La vie de Nathanaël, dans la Hollande du XVIIe siècle, est le sujet d’Un homme obscur. Un homme ordinaire, qui, à cause d’une méprise (ou plutôt d’une peur infondée) s’enfuit, quitte sa famille, pour échapper à une mise à mort qu’il imagine certaine, et toute sa vie sera faite de fuites en avant, de recherche de travaux faciles et de voyages, pour comprendre que tout aurait pu être différent s’il n’avait pas pris une décision finalement lourde de conséquences alors qu’il n’était qu’adolescent…
On sent tout le respect, la tendresse même, de l’auteure pour ce personnage discret et sans orgueil, qui pose sur toutes choses un regard dénué de préjugés et plein d’humanité, reste digne et honnête au cours des tribulations qu’il subit plus qu’il ne les choisit, et savoure l’existence dans ce qu’elle lui apporte. Malgré son « clair-obscur » personnel (le premier titre de cette nouvelle était « D’après Rembrandt », un maître du genre) c’est-à-dire des lacunes dans sa culture et son éducation, il contemple, compense et comprend son époque, très contrastée elle aussi (on sent que l’on passe graduellement des ténèbres – bien injuste formule – du Moyen-âge au futur avènement des Lumières) avec l’intelligence du cœur. Et en gardant l’esprit ouvert, sans doctrine ni a priori. Un cas rare en ce siècle.
Le héros d’Une belle matinée est Lazare, le fils de Nathanaël, un enfant doué pour le théâtre, qui finira par être emmené par une troupe de comédiens shakespeariens, pour son plus grand bonheur. Comme son père, il est sans prétention, fait ce qu’on lui demande et ne se pose pas trop de questions. Comme lui aussi, il voyagera et se contentera de ce que la vie lui apportera.
Mais il recevra toute la clarté à laquelle son père – qu’il n’aura pas connu – ne tenait pas : celle du passage de l’ombre de la mort à la lumière, puisqu’il porte le nom d’un ressuscité, celle des feux de la rampe, la flamme d’une passion pleinement vécue. Et celle, radieuse, d’une belle matinée. Avec le joli double sens de la matinée théâtrale ?
Cette fois on sent tout l’amour que Marguerite Yourcenar porte au théâtre, qui permet de vivre cent vies en une, à la fougue de la jeunesse, à l’engagement des acteurs dans un vibrant hommage sans réserve.
Deux êtres qui n’ont pas été soutenus par leurs familles (d’ailleurs inexistante pour le plus jeune), ce qui leur a finalement conféré une grande indépendance de pensée et de destinée. Deux trajectoires originales.
Une écriture superbe et des textes qui ne peuvent laisser insensible…
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