Interview Les Louves du Polar - Luce Michel
Car l’amour n’est jamais que ça. Des morceaux de verre qu’on secoue, qui retombent dans un ordre imprécis pour offrir un tableau dont on imagine surgir le portrait de l’homme aimé.
A la mi-mars, c'est au tour de Gertrude Stein de recevoir les Hemingway.
Née en Nouvelle-Angleterre en 1874, dans une famille juive plutôt aisée, Miss Stein, comme l'appelle avec déférence Ernest, est elle aussi une figure de la scène culturelle européenne.
Installée à Paris depuis l'âge de 28 ans, elle est une grande collectionneuse d'art, en particulier des cubistes (Picasso, dont elle est une amie, fera un portrait d'elle) et surtout une intellectuelle, à la fois poétesse, dramaturge et romancière.
Lesbienne, féministe, elle tranche franchement avec le genre de gens qu'Ernest a fréquentés à Oak Park comme à Chicago.
Agent d'entretien, ça n'a jamais fait rêver personne. Il en aurait des choses à raconter. Et malgré tout ça, malgré ces années à vivre caché derrière ses serpillières, c'est la tristesse de Valérie qui l'anéantit. Comment un système parvient-il à broyer ainsi de jeunes profs pleins d'entrain, d'enthousiasme et de foi en leur métier?
Oui, il arrive à Valérie de s'exprimer comme dans une romance très XVIIIe siècle écrite en 2019 par une américaine obèse du Nevada votant Trump et manifestant contre l'avortement.
Je le regarde dormir. Il a l'air si fragile, à ma merci, ainsi abandonné. Il gigote un instant, comme s'il se savait observé. Sa moustache frémit légèrement et je souris. J'ai envie de le caresser encore. Je ne m'en lasserai jamais. Sa peau que je sens frissonner sous mes doigts, ses soupirs de plaisir, la manière qu'il a de s'étirer en soulevant une paupière paresseuse.
Je sais, c'est le début de la fin, la marque indélébile de la vieille fille même plus en devenir. Mais j'ai craqué : j'ai pris un chat.
A louer, vue mer, appartement semi-indépendant dans maison de maître, à quinze minutes du continent. Navette maritime assurée à heures régulières. Hommes s’abstenir.
Je veux du rêve, de l’amour, de l’espoir, bordel. Je les mérite. Foufoune Power !
Mon poing frappe le volant, plus fort que je ne l’aurais souhaité. Je suçote l’endroit où ça fait mal, ferme les yeux. It’s the final countdown. Ça chante dans ma tête. Oui, dernier compte à rebours. Et je remporterai la manche. Je suis prête.
On se repaît si facilement de la douleur des autres. On est si fier d'y avoir échappé.
La liberté, ça ne se revendique pas, ça se vit, c’est tout.
Mais à peine à 19 ans, Ernest ressent le désir, compréhensible à son âge, de se mettre en avant. Il est parti à la guerre parce que cela lui paraissait la seule action valable pour faire ses preuves, parce que ses camarades s'engageaient tous, parce que c'était en Europe que quelque chose de grand, d'important, de fort se passait.
C'était là qu'il fallait être pour devenir un homme.
Oui il veut être un héros.