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Citations de Mariah Fredericks (62)


— ... toutes personnes possédées comme esclaves…
— ... esclaves…
— ... seront, à dater de ce moment et à jamais, libres.
— À jamais libres, fit Louise en écho, puis elle ôta son haut-de-forme. Quel sens a pour vous ce « à jamais » ?
— Le même que « pour toujours », je suppose.
— Et Lincoln ne pouvait-il pas le formuler ainsi ?
Ce n’était pas à moi, simple femme de chambre, de soutenir les choix stylistiques du seizième Président, mort pour la cause qu’il défendait. En dépit de son éloquence, Lincoln avait, certes, été confronté à la guerre de Sécession, à l’opposition du Congrès et au pistolet de John Wilkes Booth, mais sans doute jamais à un parterre de dames de la haute société, comme Louise s’y préparait. En réalité, il se rendait rarement à New York, qui avait par deux fois refusé de voter pour un républicain insensible aux avantages commerciaux de la traite des esclaves.
Toutefois, on célébrait le cinquantenaire de la proclamation d’Émancipation et New York s’adonnait à sa commémoration avec enthousiasme. C’est ainsi que Louise, un haut-de-forme improvisé en équilibre sur la tête, s’efforçait à grand-peine de réciter l’illustre discours de Mr. Lincoln.
Lasses des dîners traditionnels, les dames importantes de la ville s’évertuaient à démontrer leur sens artistique par des moyens variés. Les tableaux vivants*1 et le théâtre amateur faisaient fureur. On pouvait ainsi admirer le Brutus de Mrs. Halsey le lundi, un florilège de La Chauve-Souris par Mrs. Foster Jenkins le mardi et, le mercredi, une présentation torride de danse apache par Mrs. Fortesque. Dolly Rutherford, du grand magasin Rutherford’s – le plus nouveau et le plus luxueux des paradis de la mode féminine, qui s’affirmait comme le lieu « où chaque Beauté américaine s’épanouit ! » – n’était pas en reste. Sous sa houlette, Louise Tyler et d’autres devaient interpréter « Scènes émouvantes de l’Émancipation » une semaine plus tard.
Étant svelte et élancée, Louise avait été choisie pour interpréter le grand homme. On aurait pu croire que cet honneur reviendrait à l’hôtesse, mais Mrs. Rutherford était affligée d’une silhouette ronde et courtaude. À un certain moment, on avait suggéré qu’elle incarne Harriet Tubman2 ; en définitive, elle avait accepté le rôle tout aussi important, voire davantage, de Mary Todd Lincoln. (Le rôle de Harriet Tubman fut dévolu à Mrs. Edith Van Dormer. S’étant éteinte plus tôt dans le mois, Mrs. Tubman se verrait épargner ce spectacle.)
Louise s’enfonça dans un fauteuil et contempla, par la fenêtre, les immeubles noyés dans la grisaille en ce matin de la mi-mars. Le calendrier pouvait bien indiquer le printemps, le vent glacial et le ciel morose montraient que l’hiver ne relâchait pas encore son étreinte. Un feu agréable crépitait et le reste du thé que Louise prenait au petit déjeuner était posé sur la table auprès d’elle. Le silence régnait dans la maison de ville, située du côté de la 20e Rue Est, car William Tyler, son mari depuis huit mois, se trouvait à Washington avec son beau-père, Mr. Benchley. À en croire la rumeur, Woodrow Wilson s’était attelé à une nouvelle sorte de système de taxe, un impôt sur les revenus réels. Plus on gagnait, plus on payait. Certains considéraient cette mesure comme une monstrueuse atteinte à la propriété. Parmi ceux-ci, Mr. Benchley, qui comptait nombre d’amis dans la capitale, était allé battre le rappel contre les plans du Président. Il avait emmené avec lui son gendre, devenu depuis peu son avocat, abandonnant Louise à la merci de Dolly Rutherford.
Je m’en voulais. La mère de William et moi avions réussi, à nous deux, à guider Louise au fil de ses six premiers mois parmi les fortes femmes de la bonne société new-yorkaise. Mrs. Tyler senior avait présenté Mrs. Tyler junior à celles qu’il convenait de connaître, l’avait mise en garde contre les infréquentables, tandis que je peaufinais son allure et renforçais son assurance. Puis Mrs. Tyler s’en fut rendre visite à sa fille Beatrice, qui se livrait à la chasse au mari à Boston.
— Je laisse Louise entre vos mains expertes, Jane, me dit-elle.
Mrs. Tyler était partie depuis à peine un jour que je fus en proie à une grippe intestinale. Sa belle-mère étant au loin et moi souffrante, Louise était tombée entre les griffes d’une des arrivistes les plus alertes et épuisantes de la ville. Dolly Rutherford clamait haut et fort qu’elle refusait, mais alors, catégoriquement, de rester inactive. « Être oisive, c’est s’ennuyer, et s’ennuyer c’est mourir. » Elle avait une passion pour le sublime, en particulier dans l’art. Que l’objet de son attention fût accroché dans une galerie, qu’il chantât, dansât ou déclamât sur scène, Dolly Rutherford l’attirait dans son salon et l’exposait, « plumé, paré et assaisonné », pour reprendre les termes d’un critique. Elle aurait été ridicule n’eût-elle bénéficié de deux atouts : une volonté digne de Genghis Khan et la fortune de son époux. Des femmes plus coriaces que Louise avaient été entraînées dans son orbite. Je ne m’en sentais pas moins coupable.
Quand la pendule sur le manteau de la cheminée sonna neuf coups, j’espérai que Louise se rappellerait quel jour nous étions sans que j’eusse à le faire. Elle remarqua mon regard sur le cadran.
— C’est l’heure, n’est-ce pas ?
Elle se leva et me tendit la main.
— Je ne sais pas comment je vais me passer de vous.
— Vous pourrez me joindre au refuge à tout moment.
— Ce sont vos congés, Jane. Pourquoi ne partez-vous pas dans un endroit agréable ?
— Je tiens à voir mon oncle. Et j’ai aussi d’autres projets.
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-Le contremaître te bouscule pendant que tu coupes, le tissu se déchire, une amende. Tu ne fais pas pipi assez vite, une amende. A la morte-saison, ils enlèvent 2 dollars sur ton salaire. On paie pour les casiers, on paie pour les chaises où on s'assoit. L'autre jour, j'ai dit " Vous savez à qui elle est la fabrique ? A moi. Vous m'avez fait acheter ce casier, cette chaise, cette aiguille - tout ça est à moi, maintenant."
J'ai éclaté de rire.
- Qu'est-ce qu'il a répondu, le contremaître ?
- Il m'a giflée.
Je m'arrêtai de rire.
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Si votre tâche suppose de préserver l’éclat de l’argenterie, vous serez à l’affut de la moindre ternissure. Si les draps doivent être impeccables, vous chercherez les faux plis. En ce qui concernait les Benchley et les Newsome, j’ai vu les ternissures, les faux plis, la boue.
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Allez, Miss Prescott ! Nous sommes pour ainsi dire associés dans cette entreprise. Des associés travaillent ensemble. Ils partagent. Je vous ai demandé votre aide. Sans moi, vous seriez occupée à coudre des perles au lieu de chercher le meurtrier de Sophia.
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L'avenir est incertain, voilà tout ce que je veux dire, répliqua Bernadette, qui désigna la manchette MILLE CINQ CENTS DISPARUS. Personne, ni homme ni femme, n'a l'assurance d'être encore là demain.
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Un mariage dans la haute société représente un défi redoutable même pour la plus ravissante des jeunes filles. Or, Louise Benchley n'était pas une beauté. Elle était affligée d'un menton fuyant et d'yeux saillants. La première fois que je l'ai vue, elle paraissait singulièrement soumise à la gravité terrestre ; tout en elle semblait attiré vers le bas. Épaules tombantes, bras ballants, cheveux raides...
Nous avions travaillé dur, Louise et moi, pour mettre ses charmes en valeur...
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A vrai dire, les poupées me mettaient mal à l'aise. Des rangées de petites personnes aux visages en porcelaine et aux minuscules mains raides, couvertes de dentelles et de rubans. Des bouches bien ourlées qui ne laissaient jamais de souffle et encore moins de parole. De magnifiques cheveux - des cheveux humains. Je ne pus m'empêcher de penser que ces créatures avaient cannibalisé des femmes de chair et de sang pour se rendre encore plus parfaite.
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La première fois que je l'avais vue, elle paraissait singulièrement soumise à la gravité terrestre ; tout en elle semblait attiré vers le bas. Epaules tombantes, bras ballants, cheveux raides. A se demander si, à sa naissance, la sage-femme n'y était pas allée trop fort, étirant son corps malléable, telle de la guimauve, un peu plus que nécessaire.
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Je laissai les deux jeunes femmes échanger des regards perplexes et montai dans ma chambre. En ôtant mon manteau, je me souvins du fascicule. Je le sortis de ma poche et m’assis sur le lit.
Le titre (« Ce que toute mère devrait savoir : comment six petits enfants ont appris la vérité ») et le nom de l’auteur étaient clairement estampillés sur la couverture. En dépit de la douceur du titre, j’éprouvais de l’appréhension, comme si je tenais un ouvrage obscène. Je tournai la première page. Et lus :
Chaque parent sait qu’un jour son petit garçon ou sa petite fille aura mûri et possédera le pouvoir de procréer, pourtant il faillit à son obligation d’enseigner à l’enfant comment considérer ce pouvoir qu’il possède.

Mrs. Benchley toute crachée ! pensai-je, encouragée. De l’introduction, nous progressâmes vers les fleurs, non l’espèce végétale mais une famille, Papa et Maman Boutondor et leurs enfants. Les Boutondor résidaient dans les pétales de la Maison Papillon. Quand les petits Boutondor exprimèrent de l’intérêt pour la manière dont ils étaient venus à exister, leurs parents expliquèrent que le « pollen » du père, entreposé dans son « étamine », devait entrer à l’intérieur du pistil de la mère afin d’atteindre ses graines. À moins que Louise eût étudié la botanique à l’école, elle allait trouver cela plus déconcertant qu’autre chose.
Nous passâmes ensuite aux batraciens et à l’histoire de la famille Crapaud.
Comme Maman Boutondor, Maman Crapaud a dans son corps un petit nid où sont entreposées de petites graines, ou œufs, qui ont poussé. Maintenant que le temps est venu pour eux de s’éveiller à une vie nouvelle, ils ont besoin de la vitalité de Papa Crapaud tout comme les boutons-d’or ont besoin du pollen de l’étamine. Papa Crapaud (ou Grenouille), lui aussi, est mû par ce nouveau et merveilleux désir de donner la vie qu’il ressent en lui. Quand Maman Crapaud (ou Grenouille) sent que les œufs vont être expulsés, il s’approche très près d’elle puis, afin de fertiliser chaque œuf avant qu’il n’aille dans l’eau, il la tient fort par le bras et verse sur eux son fluide dispensateur de vie, qui pénètre dans chaque œuf minuscule et l’anime d’une vie nouvelle.

« S’approche très près d’elle » et « la tient fort par le bras » ne dépeignaient pas tout à fait l’expérience telle que je la concevais. Selon ces critères, j’avais fort bien pu être fertilisée quand Michael Behan m’avait empoignée de la sorte dans l’après-midi.
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La seule réponse à ma disposition face à ces noirs pressentiments, c'était du thé.
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Toutefois, si un secret connu de deux personnes n'en est déjà plus un, une confidence à Mrs Benchley pouvait aussi bien être imprimée à la une du New York Times.
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Dans cette demeure splendide, elle faisait songer à une cousine de la campagne en visite chez ses parents de la ville qui, en soupirant, comptent les jours jusqu'au départ de « cette chère Caroline ».
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Certains gagnent leur pain en prêtant attention à ce que d'autres préfèrent ignorer. Si votre tâche suppose de préserver l'éclat de l'argenterie, vous serez à l'affût de la moindre ternissure. Si les draps doivent être impeccables, vous chercherez les faux plis. En ce qui concernait les Benchley et les Newsome, j'ai vu les ternissures, les faux plis, la boue.
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- Je connais la presse à scandale, Mrs. Sullivan. Je suis écoeurée par un tel manque de considération envers la vie privée.
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Je frémis. "Métèques" n'était pas un mot que j'appréciais, or je l'entendais beaucoup. Une série d'incidents dramatiques, montés en épingle, éveillait chez nombre de New-Yorkais l'impression d'être la proie de criminels venus de l'étranger.
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Ses cheveux en brosse me parurent plus clairsemés qu'avant, son visage émacié et gris, à l'exception d'une grosse ecchymose violette sous l'oeil. Pourtant, il continuait à me sourire comme si nous étions tombés nez à nez dans la rue et nous étions assis pour bavarder.
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Je savais que j'aurais dû dire non. Mais il y a un monde entre savoir, sentir et faire, et je ne pouvais me résoudre à renoncer définitivement. De plus, il n'y avait pas grand danger à recevoir une coupure de presse.
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Il y a quelque chose d’étrange dans notre façon de pleurer certains individus quand des centaines d'autres meurent chaque jour et ont de la chance s'ils figurent en dernière page.
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Je ne m'abandonne pas aux émotions qui ne peuvent faire que du mal. Jalousie, colère, regret...
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- Allez, vous devez bien avoir quelqu'un. Un laitier qui dépose une bouteille de crème en plus. Un policier - c'est ça. Un beau jeune homme qui fait ses rondes devant chez les Benchley. Le teint frais, l'œil vif, le menton résolu...
- Nous ne voyons guère le policier du quartier. Et quand nous l'apercevons, il est soûl.
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