Morte la bête
Marque-page 26-04-2011
Ils étaient assis en tailleur sur la couchette de sa cellule, adossés au mur, en train de regarder Toy Story 3 sur le Mac de Louise. Elle l’avait loué dans les règles et non pas téléchargé illégalement sur le Net. Elle ne manqua pas d’insister sur son honnêteté.
- Presque tous les tueurs en série ont connu dans leur enfance un environnement dysfonctonnel. Ils ont souvent été victimes d'abus sexuels, ont eu des parents qui avaient une cobsommation abusive de drogues ou d'alcool ou ont subi des punitions exagérément sévères pour des fautes minimes. Un des modes de réaction de l'enfant consiste à se réfugier dans les réves et ça peut ensuite l'amener à inventer un univers imaginaire permanent dans lequel il vivra une vie parallèle à son existence normale et qu'il cachera à son entourage.
Bref, j'ai passé l'heure suivante à essayer de lui faire décrire l'homme, mais j'ai fait un bide complet. Après un nombre incalculable de variations sur les cinq mêmes questions, j'ai pu conclure que son client avait entre vingt et quatre-vingts ans, n'était probablement ni nain ni en fauteuil roulant, et était à coup sûr un homme. A ce moment-là, j'ai commencé à croire qu'elle souffrait d'un syndrome professionnel inconnu genre friture crânienne. Par la suite ça s'est montré assez injuste, mais sur le moment malheureusement, je n'ai vu qu'une seule piste.
C'était toujours comme ça avec les femmes. En l'absence de dialogue, il observait librement les fesses. C'était une alternative appréciable, et il la laissa prendre encore un peu d'avance.
Depuis le banc où il était assis, il pouvait apercevoir les mains du propriétaire quand celui-ci servait, et parfois le reflet de son visage sur une plaque d'inox. Blafard comme un abcès mûr, des yeux éteints, aussi attirant qu'un cadavre. Malheureusement, il allait devoir commencer par tuer le type, autrement ses chances de survie seraient trop grandes.
J’ai connu un homme intelligent, qui […] m’a demandé si je pensais que le monde pouvait être changé par une poignée de personnes se battant contre l’ordre établi. Et il m’a lui-même donné la réponse, une réponse aussi simple que vraie : le monde a toujours été changé de cette façon.
Ils s'accordèrent quelques secondes de silence. Puis elle sentit qu'il appuyait un objet dur et anguleux dans sa main. Elle lâcha son étreinte et regarda d'un air étonné. C'était une petite figure en os sculpté.
- Oh, un tupilak, il est joli.
- Il protège des mauvais esprits.
- Oui, c'est connu.
- Il vient du Groenland, c'est Trond Egede qui me l'a donné. Bon, c'est peut-être stupide, mais tu peux peut-être le prendre avec toi et le mettre dans ta poche.
Elle lui donna un baiser sur le front, heureuse du cadeau qu'il lui faisait, mais aussi un peu irritée. Il disait tout le temps qu'il n'était pas superstitieux , mais en réalité...
- J'aimerais vous revoir demain (...) Merci de venir sobre, dans le cas contraire je vous colle en cellule de dégrisement.
- Vous pouvez me le noter, que je n'oublie pas?
Il y avait quelque chose de blessant dans le fait de devoir ainsi mourir au milieu de nulle part, dans l'immensité de l'univers, en ces lieux où les êtres vivants n'avaient pas leur place. D'une certaine manière, son assassin l'avait tuée deux fois.
Cette fois, ce fut au tour de Konrad Simonsen de regarder sa montre. Une audition concernant un double meurtre l'attendait, et il avait de toute façon du mal à trouver ça formidable.