Citations de Magali Wiener (35)
Il s’est tourné vers moi : « Et toi Chiara, c’est quoi ton désir de revanche ? C’est quoi ta cicatrice ? » Il avait du flair. J’ai souris, fais un clin d’œil, mais j’ai rien lâché. Est-ce que je pouvais lui dire : « Moi, ma cicatrice, c’est mon sexe ? La rage en moi, c’est la rage d’être une fille quand c’est les gars qui sont couronnés, sans avoir rien prouvé, sans avoir rien fait d’exceptionnel. » Est-ce qu’il aurait compris ?
C’est Marilou qui sait raconter les histoires, pas moi. Et, ses histoires, je les écoute toujours jusqu’à la fin, elles m’habitent, parfois j’ai même l’impression qu’elles font partie de moi, comme si je les avais un peu vécues.
Des mots font plus mal que des coups. (...)
Un coup, on l'encaisse. (...) Un mot, c'est autre chose, ça résonne, ça vibre, ça trouve sa place, bien au chaud, dans notre tête et ça reste là toute notre vie. Un mot, ça ne meurt pas. On peut pas le faire taire, il est là, il creuse, il ronge. Il fait son travail de sape.
Un mot, ça dynamite votre monde intérieur.
C'est dur de ne pas être un champ de ruines après. (p.72)
- Si tu laisses le désespoir s'installer, tu ne te donnes aucune chance.
- La prison, c'est une chance ? J'ai rien à saisir ici.
- Non, mais c'est ton quotidien. Aujourd'hui, tu y es. Trouve la force de la combattre.
La juge soupire. Me dit qu'on va s'arrêter là pour aujourd'hui. Me demande de me lever. Debout, face à elle, j'ai les yeux rivés sur mes pieds. Elle me parle de la peine que prévoit le Code pénal pour les faits qui me sont reprochés. Sept ans et demi de prison. Je voudrais dire encore une fois que je n'ai rien fait. Leur vérité n'est pas la mienne. Je reste muet. Sa voix m'exile. Je suis mis en examen. Le juge des libertés décidera de mon placement en détention provisoire. Mandat de dépôt. Ils m'envoient en prison. Ils disent que j'ai violé. Violé la loi.
Pete a continué à venir, il ne s'est étonné de rien, et s'est encore moins offusqué. Il était là, fidèle au poste et à nouveau quand parfois il ne venais pas plusieurs jours d'affilée, il me manquait. Parce que quand il quittait le resto, il avait toujours un truc sympa à dire, une remarque amusante à faire sur nos choix du jour et il nous suggérait un plat improbable pour le lendemain, un jour il a dit : "Mettez un peu de stardust, ça nous donnera des ailes..." Stardust ? Poussière d'étoiles...ça m'a plus, sa poésie, son côté décalé, son air de pas prendre le monde au sérieux et quand il n'était pas là, le resto sonnait dans le creux de son absence.
On sait qu'il y avait une maison ici, mais il n'y a plus que les murs à moitié effondrés, les fenêtres ont explosé, les portes sont défoncées et la cave, personne n'ose y descendre, le risque de tout se prendre sur la gueule est trop grand. Je suis cette maison. Une menace d'effondrement.
Quand la brèche est ouverte, elle ne se colmate pas. L’âme ne se répare pas. Abîmé, je resterai. Je me sens perdu dans une vie qui m’a malmené.
Une main m’a poussée vers lui. la pression était trop forte, j’étais incapable de résister. Je crois que c’est ça qui m’a le plus dégoûtée. Je me suis vue dans l’impossibilité de dire non, de m’opposer à ce qu’on m’imposait et que je ne voulais pas. Je me suis trouvée nulle, mille, soumise. J’ai plongé sous l’eau. Ses lèvres ont avalé les miennes.
Je n'ai jamais osé lui confier que mes parents étaient contre. Que j'étais un enfant programmé pour autre chose. Parce que mes parents parlent de moi comme si je leur appartenais. Un objet qu'on modèle, qu'on sculpte, qu'on taille. (p.108)
J'ai presque tout vu, pourquoi ils ne me font pas confiance ?
La justice a besoin de preuves. Moi, j'ai mes yeux, mes oreilles, ma langue, mon cœur. Pourquoi ça suffit pas ?
Pourquoi les mots n'ont pas d'empreinte ADN ? (p.89)
Je veux qu'il sache que je ne pense pas comme lui, non, non, tous les gros ne sont pas des gens sans volonté, sans motivation ou sans but dans la vie. (p.70)
Quand il rentre, il nous montre ses photos, des centaines parfois. les plus réussies sont les plus poétiques ou les plus incroyables. Avec lui, l'éphémère devient éternel, le fugace se fige et le mirage s'imprime. Il ne met jamais de légende. Il préfère qu'elles éclatent dans le regard de l'autre, celui qui regarde sa photo. Sa manière de partager. (p.48)
J’ai envie de gueuler. De l’engueuler. De lui faire cracher qu'on est en pleine discrimination, qu'il pratique le tri social, qu'il baigne dans les préjugés aussi injustes que cruels. Comme si les enfants étaient responsables de la réussite ou de la galère de leurs parents. Comme si ça déterminait quelque chose de ce qu'on est, des résultats qu'on va obtenir cette année, de ce qu'on va devenir. Je n'ai pas envie de croire que le métier des parents indique le métier qu'on choisira, nous les enfants. Je vomis sur le principe de reproduction. On est la liberté. (p.9)
Si mon père l'entendait, ça le rendrait fou. Y a pas de sous-métiers, y a pas de faux métiers, c'est ce qu'il me dit, que de vrais boulots, de vrais boulons parce que c'est ça, on en est là. Toutes les pièces d'une gigantesque machine qui avance, recule, fonctionne tant bien que mal. On a besoin de toutes les pièces, comme pour un puzzle, sinon y a un trou et ça ne tourne plus rond. (p.11-12)