AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782020128810
172 pages
Seuil (01/03/1999)
3.75/5   2 notes
Résumé :
Ce journal de voyage commencé à Moscou en avril 1900 et achevé en Finlande au mois d'aout de la même année, constitue un document littéraire de première importance. Il livre en effet des informations essentielles sur l'évolution même de Lou Andreas Salomé. Lou retrouve le pays de son enfance. Au seuil de la maturité, son propre destin se déchiffre devant elle, dans une sorte de plénitude comblée. Les journal est ainsi l'occasion d'une réévaluation, voire d'une décou... >Voir plus
Que lire après En Russie avec Rilke, 1900Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
En Russie. 1900. avec Rilke. Carnet d'un voyage. Retour au pays natal. À la source. Aux origines. Deuxième voyage mais premier véritable voyage exploratoire. Elle se rend disponible à recevoir l'inconnue . Ce qui l'attend ? Elle ne le sait pas. Ce qu'elle en attend ? l'issue de ce voyage ? les fruits qu'elle aura pu rapporter sauront il nourrir la fibre créatrice de sa pensée ? Elle pressent ce qui se vit déjà en elle, elle part.

«  Chaque nouvelle installation parle de perte, de regard en arrière, de temps révolus, et suscite la crainte. L'on éprouve sans doute quelque fierté, mais on pressent aussi les nouveautés et les épreuves qu'apportera l'âge adulte, et la signification de la mort pour tant de choses qui ne reviennent plus. Chaque printemps russe ressuscite pour moi quelque chose de cette nostalgie ; je ne sais rien de plus mélancolique ni de plus saisissant que son approche et ces maisons encore à moitié vides ».

Olivier Rolin rappelait dans son livre Baïkal-Amour l'importance du train dans la littérature russe.
Chevaux de fer laissant leur galop dans notre imaginaire. C'est donc en train que ce voyage de Saint-Pétersbourg à Moscou, de Toula à Niejin, de Kiev à Kharkov, de Saratov à Kazan, de Nijni Novgorod à Rostov , se déroulera.
Pourtant ce sont les eaux du fleuve qui injecte en elle le plus de sève nourricière .

«  En train, on fonce à travers le paysage, en bateau on l'accueille ».

Ne cherchez pas Rilke, il est bien dans le train, il est bien là dans l'Isba, il est bien lors de la visite à TolstoÏ, il est bien là sur la Volga. Il est là mais là, mais il n'appairait que très peu car là n'est pas la préoccupation de Lou Andreas Salomé ( L.A.S) .
Leur relation amoureuse prendra bientôt fin , elle laissera la place , quelques années plus tard, après la tempête, à une correspondante féconde, reflet d'une amitié indestructible .
C'est le récit du voyage de L.A.S en Russie dont il s'agit dans ce journal.
Lou Andreas Salomé est née à Saint Saint-Pétersbourg , à l'intérieur d'une communauté d'émigrés germanophones, proche du tsar Alexandre II.
Si l'imprégnation de la Russie est indélébile en elle , elle ne connaît pas profondément la Russie. Mais qui peu prétendre connaître un territoire si grand qu'à l'intérieur de celui ci le terme « pays » prend la taille d'un village ? La taille de cet empire, est à la taille de son histoire et de sa culture.
L'amour que L.A.S éprouve pour la Russie est à la taille de son âme.
Tout l'intéresse, tout l'appelle. La ville, le fleuve, les hommes, les peintres, les sculpteurs, , les écrivains, la terre, la lumière, les sons, sa musique, les odeurs, les arbres, les mythes, l'architecture , les icônes. Elle lit, décrypte.

«  La richesse de la maison russe par rapport aux autres tient par conséquent au nombre de bâtiments , et non pas à la forme particulière que revoterait celle-ci : le niveau de base es le même pour tous les bâtiments, avant que ne s'y ajoutent des extensions neuves et plus riches, comme une cellule s'ajoute à une cellule. de là vient la beauté dans la dissymétrie dont les Russes ne se sont pas départis. La symétrie suppose un plan pour la disposition de l'ensemble ; elle exclut une croissance organique en fonction des besoins. Dans toutes ces manifestations, les Russes sont fondamentalement plus individualistes, et par le fait même, plus communistes ; ils se sentent fraternellement égaux, parce que chacun a lui même une égale valeur, tandis que les Allemands ont besoin du socialisme comme théorie ( ou du patriotisme ou de la vanité du citoyen ) pour les élever au dessus de l'individualisme – doctrines qui font leur lentement et qui leur sert à distinguer les hommes supérieurs des inférieurs ».

Elle pressent.
Russie 1900. L.A.S et Rilke voyagent. La Russie est assise sur une poudrière. Dans 5 ans la première révolution finira dans un bain de sang, dans 17 ans le régime tsariste sera renversé laissant la place au régime des soviets. L.A.S voyage. Regarde, découvre, parle, rencontre.
Ressent elle la tension qui y règne ? Forcément , elle comprend. Elle voit et écoute les intellectuels russes. Elle comprend l'urgence de l'éducation. Elle voit .

«  Le  Russe cultivé est un éclaireur qui s'est avancé trop loin et qui, dès lors, est condamné à devenir réactionnaire ».

Oui, elle pressent, déjà.

«  le corps ecclésiastique dans son ensemble ne constitue pas seulement une survivance symbolique, apte à garder vif dans le peuple le sens du sublime enfoui dans le quotidien, c'est avant tout une institution vivante, gouvernée et maintenue par des hommes à des fins de pouvoir politiques et humaines, qui détourne une quantité d'énergie financière et psychique de sources nutritives plus essentielles. Ôter cette institution au peuple n'irai peut -être pas sans danger, la lui conserver comporte cependant une part de péril infiniment plus grande. Tout dépend précisément des hommes. »

Elle sait qu'on a pas » à enseigner sa solution au peuple » mais qu'il faut avant tout apprendre du peuple.

«  le peuple, dans son état actuel, puise sa sève de nombreuses racines intactes et conserve pieusement ( dans ses mains à la fois si sales et si étonnamment élégantes) le trésor dont il gratifiera l'humanité. »

Elle tend, de tout son être à la spiritualité de la Russie. A son âme, à ce qui la matérialise, à ce qui la sacralise, à ce qui l'entraîne.

Elle se ré-imprègne, elle se recharge pour se ressourcer.
« Ma nature m'a toujours portée à vivre chaque événement de la vie au plus profond de moi même ».
Visionnaire, contemplative,, disponible, avec compréhension, avec humilité, avec amour, elle vit une expérience.. L'expérience de la Russie. L'expérience d'un renouvellement. Ce «  suave amuïssement dans le Grand Tout », « cet abandon serein des affects purement subjectifs ».
Elle mue.
«  il n'est rien de plus beau que de vivre le vieillissement dans sa propre chair comme un renouvellement. Pour prendre une image, il n'équivaut pas à la fermeture d'une porte devant soi, mais au contraire à son ouverture insoupçonnée sur une munificence neuve et bouleversante », cet instant merveilleux qui voit «  le mouvement de retour sur soi naître d'une sortie de soi »

«  L'expérience est d'une beauté indicible parce qu'elle ramène tout près de l'enfance ».

«  Je comprends les mots de Tolstoï : devenez aussi simples qu'eux et vous posséderez tout. »

«  Je cherche simplement à entrer en société avec eux respectueusement, oublieuse pour un temps de ma volonté et de mon être ».

Jamais la notion n'a été aussi présente chez L.AS . le mouvement , l'énergie, l'élan.

«  Aucune période de la vie, pas même la jeunesse, n'est La période, la seule, qui serait le diapason de toutes les autres.Mais toutes les périodes et chacune individuellement entonnent le chant de notre vie, qui est un chant d'amour : cela commence par l'identification inconsciemment amoureuse avec la totalité de la vie, évolue vers l'abandon conscient à celle-ci et le retour vers elle comme une patrie. »

« Toute parcelle de vie constitue un succès gagné au prix de mille possibilités inouïes sur mille périls qui la menaçaient – elle est proprement un coup ce génie.
Et dans la mesure, où nous existons, un tel coup de génie, l'extraordinaire et l'inouï sont à notre portée. »

Un expérience de vie . L'intelligence du voyage.

Rilke vivra également une expérience en lui même. Aucun des deux n'en reviendra indemne.
Éveil personnel, spirituel, artistique.

«  Nous sommes les enfants du bonheur. - et nous ne devrions pas vivre autrement que comme si nous étions à la veille de fêtes, au seuil de splendeurs les plus rares et les plus éclatantes, car la réalité est là et non pas ailleurs, out autre chose n'étant qu'un chemin, une tentative, un essai avant que la vie n'éclate pleinement. »

Pulsions, impulsions, alchimie des forces. Courant intérieur.
Voilà la mécanique de la création. Voilà ce qu'elle a trouvé.

«  le heurt avec l'inconnu, avec l' absolument différent, est en soi fécond. Il n'est pas de noces sans différence entre deux personnes, et toute création est synthèse. La remarque vaut pour l'amour physique comme pour la création,, pour l'action artistique comme pour la connaissance. »

Ce qui fait « la grandeur d'un être, ce n'est pas parce qu'il fait ceci ou cela, il n'est pas grand parce que son action procède de tel ou el mobile, Il n'est grand que dans la mesure précise où il se crée l'espace intérieur nécessaire à une multiplicité d'actions et de sentments ».

Pour trouver sa place, il faut faire son espace. Si rien ne peut entrer rien ne pourra en ressortir, se développer, naître, jaillir.
Assez de place pour vivre , ressentir , aimer, souffrir sans être comprimer dans son enveloppe intérieur. Assez d'espace pour « accueillir le bonheur sans que celui ci ne touche douloureusement à nos frontières et qu'il nous entraîne instinctivement à le fuir ».
Alors se remplir, s'élargir. Des profondeurs aux hauteurs, et du ciel à la terre, puis de nouveau de l'obscurité à la lumière. Comme un cycle naturel.

«  Il va de soi que nous devons produire des branches et des fleurs et faire croître notre tronc, sous peine de nous réduire à une existence muette et latente dans l'obscurité du sol. Mais ce qui se dresse à la lumière n'est qu'une petite par, tributaire de l'immense profondeur qui est en nous. » 

Enveloppe croûte….carcan, corset, cloisonnement, cantonnement...
Germination, croissance, fécondation, floraison, abondance, ...saisons.

«  C'est falsifier de façon cruelle et bornée la vérité que d'empêcher les jeunes gens en révolte contre la tradition et la convention de prendre le chemin droit et personnel qui conduit à la connaissance profonde de la vie. On leur objecte alors que le chemin est nécessairement lent, qu'il passe par les événements de l'histoire et que vouloir l'abandonner est un signe de folie des grandeurs. En vérité, il s'agit là de tout autre chose que de l'opposition entre les progrès de l'histoire et les exigences de l'individu qui en quitte les voies de son propre chef. Il s'agit du rejet de la croûte routinière et de la pétrification que toute époque oppose aux progrès de l'époque précédente pour tenter de les masquer. Cette croûte n'est qu'une enveloppe , et qui en reste volontairement tributaire a tôt fait de perdre a vie à des questions de pure forme. »

Rejet de la sempiternelle routine, mais respect de la rareté de notre quotidien.

Pour L.A.S le surhomme n'existe pas. C'est en s'élevant au dessus du quotidien, sans le rejeter, mais en l'aimant, en considérant ses multiples compositions, en vivant « ses minutes en or » , que l'on s'élève.
Croire en l'existence du surhumain c'est être incapable de gérer son quotidien. C'est un délire. Nous touchons au divin dans le quotidien, parce que sa multiplicité simple et naturelle touche à l'exceptionnel. Laissons si on le souhaite , dimanche aux Dieux, le surhumain au fou, et aimons follement, terriblement, divinement, toutes nos semaines.

«  il a toujours existé deux modes de vie : l'un qui progresse ( on pourrait dire qui monte) l'autre qui descend, fait retour sur soi même, sans crainte des profondeurs où il s'aventure. On ne cesse de considérer à tord le second mode de vie comme la base du premier, comme son fondement plus fruste qui, dans une certaine mesure, le conditionne matériellement : les processus vitaux qui nous sont communs à tous y reposeraient, mais seul le mouvement «  vers l'avant » , «  vers le haut », nous permettrait d'accéder à notre vraie dignité. En fait, les deux directions ont la même dignité, la même valeur, en raison des échanges incessants qu'elles entretiennent. Ce que l'on prend pour une simple base n'est autre que le bassin précieux sans lequel il n'y aurait pas de jet d'eau : sans lui en effet, il ne s'élancerait pas en haute gerbe, et s'il ne cessait d'y retomber, il se disperserait en vaines gouttelettes !
Toute évolution culturelle, comme en général tout ce que le temps conditionne et met en mouvement, est solidaire de cette gerbe qui, non contente de monter des profondeurs, doit encore y faire retour pour rester maître de son jaillissement. C'est pourquoi, contrairement aux plates théories de l'idéalisme usuel, ni les plus hauts sommets de la civilisation, ni l'héritage que nous transmettons à je ne sais quelles lointaines générations ne constituent la plus haute récompense de nos efforts. Celle- ci se trouve dans notre manière personnelle de prendre les détails d'un très petits nombres de faits de la vie, aussi petits soient-ils, car même les plus petits répondent encore à ce mouvement de va-et-vient - les plus importants d'entre eux obéissant à leur tour au schéma éternel, valable pour tous : il est né, s'est nourri, a travaillé, pris du repos, souffert, a connu la joie, l'amour, a donné la vie, est mort.
La grandeur et l'originalité de la vie tiennent exclusivement à la manière dont nous exécutons ces actes, à la hauteur à laquelle monte le jet d'eau, à la plénitude et à la force avec lesquelles il retombe dans le bassin.
Et, dans la mesure où ces quelques actes fondamentaux, sans cesse répétés, sont tout à la fois d'une grande banalité et le support des plus hautes valeurs, les époques primitives, quelque rudimentaire qu'ait été leur civilisation, présentent ici et là des expériences spirituelles d'une élévation inégalable. Pour la même raison, ces mêmes expériences peuvent faire défaut à une civilisation avancée quand le je qu'elle produit s'évanouit en brouillard. Car une civilisation avancée a tôt fait de mépriser les riches profondeurs desquelles elle s'élance, et de commettre le vrai péché culturel : enrôler à son service, si noble soit-il, ce qui appartient à l'éternité de la vie universelle.
Par exemple, mettre le mariage ou la procréation au service de buts qui leur sont étrangers. ( argent, rang social ou tout ce qui n'est pas l'amour). Ou encore tuer ou porter préjudice au nom de la civilisation, mépriser le corps, la sainteté de la nourriture, du repos ou de l'animal, au nom d'une oeuvre civilisatrice aveugle.
Bien des péchés de ce genre sont traités à la légère parce qu'ils sont sans conséquence dans la vie civile.
Ce ne sont pas moins des péchés contre lesquels l'instinct proteste, parce qu'ils blessent avec une cruauté particulière la joie qu'il prend à la vie. A mon avis, il existe beaucoup de consciences pures
et de moralistes remarquables chez lesquels de tels péchés ne cessent de se venger sévèrement dans leur vie nerveuse et leur sensibilité secrète.Car ils ont porté atteinte, au fond d'eux-mêmes, à maintes harmonies délicates sans lesquelles le cantique de la vie ne saurait retentir pleinement ».

Tour à tour exploratrice, poète, philosophe, sourcière, botaniste , chercheuse... celle que Freud nommait la «  compreneuse » a effectivement bien compris l'exceptionnelle richesse de son voyage.

Si la Russie est grande, notre vie peut être immense à condition que nous sachions prendre conscience de la profondeur de toute chose pour que nous puissions vaincre toutes nos distances.
De la rivière au sable, du sable à la pluie, de la pluie à la fontaine, de la fontaine vers le ciel , de la première goutte ou de la dernière larme de la terre au courant de l'espoir.


Astrid Shriqui Garain

Commenter  J’apprécie          70


Videos de Lou Andreas-Salomé (6) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Lou Andreas-Salomé
Retrouvez les derniers épisodes de la cinquième saison de la P'tite Librairie sur la plateforme france.tv : https://www.france.tv/france-5/la-p-tite-librairie/
N'oubliez pas de vous abonner et d'activer les notifications pour ne rater aucune des vidéos de la P'tite Librairie.
Quelle romancière fut la muse de Nietzsche, de Freud, de Rilke, l'une des premières femmes psychanalystes et une pionnière du féminisme ?
« La maison », de Lou Andreas-Salomé, c'est à lire en poche chez Etonnants Classiques.
autres livres classés : journalVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus


Lecteurs (9) Voir plus



Quiz Voir plus

Quiz: l'Allemagne et la Littérature

Les deux frères Jacob et Whilhelm sont les auteurs de contes célèbres, quel est leur nom ?

Hoffmann
Gordon
Grimm
Marx

10 questions
415 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature allemande , guerre mondiale , allemagneCréer un quiz sur ce livre

{* *}