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Critiques de Marc Bloch (50)
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

Un livre important écrit par Marc Bloch, un historien résistant, torturé et tué par la gestapo en juin 1944.

L’Etrange Défaite raconte et commente en historien, comment les Français sont arrivés à 1938 puis à 1940 et ont géré ces trois années terribles.

Il pointe bien sûr les décisions des politiques mais, surtout, à l’origine de ces décisions, le comportement de tout un chacun. Avec tout ce que cela comprend de mollesse, d’égoïsme et de désintérêt mais aussi d’arrangements financiers ou psychiques.

Vivant aujourd’hui, on est bien obligé de se poser des questions…
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

Je l'ai lu dans le cadre scolaire de la terminale S. Je l'ai trouvé assez compliqué à lire pour une adolescente, mais il m'a pourtant vraiment intéressée donc j'ai tenu jusqu'au bout et je ne regrette pas.
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

bien
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

Ce livre, écrit dans la foulée de la défaite de 1940, au mois de juillet je crois, est impressionnant de lucidité. Certes, l'auteur est un grand historien, mais avoir cette capacité de recul et d'analyse au plus près des événements est tout à fait époustouflant. Car ici Marc Bloch qui a été mobilisé comme tant d'autres a été le témoin de la déroute des forces alliées durant le deuxième conflit mondial. Il a donc deux casquettes dans cet ouvrage, celui de l'historien et celui de témoin. Cette réflexion est puissante. Elle pourrait tout autant être écrite de nos jours avec tout le recul qui est le nôtre. Il en ressort, de manière consternant, l'incapacité de l'Etat-major à passer d'un temps de paix à un temps de guerre.

Ce témoignage est encore plus poignant, sachant que l'auteur a été fusillé par les nazis pour faits de résistance en 1944. Non, vraiment, ce n'est pas l'ouvrage d'un historien de bibliothèque que nous avons là, mais celui d'un homme profondément patriote et qui ne pouvait rester dans l'inaction tant que l'occupant était là.
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

Qu'il est bon de se plonger dans l'histoire de son pays.



Ce document écrit par Marc Bloch, juif français, résistant, mort pour la France, et historien, est une analyse pertinente et fine qui permet de comprendre la défaite française en 1940 face aux allemands. Les conclusions de Marc Bloch rejoignent plutôt celles de Charles de Gaulle. Sauf qu'ici Marc Bloch va plus loin avec une plus grande précision, ayant vécu la débâcle de l'intérieure, occupant des postes proches des décideurs.



Un document historique important donc, mais qui va au delà même du témoignage et de l'essai. Il est parsemé de réflexions concernant par exemple l'éducation et l'instruction (dont une analyse fine dans les Écrits clandestins, rejoignant la pensée de Victor Hugo) et d'auto critique (car un bon citoyen est avant tout un citoyen critique et non un suiveur qui obéit aveuglément, et ce n'est pas Marc Bloch qui dira le contraire).



Il est aussi ici question de l'amour pour son pays. L'auteur le répétera à plusieurs reprises, sans jamais cesser d'être critique, qu'il ne s'est jamais senti autre chose que français. Et c'est en tant que français qu'il est mort.
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

Lire un historien reste un peu surprenant quand on est habitué aux belles structures narratives des romanciers. On ne peut pas dire que Marc Bloch possédait leur habileté d'écriture, sa construction est évidemment bien organisée, mais il avait une fâcheuse manie à construire ses phrases comme des poupées russes, comme une succession d'imbrications. Du coup, on peut perdre facilement le fil de son discours.


Mais l'intérêt du livre n'est pas là. Marc Bloch, éminent historien spécialiste du Moyen-Âge, s'est retrouvé pris dans la tourmente de la défaite française face à l'Allemagne nazie. Entré en résistance, il a rédigé ce court texte durant l'été 1940 pour tenter de comprendre les raisons de la défaillance française. Et cette réflexion à chaud est absolument merveilleuse de lucidité. Bien que sa description des méandres de l'organisation militaire soit un peu rébarbative et que par instant il n'échappe pas à la dérive de vouloir refaire l'histoire, on ne peut qu'être ému, au fur et à mesure que l'on avance dans la lecture, par le sentiment d'amour que vouait Bloch pour la France, ce patriotisme qui nous paraît aujourd'hui un peu dépassé (est-ce un bien ou un mal?), et ce, malgré les répressions qu'il a pu subir de la part du régime de Vichy.


Ce témoignage a pris d'ailleurs une valeur toute particulière puisque son auteur sera fusillé par la Gestapo, le 16 juin 1944, quelques mois seulement avant la libération de la France par les Alliés.


Un témoignage essentiel pour ceux qui veulent comprendre les événements du printemps 1940.
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

La France étant aujourd'hui aux prises avec une invasion migratoire islamo-africaine, couplée avec la vague montante du racisme anti-Blancs, y aura-t-il un nouveau "Marc Bloch", écrivant une nouvelle "Étrange défaite" ?
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

C'est en lisant "C'est la guerre" de Stéphane Audoin-Rouzeau, cet été, que j'ai vu de nombreuses références à cet ouvrage de Marc Bloch dont je n'avais, je le confesse, jamais entendu parler. L'acuité des citations qu'Audoin-Rouzeau en tirait m'avait convaincu de le lire, ce que je viens donc de faire, qui plus est pour la modique somme de 0 € puisque cet ouvrage est maintenant dans le domaine public (merci la liseuse).

Marc Bloch, historien de renom, a fait toute la première guerre mondiale en tant qu'officier d'infanterie, avant de rempiler à sa demande en 1940, à l'âge de 52 ans, ce qui faisait de lui alors le plus vieux capitaine de l'armée française. Pendant ces quelques semaines de débâcle, il a fréquenté de près l'état-major de la première armée, c'est dire s'il constitue un témoin de premier choix.

D'abord embauché en tant qu'agent de liaison avec les Anglais, puisqu'il maniait la langue de Shakespeare, il s'est rendu compte qu'ils étaient trois à faire le même travail, il a donc été transféré en tant que responsable de l'approvisionnement en essence, tout en n'ayant, de son propre aveu, aucun rudiment en logistique, et s'il a appris très vite, il priait tout de même pour qu'Hitler n'attaque pas tout de suite – en même temps, ce n'est pas comme si l'essence était importante, hein, non plus !

Voilà, le ton est donné. Dans un patient et lumineux réquisitoire, Bloch raconte les incuries qu'il a subies à titre personnel, mais surtout décrit les impérities qu'il a vues et entendues tout autour de lui durant les semaines de la débâcle. Autant le dire tout de suite, c'est accablant. De la nullité et du défaitisme des officiers d'état-major au manque de combativité des grades inférieurs, de la division sociologique de l'armée (entre les pacifistes internationalistes syndicalistes d'un côté qui ne font pas la différence entre le meurtre et la légitime défense, et la grande bourgeoisie d'autre part, qui ne pardonne pas le front populaire de 1936), de l'impréparation et de la courte-vue de l'entre-deux guerres au manque de réactivité face aux évènements et à notre incapacité à collaborer efficacement avec des alliés, tout le monde en prend pour son grade.

Je n'ai pas pu m'empêcher de repenser à l'insulte que nous adressaient les Américains en 2003 lorsqu'ils furent vexés que les Français ne les suivent pas en Irak : "surrenderers monkeys"... singes capitulards.

Si, sur l'ensemble de l'Histoire, il ne faut pas sombrer dans le "french army bashing" à courte vue, et se souvenir par exemple que, contrairement à une idée reçue, la proportion de victoires-défaites contre les Anglais est de 60-40 en faveur de la France, il faut avouer que l'on n'a jamais mieux mérité ce sobriquet que durant ces tristes mois de mai et juin 1940 (en dépit de la résistance opiniâtre de certains éléments de l'armée qu'il ne convient pas d'insulter).

Dès lors, je me pose la question sur le titre "L'étrange défaite". Ce livre ayant été édité à titre posthume, après que Bloch fût fusillé pour résistance en 1944 – il nous est d'ailleurs parvenu presque par miracle, après avoir été enterré dans son jardin. Je me dis que le titre n'est forcément pas de lui, car à sa lecture, on conçoit cette défaite comme tout sauf "étrange".

C'est vraiment un très grand livre. Celui d'un analyste à l'intelligence acérée, celui d'un patriote au sens noble du terme, qui ne méprise aucune frange de la société, celui de quelqu'un capable d'élever le débat au niveau philosophique, celui d'un visionnaire. Un très grand bonhomme.

Pour moi, dans la catégorie "essais", c'est la lecture de l'année, et même peut-être de ces dix dernières années, et s'il n'est pas d'un abord facile pour les ados ou les personnes peu lettrées, chacun devrait s'y confronter dès qu'il a acquis le bagage nécessaire.

Pour enfoncer le clou, la version que j'ai lue comportait 6 articles supplémentaires écrits pour la plupart en 1943, un an avant sa mort. En tant que prof, mon attention a été attirée par le dernier des 6. Voyant la victoire se profiler, Bloch y exprime sa vision des réformes nécessaires pour l'éducation nationale après guerre, en particulier au niveau secondaire et universitaire. Cruel constat : bientôt 80 ans après, quasiment aucune de ses préconisations n'a été prise en compte (suppression des examens incessants transformant les jeunes en singes savants, fin de l'hyperspécialisation des écoles et des diplômes, suppression de certaines grandes écoles, décloisonnement des universités, retour à un enseignement général plus pragmatique pour éviter l'ennui, et j'en passe...)

Ce n'est même pas une intuition, c'est une certitude que j'ai, après 25 ans de carrière : si on l'avait écouté, nous n'en serions pas là, à présent, avec des hémorragies de décrocheurs, d'écoles alternatives, d'instruction en famille, des diplômes inutiles, des examens coûteux et sans valeur, des "bullshit cursus" menant tout droit à des "bullshit jobs"... et à un niveau général moyen toujours plus désastreux d'année en année.
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

La TRES ETRANGE ACTUALITE de L'ETRANGE DEFAITE.

C'est un ami qui m'a conseillé de lire ce bouquin en pleine pandémie du covid 19. J'avais entendu parlé de Marc Bloch mais j'ignorai tout de lui et de ses écrits. Faute, erreur impardonnable. C'est un livre d'histoire capital qui devrait être enseigné et commenté au lycée et que je ne saurai vous conseiller de lire.



Au delà, du récit historique de la débâcle de 1940, c'est une clé pour appréhender notre monde actuel. Mais l'histoire ne doit-elle pas nous aider à comprendre le présent?

Marc Bloch y répond ainsi "Car l'histoire est par essence, science du changement. Elle sait et elle enseigne que deux évênements ne se reproduisent jamais tout à fait semblables, parce que jamais les conditions ne coïncident exactement. Sans-doute, reconnait-elle, dans l'évolution humaine des éléments sinon permanents du moins durables. C'est pour avouer, en même temps,la variété presque infinie de leurs combinaisons. .... Elle peur s'essayer à pénétrer l'avenir; elle n'est pas, je crois, incapable d'y parvenir. Mais ses leçons ne sont point que le passé recommence, que ce qui a été hier sera demain. " (p150-p151)



Marc Bloch est historien et officier de réserve en 1940. Il a fait la guerre de 14. A plus de 50 ans, il tient à se réengager.

Responsable de l'approvisionnement en essence, il est aux premières loges ;: proche du front et du commandement. Il décrit la défaite militaire et on est ahuri par la nullité du commandement, l'absence d'analyse, de stratégie, de moyens.Le poids de l'organisation, de la hiérarchie et l'incapacité à juger le réel : "Les Allemands ont fait une guerre d'aujourd'hui, sous le signe de la vitesse. Nous n'avons pas seulement tenté de faire, pour notre part, une guerre de la veille ou de l'avant-veille. Au moment même où nous voyions les Allemands mener la leur, nous n'avons pas su ou pas voulu en comprendre le rythme, accordé aux vibrations accélérées d'une ère nouvelle. Si bien, qu'au vrai, ce furent deux adversaires appartenant chacun à un âge différent de l'humanité qui se heurtèrent sur nos champs de bataille. "

Déjà en lisant la partie militaire, on ne peut que comparer avec ce que nous avons vécu avec la pandémie. C'est macron qui a parlé de guerre. Il suffit de remplacer les militaires par les personnels de santé. Et çà marche l'analyse est juste.



Marc Bloch n'en reste pas là. Il analyse aussi l'état, le personnel politique, les classes sociales et notamment la bourgeoisie. Il parle des mentalités de l'époque, du système d'éducation.

Non marxiste, il cite souvent Marx.

Son jugement est clair et sans appel :

"Ce n'est pas seulement sur le terrain militaire que notre défaite a eu ses causes intellectuelles. Pour pouvoir être vainqueurs, n'avions nous pas, en tant que nation, trop pris l'habitude de nous contenter de connaissances incomplètes et d'idées insuffisamment lucides ? Notre régime de gouvernement se fondait sur la participation des masses. Or, ce peuple auquel on remettait ainsi ses destinées et qui n'était pas, je crois, incapable, en lui-même, de choisir les voies droites, qu'avons nous fait pour lui fournir ce minimum de renseignements nets et sûrs, sans lesquels aucune conduite rationnelle n'est possible ? Rien en vérité. Telle fût, certainement, la grande faiblesse de notre système prétendument démocratique, tel, le pire crime de nos prétendus démocrates. Passe encore si l'on avait eu à déplorer seulement les mensonges et les omissions, coupables, certes, mais faciles en somme à déceler, qu'inspire l'esprit de parti ouvertement avoué. Le plus grave était que la presse dite de pure information, que beaucoup de feuilles même, parmi celles qui affectaient d'obéir uniquement à des consignes politiques, servaient, en fait, des intérêts cachés, souvent sordides, et parfois, étrangers à notre pays. (...) Pour comprendre les enjeux d'une immense lutte mondiale, pour prévoir l'orage et s'armer dûment, à l'avance, contre ses foudres, c'était là une médiocre préparation mentale. Délibérément (...) l'hitlérisme refuse à ses foules tout accès au vrai. Il remplace la persuasion par la suggesion émotive. Pour nous, il nous faut choisir : ou faire, à notre tour, de notre peuple un clavier qui vibre, aveuglément, au magnétisme de quelques chefs (...) ; ou le former à être le collaborateur conscient des représentants qu'il s'est lui-même donnés. Dans le stade actuel de nos civilisations, ce dilemne ne souffre plus de moyen terme... La masse n'obéit plus. Elle suit, parce qu'on l'a mise en transe, ou parce qu'elle sait. "



Décrit-il la société de 1940 ou celle de 2020?

La société n'aurait-elle pas évoluer depuis 1940?

Au final, non.

Pour évoluer, il est absolument nécessaire de connaître et de tirer les conséquences du passé.

Qui a lu Marc Bloch?

Combien de profs d'histoire l'ont cité?

Cette page d'histoire est essentielle pour analyser notre société.

C'est pourquoi il faut absolument lire ce bouquin.









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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

Officier français qui a participé aux deux guerres mondiales et historien, Marc Bloch produit dans les mois qui suivent la défaite de 1940 : L'Etrange défaite, réflexion historique qui n'a jamais été profondément remise en cause. Malgré le manque d'informations et de recul, il analyse les circonstances et les causes de cette catastrophe incroyable.

Incapacité du commandement, déresponsabilisation des chefs militaires, incapacité de l'Etat major français à valoriser son alliance avec l'Angleterre, lassitude du peuple français, résignation dominante ...

Marc Bloch dénonce également l’égoïsme bourgeois. La haute bourgeoisie ne s'est pas remise de la victoire du Front Populaire. Se sentant menacée par les nouvelles couches sociales, elle n'a pas su éclairer la France et l'a condamnée à la défaite qui sonne alors comme une revanche du haut patronat sur le peuple.

L'auteur en appelle à la jeunesse et à la manifestation d'énergies nouvelles pour "reconstruire la patrie". La France de la défaite est celle du regret. Elle est dotée d'un gouvernement de vieillards dont l'icône, le Maréchal Pétain est lui même très âgé.

Ce texte devient intemporel lorsqu'il appelle à la vertu et à la reconstruction.

Marc Bloch vit les idéaux qu'il prône . Plus vieux capitaine de l'armée française de 1940, il n'avait pas hésité à se réengager. Il entre dans la Résistance. Arrêté et torturé, il est fusillé en 1944 par la Gestapo.
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

Analyse à chaud (rédigé durant l'été 40) de la Débâcle et qui,malgré le manque de recul temporel et documentaire,s' avère pour les historiens toujours pertinent près de 70 ans après les faits.

Marc Bloch(qui mourut, fusillé en 1944) pointe aussi bien les causes militaires (faillite du système de renseignement empêtré dans la bureaucratie et guère réactif, les erreurs stratégiques d' un commandement en retard d' une guerre)que les maux de la société Française de l' époque .

Les annexes (articles écrit pour la Résistance) sont intéressants, notamment ses propositions pour une réforme de l' enseignement après la Guerre . Ses critiques sur un système scolaire miné par le bachotage, des universités qui doivent se positionner entre le professionnel ou le "savoir" sont intéressantes vu qu' elles gardent une certaine actualité...



La citation du livre :



« Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France : ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération. »
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

Livre indispensable pour comprendre la défaite française en 1940.

L'analyse de Marc Bloch est d'autant plus impressionnante qu'il a vécu au coeur de ses événements et qu'il a écrit son livre avec très peu de recul et, en tout cas, pas le recul des années.
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

Il est des ouvrages qui devaient paraître,

C'est le cas pour celui-ci.



Écrit par Marc Bloch après la capitulation de la France en 1940, ce livre est sorti à titre posthume,

L'ouvrage, caché pendant des années à Clermont Ferrand, a échappé à l'attention de la DCA, ainsi récupéré, il a été enterré dans le jardin d'une propriété, non loin de laquelle des tranchées ont été creusées après le débarquement allié de 1944.



Temoignage objectif de la défaite de 1940, il est d'autant plus intéressant qu'il ait été écrit par un soldat volontaire, français, juif, professeur d'histoire, et résistant.

L'analyse est minutieuse, sans que l'auteur ait pu avoir accès à des documents pour étayer sa thèse.

Celle-ci s'est pourtant trouvée en cohérence avec les informations publiées après 1945.



Constats des dysfonctionnements militaires / stratégiques / tactiques / matériels / politiques / civiques, et proposant une vision de la reconstruction française d'après guerre, ce livre est une mine d'information sur cette défaite dont on parle au final assez peu.
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

En ces temps de cérémonie en l'honneur de nos soldats morts en Afganistan, il est nécessaire de lire - ou relire - un grand texte écrit "dans la rage" en juillet 1940 par Marc Bloch, historien du moyen-âge, fondateur, avec Fernand Braudel, de l'école des Annales.



Voici - entre autre - ce qu'écrit cet intellectuel, engagé volontaire en 1940 - il a 54 ans et est père de 6 enfants, il participera ensuite, après sa démobilisation, au réseau "Combat" dans la Résistance et sera à ce titre fusillé par les Allemands en 1944 - sur les politiciens de la période de 1938 :



Prisonniers de dogmes qu'ils savaient périmés, de programmes qu'ils avaient renoncé à réaliser, les grands partis unissent, fallacieusement, des hommes qui, sur les grands problèmes du moment (...), s'étaient formés les opinions les plus opposées. Ils en séparaient d'autres qui pensaient exactement de même. »



Cela ne vous dit rien ?



Cette analyse à chaud des causes de la débâcle de 1940, publiée en 1946, écrite par un homme lucide et habitué à la recherche des faits, qui a donné sa vie pour la Patrie, reste d'une actualité brûlante aujourd'hui sur les tendances de l'âme française. De la lecture de tels témoignages, on peut transposer des règles de vie pour mieux comprendre le désenchantement politique actuel....Finalement - hélas - rien ne change.



Mais revenons à l'Etrange défaite.



Marc Bloch décrit d'abord son expérience personnelle de l'extraordinaire chaos de l'offensive allemande du 10 mai 1940. Il en avance plusieurs explications. Voici un florilège de citations :



- Depuis le début du 20° siècle, la notion de distance a radicalement changé de valeur. Les Allemands ont fait une guerre d'aujourd'hui, sous le signe de la vitesse. Nous avons en somme renouvelé les combats, familiers à notre histoire coloniale, de la sagaie contre les fusils. Mais c'est nous, cette fois, qui jouions les primitifs.



- Cette guerre fut le fait de perpétuelles surprises : les Allemands ne jouaient pas le jeu, n'étant jamais là où on les attendait. Ils croyaient en l'action et à l'imprévu. Nous avions donné notre foi à l'immobilisme et au déjà fait.



- La doctrine, couramment répandue par les doctrinaires, nous affirmait arrivés à un de ces moments de l'histoire stratégique où la cuirasse dépasse en puissance le canon (allusion à l'investissement dément dans la Ligne Maginot).



Quelques semaines de combats meurtriers et brouillons suffirent pour mettre ainsi en lumière l'insuffisance du haut commandement, de l'organisation, de l'armement et des blindés (considérés comme une arme lourde à mouvoir et réservée à la défense), de liaisons entre les forces françaises entre elles et le corps expéditionnaire britannique, la faiblesse du renseignement, la pléthore du nombre de ses organismes et la rivalité entre eux, la crise d'autorité et l'incapacité à sanctionner les manquements, la manie paperassière du temps de paix perpétuée en temps de guerre, les chevauchements, les strates multiples, le sectionnement des responsabilités.



Dans la troisième partie intitulée Examen de conscience d'un Français, ce sont les responsabilités morales de la classe militaire et politique qui sont mises sous revue :



- la folie de l'exode, la rapidité à déclarer les villes de plus de 20 000 habitants "ouvertes", la non défense des ponts, l'impréparation des troupes pendant la "drôle de guerre", le manque de connaissances global de l'encadrement : "une paresse du savoir qui entraîne une funeste complaisance envers soi-même."



En particulier est fustigée toute la littérature du renoncement mettant en garde contre les dangers de la machine et du progrès, le manque de culture des "élites", leur absence de curiosité technique et politique - nourri d'une Presse orientée, comme d'effort pour comprendre le peuple par horreur des masses et du Front Populaire.



- une remarque, en passant, sur le régime d'assemblée défunt : "c'est un problème de savoir si une chambre, faite pour sanctionner et contrôler, peut gouverner." Le régime parlementaire, les assemblées pléthoriques, les politiciens en prennent pour leur grade : "les partis servaient simplement de tremplin aux habiles, qui se chassaient l'un l'autre du pinacle".



Un grand texte, donc, court et nerveux, écrit avec talent d'une traite, avec quelques fulgurances d'espoir dans une issue proche et que son auteur clairvoyant, fusillé au cul d'un camion allemand, ne verra pas mais qui lui survivra.
Lien : http://www.bigmammy.fr
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

Tout ce que réclame la morale française depuis au moins cent cinquante ans, c’est un esprit de fonctionnaire motivé par le goût et l’appât du confort : voilà ce qui innerve notre belle société et en fonde la structurante mentalité, pas autre chose, n’en déplaise aux flatteurs et aux amateurs des raccourcis de l’Histoire. Nous ne sommes ni des philosophes ni des révoltés : ces images et ces fables servent de propagandes dont l’effet de répétition obtuse, comme de puérils proverbes, fabrique, établit et perpétue ce que nous ne constatons point à dessein de se consoler ne n’être pas meilleurs que nous sommes. Un Français typique n’a ni hauteur ni énergie, il n’en a ni l’idée ni le temps ; un Français n’est ni Descartes, ni Voltaire, ni Hugo, bien qu’il soit vrai que ces trois furent français, mais ils furent incontestablement au-delà d’un Français. D’ailleurs, cette faiblesse générale des vertus, ce manque d’importance, de conscience et d’individu, bien des indices historiques et littéraires m’incitent à penser à son ancienneté : je ne puis admettre que notre « ère » ne daterait que des années 2000 et attribuer à cette si courte période le nom de « post-modernité » ; je trouve à cette théorie une surestimation du potentiel d’innovation d’un peuple balourd comme le nôtre, qui ne pense ni ne fait rien, dont le caractère n’a pas varié du constat implacable qu’en fit Georges Darien dans La belle France en 1900, on y reconnaît sans différences notables le Français d’aujourd’hui, inerte et bas, indolent et mesquin. Une nationale fierté, dont l’orgueil aveugle ne tolère pas d’être confronté à une réalité crue qui la désavoue, suppose à tort que tout son rapport est refondé puisqu’à chaque guerre on s’entr’extermine pour rien, il ne se peut donc que ces anciens si absurdes nous ressemblent encore, c’est pourquoi on préfère, sur toutes ces morts scandaleuses, fabriquer de nouvelles et symboliques renaissances, célébrer de nouveaux baptêmes d’humanité, pour s’imaginer que les fils de la France ont été, on ne sait pourquoi ni comment, révolutionnés des flagrantes erreurs de leurs pères, sans doute sous l’impulsion de ce devoir de mémoire qui, pour quiconque, ne signifie que ceci : il faut se croire une meilleur conscience, et ne pas oublier qu’on vaut un peu mieux. Pourtant, c’est sans mal qu’on peut oublier quand on ne sait rien, quand il n’y a rien de précieux à garder, quand tout ce qu’on sait est une légende qui n’édifia jamais – car les Français par tradition et sous la volonté immatérielle de ses institutions morales ne conservent des guerres successives que le catéchisme simpliste qu’on leur a donné à retenir, avec leurs divers Clovis et vases de Soissons. Sans mal également, on peut oublier ceux qui furent avant nous quand on leur est si conforme, si identique, si inchangé : c’est alors en soi qu’on porte la bêtise immémoriale des siècles, et il n’est pas nécessaire de rien fixer en arrière, puisqu’autrui en arrière, c’est soi maintenant. Je ne sache pas par où l’on pourrait démontrer que nos aïeux aux fusils à baïonnette et en pantalon garance furent différents de nous en quelque point fondamental – si l’État d’à présent ne retenait pas les crétines véhémences de son peuple, qui sait si nous n’en serions pas à faire la guerre aux islamistes de la manière tout semblable dont nos prédécesseurs firent croisades, s’il existait ici encore des troupes mercenaires (quoique, certes, avec un armement différent). C’est ce que je veux expliciter ici, à la troublante lumière du brillant texte de Marc Bloch venu là comme une confirmation. Notre ferveur débilitante à croire au changement en général et en particulier à son changement est une persuasion suggestive en contradiction patente avec la réalité de la passivité immuable des Français. Mais il est vrai que ce mythe du progrès est ancien en France où l’on suppose inexorable l’évolution de l’être en proportion du passage du temps et de l’apparition des technologies. On veut espérer depuis longtemps en la mythologie selon laquelle les humains s’améliorent suivant quelque destin inopposable, une force édificatrice courant et se renforçant dans le cycle des ères pour nous rendre meilleur, pour adoucir et perfectionner nos mœurs, pour civiliser lentement et irrépressiblement chacune de nos engeances. Mais partout où l’on impense d’automatisme ce processus, on ne fixe qu’un regard partial sur l’Histoire, et celle-ci se teinte évidemment de ce lot de préjugés antérieurs, et l’on en cherche systématiquement des leçons à tirer par lesquelles, à force de déformations complaisantes, nous aurions vaincu telle primitivité en nous tandis qu’en vérité l’homme demeure. C’est au point que l’on se sert perpétuellement de la variété des couleurs locales et temporelles, qui ne sont que des circonstances contingentes, pour déduire des altérités essentielles, admettant bêtement que là où simplement le décor se différencie, la personne n’est diamétralement plus la même ; on ne voit pas la même chose en surface, donc les changements profonds sont incontestables – mais qui de nos jours porterait de tels pantalons rouges pour aller à la guerre : c’est bien la preuve irréfutable que tout a changé ! Pourtant, je crois qu’en loin un doute ne cesse de nous tenailler là-dessus ; je crois que nous soupçonnons l’imposture de si promptes déclarations ; je crois même que chez nous, puisqu’on ne parvient pas à se cacher entièrement la stupidité de ses historiques prédécesseurs (mais bien davantage la sienne), on a particulièrement besoin de croire que l’on est « passé à autre chose », au point de créer des fragments millimétrés de périodes dont naturellement nous ne devrions point faire partie, étant si distincts que nous ne nous assimilons à rien ni personne avant nous ; il ne faut pas que nous en soyons restés là. C’est flatteur de se sentir uniques quand nous sommes en vérité si confusément communs ; nous nous sentons relevés d’avoir une place à part, même factice, bien qu’on ignore au juste où elle se situe et comment la distinguer ; il va de soi qu’on n’est comparable à nul autre, même si l’on est absolument en peine de dire en quoi. Mais il y a toujours le décor insistant, la surface éblouissante des choses, les technologies superficielles et accapareuses, et tout cela ne correspond certes pas aux cartes postales jaunies d’autrefois ; c’est donc bel et bien qu’il y a eu un bouleversement et donc que nous sommes singuliers. C’est une façon d’espérance et d’oubli, je crois, en opposition avec le constat des êtres. Mais il est vrai qu’on ne réfléchit pas, de nos jours. À ma connaissance, personne (ou alors bien peu, si peu que mes recherches sont restées à peu près vaines) n’a fait l’effort de mesurer avec minutie l’esprit de ces anciens qu’on déclare si opposés à nous ; on n’a même pas eu le soin d’examiner notre propre esprit contemporain et ses caractéristiques – je suis l’un des premiers sur le sujet. On se contente d’affirmer des platitudes. « Nous sommes dissemblables. — En quoi ? questionne-t-on. — Mais ça se voit ! — Ah ? — Oui, c’est évident : a-t-on jamais de sa vie télégraphié un câblogramme. » Ni examen, ni analyse, ni le plus petit commencement de méthode : il faut. C’est si bon de ne ressembler à personne que l’assertion doit suffire, il s’agira de trouver après coup des idées pour s’en persuader. On peut mettre un nom précis sur soi, se sentir dignifié par l’appellation qui ne désigne personne d’autre : « Post-moderne ». N’importe si ça ne veut rien dire, si ça ne correspond à rien, si c’est vide comme Léviathan ou comme le complexe d’Œdipe : d’autres enfin trouveront des raisons ; aujourd’hui la vérité vient bien avant les raisons, on n’a pas besoin d’arguments quand on a l’intuition, on sait avant que de savoir pourquoi on sait. Je pense post-moderne donc je le suis. Et – irréfutabilité maximale – puisque j’en suis heureux, alors c’est vrai indubitablement.

Cette rengaine persuasive comporte les failles élémentaires de la pensée qui exhausse d’emblée le sujet irrationnel pour en faire un être d’éloge. On dispose même en France d’une école de sociologie qui admet pour vraie une idée absurde et infondée dont le postulat est : « Il y a quelque chose d’unique dans la mentalité à notre époque. » Préjugé, croyance, religion que cet axiome désiré. J’imagine que c’est une fierté ou du moins une consolation d’exister quand c’est pour affirmer qu’on est nouveau et donc libre. La valeur d’un tel système ne va pas au-delà de cette rassurante surestime de soi. Encore un domaine où il s’agit de plaire, d’attirer des suffrages, de faire des émules en flattant : la réalité passe après. C’est à cause de ce genre d’a priori qu’on est restés incapables de tirer effectivement des leçons du passé : le passé ne saurait consister en un objet de leçon, le passé, en effet, ne pouvant pas se reproduire à l’identique ni semblablement, puisque le temps vient après lui et l’efface qui nous rend automatiquement si dissemblables et méritants ; ainsi l’homme appartient continuellement à une autre période, ainsi tout a, toujours, tellement changé sous l’effet du progrès des âges qu’il est même inutile d’aller chercher des références pour provoquer ce changement : l’espèce, sans qu’il en aille presque de sa volonté, mute. On s’est obstiné notamment à mal comprendre la défaite de 1940 qui n’est due qu’à cela, qui fut elle-même une réitération des principales défaites de la grande Guerre, je veux dire qu’on doit tous ces échecs aux vices imputables au contemporain français et demeurés universellement en l’état aujourd’hui aussi bien qu’à ces époques où, déjà, on s’était empressés de remiser de pareilles fautes à des « jadis » devenus impossibles et dont les conditions étaient heureusement « définitivement surannées ». Les manuels prétendent encore que c’est à cause de l’état-major qui n’avait pas su s’adapter aux conditions inédites du conflit, et c’est lui qui a porté toute la responsabilité de la déconfiture, on a reporté les malheurs de la France sur une poignée de vieillards « dépassés et obtus », une minorité de piètres professionnels, de mauvais fonctionnaires, en somme, n’est-ce pas ? pas du tout comme des travailleurs aujourd’hui ! eux qui jouissaient du privilège exclusif de l’obscurité mentale et de la mauvaise foi ! On a admis une fois pour toutes que, sans eux, tout aurait tourné autrement, et comme on n’a quand même pas osé examiner plus loin, preuve de la permanence d’une obscurité mentale et d’une mauvaise foi, non seulement on s’est dépêchés de pardonner à ces pathétiques cacochymes, mais la seule résolution qu’on a prise là-dessus fut de déléguer le soin d’éviter le renouvellement de pareille gabegie à… des fonctionnaires vieillissants chargés d’y remédier ! Pour pallier l’insuffisance intrinsèque de cet esprit de fonctionnariat qui a tué tant de Français, on a déterminé qu’il fallait que des fonctionnaires français résolussent le problème ! Il est bien clair qu’on n’a décidément rien compris ; ce devoir de mémoire décidément ne vaut rien si c’est pour se répéter des mantras faux et déculpabilisateurs ! Nos administrations sont demeurées les mêmes, et elles représentent strictement – strictement ! – le mode d’existence et les aspirations du Français contemporain, être d’incurie, celui de 2020. On ne veut pas entendre chez nous que la hiérarchie, qu’on a tant blâmée, ne fait pas différer les hommes aux divers grades : c’est que, pour devenir un supérieur, il faut presque toujours avoir été subalterne à quelque niveau, de sorte que les déviances qu’on constate chez nos dirigeants existent toujours en germe chez le citoyen-type. Le Français ne comprend jamais que le supérieur, c’est lui-même accédé à une situation avantageuse, et qu’il comporte ainsi en ferment la « qualité » de sa propre administration. Voilà pourquoi une guerre menée sur notre sol, animée par une armée de conscrits et de généraux fonctionnaires, rendrait de nos jours exactement les mêmes résultats qu’en 1939 ; voilà pourquoi toute entreprise, petite ou d’ampleur, qui privilégie le caractère national est condamnée aux mêmes effets, aux mêmes illusions et aux mêmes échecs : nous sommes la France de 1939, ainsi que celle de 1914, et celle aussi de la fin du XIXe siècle ! Remplacez les chevaux par les autos et les journaux par les téléphones, vous conservez les mêmes dispositions personnelles, les mêmes turpitudes, le même état d’esprit général, la même inaptitude congénitale ! La différence, vous verrez, n’est qu’une façon de mode, une couleur induite par les parures et les technologies, une apparence ou une superficie. Ce qui s’est mis en travers de cette évidente et dure réalité de notre constance dans l’insolente médiocrité, c’est De Gaulle, parce qu’on n’a pas voulu reconnaître qu’il était une exception parmi les Français et non un Français caractéristique ou même un produit de la France comme on a préféré le représenter par amour-propre, et aussi parce qu’il a remplacé son constat réel et intime d’un peuple vachard avec lequel il devait composer, pour louer des êtres surestimés et veules en distribuant à la cantonade des médailles et des milliers d’attestations de service. Quoi ? on voudrait me réfuter encore là-dessus ?!

Voyons donc. Préférence chronique pour l’irresponsabilité. Désir de stricte obéissance passive, allant jusqu’au refus même d’interpréter un ordre : pensée unique et indéfectible de la procédure. Aspiration insatiable à davantage de divertissement. Pénibilité presque pathologique à approfondir, à s’informer, à intellectualiser, à rendre un vrai effort mental, à s’intéresser au-delà de sa charge. Peur fondamentale des reproches par inhabitude d’agir de façon autonome. Langage d’inessentiel, variétés de proverbes, copies d’éléments courus, jargon déshumanisé dans toutes communications officielles, reprise d’expressions arrêtées et publiques – tout cela comme sentiment d’astuce et d’adaptation pour initier la fierté. Lenteurs, paperasserie, rapports, protocoles, degrés multiples et échelons assez étanches où reporter toujours opportunément son devoir. Absence systématique d’initiative individuelle. Rivalités des services ; rivalités au sein même des services : conflits particuliers et dérisoires que nul n’essaie d’arranger au nom de la liberté d’expression. Faiblesse des comptes rendus : imprécisions, creux, négligences de toutes sortes sans remords ni reproche, flou omniprésent fait pour entretenir la relativité des volontés et des décisions. Préséances et cooptations abolissant la justice des promotions et des sanctions : mélange bureaucratique et partial d’autoritarismes et de laxismes avec, en général, conservation des plus anciens et insignes faveurs accordées aux jeunes à conditions qu’ils soient disciples de l’ordre établi. Formation – initiale ou continue – théorique, déconnectée, obsolète et absurde. Défiance contre l’innovation véritable et ostracisme des partisans de l’altérité : un conformisme scrupuleux d’où naît la dénonciation en cas d’enfreinte au règlement. Offuscation du sens de recul au seul profit d’un objectif étroit de secteur sourd à l’intérêt général. Renoncement à fixer et à définir ses propres objectifs, c’est-à-dire à verbaliser soi-même un idéal à son action ainsi que des critères intérieurs et intègres de succès. Principe de précaution généralisé : l’action est licite seulement si elle est inscrite au protocole, à moins qu’elle soit présentée comme un risque, auquel cas elle donne lieu à une note de service. Et, par-dessus tout cela, crainte formidable des décisions personnelles, égoïsme de fuite, stratégie d’évitement : référer toujours à un supérieur qui n’ose guère lui-même, que vous importunez manifestement d’une responsabilité qu’il doit prendre, dont il devra référer à son tour et préfèrerait ne pas entendre parler : d’où hésitation à transmettre un renseignement, et enterrement d’informations capitales, à cause de cela.

Avez-vous reconnu de quoi je parle ? Quoi ? « l’esprit sénescent de l’état-major durant la seconde Guerre mondiale ? Mais non ! Rien qu’un fonctionnaire ou un salarié contemporain, rien qu’un citoyen français d’aujourd’hui ! Ce mécanisme mental n’est ni d’une époque, ni d’une politique, ni d’une mode révolue : c’est celui de la France et des Français aussi bien d’hier que d’à présent, depuis cent cinquante ans au moins, mécanisme auquel nos compatriotes ne s’opposent point, qui les conforte dans leurs agréables dispositions à regarder ailleurs, à mener leur profession et leur vie dans l’insouci et la routine les plus reposants. Or, c’est précisément ce mécanisme qui a conditionné l’écrasante défaite de 1940 quand 1918 ne nécessitait environ qu’une lourde obstination et de lents changements stratégiques. Nous l’emportâmes, oui, mais c’est à condition qu’il ne suffise pour cela que d’appliquer une procédure, à la rigueur altérée avec force parcimonie et moult consultations majoritaires et non sans inépuisables râleries. Le changement n’est pas français ; comment notre peuple serait-il altéré de quelque chose ? Rien n’est « blitz » chez nous ; ce n’est pas du tout une question d’états-majors ou de généralissimes : c’est nous tous ensemble et nous en particulier, c’est nous comme somme de personnes avec cet immobilisme confortable inscrit loin, très loin dans nos usages. Nous ne sommes plus des inventeurs, des explorateurs, des artistes, des exemples, des caractères. Il est permis de penser que si Bonaparte l’emportait, c’est parce qu’il n’avait pas l’esprit français, que ce n’est pas la France qui gagnait grâce à Bonaparte mais que Napoléon triomphait seul contre les Français qu’il lui fallait remuer contre leur gré, muter malgré eux ! Pourtant, le Français aime la victoire, ça oui, il se l’approprie quand il est forcé d’y apporter son concours ; mais ce qu’il y a de plus français dans Waterloo, c’est la charge stupide du général Ney qui fait ce qu’il a l’habitude de faire en chargeant contre des carrés anglais, dans un massacre résigné et à peu près inutile. Les tranchées longues et bêtes au rythme lancinant, les assauts stériles à telle heure précise contre des barbelés et une mitraille invincibles, sans évaluation de nécessité comme à Azincourt, le sifflet qui fait grimper des échelles par centaines au suicide délibéré dans une grande bassesse d’inconséquence bovine : ça, c’est français, voilà qui est la France ! On dit qu’il y eut partout des résistants : eh bien ! je prétends qu’ils n’étaient pas foncièrement français, ces résistants de mon cœur, qu’ils étaient comme De Gaulle bien supérieurs à la France énorme et massive, faite d’inertie et de grogne molle, bien supérieurs à cette masse où heureusement ils n’ont pu se confondre, bien supérieurs, oui, et c’est justement ce qui les a rendus ostensibles à l’Histoire. J’exagère ? Mais est-ce qu’on « résiste » au travail de nos jours, et à toutes sortes de peines et d’injustices ? Allons ! vous le savez bien : on meugle et on se résout, sauf si bien sûr on est une multitude ! L’esprit français est depuis longtemps, a contrario de toutes fanfaronnades, pour l’essentiel un esprit stylé de collaboration ainsi que d’intérêt personnel par insouci d’idéal actif, par souhait de confort, par peur du risque, au fond par manque d’individu : le socialisme qui a si bien pris chez nous est bien français, parce qu’il importe par-dessus tout au Français d’être solidaire et d’aspirer à la légèreté ; or, le socialisme, c’est l’esprit devenu politique par lequel un Français besogneux et pratique réclame d’être irresponsable et content ; le socialisme, c’est devenu la théorie des moyens d’accès à la nouvelle bourgeoisie déchue de sa hauteur de vue, si celle-ci exista jamais. Le citoyen est au bourgeois ce que le bourgeois est à l’aristocrate, et le bourgeois est socialiste partout où il aspire à l’aristocratie, c’est-à-dire au privilège mais sans la responsabilité ; en quoi le socialisme est déclin et décadence dans l’abandon relatif ou absolu du
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

Un grand classique parmi les ouvrages d'Histoire. Marc Bloch, déjà grand historien, analyse cette "étrange défaite" que vient de subir l'armée française. Immédiatement, l'état major est incriminée puis les politiciens qui n'ont pas su anticiper le conflit que préparer, sans se cacher, l'Allemagne nazie.

De nombreux passages sont intéressants, car Marc Bloch n'hésite pas à dire ouvertement ce qu'il pense. D'autres le sont moins pour nous lecteurs, car, ce qu'il faut comprendre, c'est qu'il s'adresse à ses contemporains, leur laissant un témoignage à vif mais aussi des conseils pour une reconstruction qu'il sait inéluctable.
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

J’ai mis beaucoup de temps à lire ce livre. La raison en est certainement le malentendu qui le défini.



On dit de ce témoignage que c’est une analyse à chaud des raisons de la débâcle de 1940. Ça l’est bien mais plutôt à la fin du récit. Le début est plutôt constitué dès pérégrination de Marc Bloch dans sa mission de ravitaillement en essence. Ce n’est pas inintéressant, mais j’avais du mal à m’accrocher aux mouvements erratiques de dépôts d’essences en quartiers généraux, aux anecdotes révélatrices ou anecdotiques.



Les cinquante dernières pages je les ai cependant lu d’une traite. L’analyse attendue est bien là. Il classe par ordre de responsabilité croissant les différents protagonistes qui ont entraîner pas vraiment la défaite (qui n’est que la consequence ultime) mais l’abandon du combat. A ces yeux les élites d’alors pensaient que la France méritait la défaite, car elle croyait le pays illégitimement souillé par les « menées gauchistes » des dernières décennies et surtout des années trente avec la parenthèse du front populaire. Cette bourgeoisie qui ne supportait plus l’érosion de son pouvoir politique et économique, la perte de ses rentes, et la perte du contrôle (temporaire) du pouvoir. Ce que leur reproche surtout Bloch est leur isolement, leur refus (idéologique) de voir la réalité de la vie des français d’alors, leurs fantasmes de voir des gueux prétendument les menacer alors qu’ils ne réclamaient que leur part de dignité.



Cette dernière partie est terriblement d’actualité. Mais Bloch, en historien avisé, rappelle qu’en histoire les mêmes causes ne mènent pas aux mêmes, car les causes sont aussi contingentées dans le contexte social, économique, politique du moment. Mais une chose est sûr, la situation n’est pas bonne.
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

Au fond, ce qu’il y a de plus étrange dans cette « Etrange défaite », c’est son titre. On se demande ce qu’elle a d’étrange, tellement elle parait normale d’après l’état des lieux que fait Marc Bloch à chaud, peu après les évènements. Son témoignage est divisé en deux parties, l’une sur l’armée, l’autre sur la société civile, il y décrit tous les dysfonctionnements et les faiblesses qui ont pu mener à la catastrophe de 1940. Les causes sont nombreuses mais on peut les résumer à un principe, l’inadaptation de la France au monde moderne. Le général de Gaulle ne faisait pas un constat très différent en déplorant l’insuffisance de la motorisation des armées. Mais d’ailleurs c’est un livre qu’on peut qualifier de discrètement gaulliste. L’appel à la résistance n’est pas formulé clairement mais il ne laisse pas de doute.

Marc Bloch écrit : « le triomphe des Allemands fut, essentiellement, une victoire intellectuelle », parce qu’ils savaient que la vitesse était l’avenir, et si l’armée et la société française ne l’ont pas compris c’est à cause de ses vieux dirigeants incapables de sortir des ornières d’une expérience désuète. Tout était vieux, vétuste et lent en France. Les autres choses, comme la bureaucratie kafkaïenne, les incohérences, la rétention d’information, le défaitisme, peuvent être classées comme des causes secondes de cette France sclérosée et rhumatisante.

Donc, Marc Bloch, qui était encore animé par une colère palpable quand il écrivait ce témoignage, met essentiellement cette défaite sur le dos d’un conservatisme profond de la société française d’avant-guerre. Il n’oublie pas non plus de tancer le pacifisme des communistes, ni les influences étrangères dans la politique intérieure de la France, ni les fautes du front populaire et de son camp puisqu’il soutenait la gauche républicaine.
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

Historien de formation, Marc Bloch, engagé volontaire à 54 ans en 1940, porte un regard désenchanté et lucide sur les évènements qu’il vient de vivre en 1939-1940. La drôle de guerre, puis la débâclé le conduit à s’interroger sur les raisons de la défaite. Il y voit non seulement une faillite de l’état major, engoncé dans ses certitudes de 1918, des politiques, sans esprit de suite, et plus globalement du système§me français d’éducation des élites, sans développement de l’esprit de curiosité.



Ce livre m’a interpellé à double titre : d’abord, parce que je venais de lire « un balcon en forêt » de Julien Gracq, sur le « vécu » d’un officier lors de cette courte guerre.



Ensuite, parce que je trouve ce livre toujours d’actualité : sommes-nous incités à plus développer notre curiosité, et notre ouverture tant dans le système scolaire que dans le monde professionnel ? Bien sûr, il y a eu des progrès parfois volontaires -programme Erasmus- que contraints -la mondialisation de l’économie-. Mais il y a encore de vastes progrès à faire : la méconnaissance relative des langues étrangères limite notre information ou bien encore la charge de travail très court terme, quand des entreprises comme Google offre à se employés 10 ou 20% de leur temps pour des travaux sans lien direct.



Alors, vous pouvez lire ce livre en tant que contribution à l’analyse de la tragédie de 1940. Vous pouvez aussi le parcourir en vous demandant si nous avons vraiment changé. Le constat est intéressant tant sur un plan personnel que collectif.



Il y a des livres qui se relisent pour médite. Celui-ci est un bon exemple.



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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

Après les attentats de 2015, j’ai beaucoup entendu parler de ce livre qui résonne avec notre actualité.



La partie principale de ce témoignage écrit en 1940 est le récit d’une débâcle. Ancien combattant de 14, âgé de 53 ans, Marc Bloch a souhaité être mobilisé en 39 et raconte son expérience. La Déposition d’un vaincu raconte sa guerre, le recul devant les allemands, la débandade à Dunkerque, les tentatives de créer un nouveau front en Normandie. Il analyse surtout le fonctionnement de l’armée, toujours en retard d’une stratégie, prête en 14 pour la guerre de 70 et en 39 pour celle de 14 ; victime d’une organisation sclérosée où le 2e bureau s’empresse de mettre les renseignements collectés au coffre plutôt que de les exploiter. Cette « défaite administrative » est renforcée par la bêtise des officiers, plutôt incultes, et d’une organisation inadaptée.

Il complète la narration de son expérience militaire par L’examen de conscience d’un Français qui est une critique de la société incapable de sacrifier des acquis pour la défense de la nation ; d’une presse qui ne pousse pas à la réflexion et à l’éducation ; une mise en cause de l’attitude de la bourgeoisie réactionnaire ou de nos gouvernements de « messieurs chenus ou de jeunes vieillards » incapables de penser hors du cadre, « de comprendre le surprenant ou le nouveau. »



Son engagement ne s’est pas arrêté à sa démobilisation, Bloch est entré dans la Résistance et a été fusillé en 44. Le témoignage est complété par quelques écrits de la clandestinité : Pourquoi je suis républicain est remarquable, rappelle que nous pouvons choisir notre destin et que nous ne sommes pas conditionnés par une communauté, l’éducation ou une race. Là encore, il est très critique avec l’aristocratie qui accable le régime et, par la même, la nation qui l’a choisi ou veut absolument donner un maître au peuple, quitte à le choisir à l’étranger.



Même s’il s’agit d’un témoignage, Bloch apporte sa rigueur scientifique d’historien, cela donne un récit un peu sec, pas toujours facile, mais évite le pathos. Malheureusement, bien des critiques portées sur les travers de la politique de la première partie de XXe siècle sont toujours d’actualité, les risques sont les mêmes et plus d’une fois j’ai cru lire un commentaire sur une situation actuelle. L’histoire est-elle un perpétuel recommencement ou n’a t-on vraiment rien retenu des leçons du passé ?
Lien : http://jimpee.free.fr/index...
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