"Retour à Birkenau" est porté par un impératif : témoigner.
Ginette Kolinka est arrêtée et déportée à Auschwitz-Birkenau en avril 1944 avec son père, son petit frère et son neveu. Elle sera la seule à revenir.
Avec humilité et concision, de manière factuelle, elle déroule les sinistres étapes d’un parcours qui la mènera de Marseille à Drancy, de Drancy à Birkenau, de Birkenau à Bergen-Belsen, puis à Raguhn, et enfin à Theresienstadt.
Les trois jours et trois nuits du premier voyage en train, les cris, les aboiements, les ordres.
L’espoir de travailler, vite anéanti.
Sa naïveté, lorsqu’arrivée avec ses proches à Auschwitz, elle conseille à ses proches, fatigués, de monter dans les camions qui les emportent vers la mort.
La honte de la nudité lors du premier déshabillage : c’est la première fois qu’elle voit des femmes nues, et qu’elle-même se montre à qui que ce soit dans le plus simple appareil.
L’humiliation du tatouage du matricule, comme s’ils étaient des bestiaux (et c’est d’ailleurs ce qu’ils vont devenir).
L’immersion immédiate dans une organisation brutale et rigoureuse qui déjà déshumanise, ne laisse aucun temps de réflexion.
Très vite, l’inconsciente compréhension de l’horreur qui régente ces lieux, à la vue des squelettes ambulants qui peuplent le camp ; lorsque des filles du camp, avec une atterrante indifférence, lui explique qu’ici, on fait brûler les familles, et que tous ceux qui sont montés dans les camions sont partis dans des chambres à gaz, elle n’y croit pas, mais elle SAIT.
La soumission à une routine cauchemardesque : les coups au moindre prétexte, les appels interminables où il faut tenir des heures au garde-à-vous gelées, tremblantes, épuisées.
La terreur du moindre signe de faiblesse (plaies, trop grande maigreur) qui peut conduire aux chambres à gaz.
La mort qui, omniprésente, devient banale.
La soif, la vermine, la faim. La faim. La faim.
Quand, à partir des années 2000, Ginette Kolinka accompagnera des élèves -enfants et adolescents- dans les camps d’Auschwitz et de Birkenau, elle s’étonnera toujours qu’aucun ne lui pose de question sur la faim, qui était la seule obsession des détenus. Chaque jour était focalisé sur l’organisation à mettre en place pour ne pas mourir de faim, pour tenir jour après jour en faisant durer un morceau de pain rassis, en volant, en troquant… Elle, a survécu sans trop savoir comment, jeune fille discrète, peu liante et peu débrouillarde, qui ne volait ni ne donnait, parce que pour partager, écrit-elle, il fallait être héroïque.
A son retour, comme Marceline Loridan-Ivens qu’elle croise à plusieurs reprises au cours de son macabre périple (elles suivent de Marseille à Theresienstadt le même parcours, et font vaguement connaissance), elle se heurte à l’impossibilité de communiquer sur son expérience : comment donner des détails sur son vécu quand les autres ne sont pas revenus ? Comment partager et rendre imaginable ce que l’ampleur de cette barbarie organisée a rendu inconcevable ? Aussi, Ginette Kolinka ne parle jamais à ses proches de ce qui s’est passé là-bas. Mais la nuit, elle fait les poubelles familiales pour en manger tout ce qui est encore comestible.
C’est grâce à Steven Spielberg qu’elle sort, enfin, du silence, lorsque le cinéaste recueille des témoignages de déportés pour un projet de film : "La liste de Schindler". Depuis, elle témoigne, décidée à lutter contre la banalisation de cette horreur, pour que l’on se souvienne qu’Auschwitz n’était pas ce musée net et bien rangé qu’il est devenu, mais un lieu de boue, de grouillement, de violence, de mort, de négation de l’humanité d’autrui.
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