grands travaux de Viktor Jouanet viseront à un « assainissement moral » et à une « sécurité optimale ». Les constructions modernes seront transparentes. On rénovera les lieux de culte et monuments du patrimoine qui peuvent l’être : les murs de pierre seront remplacés par des vitres. On détruira les logements, les écoles, les prisons, les hôpitaux, les commerces pour construire des maisons-vivariums, où chacun sera garant de la sécurité et du bonheur de ses voisins.

« Au fond, qu’avons-nous à cacher ? Si nous n’avons rien à nous reprocher, pourquoi ne pas accepter de tout montrer ? »

L’assemblée applaudit et entonne La Marseillaise.

II 2050
En vingt ans, la France s’est métamorphosée. La nuit, des lumières rouges éclairent l’intérieur des maisons. La journée, on compte sur la vigilance des voisins. Les industriels ont réussi à produire un matériau innovant, le verre XPUR, plus isolant, moins réfléchissant, marqué de fines rainures noires pour éviter que les oiseaux ne se cognent dessus. Ces stries sont presque invisibles à l’œil nu mais les volatiles parviennent à les distinguer – la plupart du temps.

Avec ma fille Tessa et mon mari David, nous vivons dans l’une de ces maisons de verre. Personne ne nous y a obligés. Aucun dictateur ni despote. La société s’est régulée d’elle-même, par capillarité. La nouvelle d
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Pour préserver un minimum d’intimité, certains couples ont investi dans des lits-sarcophages. Le principe est simple : chacun à son tour appuie sur le déclencheur – ce qui garantit le consentement – et le lit se referme comme une boîte. En cas de problème, un bouton d’urgence à l’intérieur permet d’ouvrir le coffre et d’alerter les gardiens.
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Les industriels ont réussi à produire un matériau innovant, le verre XPUR, plus isolant, moins réfléchissant, marqué de fines rainures noires pour éviter que les oiseaux ne se cognent dessus. Ces stries sont presque invisibles à l’œil nu mais les volatiles parviennent à les distinguer – la plupart du temps.
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« Maman, c’est à eux de ne pas regarder, pas à moi de me cacher »

« Peut-être que le problème vient de moi. Peut-être que je suis passée de l’autre côté, du côté des connes qui ont mal vieilli. »
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Philomène ressemble à ces Suédoises de Bergman, émancipées mais reines en leur foyer, présentes et absentes, blondes sans être froides, élégantes en toute occasion, insaisissables.
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il y a deux causes à la lâcheté. La première est une faiblesse de l'âme, auquel cas tu me fais de la peine, la deuxième est une ambition déguisée, auquel cas tu me fais peur.
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Nous irons nous promener près des phares rouge et vert, on apprendra l'ennui, un autre genre d'ennui que celui des jouissances rapides et infinies : l'ennui sans lassitude.
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C'est tout le paradoxe de cette situation, l'utopie d'une société sans secrets nous condamne au mensonge.
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Je me suis souvent demandé à partir de quel âge on devenait vieux. Peut-être est-ce à partir du jour où l'on met en terre l'un des siens. On peut devenir vieux très jeune p151
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C’est peut-être pour cela que j’aime tant la fiction. Parce qu’elle ne ment jamais. Elle m’a d’ailleurs prévenue : si l’amour ne dure pas, c’est bien pour cette raison que tu le chercheras, pour une seconde de folie qui vaut l’éternité, pour te sentir unique alors que c’est banal.
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Naître fille, ça voulait dire devenir la boniche de ses frères, puis celle de son mari, ne jamais jouir d'aucun plaisir, si ce n'est ceux de la bouche, et donc grossir, grossir, grossir, tomber enceinte autant de fois que possible, accoucher sans un bruit, brider ses propres filles, qui reproduiront le même schéma à leur tour : "La féminité est une maladie transmissible . On trimballe les tares de nos mères, et on les refile à nos mômes", répétait souvent Michèle, la voisine. Naja était d'accord.
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J'avais aimé les livres. Le problème n'était pas que je ne les aimais plus, mais que je ne savais plus comment les faire fonctionner. Il n'y avait pas de bouton latéral, pas de mode veille. Et même quand je parvenais à me concentrer pendant deux ou trois pages, je sentais mon cœur palpiter d'agacement, les phrases étaient trop longues, trop bavardes, elles ne s'adressaient pas à moi, c'était à moi de faire l'effort de les lire et de les comprendre. Mon smartphone était bien plus puissant, il ne me demandait rien, il anticipait mes désirs, et tout semblait gratuit. Plus tard, j'ai compris qu'il se nourrissait de mon ennui et que j'avais payé tous ces gens de mon temps. J'ai cru les belles parleuses, celles qui se piquaient de sororité et de bienveillance alors qu'elles s'enrichissaient sur le dos de mes complexes d'adolescente.
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Personne ne fait d'efforts ici. Rien ne nous y invite d'ailleurs. Ni l'école, ni la société, ni la technologie. J'allume mon smartphone, et je ne sais plus ce qui est vrai. Peu importe. Ce qui compte, c'est que ça circule. Les flux. Les tendances. Se laisser influencer par ses propres idées. L'algorithme nous approuve, entretient nos croyances, nous conforte dans nos choix. Je partage des articles, des posts, pour évangélises mes amis, ma famille. Je partage, sans débattre. Ne pas communiquer, pour ne pas évoluer. Echanger, pour surtout ne pas changer.
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Je crois que le jour où les femmes n'auront plus besoin de se positionner en fonction des hommes, en bien ou en mal d'ailleurs, on aura fait un grand pas.
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Le like est l'équivalent numérique de la croquette pour chiens, me répétait mon père
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Plus tard, sous le poids de la morale et de la transparence, sa présence est devenue contrainte. Je ne tremblais plus. On n’aime plus quand on ne tremble plus.
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Quelque chose s’est fissuré en moi. Je ne crois plus en la sécurité. Je n’aime plus les zoos. J’aime la vie qui fait mal, qui use et qui déçoit.
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La solitude est une anomalie qu'ils essaieront de réparer par tous les moyens.
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Si l'amour ne dure pas, c'est bien pour cette raison que tu le chercheras, pour une seconde de folie qui vaut l'éternité, pour te sentir unique alors que c'est banal.
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Je n'ai jamais autant aimé mon mari qu'en son absence. Sa liberté, c'était mon pays imaginaire, celui de mes élucubrations et de mes angoisses. Je l'aimais parce qu'il n'existait pas. Je l'aimais parce que je pouvais le réinventer sans cesse, à chaque printemps de mes journées, le convoquer dans mes songes, le parer de toutes sortes de mystères. Je l'aimais parce-que je l'attendais.
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